Chapitre 6: Vérité et mensonges


Le crissement des rails accompagna le train jusqu'à son arrêt complet en gare. Dans un des wagons, Ren tourna ses yeux vers la fenêtre tandis que le micro des annonces crachouilla le message indiquant le terminus. Le jeune homme coupa la musique sur son portable et retira ses écouteurs. Il donna un petit coup de coude à sa sœur Zoé, endormie à côté de lui. La benjamine se réveilla et s'étira en soupirant, puis sauta de son siège. Sa queue de cheval bouclée et châtain suivit le mouvement.

— Vanessa ! On est arrivé à la maison ! C'est l'heure de descendre !

— Tu me prends pour une débile ou quoi !? grogna l'aînée.

— Exactement ! confirma Zoé. Ren tu vas chercher les valises ?

Ren s'extirpa de son siège et se faufila dans l'allée centrale à la suite des passagers, suivit par ses sœurs. Zoé lui tapota l'épaule.

— Dis, t'avais l'air plus ailleurs que d'habitude pendant le trajet. Tu fais la tête ?

— La gosse a raison, approuva Vanessa. Y a un truc qui te tracasse ? Ah je sais ! T'as pas eu vingt sur vingt à ton évaluation de magie, c'est ça ? railla-t-elle.

Arrivé au niveau des portes valises, Ren attrapa une des valises et la descendit avec difficulté tant elle était lourde. Sa mémoire se mit à divaguer à nouveau, comme ça s'était produit durant tout le trajet depuis Occlasia. Des voix inconnues qui répétaient inlassablement les mêmes horreurs et s'acharnaient sur lui, à cause de sa nature... Un moment il entendit le ricanement insupportable de Nya, celui qu'elle lui servait au collège pour se moquer. Il n'arrêtait pas d'halluciner décidément...

— Allô teuteu ! fit Vanessa en lui enfonçant un doigt dans les côtes. C'est ça ou pas ?

— On va dire que oui...marmonna Ren.

Il descendit la dernière valise, puis fit rouler la sienne jusqu'aux portes. Il sauta sur les quais et fit suivre les bagages que ses sœurs lui passèrent. Le trio remonta le long des voies et rejoignit le hall de gare, grouillant de monde. Tous les trois s'assirent sur un banc. Vanessa sortit son portable pour appeler leur mère et signaler leur arrivée.

Suivant des yeux les va-et-vient des voyageurs, Ren pensait encore à tout un tas de choses. Ces souvenirs étranges qui lui hantaient l'esprit depuis la séance de magie. À partir du moment où sa tête avait heurté ce mur, il s'était rappelé de beaucoup trop d'événements passés aux oubliettes. Depuis, ça lui tournait en boucle dans le cerveau.

Il n'avait de pouvoirs et n'aurait jamais dû en avoir. Il s'était fait plus ou moins harcelé à ce sujet durant le primaire et le collège, avec pour apothéose Nya. Apparemment, elle était allé bien au-delà du supportable et Ren lui avait fait payer le prix en lui lacérant la paupière.

C'était peut-être pour cette raison qu'elle ne pouvait plus le supporter aujourd'hui. Elle lui en voulait encore pour l'avoir défiguré. Et sans doute parce que le minable sans pouvoir qu'il était était devenu bien plus fort qu'elle. La question était : comment avait il pu avoir des pouvoirs ? Par quels moyens et surtout pourquoi avoir tout oublié ?

Alors qu'une citroën C3 blanche se garait en fanfare devant la gare, Ren décida de ne plus y penser et se réfugia dans le fameux exil de « ce n'est que mon imagination ». Vanessa grogna en voyant leur mère s'avancer en hurlant à qui voulait l'entendre que c'était inacceptable d'avoir autant de retard sur les trains. Évidemment plusieurs personnes se tournèrent vers elle.

— Mais baisse d'un ton par pitié, supplia Vanessa.

— Une heure trente de retard ! cria Hélène. Je n'en peux plus moi ! J'ai des horaires à respecter !

— Tu travailles dans ta boutique et c'est toi le patron ! rappela l'ainée. C'est toi qui fait les horaires !

— Quand même ! Un de ces jours j'irai faire rembourser toutes les heures de retard, ils ne l'emporteront pas au paradis !

