Chapitre 13

Tous se regardaient en se demandant qui parlerait le premier. Personne n'osait être celui qui brise le silence pourtant lourd et étouffant qui régnait dans la pièce depuis qu'ils s'étaient tous réunis dans le salon pour cette discussion qui serait sans doute importante pour leur avenir.

Wonwoo fut le premier à briser le silence.

— Cette discussion va être compliquée. Mais il faut que chacun de nous s'ouvre autant qu'il s'en sent capable. C'est essentiel de connaître en partie le vécu des uns et des autres pour éviter des faux pas et des triggers inutiles, mais aussi pour pouvoir être si nécessaire une source de réconfort et de réassurance fiable.

Les autres hochèrent silencieusement la tête.

— Je propose de laisser à Seungkwan et Seokmin un peu de répit, et de commencer par quelqu'un d'autre. À moins qu'ils ne souhaitent parler en premier.

Seungkwan secoua la tête. Il ne s'en sentait pas capable, là maintenant. Seokmin hésita un long moment avant de répondre par la négative lui aussi. Il se sentait vidé de toute son énergie, et comme si ça ne suffisait pas, il avait l'impression – à tort ou à raison – que Vernon lui adressait des regards particulièrement froids. Il se dit qu'il se faisait sans doute des idées. Que c'était probablement lui qui n'avait pas les idées très claires à cause de la fatigue qui pesait sur lui.

Wonwoo hésita avant de décider qu'il prendrait la parole en premier.

— Je n'ai jamais vécu d'évènements aussi traumatiques que certains d'entre vous en termes de relations familiales. Mais il est arrivé quelque chose, il y a quelques années, qui a changé ma façon de voir le monde. J'ai vu quelqu'un avoir un accident de la route. Un piéton s'est fait renverser. Et personne n'a bougé pour l'aider. Les autres automobilistes le contournaient sans prendre la peine ne serait-ce que d'appeler une ambulance.

Il s'interrompit un moment, regardant les autres membres un à un.

— J'ai alors compris qu'on était dans un monde de brutes, où avoir des accidents de parcours est une faiblesse cinglante. J'avais onze ans. J'avais onze ans quand j'ai vu quelqu'un mourir sans rien pouvoir faire. Mon frère Bohyuk avait sept ans. Quand tu comprends un truc pareil à un âge aussi jeune, je pense que tu ne vois plus jamais de la même façon les petits bonheurs du quotidien. Quand t'as vu ça, t'as sans cesse peur de perdre les gens que tu aimes. De les voir mourir comme cette personne qu'on a pas aidé.

Tous restèrent silencieux après la confession de Wonwoo. Il était d'ordinaire plutôt silencieux et réservé à propos de ses ressentis et de son passé. Il était assez mystérieux et silencieux. Les membres se sentaient honorés qu'il partage une partie de lui aussi intime et personnelle.

Tout resta silencieux un moment avant que Chan, le plus jeune d'entre eux, ne prenne la parole à son tour, rebondissant sur ce que son aîné venait de dire.

— On vit dans un monde où on s'en fiche de ceux qui tombent, de ceux qui échouent. Les seuls auxquels on s'intéresse, c'est ceux qui réussissent. Le reste du temps, on ne pense qu'à notre petite personne. Ce que j'aime avec notre famille, c'est qu'on est pas comme ça justement. On se soutient et on s'aide à se relever quand il se passe quelque chose. C'est un honneur d'être là, avec vous.

Les mots de Chan firent sourire Seungcheol qui l'enveloppa dans une douce étreinte, touché par la confiance que Chan leur témoignait.

Il venait de parler avec une maturité qui allait bien au-delà de ce dont un garçon d'à peine dix-sept ans devrait être capable, et si ça le touchait, ça lui brisait aussi le coeur. Il avait l'impression que Chan n'avait pas vraiment eu d'enfance, et c'était une chose à laquelle personne ne pourrait jamais remédier.

Il pourrait aider Seungkwan et Seokmin à surmonter leurs traumatismes, il pourrait rassurer Wonwoo et lui assurer que tout allait bien, qu'il ne perdrait pas ses amis. Il ne pourrait pas remonter dans le temps pour offrir à Chan une enfance qu'il le soupçonnait de ne pas avoir vraiment eue.

Il en eut la confirmation quand Chan reprit la parole, se confiant sur la seule chose qui lui pesait vraiment sur le coeur.

— Quant à moi.. Je n'ai qu'un seul regret dans la vie. Celui d'avoir toujours dû être plus vieux que mon âge. De toujours avoir dû être un adulte. C'est pour ça que ça me fait du bien que Jeonghan hyung me traite comme un enfant parfois. Parce que j'aurais aimé qu'on me traite comme ça quand je l'étais.

Il s'interrompit un moment, sentant les larmes lui monter aux yeux. Ça pouvait paraître ne pas être grand chose, mais à ses yeux, c'était une partie de sa vie qu'on lui avait volée et qu'il ne retrouverait jamais.

— C'est fatiguant, parfois, d'être un adulte. Très fatiguant. J'ai certes fait le choix d'avoir une vie compliquée, de me lancer à fond dans mon art. Et j'aime ça, bien évidemment. Mais parfois, c'est trop. Parfois, je suis jaloux quand je vois comment vivent les frères et soeurs de certains d'entre vous.

