Chapitre 43 : Des amis longtemps séparés
La bande enfin au complet partit au café de l'établissement, un bistrot sympathique que tous les élèves adoraient et prenaient d'assaut à la moindre pause pour boire un chocolat chaud et manger une pâtisserie. Le carillon de l'entrée tinta et ils s'installèrent sur une banquette et des chaises autour d'une grande table. Le café était désert à cette heure, seule la patronne était présente.
— On retournera à l'infirmerie cette après midi, dit Matt en grimpant sur une chaise. Alors qui commence ?
— Elle est où Emi ? coupa Angèle en cherchant autour d'elle.
Gabi indiqua une direction avec son index. Ren se retourna et aperçut la fillette à la peau rouge, celle qui s'était caché en les voyant tout à l'heure dans le couloir de l'infirmerie. Elle ne devait pas avoir plus de cinq ans et se réfugia sous une table, terrorisée. De petites cornes rouges dépassaient au dessus de sa tête, elle avait les cheveux blanc coupés au carré, un cache oeil médical blanc sur celui de droite et l'autre œil était couleur saumon. En la voyant Angèle et Derak furent rassurés.
— C'est qui ? demanda Ren.
— C'est une longue histoire... souffla Gabi. Viens Emi, ils vont pas te manger.
La petite, sûrement une démone mais elle n'avait pas de cornes de bélier, secoua la tête.
— Ils sont moches, je veux pas !! brailla-t-elle en rampant à quatre pattes sous les tables.
— Hé ? firent Matt et Nya.
Angèle et Derak éclatèrent de rire.
— On vous dira plus tard, dit le vampire. On commence du coup ?
Ren continua à fixer la fillette un moment. Ladite Emi ne le quitta pas des yeux, le regardant comme un chat qui verrait un inconnu. Ren se retourna sur sa chaise, chassant une impression de déjà-vu. Derak se racla la gorge et se lança :
— Déjà c'était un truc de fou ! Après être tombé dans le trou noir, on s'est réveillé Angèle et moi dans une grande tour ultra futuriste, remplie de médecins et de scientifiques fous qui nous ont étudié.
— C'était affreux... dit l'ange en frissonnant.
— Et Pix et moi, on était à l'extérieur de la tour au départ, dans un monde souterrain, style futuriste cyberpunk je dirais, continua Gabi. Dans une grosse grotte. Et après quelques péripéties on s'est retrouvé à la tour.
— Une tour ? Un monde souterrain et futuriste ? Ouah, vous étiez pas du tout dans le même monde que nous alors, dit Nya.
— Et alors ? demanda Sarah. Rien d'autre ?
— Ben... hésita Derak.
Il se tourna vers Pix, serré au maximum contre le mur au bout de la banquette. Il fixait le vide, sans bouger, la tête reposant contre le mur.
— A la tour ils s'occupaient de gens appelés les détraqués, poursuivit rapidement Angèle. Des personnes complètement folles et possédées pas des créatures bizarres : les Ombres.
— Et les détraqués servaient de cobaye à une scientifique tarée : Eileen Saurac, dit Derak. Elle faisait des expériences sur eux. Le pire c'est que c'est elle-même qui envoyait des Ombres sur les mages de là bas, pour les détraquer et les envoyer dans son centre médical. Elle se fournissait comme ça.
Ren frissonna en entendant ce nom; il sonnait exactement comme celui de sa mère. À croire que son alter ego était cette scientifique. Ce ne serait pas étonnant.
— Ouais, continua Gabi. Elle utilisait les détraqués pour faire des réserves de magie. Elle les tuait pour extraire leur pouvoir.... Ils en mourraient.
Elle regarda Angèle, qui fixait ses genoux tout d'un coup.
— On a de la chance qu'Angèle soit encore en vie...
Les autres eurent du mal à saisir le sous entendu. Ils avaient peur de comprendre.
— Attend, fit Matt. Dans votre tour... Il y avait des gens nommés détraqués qui servaient à fournir de la magie... Ils mourraient à cause de l'extraction, on est d'accord ?