Vanessa se mordit les lèvres, rouge de honte et l'air de vouloir disparaître sous terre. Hélène et ses enfants sortirent ensuite de la gare et rejoignirent la voiture, garée en plein milieu d'un arrêt de bus... Le temps de jeter les valises dans le coffre et d'attacher tout le monde, la voiture démarra et partit avant que la municipale ne passe dans le coin.

— Alors ce trimestre ? demanda Hélène. Rien de plus j'imagine ?

— Les profs nous harcèlent pour le bac et parcours sup... marmonna Vanessa. Tu vas voir, je vais redoubler ma terminale comme ça je reste un an de plus tranquille.

— Sûrement pas jeune fille ! Tu vas me passer ce bac que tu le veuilles ou non.

— Moi j'ai eu que des bonnes notes ce trimestre et les félicitations, nananère ! se moqua Zoé. J'ai dix sept de moyenne et la prof d'art plastique m'a encore félicité pour mon talent !

— Ta vie est passionnante dis donc...fit Vanessa sans aucune conviction.

— Et Ren ? demanda Hélène avec un coup d'œil dans le rétroviseur.

Le jeune homme était étalé contre la portière à l'arrière et regardait les bâtiments défiler derrière la vitre d'un air las. Tout était décoré de guirlandes de Noël scintillantes dans la brume du soir. Il ignora délibérément sa mère, n'ayant pas envie de répondre.

— Monsieur a boudé pendant tout le trajet et nous a pas décroché un mot, informa Vanessa. Il doit y avoir un truc qu'il veut pas nous dire.

— Rien de grave ? s'enquit Hélène.

— Mauvaise note, lâcha Ren du bout des lèvres.

Pour l'instant il allait juste garder tout ça pour lui... Il posera des questions plus tard, quand il aura mit de l'ordre dans le chaos de ses idées...

***

— Comment ça tu ne peux pas venir finalement ?? s'étonna Hélène.

La mère de famille faisait des tours de salon, le portable collé contre l'oreille. Étalé dans le canapé, Ren leva un œil vers sa mère, puis retourna au jeu sur son portable. Jouant en ligne avec lui, Zoé l'enguirlanda quand elle se fit descendre pour la énième fois. Le cadet afficha un sourire satisfait.

— Ren tu fais chier ! Va camper ailleurs !

Elle se reçut un regard courroucé venant de sa mère, puis la benjamine roula des yeux et corrigea sa phrase pour la rendre moins vulgaire, ce qui donna : « mon cher frère, ton comportement m'irrite fortement ». Vanessa leur jeta un coussin dessus pour les inciter au silence, car elle n'entendait plus les dialogues de sa série Netflix.

— T'as qu'à mettre les sous-titres ! suggéra Zoé, impertinente.

— D'accord je comprends... continua Hélène au téléphone. Pas de soucis. T'inquiètes, ce n'est pas grave. La santé avant tout. Okay, à bientôt.... Pfioouu...

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda Yannick en rentrant dans le salon.

— Ma sœur ne pourra pas venir pour Noël... Les neuveus se sont tous refilé la grippe ou je ne sais quoi.

— Bon débar... Euh je veux dire, quel dommage ! Moi qui avait hâte de revoir ma belle sœur...

Ren fut aussi ravi intérieurement. Ils passeront Noël au calme pour une fois. Pas de gosses hurlant toute la journée ou se chamaillant sans arrêt. La majorité de ses cousins était plus petit que Zoé, et il n'y avait rien de pire que d'être promus baby sitter et surveiller la ribambelle de gamins. Tout en se faisant enguirlander par la tante dès que lui ou ses sœurs se posaient sur les écrans pour s'occuper. Soit disant pour ne pas s'abrutir, pour « profiter » des cousins ou parce que les écrans étaient mauvais pour la santé des petits...

— Moi qui avait prévu de quoi tenir un siège en terme d'apéro, soupira Hélène. Bon, mes parents passeront quand même pour le nouvel an...

Le père de famille afficha une mine signifiant bien qu'il était au bord du gouffre à l'idée de voir ses beaux parents, ce qui fit ricaner Ren et Zoé. Yannick joigna ses mains comme pour prier et murmura un « help  » quasi inaudible mais qu'on pouvait lire sans problème sur les lèvres.