Il s'interrompit à nouveau, ne sachant pas trop comment formuler sa prochaine phrase.

— Je suis jaloux de savoir que Bohyuk-ah peut jouer aux jeux vidéos entre deux cours. Je suis jaloux de savoir que Jinseol noona a une vie normale, qu'elle peut marcher dans la rue sans être ni abordée ni entourée de gardes du corps pour éviter d'être en danger. J'aime mon métier plus que tout et j'ai conscience de la chance que j'ai, je sais que d'autres tueraient pour être à ma place, mais parfois, je suis fatigué. Parfois j'ai juste envie de me rouler en boule dans mon lit et dormir pendant des heures pour me ressourcer.

Le ressenti de Chan les frappait particulièrement. Jeonghan le regardait avec les larmes aux yeux, et les mains de Seungcheol se firent tremblantes tandis qu'il resserrait son étreinte sur Chan pour essayer de le réconforter et de le rassurer.

Il avait su avant même qu'il parle qu'il avait visé juste, mais entendre ça frappait particulièrement Seungcheol. Ça semblait aussi beaucoup toucher Jihoon et Soonyoung qui faisaient de leur mieux pour montrer soutien et compassion.

Jihoon paraissait toujours froid et distant, mais Seungkwan pensait ne pas se tromper en se disant qu'au fond, il avait un coeur d'or, qu'il avait juste entouré de murs de glace pour se protéger et éviter de souffrir.

Et il allait bientôt comprendre pourquoi.


Jihoon avait fait signe qu'il allait parler, lui aussi, et tout le monde semblait suspendu à ses lèvres. C'était la première fois que le leader de la vocal team allait s'ouvrir réellement à eux.

— Certains d'entre vous le savent peut-être déjà, ou l'ont deviné, mais je suis loin d'avoir eu une vie toute belle et rose. Entre le harcèlement à l'école, et ma famille au comportement toxique, j'ai pas eu d'autre choix que de m'endurcir. C'est pour ça que j'ai du mal à parler de ce que je ressens. Parce qu'à chaque fois que je l'ai fait en pensant être safe, j'en ai souffert.

Il s'interrompit un instant, des larmes ne coulant pas encore brillant dans son regard.

– Je sais qu'avec vous je peux être moi-même. Je sais que je peux avoir confiance. Je sais que je ne serai ni humilié ni frappé, ni insulté dans ce groupe. Mais tout ce qui m'est arrivé a laissé des traces que je n'arrive pas à effacer.

Cette fois, il ne put pas continuer. S'il le faisait, il allait fondre en larmes. Seungcheol se rapprocha de lui et le serra dans ses bras.

— On est fiers de toi, Jihoon-ah. Tu as surmonté beaucoup de choses pour en être là où tu en es aujourd'hui. Là tu as eu le courage de parler de ton passé et il faut beaucoup, beaucoup de courage pour ça. Je suis vraiment fier de toi. Sache qu'on sera toujours là pour te rattraper si tu tombes. On est une famille.

Jihoon hocha la tête, les larmes aux yeux. Il n'appréciait habituellement que peu le contact physique, mais il en avait plus besoin que jamais, à cet instant.

— Je sais que je suis loin d'être parfait, et que parfois ma distance vous blesse.. Vous êtes mes amis et je veux que vous sachiez que vous comptez pour moi, tous autant que vous êtes, même si je le montre pas.. Je ne veux pas que vous pensiez que je m'en fiche de vous tous..

Seungkwan leva la tête vers lui, le regardant avec un sérieux et une intensité qu'on lui voyait rarement.

— On sait que tu tiens à nous et que tu sais juste pas comment l'exprimer. C'est okay. Ne t'inquiète pas. Tu fais de ton mieux et tu n'as pas à te forcer davantage.

La réassurance de Seungkwan faillit le faire craquer, mais il fit de son mieux pour ne pas se montrer trop vulnérable. Il n'aimait pas l'idée de perdre le contrôle. Il ne voulait juste pas que les autres membres le voient comme ça.

Quand Jihoon resta silencieux, Seungkwan comprit que c'était à son tour de parler. Il sentait les regards des autres membres sur lui, mais se sentait en sécurité. Aucun d'eux ne le jugeait. Tous ces regards étaient emplis de compassion et de tendresse.

Il commença son récit, rebondissant sur ce qu'il avait déjà dit pendant l'émission.

— Comme vous le savez sans doute déjà, j'ai pas eu une famille très aimante. Ils m'ont jamais vraiment soutenu, mais jusqu'à assez récemment, peu avant mon départ, en fait, la violence restait verbale. Puis ça a empiré. Mon père a commencé à me frapper. J'ai décidé de partir un peu sur un coup de tête. Enfin, j'avais déjà dans l'idée de partir, mais j'ai précipité les choses. Plutôt vivre dans la rue mais loin d'eux que dans leur foyer toxique.

— T'étais un peu comme leur punching ball non? Le bouc émissaire, observa Joshua.

— Oui, totalement.

— C'est vraiment pas normal.. Tu as bien fait de partir. On ne laissera personne te faire de mal.

Tous hochèrent la tête de concert aux paroles de Joshua. Bien sûr qu'ils allaient protéger Seungkwan, quelqu'en soit le prix. Ils étaient une famille désormais.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top