Chapitre 8: Dispersion


Le mois de février débuta à peine quand le fameux jour du grand nettoyage arriva. C'était un samedi et pourtant tout le monde fut sorti du lit de bonne heure. Divers grognements résonnaient ça et là dans les dortoirs des secondes.

— Chier ce nettoyage de printemps, maugréa Ren en se frottant les yeux.

Il se momifia dans sa couette en soupirant pendant que Matt descendait de son lit par l'échelle. L'elfe conseilla à tout le monde de mettre des fringues pourries, pour éviter de salir des neuves.

— Désolé mais Derak ne met jamais de fringues pourries, parce que Derak n'a pas de fringues moches, lança ce dernier.

— Tu parles de toi à la troisième personne maintenant ? demanda Pix en balançant ses immenses jambes hors de son lit.

Derak acquiesça avec sa tête de malin et ouvrit en grand son armoire. Il y eut le défilé habituel à la salle de bain, Matt se chargea de déloger Ren de son sarcophage en couettes puis le quatuor sortit dans le couloir. En bas, dans la salle commune, tout le monde priait pour avoir l'endroit le moins agaçant du monde à nettoyer pour cette grande opération annuelle. Puis les trois professeurs principaux des trois classes de seconde arrivèrent dans la salle commune.

— Silence je vous pris... marmonna un des profs, dans le genre dépressif et qui a abandonné depuis longtemps l'idée de se faire respecter.

— On a dit silence ! cria Mlle Marg'ost. Bon les jeunes, comme toujours nous allons former des groupes et chacun aura une partie du château à nettoyer. Les listes sont affichées au tableau d'affichage.

Tout en parlant, l'ectoplasme placarda plusieurs feuilles sur le grand tableau en liège de la salle. Elle rajouta que les équipes devront se rendre à la vie scolaire pour aller chercher le matériel nécessaire au nettoyage puis ensuite se diriger vers l'endroit indiquée. La professeur rassura tout le monde en disant qu'il y aura des instructions pour chaque pièce et que le soir même, il y aura des crêpes à la cantine pour réconforter tout le monde. Cette proposition ravie tous les jeunes.

— Vive les crêpes au sucre ! s'exclama Matt dont les yeux pétillaient derrière les verres épais de ses lunettes. Allez les gars ! Allons voir ces foutus équipes, faisons ce foutu nettoyage et après on aura les crêpes !

— C'est trop mignon comment tu t'excites pour du sucre, ricana Derak en ébouriffant les cheveux de l'elfe.

— Dis pas ça je suis plus vieux que toi je te signale !

— C'est vrai que le nain de un mètre quarante a seize ans depuis deux semaines, railla le vampire.

— Quarante huit !!! Le huit sert pas à décorer !

— Allons voir ces listes qu'on en finisse... grogna Ren.

Cinq minutes plus tard il regrettait déjà... L'univers avait bel et bien le sens de l'humour et tenait absolument à le prouver, à croire qu'il s'acharnait sur lui. D'un côté il était avec tous ses amis, et de l'autre il était avec Nya. Ren poussa un soupir. Vivement que cette journée se termine pour qu'il puisse aller manger ses crêpes et se coucher bien au chaud sous sa couette avec la perspective d'une grasse matinée le lendemain.

***

— Sans déconner ! Ils auraient pu nous donner les serres, les jardins, la chapelle, mais non ! Le grenier le plus miteux de tout l'établissement !!! beugla Sarah.

La bande était en train de traverser un couloir du troisième étage, se trimballant chacun des ustensiles de ménages. La démone fulminait et Angèle tentait de la calmer en disant que c'était juste un grenier et juste de la poussière. Et de positiver en pensant aux crêpes.

— Rien à foutre des crêpes ! Je vais dégueulasser mes fringues et mes bronches à cause de ta poussière !

Derak leur pria se taire un peu car on lui écorchait ses nobles oreilles. Il était perché en haut de l'échelle menant à la trappe du grenier. Il ouvrit le battant et les autres l'entendirent tousser. Ses jambes disparurent à l'intérieur de la trappe quand il se hissa sur le plancher à l'étage du dessus.