Durant l'après midi, Ren partit flemmarder dans sa chambre, faute d'autre occupation. La maison était quasi vide, étant donné que ses parents étaient repartis à leur boutique. Seul résonnait le son de la guitare de Vanessa, en train de jouer « J'ai demandé à la lune » dans sa chambre. Étalé comme une crêpe dans son lit, Ren écoutait les notes de musique tout en caressant Pistache, son chat qui ronronnait tranquillement à ses cotés. Cet animal était pot de colle avec lui, et seulement avec lui, c'était quelque chose de dingue.

Le jeune homme tourna la tête vers le couloir, car il venait d'entendre quelque chose, en plus de la guitare. Le chat poussa un « mrou » de mécontentement quand il le bouscula et l'animal sauta souplement du lit avant de s'étirer et de passer à sa toilette. Ren laissa son portable sur son chevet et partit jeter un œil dans le couloir, à la recherche du bruit qu'il avait entendu. C'étaient comme des murmures. Évidemment, il ne vit rien de particulier et en plus la guitare l'empêchait de se concentrer.

— Nessa, arrête ta musique d'enterrement jouée avec les pieds !! lança-t-il.

Pour toute réponse, il y eut le rire tonitruant de Zoé qui résonna dans le couloir, puis une porte qui claque et le son de la guitare qu'on jette. Enfin débarrassé de tout bruit parasite, Ren tendit l'oreille et crut distinguer un murmure, composé de plusieurs voix. Il se rapprocha du miroir accroché juste avant les escaliers et observa son reflet. Juste un garçon aux yeux jaunes et qui aurait besoin d'aller chez le coiffeur tant ses cheveux ressemblaient à un buisson mal taillé. Il haussa les épaules et se dit qu'il avait rêvé. Cependant les murmures désincarnés reprirent dès qu'il eut tourné le dos.

À nouveau il fit volte face et retomba face à son reflet. Il grogna devant sa propre réaction, qu'il jugea vraiment paranoïaque. Il fixa son double dans le miroir, osant à peine respirer. Son cœur fit un bond quand le Ren dans la glace inclina plusieurs fois la tête sur le côté, semblant indiquer une direction.

Le jeune homme y jeta un coup d'œil et vit la porte de la chambre de ses parents, entre ouverte. Puis les murmures reprirent, semblant venir de la pièce. Il se regarda à nouveau dans le miroir. Son reflet fit de même, sans plus.

Ren hésita à aller fouiner dans la chambre parentale. D'un côté, l'idée était tentante, ses parents étaient à la boutique.  Mais de l'autre il ne savait même pas pourquoi il irait et il devait sûrement manquer de sommeil. Ou devenir fou. Il décida finalement d'y aller. Il n'avait rien d'autre à faire, puis sans savoir pourquoi, il avait envie d'aller un peu fureter.

Il poussa la porte du bout du pied et pénétra dans la chambre de ses parents comme s'il s'agissait d'un sanctuaire. Elle était si bien rangée et si impeccable qu'elle contrastait fortement avec les capharnaüms de la fratrie. À côté de cette pièce, leur mère n'exagérait pas quand elle surnommait les antres de ses enfants des « dépotoirs ». Ren fit quelques pas sur le plancher clair, regardant la pièce. Il tomba à nouveau face à lui-même quand il arriva devant le miroir en pied à côté de la commode.

— C'est quoi ton problème...marmonna-t-il, plus pour lui même que pour un éventuel esprit frappeur.

Il eut à nouveau une frayeur quand un sourire carnassier étira les lèvres de son double dans le miroir. Un sourire qui glacerait le sang de n'importe qui. Puis, toujours sans que Ren n'esquisse le moindre geste, le reflet pointa son index droit devant lui. Le jeune homme se retourna en sentant comme une présence dans son dos.

Juste le placard... Légèrement entrouvert.

Chose étrange : il avait envie de savoir ce qu'il y avait à l'intérieur... Il attrapa la porte et la fit coulisser le long du rail. Ses yeux se posèrent sur un carton qu'il n'aurait pas dû remarquer. Il était soigneusement masqué par divers objets. C'était comme si son instinct lui avait dit où regarder. C'était très bizarre. Entre ça, son reflet qui faisait des choses impossibles, à savoir bouger tout seul, et sa mémoire qui divaguait sans cesse sur des souvenirs oubliés, il se sentait perdu en ce moment.

Il sentait qu'il y avait des réponses dans ce carton...