Approbation de la part de Gabi.
— Et tu dis qu'Angèle a de la chance d'être en vie, continua Sarah. Ne me dis pas que...
L'ange hocha la tête pour dire oui. Elle essuya une larme et renifla.
— Saurac m'a enlevé mes pouvoirs... Elle m'a retiré les glandes magiques qui sécrétaient ma magie. J'en ai plus maintenant. Je suis une sans pouvoir...
Elle enfouit le visage dans ses mains et Derak la réconforta en lui passant une main dans le dos.
— Je ne sais pas ce que je vais devenir... Je n'ai pas le droit d'être ici.... Je risque de quitter Occlasia Academy à la rentrée prochaine si ce n'est pas tout de suite...
Ren se sentit désolé pour elle. Un sentiment de familiarité le traversa. Il fut un temps où lui aussi n'avait pas de pouvoirs. Mais pour Angèle, elle les avait perdu... À titre de comparaison c'était milles fois pire de devenir aveugle après avoir connu la vue que d'être aveugle de naissance. Avec les pouvoirs c'était pareil...
— Désolé... fit Matt en baissant les oreilles.
— Pfff, j'ai plombé l'ambiance là, renifla Angèle.
— Déjà qu'y en avait pas, marmonna Derak.
— La vache... Ce voyage dans un autre monde était déjà un accident, mais en plus t'as plus de pouvoirs...
— C'est peut-être horrible, mais c'est pas ça le pire... dit Gabi.
Jusque là silencieux et amorphe, Pix secoua la tête, paniqué. La jeune fille réfléchit quelques instants et le rassura avec un regard.
— En fait on a découvert que Pix venait du Troisième monde...
Si le jeune homme fut secrètement soulagé, comme s'il s'attendait à ce que Gabi dise autre chose, les autres furent estomaqués.
— Quoi ??? cria Matt. Attends quoi ?
— En gros y a eu un accident quand il avait dix ans ce qui l'a emmené dans notre monde. C'est son alter ego qui vit là bas à sa place.
— J'espère qu'Alix s'en sortira, dit Angèle.
— Attendez, j'ai du mal à suivre, arrêta Sarah. Pix n'est pas de ce monde ?
— C'est ce qu'on vous dit oui, soupira Gabi.
Ren regarda Pix, toujours léthargique et prostré dans son coin. Depuis le début, c'était une personne d'un autre monde qu'ils fréquentaient ?
— Pourquoi tu nous l'as jamais dit ? demanda Ren.
— Lui même ne le savait pas, répondit Derak à sa place. Et franchement ça change quoi ? Rien ! De toute façon on s'en fichait bien des autres mondes avant.
— Ils ressemblaient à quoi les habitants de là bas ? questionna Nya, curieuse.
— Des monstres, des démons, ce genre de choses. Saurac était une sorte de serpent, du moins sa peau et ses yeux, Emi est un oni et le plus souvent ils ont des peaux ou des cheveux colorés.
— Mais Pix ressemble pas vraiment à un démon, fit remarquer Sarah. Hormis ses cheveux turquoise un peu flashy...
Pix mit sa tête dans ses bras et remonta les genoux contre lui, n'aimant pas se faire dévisager.
— Et vous alors ? demanda Derak.
Il semblait bien pressé de changer de sujet. Matt se redressa sur sa chaise :
— Alors nous on n'était pas dans un monde souterrain futuriste, loin de là. On était dans un monde steampunk ! Je vous jure !
— C'était comme un Sherlock Holmes ! dit Nya. Tout dans le style révolution industrielle et époque victorienne.
— Sauf que la mort n'existait pas là bas, dit Ren.
— Comment c'est possible ça ? demanda Angèle.
Matt expliqua alors tout le système d'âmes mis en place. Il parla du vœu, des récolteurs, des artefacts, des assassins, des armes plus que légales tout comme le crime d'homicide qui ne valait absolument rien.
— C'était barbare et infernale comme monde, dit Sarah.