Ren commença à grimper l'échelle, avec son carton de matériel de ménage dans un bras. Il passa sa tête ébouriffée dans le trou et ne vit d'abord rien du tout. Puis il y eut le son d'un interrupteur et une ampoule pendante au plafond s'alluma.

— Et la lumière fut ! s'exclama Derak. Oh la vache, c'est encore plus moisi que chez mes grands parents !

— Ça put ici ! se plaignit Sarah en toussant et passant sa tête dans la trappe.

— Grouille ! lança la voix étouffée de Matt.

La démone se hissa sur le plancher et lâcha un « berk » dégouté en voyant la poussière sur ses mains et ses genoux. L'équipe grimpa petit à petit et Pix fut le dernier à entrer et posa des seaux remplis d'eau au sol. Ils observèrent un peu les lieux. C'était un grenier, tout ce qu'il y avait de plus banal. Une partie du plafond était en pente et l'intégralité de la pièce était encombrée par tout et n'importe quoi. Des meubles, des bibelots et des artefacts magiques hors d'usage. Le tout à nettoyer de fond en comble. Le genre de truc à prendre des heures.

— Allez les gars ! s'exclama Angèle. Retroussons nos manches et faisons le ménage ! Et voyez cela comme un moment à partager entre amis et une occasion de trouver des objets sympa.

— T'appelle ça un moment à partager entre ami de faire le ménage ?? s'indigna Sarah.

— Oh une boule à plasma... fit Gabi en sortant l'objet de son carton. Vous croyez que les profs nous engueuleront si on chipe deux trois trucs, bling bling ?

— Qui viendrait faire l'inventaire de cet endroit pourri ? demanda Derak.

— Et si on arrêtait de parler et qu'on s'y mette ? grogna Ren. Plus vite commencé plus vite terminé.

— Voilà un peu de positivité ici ! s'émerveilla Angèle. Comment on s'organise par contre ?

— Tout aux encombrants ! proposèrent Sarah, Derak et Ren.

— Euh... Pourquoi pas commencer par déblayer les cartons et dépoussiérer les meubles et les objets ? proposa timidement Pix.

— Bonne idée, approuva Matt.

— Je peux passer un coup le balai et la serpillière juste avant ? demanda Nya.

— Fais ça oui, ça évitera de se salir.

— Bon go tout le monde ! s'exclama Angèle.

Le temps d'attraper chacun un chiffon, du produit et un plumeau, tout le monde se mit au travail, avec plus ou moins d'entrain. Et la tâche s'annonça beaucoup plus pénible qu'espéré. Nya signala d'abord qu'elle ne pouvait pas passer la serpillière à certains endroits, tant il y avait d'objets. Matt lui dit de laisser tomber pour l'instant et de s'attaquer aux cartons et aux meubles.

Un quart d'heure plus tard, ils poussèrent tous un soupir parfaitement synchronisé. Rien n'avait avancé et eux étaient devenus aussi poussiéreux que le reste.

— Dammit, on y arrivera jamais ! pesta Nya en jetant son chiffon à terre.

— C'est clair... fit Derak.

— Allez tout le monde, on n'abandonne pas ! encouragea Angèle. Essayons de discuter un peu pour tuer le temps.

— Ouais mais de quoi ?

— Mmmh. Nos projets d'avenir ?

— Manger des crêpes ! répondit toute la clique en cœur.

Angèle rigola et encouragea encore une fois tout le monde pour justement réaliser ce souhait. Elle se leva, se cogna à une table basse, renversa une pile de vieux grimoire et rinça son chiffon dans le seau de serpillière, dont l'eau était déjà grise.

Derak proposa d'aller enlever les vielles toiles d'araignées, histoire de changer un peu d'occupation. Il attrapa un bâton en bois et un plumeau, et se servit de ses pouvoirs de gravité pour flotter en apesanteur. Il vola jusqu'au plafond et s'y posa, la tête en bas. Puis il entreprit de chasser les occupantes des toiles.

Quant à Ren, il avait enfin fini son premier carton, mais il eut comme une sorte de vertige en voyant qu'il y en avait des dizaines d'autres. Il grogna, pour changer, et attrapa le prochain carton.

— Pourquoi ils les ont laissé grand ouvert sérieux ? pesta-t-il.