Il s'accroupit et attrapa le parallélépipède, puis le sortit du placard. Il posa la boîte devant lui et l'ouvrit. Au départ il fut un peu déçu, ce n'était qu'un tas de paperasse. Des ordonnances, des papiers de l'hôpital, ce genre de choses. Il y avait là l'intégralité des dossiers médicaux de lui et ses sœurs. Tous leurs passages à l'hôpital étaient répertoriés. De la clavicule déboîtée de Vanessa, à la dent explosée de Zoé, en passant par le bras cassé de Ren, tout y était. Rien de bien intéressant au final...

Il arriva au fond du carton et s'arrêta en voyant de simple feuilles de classeurs, remplies de notes griffonnées au stylo bic. Il posa les dossiers médicaux et s'empara des papiers du fond. Elles étaient toutes numérotées dans l'ordre et datées d'il y a presque trois ans. La période où il était en cinquième... Cette étrange période, comme un puzzle auquel il manquait tant de pièce. Il déglutit et commença à lire les premières lignes gribouillées par sa mère ; il reconnaissait son écriture.

Encore reçu un coup de fil de l'école. Moi qui pensait qu'il allait encore aux urgences, au final il était chez le CPE. On le renvoyait pour trois jours pour avoir blessé une de ses camarades. Apparemment il lui aurait lacéré l'œil avec un couteau. Il n'a pas pu faire ça, ce n'est pas possible. Je ne l'ai pas reconnu quand je l'ai vu sur sa chaise dans le bureau du CPE. Il semblait... détaché. C'est le mot : détaché.

Dehors j'ai craqué. J'étais tellement honteuse et déçue à propos de lui que la gifle est partie toute seule. Je m'en veux... Si ça se trouve, il a juste voulu se défendre ou faire payer quelque chose à cette gamine. Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe à l'école, il n'en parle jamais et je n'insiste pas, mais il est fort probable qu'il se soit fait embêter... voir harceler. À croire que c'est la vie et le destin de tous les sans pouvoirs... Ça ne changera jamais.

Jusque là, ça concordait avec les récents souvenirs de Ren... Il se rappelait de cette gifle monumentale qu'il avait prise. D'ordinaire, sa mère ne levait que très rarement la main sur ses enfants. Il fallait réellement qu'ils dépassent les bornes. Il continua sa lecture et vit que la note suivante avait environ deux mois de plus que la précédente.

Je me demande si cette pierre magique fera l'affaire... J'ai déjà fait des tas de tests là-dessus, c'est fort probable que cela marche...

Une phrase avait été effacée juste après, impossible de lire quoi que ce soit.

Ça n'a pas été facile, mais j'ai réussi à lui implanter ce cristal. Il lui reste juste une vilaine cicatrice au torse. Il ne reste plus qu'à attendre...

Une semaine a passé depuis l'expérience, et elle a fonctionné ! Il est devenu capable de générer et contrôler l'eau à sa guise, et même en modifier la pression. J'avais raison à propos de cette roche cristalline. Je n'arrive pas à croire que j'ai réussi. C'est juste dommage que je n'ai pas gardé un échantillon. Il ne me reste plus rien de cette pierre.. Ce n'est pas grave. Au moins, il aura une vie normale désormais...

Seul défaut, il semble avoir développé des soucis cardiaques. Mais bon, il continue à courir et faire des efforts physiques importants sans problèmes, comme avant.

Ren avait blêmi sur les derniers paragraphes. Il relut plusieurs fois, en se demandant si c'était une blague. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ? Une pierre magique ? Que sa mère lui aurait implanté ? C'était impossible à croire !

Le jeune homme attrapa le col de son teeshirt et regarda une cicatrice qu'il avait au torse, au niveau du cœur. Une cicatrice assez régulière et moyennement discrète. Pour lui, il l'avait toujours eu, sans savoir comment il se l'était faite. Mais à présent, il savait qu'elle datait d'il y a deux ans. Alors là-dessous, il avait une sorte de caillou magique qui lui donnait ses pouvoirs ? Il n'en a jamais eu de façon naturelle ? Mais qu'est-ce qu'il était au juste ??