— Même quand ils sont fermé, y a un peu de poussière dedans, informa Matt, assis à côté de lui. On va dire que ceux-là sont nettoyés.

Sarah passa ensuite en pestant contre les toiles d'araignée, car elle s'en était mise partout dans les cheveux et dans ses cornes de bélier. Elle se cogna contre une commode qui ne bougea pas d'un centimètre et cria qu'elle s'était déboîtée le genoux.

De son côté, Pix en train de nettoyer un service à thé, très joli et étincelant une fois la couche de poussière enlevée. Le jeune homme partit ensuite nettoyer une table sur pieds, mais celle-ci se mit à bouger toute seule et s'enfuit en courant sur son pieds. Pix la poursuivit rapidement en lui criant de revenir. Il sa cassa la figure dans un virage prit serré et la table continua sa route.

— Pourquoi tous les objets animés me fuient ? demanda-t-il en se relevant.

— Certains objets sont capricieux, dit Angèle. L'autre jour la porte de la salle de techno m'a claqué au nez, alors qu'il n'y a pas un brin de vent.

— Elle claque au nez de tout le monde, à croire qu'elle le fait exprès, ajouta Matt.

Il ferma un carton qu'il venait de dépoussiérer et passa un coup de chiffon sur la table enfin dégagée. Il porta quelques cartons dans un coin de la pièce déjà propre et se remit au travail. En chemin, il croisa Pix, qui avait acculé la table dans un coin de la pièce, prêt à lui bondir dessus comme sur un chat. Il la loupa et la table s'enfuit derrière une pile de meuble sous bâche, personne ne la revit.

Matt attrapa ensuite une énième boite, grande ouverte et dont le contenu était envahi de poussière et de toiles d'araignée. Il se saisit d'un presse papier en verre et passa un coup de chiffon dessus, lui rendant son éclat d'antan. Il le posa sur le côté et s'attaqua à l'objet suivant.

Il sortit un petit miroir de poche en fer forgé et noir. Intrigué, il l'inspecta sous toutes ses coutures et remarqua rapidement qu'il était tout propre, alors que le reste était couvert de poussière. Matt regarda son reflet, qui n'était pas vraiment le sien. Il semblait beaucoup plus vieux, ses yeux n'avaient pas la même couleur et ses grandes oreilles étaient normales.

— Ren, regarde le miroir, il change ton reflet, dit-il en rigolant. Tu veux voir à quoi tu ressembleras quand tu seras plus vieux ?

— Je doute que mes yeux deviennent subitement rouge plus tard et que je laisse mes cheveux pousser autant... dit ce dernier en jetant un œil au miroir. C'est un miroir farceur ce truc ?

— Je pense. Hé Angèle, vient voir la tronche que ça fait ce machin.

L'ange pointa sa tête entre deux commodes et récupéra l'objet. Elle regarda son reflet en souriant. Elle ressemblait à un personnage de dessin animé tant ses yeux étaient immenses dans le miroir. Ses cheveux étaient noir et légèrement translucide et sa peau entièrement blanche.

— C'est vrai que c'est marrant. Gabi viens voir ! appela-t-elle.

Elle enjamba une pile de vieux livres et se rapprocha de Gabi, occupée à nettoyer un globe terrestre en bois. La jeune fille tourna lentement la tête dans sa direction et ses yeux se remplirent d'effroi.

— Touche pas à ça !! cria-t-elle.

Angèle s'arrêta et cligna des yeux. Gabi agita un index crispé dans sa direction.

— Pose ça, c'est dangereux !

— Meuf, t'es vraiment parano, soupira Derak, toujours la tête en bas au plafond.

— Ça va, c'est juste un... aaaahhh !!!

Angèle s'emmêla les pieds et s'étala de tout son long sur le plancher. Le miroir fit un vol plané et se brisa au sol quelques mètres plus loin.

— Aïeuh... fit la jeune fille.

— Allez Angèle, sept ans de malheur ! s'esclaffa Derak.

Il descendit du plafond pour l'aider à se relever. L'ange le remercia et s'avança vers les brisures de miroir pour les ramasser. Elle et Derak s'immobilisèrent en voyant que l'objet cassé baignait dans une sorte de flaque noire, comme du pétrole.

— Les gars ? couina Angèle. Ce... C'est normal que ça fasse ça ?

— T'aurais pas du toucher à ça, bling, bling...

— Qu'est-ce que t'as encore fait ? pesta Sarah.

Soudain le sol entier se recouvrit de cette matière noire, qui se répandit ensuite dans toute la pièce. L'ampoule au plafond clignota et s'éteignit quand l'encre serpenta le long des murs et remonta au plafond. La pièce fut plongée dans l'obscurité. Même le soleil avait l'air d'avoir disparu, semblant isoler le grenier du monde extérieur.

Un vent se mit à agiter les cheveux de tout le monde. Un vent vraiment très fort, siphonné par une sorte de gouffre grouillant de ténèbres, qui s'était ouvert comme une crevasse à l'emplacement du miroir brisé.

— Qu'est-ce qui se passe ??? cria Matt pour couvrir le son des bourrasques.

Il poussa un cri du stupeur quand ses pieds décollèrent du sol et qu'il fut emporté par le vent. Pix lui attrapa le poignet au vol. L'elfe s'agrippa au bras de son ami, balloté dans tous les sens comme un cerf-volant. Un autre cri retentit quand Angèle glissa, aspirée par l'abime d'encre. Derak chuta à son tour, appelant à l'aide. Sa voix mourut quand il fut avalé par le trou noir...

— Bordel ! pesta Ren quand il trébucha.

Il s'agrippa à un pied de commode pour éviter de glisser, les cheveux et les vêtements s'agitant furieusement comme animés d'une vie propre. Il vit avec effroi Pix et Matt se faire aspirer et disparaître dans le trou noir, suivit de Nya, puis Sarah.

Tout semblait invraisemblable. Absurde... Et tout se déroulait trop vite.

Ren se demanda ce qu'il se passait à la fin et ses doigts lâchèrent la commode, ne pouvant lutter contre la force d'attraction du gouffre. Il fut secoué dans tous les sens, se cogna à Gabi en chemin et les deux adolescents disparurent dans le trou noir. La chute, puis le néant furent les dernières sensations qu'ils eurent. La cavité se referma juste derrière et le vent cessa de souffler. Tout ce qui volait dans la pièce retomba au sol.

Le calme et le silence revinrent dans ces lieux désormais vide.

***
Quelque part, quatre milles ans plus tôt

Le soleil du début d'après midi sortit de derrière un groupe de nuage, éclairant les jardins d'une lueur chaude et dorée. Il cligna des yeux, éblouit pas cette lumière soudaine. Il détestait le soleil... Il se glissa donc à l'ombre d'un des pilier du kiosque à musique en marbre. Il remonta ses genoux et y cala son cahier à la couverture de cuir. Il trempa sa plume dans un encrier et continua d'écrire la suite de son histoire.

Il adorait écrire des histoires, ça lui permettait d'inventer des personnages et des mondes pour quitter la réalité un moment. Pour quitter la peau dans laquelle il était depuis trop longtemps. Il mordilla sa plume en se relisant. Parfois il se demandait pourquoi il venait d'écrire ça, comme si quelqu'un d'autre avait écrit à sa place.

Il leva ses yeux cernés et noirs comme de l'encre, un vrai regard de mort, en direction des cris de gamin un peu plus loin. Des adolescents un peu particulier étaient en train de jouer avec de jeune humains. Le soleil brillait dans leur cheveux en cristal, créant des reflets multicolores. Ils avaient tous des peaux à la limite du blanc et des yeux semblables à des pierres précieuses.

Tout ce beau monde constituait un vrai arc en ciel de cristaux. Il attrapa une de ses mèches de cheveux solide et froide comme de la pierre et regarda si le soleil passait au travers. Évidemment que non, l'obsidienne, ça ne brille pas. La lumière ne passera jamais au travers. Il soupira et se demanda qu'est-ce qu'il était en train d'écrire. Son idée venait de s'envoler.

Il tourna la tête vers un groupe d'adulte plus ou moins jeune, eux aussi en compagnie d'humain. Ils avaient eux aussi des cheveux scintillants en cristal. Ils prenaient le thé et discutaient avec les Hommes. On sentait le profond respect envers ces êtres particuliers. Après tout, il étaient considérés comme des dieux vivants.