Juste au cas où, j'ai demandé à Yan' de lui effacer une partie de sa mémoire. La sienne et un peu celle de ses sœurs, pour minimiser les risques. Ça sera plus sûr. Il ne pourra pas se rappeler de cette période. Pour lui, il aura juste eu un peu de retard et aura développé ses pouvoirs au primaire. Il risque d'oublier la quasi-totalité des événements de sa sixième et de sa cinquième. Il se rappellera de ce qu'il a appris, mais sans plus. Un peu comme un rêve au réveil. À moins qu'on lui rende sa mémoire nous même ou qu'il se prenne un coup sur le crâne, il restera dans l'ignorance. Tant mieux.

Aujourd'hui l'hôpital m'a appelé. Il fallait s'y attendre. On m'a vu en train de voler des anesthésiants dans la réserve, ainsi que du matériel chirurgicale. Évidemment, on m'a suspendu pour une durée indéterminée. Ça les arrangeait aussi de virer une personne comme moi pour la remplacer par quelqu'un avec des pouvoirs.

Je ne regrette pas d'avoir tenté l'expérience. Au moins sa vie sera tranquille et il sera le seul sans pouvoir du monde à en posséder. De manière artificielle avec des effets secondaires négligeables mais des pouvoirs quand même. Comme j'aurais aimé être à sa place.

Je pense que j'ai assez joué comme ça. J'arrête tout, peu importe ce que l'autre cinglée me dit. J'ai pris trop de risque, pour quasi aucun résultat. Maintenant que je ne peux plus travailler dans le service cardiologie de l'hôpital, je vais aider à la boutique de mon mari. On aura une vie normale maintenant. Deux époux qui travaillent sans soucis dans leur boutique. Trois enfants avec des pouvoirs, heureux et qui s'entendent bien. Scolarisés dans le même établissement, à apprendre la magie comme tout le monde. Une vie rêvée...

Ren laissa retomber les feuilles sur ses genoux, qu'il avait remonté contre lui. Son regard se perdit dans le vide, le temps que son cerveau analyse et interprète toutes ces informations. Il rêvait, c'était la seule explication. Il ne pouvait pas croire ce qu'il venait de lire... Il refusait de croire tout ça, mais pourtant, une horrible impression lui disait que tout était vrai...

Il se mordit la lèvre et regarda les feuilles. D'un coup, il avait juste envie de les déchirer et d'en faire des confettis. Ses yeux jaunes se levèrent vers son reflet, dans le miroir. Il était exactement pareil, à quelques détails près. Il avait toujours ce sourire carnassier sur les lèvres...

Des bruits de pas retentirent dans le couloir, puis la porte de la chambre s'ouvrit. Ren ne bougea pas quand sa mère entra. Cette dernière sursauta en le remarquant assis par terre.

— Ren ? Qu'est-ce que tu fabriques ici ? questionna-t-elle durement.

Le jeune homme fit pivoter ses yeux vers elle, visage sombre. Sa mère remarqua le carton ouvert à côté de lui, puis les feuilles dans ses mains.

— C'est quoi ça ? demanda Ren en indiquant les papiers.

Hélène afficha une sorte de rictus nerveux en les voyant.

— Rends moi ça s'il te plait, dit-elle en tendant une main.

Ren se releva et s'éloigna de sa mère pour l'empêcher d'attraper les documents. Il fit mine de les relire, puis jeta un regard coupable à Hélène. Elle perdit de la contenance.

— Je... Ren je ne voulais pas que tu l'apprennes comme ça... fit-elle. Donne moi ça, je vais t'expliquer.

— C'est un peu tard pour dire ça... gronda Ren.

— Ce n'est pas ce que tu crois... Je ne voulais pas...Mais que je suis bête ! Pourquoi je n'ai pas brûlé ces foutus papiers ??

— « Il restera dans l'ignorance et c'est tant mieux » hein ? relut Ren d'un ton acide. Vous m'avez lavé le cerveau ? Vous m'avez menti ?

— Il valait mieux que tu oublies tout... C'était plus simple que tout t'expliquer...

— Oooh, alors me mentir c'est mieux ? fit le jeune homme, faussement étonné.

D'un coup l'incompréhension avait disparu et l'hébètement dans lequel il était se transforma en colère sourde et en rancœur. Tout d'un coup, il en voulut à mort à ses parents. De lui avoir menti sur ce qu'il était. Il en voulait à son père de lui avoir effacé la mémoire et faire comme si de rien n'était depuis deux ans. Il en voulait à sa mère pour l'avoir utilisé à des fins scientifiques. Il avait été son sujet d'expérience. Il avait été son cobaye...