Et lui alors ? Que faisait il au milieu de tout cela ? Il savait qu'il y avait douze dieux. Douze pour les douze mois de l'année. Pas un de plus, pas un de moins. Enfin si... Il y en avait un de plus. Le Treizième : lui, Obsidian.

Tous le considéraient comme l'Anomalie de ce monde. Celui qui faisait tache au milieu des Douze. Le seul qui n'avait pas de pouvoirs. Pas de pierre de naissance. Il n'était le dieu de rien. Il n'était pas comme son ainé, Diamond. Il n'était pas le dieu du temps. Il n'était pas comme sa sœur Aguamarine. Il n'était pas le dieu des océans...

Il n'était rien. Le destin ne lui avait jamais rien donné.

Dans ses rêves les plus fous, Obsidian rêvait de reprendre sa vraie place parmi les dieux. Celle qui aurait toujours dû avoir. Il voulait devenir Dieu en personne. Mais ça, ce n'était qu'un songe... Ça sera dans un autre monde, dans une autre vie, dans des millénaires...

Il grogna en se recevant un tas de feuilles mortes sur la tête. Il s'en débarrassa et se retourna. Personne derrière lui, donc il leva la tête vers l'arbre planté juste à côté du kiosque à musique. Un adolescent était étalé sur une des branches et imprima un sourire sardonique sur son visage, avant de croquer dans une pomme. Sa peau était légèrement vert-jaune, ses yeux semblables à deux péridots et ses cheveux long en avaient également l'aspect. Il jeta son trognon de pomme pour attirer l'attention de son frère cadet.

— Tu fais quoi ? demanda-t-il.

Obsidian ferma son cahier d'un geste sec et fusilla Peridot du regard. Ce dernier élargit son sourire provoquant.

— Ça te regarde pas, répliqua-t-il.

— Sérieux c'est quoi, des poèmes ? Tanzanite t'aurais enfin soufflé un semblant d'inspiration ? ricana l'adolescent.

— Exactement ça s'appelle faire parler les imbéciles pour les nuls !

— Ça rime même pas tête de nœud...

Peridot bailla bruyamment, puis calqua des doigts. Le cahier dans les mains d'Obsidian disparut d'un coup et se matérialisa dans les mains du plus âgé.

— Rends-moi ça !!! cria-t-il, en panique.

Il détestait qu'un de ses frères ou sœurs puisse lire ce qu'il écrivait. Peridot ricana d'un air arrogant puis fit mine de lire. Obsidian commença à grimper dans l'arbre, voulant récupérer ce qui lui appartenait. La seule chose qui était à lui dans ce monde injuste.

— Pinaise, t'écris mal mon vieux... soupira-t-il en se retenant de bailler. Je vais quand même traduire.

— Arrête ! ordonna Obsidian. Sinon j'appelle Topaz et tu sais qu'il aime pas qu'on l'embête pour tes bêtises.

— Bla-bla-bla, fit Peridot en lâchant son bâillement. « Dans pas longtemps il y aura un tout nouveau monde. Un nouveau monde en paix et sans guerre ». Pfff, c'est niais tout ça...

— C'est moche la guerre...

— Y en aura toujours des guerres. Celle qui se déroule en ce moment ne nous concerne pas et ça sera pas la dernière. Bref, tu raconte quoi pendant tout le cahier ? Ce nouveau monde avec un ciel bleu, des papillons, des arcs en ciels et des angelots qui jouent de la trompette ?

Il éclata de rire tout seul suite à sa « blague ». Obsidian ne voulait pas lui répondre, mais têtu comme Peridot l'était, il ne voudra jamais lui rendre son cahier.

— C'est pas vraiment une histoire... Disons juste que j'invente plusieurs monde, avec des caractéristiques et des règles. J'imagine ce que ça donnerait au fil des ans. Par exemple si les pouvoirs étaient un peu plus variés, autre que la terre, l'air, le feu, l'eau, la lumière et les ténèbres. Aussi variés que les vôtres quoi... Bref, un monde un peu différent...

— Ouaaaaaah, bailla Peridot. Le monde sera toujours ce qu'il est, pas besoin d'en inventer d'autres. Il changera jamais. Les hommes penseront toujours à leur argent, à leur confort et à eux-mêmes. Tu verras, on se mangera tous les dix doigts en voyant ce qu'il sera devenu le monde dans quelques temps.

— Maintenant tu rends ! ordonna Obsidian.

Il reprit l'ascension de son arbre et Peridot lui jeta un regard ensommeillé. Il continua à feuilleter le cahier.

— T'abandonneras jamais hein ? T'as oublié que je suis le meilleur au jeu du chat ? Personne peut m'attraper, je peux me téléporter vingt fois ailleurs et même ramener des souvenirs des quatre coins de la planète entre temps. Car je suis Peridot le Sixième ! Dieu des rêves et des voyages. Mais ça t'as pas l'air de l'avoir imprimé, tout ce que je peux faire, parce que t'as pas de pouvoirs.

Obsidian se prit la remarque comme une gifle et se laissa retomber au sol.

— Merci de me le rappeler... Obsidian le Treizième, le sans pouvoirs, l'incapable. L'Anomalie avec un grand A pour faire simple.

Son cahier lui atterrit négligemment sur la tête, après que Peridot l'ait balancé comme un détritus. Obsidian le ramassa d'un air fâché.

— Trop long et flemme de lire, se justifia-t-il. Arrête d'écrire les histoires des autres, dans des mondes qui n'existeront jamais. Tu devrais écrire ton histoire, ça tiendrait en cinq ligne ! ajouta-t-il en ricanant.

Pendant qu'il se tordait de rire tout seul, sa remarque fit son chemin dans la tête d'Obsidian. Il ramassa sa plume et son encrier restés sous le kiosque à musique à côté, puis prit une page vierge. Il caressa un moment le papier puis écrivit une seule phrase.

Il voulait faire de cette pensée une réalité et non plus un fantasme ou un rêve. Il ne savait pas comment il allait s'y prendre, mais il allait montrer au monde entier qu'il n'est pas une Anomalie. Mais quelque chose de surpuissant qu'on vénérait. Qu'on vénèrera encore plus que les Douze réunis. Il tendit son cahier à Peridot et l'obligea à lire.

— Ça tiendra en une seule ligne mon histoire.

— « Je m'appelle Obsidian, je changerai le monde et je deviendrai Dieu », lut Peridot. C'est beau de rêver.

Il se retint de rire devant ces absurdités, puis rendit le cahier à son frère. Il sauta agilement de son arbre et se réceptionna sur l'herbe grasse. Il enfonça les mains dans les poches de son sarouel et partit d'un pas nonchalant vers ses autres frères et sœurs plus jeune.

Dans son dos, Obsidian relut cette phrase plusieurs fois. Habituellement, il ne terminait jamais ses histoires. Sa chambre était envahie par des parchemins d'œuvres inachevés. Avec le soutien qu'il revenait au quotidien, il n'avait pas envie de les terminer. Mais celle qu'il tenait dans ses mains, cette nouvelle promesse qu'il venait de faire. Celle-ci, il allait la finir... Il voulait y croire.

Il voulait reprendre la place qu'il était censé avoir depuis des siècles. Une place divine, sans ses frères et sœurs au milieu.

Le soir venu, les Douze s'étaient retirés dans leur château. La journée avec les humains avait été longue et trop ensoleillée. Dans les couloirs dallés de marbre Obsidian bailla, à croire que Peridot lui avait transmis sa flemme et sa paresse. Le jeune immortel rejoignit sa chambre en trainant le pas. La porte grinça quand il l'ouvrit.

La chambre était à son image : sombre et sinistre. Il entra et jeta son cahier sur son lit qu'il n'avait pas fait depuis des jours. Sur son bureau trainait tout un tas de feuilles couvertes d'écritures. Les fameuses histoires non achevées. Il attrapa son cahier en cuir et relut encore un fois cette phrase pleine de promesses. « Je m'appelle Obsidian, je changerai le monde, et je deviendrai Dieu ». Ambitieux. Trop ambitieux. Il voulait déjà abandonner tant cela lui paraissait irréalisable...

Au milieu des ténèbres de sa chambre, une voix d'un autre monde résonna...

— N'abandonne pas. La détermination permet de tout réaliser...