— C'était pour ton bien ! protesta Hélène. Je ne voulais pas que tu revives la même chose que moi.

Ren ne se départit pas de son air furieux, mais arqua un sourcil. La même chose qu'elle ? Puis il réalisa.

— T'es une sans pouvoir...

Hélène hocha la tête de façon imperceptible. Ren lâcha un rire nerveux.

— Encore un mensonge hein... T'as toujours dit que t'avais des pouvoirs.

Sa mère avait sans cesse soutenue qu'elle pouvait voir dans le noir, chose impossible à prouver. Tout le monde avait gobé ce énième mensonge...

— Je n'ai jamais eu de capacités magiques... murmura Hélène. Oui, je suis une sans pouvoir. Mon enfance et ma vie ont été un enfer indescriptible. On n'a pas arrêté de me répéter que j'étais la honte de la famille... Que je ne ferais jamais rien de ma vie, à part être un fardeau. Les enfants à l'école n'ont fait que renforcer ce sentiment : d'être une incapable. Même à la fac, personne n'avait changé. Rien n'a changé depuis des années ; les sans pouvoirs sont et demeureront les rebuts de la société. Alors quand j'ai vu que tu n'avais aucun signe pour avoir des pouvoirs, je m'en suis voulut de t'avoir transmis mon gène... Je ne voulais pas que tu revives la même chose que moi. J'ai fait tout mon possible, mais...

Elle renifla un coup, le nez rouge et essuya furtivement une larme.

— Ce jour où je t'ai récupéré chez le CPE... Je me suis dit que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Tu avais changé et je ne pouvais pas le supporter.... Je me suis alors dit que j'ai été une mauvaise mère... Que c'était peut-être à cause de moi que tu étais devenu ainsi... Et c'était à cause de moi que tu étais un sans pouvoirs...

Peut-être qu'elle s'en voulait vraiment... Mais pour l'heure Ren ne voulait pas la croire. Elle avait menti pendant des années, elle pouvait très bien continuer.

— Je voulais à tout pris trouver un moyen d'a... de te donner des pouvoirs. Puis mes expériences ont tout changé... Elles ont été un franc succès et grâce à cela, ta vie a pu changer mon Ren. Tu avais des pouvoirs, comme tout le monde. J'ai demandé à papa de t'effacer la mémoire, comme ça tu auras pu oublier toutes les horreurs du collège. Ceux qui t'ont harcelé par exemple. Grâce à tout cela, ta vie est enfin devenu normale, ajouta-t-elle avec un pauvre sourire.

Son ton ressemblait à celui adopté quand on croyait s'être racheté de la façon la plus noble qui soit. Ren avait juste envie d'hurler. Ou d'éclater de rire tant ses nerfs étaient à bout. Ou les deux.

— Parce que tu crois qu'avoir servi de sujet d'expérience et s'être fait lavé le cerveau sans qu'on me demande quoi que ce soit, c'est une vie normale ? demanda Ren.

La face d'Hélène se décomposa tandis que le jeune homme déchira les feuilles en plusieurs morceaux d'un air rageur. Il jeta les papiers à terre et partit d'un pas rapide sans un seul regard à sa mère. Hélène lui courut après et lui attrapa le bras en le suppliant de l'écouter. Ren se dégagea d'un coup sec, furieux.

— Lâche moi !! hurla-t-il. T'es qu'une menteuse !!

Après avoir rapidement traversé le couloir, il claqua la porte de sa chambre en y mettant toute sa force. Le battant manqua de sortir de ses gonds. Enragé, Ren donna un coup de pieds à son chevet puis se laissa tomber dans son lit. Son cœur palpitait de colère et son cerveau tournait à plein régime. Il en voulait à mort à sa mère de lui avoir caché toutes ces choses et de s'être servi de lui. Elle s'attendait à quoi d'abord ? À ce qu'il la remercie pour lui avoir donné des pouvoirs ? La bonne blague. Ça ne changeait rien à ce qu'il était. D'ailleurs... Qu'est-ce qu'il était en réalité ? Ni un sans pouvoir, ni un mage.

Cobaye était le seul mot qui lui venait. Le seul mot qui ne voulait pas sortir de son esprit... Il attrapa son oreiller et le mit sur sa tête, pour se recouvrir les oreilles. Voilà bien le genre de journée à pourrir une existence. Lui qui voulait des explications en rapport avec sa mémoire défaillante était servi...

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