Obsidian tourna la tête vers le miroir sur pieds qui trônait à côté de son bureau. Le reflet était trouble et ondulait légèrement.

— Quoi ? fit-il.

— J'ai gardé la foi durant des siècles et je suis devenu immortel, alors que j'étais un simple humain...

— Qui es-tu ?

Obsidian se leva et s'approcha du miroir parlant. Il sembla y distinguer comme une ombre ondulant à l'intérieur.

— Tout le monde et personne en même temps. Je suis une relique du passé et les espoirs et les rêves de toute une humanité disparue.

Obsidian pencha la tête sur le côté en clignant ses yeux d'obsidienne. D'un côté il n'y comprenait rien. Mais d'un autre, ceci lui parlait. Une histoire d'un monde disparu, le monde primordial. Celui que les Douze avaient balayé pour créer le monde. Il n'y avait rien avant, alors de quoi parlait cette chose dans le miroir ?

— Tu as un nom ? demanda l'immortel.

— Tu peux m'appeler Néant j'imagine.

— D'où viens-tu ?

— Du monde d'avant, désormais prisonnier derrière les miroirs.

— Il n'y avait rien avant.

— Toi aussi, quelque part tu viens de là bas. Le monde primordial.

Il ne comprit pas de quoi « Néant » parlait.

— Si je suis là, c'est parce qu'on pense que tu es notre « Élu », continua la chose dans le miroir.

— Qui « on » ?

— L'humanité primordiale. Errant dans le monde des miroirs en attendant son salut. Je suis venu te chercher pour que tu nous sauves. On nous a injustement balayé comme de la poussière. Nous voulons retrouver notre vie, notre monde. Tu es la personne qu'on cherche.

Obsidian fut flatté de savoir que quelqu'un dans l'univers puisse avoir besoin de lui, même si cette demande venait d'un esprit inconnu piégé dans le miroir. Il y avait de quoi se poser beaucoup de questions, mais Obsidian voyait enfin un moyen d'être utile et de laisser son empreinte dans l'histoire. D'avoir un rôle à jouer dans le jeu.

— Mais qui suis-je ? Pourquoi moi ?

— Tu es constitué des derniers sentiments qui ont été éprouvés dans le Chaos originel, le monde primordial. Si tu es « l'Anomalie », comme ta chère fratrie te surnomme, c'est parce que tu es né après les Douze, une fois que le cercle du temps s'est refermé. La haine, la rancœur, les regrets, la tristesse de l'humanité primordiale ont fusionné avec une obsidienne et tu es né. Un peu à la manière des autres Douze. Mais tu n'es pas issus de magie, mais de sentiments. Ce qui fait de toi notre « Élu ».

Obsidian afficha un léger sourire tant il fut heureux d'enfin savoir ce qu'il était. Cette chose venait de tout expliquer de la manière la plus simple et efficace possible, alors que ses frères et sœurs trouvaient toujours le moyen d'éviter le sujet. Parce qu'en réalité, il n'ont jamais su ce qu'était Obsidian.

— Si tu nous aides à reprendre notre monde aux mains des Douze, je t'en donnerais les moyens. Je te donnerai les pouvoirs que tu devrais avoir. Vas-tu nous aider à changer le monde et rendre justice à l'humanité primordiale ?

Obsidian y voyait surtout là le moyen de réaliser son rêve et ses ambitions. Des pouvoirs. Tout ce dont il rêvait. Le destin lui donnait un vrai coup de pouce en mettant Néant sur son chemin. Grâce à lui, et peut importe ce qu'il lui promettait, il aura le moyen de changer le monde. Il aura le moyen de devenir Dieu. C'était tout ce qui comptait désormais.

— Je vais t'aider, jura-t-il. C'est promis

Il savait, au plus profond de lui, que c'était Néant qui allait l'aider plus que lui...

— Parfait, dit la voix du miroir. On peut dire qu'il s'agit là du début d'une excellente collaboration. Tu changeras le monde des Douze et tu rendras ses clés à l'humanité. Tu es l'Élu qui nous sauvera, je peux te l'assurer.

Obsidian laissa ses lèvres former un sourire qui n'avait rien de naturel tant il n'y était pas habitué. Qu'une promesse en l'air...

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