— En plus, on s'est fait tuer une paire de fois, c'était horrible, ajouta Nya. Quitte à mourir pour de vrai, je préférerais une balle en plein front, tu sens rien du tout. Ça picote juste au début.
— Vous pouvez pas mourir ? répéta Derak, incrédule. Mais comment ?
— On s'évanouissait, on s'évaporait et on se réveillait dans nos lits, sans aucune blessure... récapitula Sarah. C'était infecte, j'avais l'impression d'échapper aux enfers à chaque fois.
Un long silence suivit. Les quatre du monde steampunk se remémorèrent leurs combats, leurs douleurs, leurs blessures.... Leur mort.
— C'était juste un jeu vidéo quoi, dit finalement Derak.
— Pardon ??? cria Nya.
— Ben oui... fit Gabi, comme une évidence.
— Vous faisiez mumuse avec des armes, vous perdez des vies, vous mourez jamais, vous faites des quêtes et des contrats de chasses pour avoir des récompenses et à la fin un artefact magique vous renvoie dans votre monde : j'appelle ça un jeu vidéo moi, continua Derak.
Un corbeau passa dans le parc en croassant, meublant à la perfection le silence qui suivit. Puis Ren serra les poings sur la table.
— Tu te fous de notre gueule ?? grinça-t-il. Un jeu vidéo ??
— Ben oui, c'était de la détente votre truc là, donc arrêtez de faire genre vous revenez de l'enfer, répliqua Derak.
Furieux, Ren se leva d'un bond de sa chaise pour se jeter sur lui. En panique, Nya et Matt le rattrapèrent et le clouèrent sur l'assise avant qu'il n'étrangle Derak.
— Je vais t'en coller une !! Détente ?? Tu sais pas ce qu'on a vécu là bas !!! Tu sais pas ce que ça fait de devoir tuer chaque jour ! Tu sais pas ce que ça fait d'entendre à longueur de journée des coups de feu et des explosions qui te font faire un arrêt cardiaque et qui remplacent toutes tes pensées par une seule : celle qui te dis que tu vas crever ! Et surtout tu sais pas ce que ça fait de mourir encore et encore, de sentir la douleur atroce des blessures ou de voir tes amis morts sous tes yeux !!
— Il a pas tort... marmonna Matt.
Ren se dégagea d'un coup sec en soufflant de colère. Il jeta un regard noir à Derak. Bras croisés, il ne détourna pas les yeux.
— Tsss, et tu t'attends à quoi hein ? À ce qu'on s'apitoie sur votre sort ? À ce qu'on dise : « oh les pauvres choux, vous avez vécu l'enfer » ? Pff. Au moins vous êtes vivants et indemnes...
Le regard fou, Ren se serait vraiment jeté à sa gorge si Nya ne l'avait pas rattrapé.
— Ah et au fait : c'est vous qui ne savez pas ce qu'on a vécu à cette tour ! continua Derak. Quand je t'entend, j'ai vraiment l'impression que tu penses que notre voyage était tranquille. C'est faux. Y a des trucs qu'on a vécu là bas que vous oseriez même pas imaginer. Ça m'étonne même que vous soyez pas plus horrifiés que ça sur le sort d'Angèle.
— Arrête Derak, intervient Sarah. On est vraiment horrifié. Perdre ses pouvoirs c'est affreux.
— Pff. Si y avait que ça. Moi j'ai passé des jours sur une table d'opération à me faire découper au scalpel soit disant parce que les vampires se régénèrent plus vite. J'ai passé des jours à vomir mes tripes parce que mon pouvoir de gravité les intéressait.
— Oh, on est tellement désolé !! cracha Ren, loin de s'attendrir.
Derak le fusilla du regard.
— Gabi a failli se faire ouvrir la cervelle pour citer autre chose. Quoi d'autre ? Ah oui, on a failli se faire tuer plusieurs fois par des robots mutants et une poupée vaudou. Et quand je dis mourir c'est mourir pour de vrai, pas comme vous. Sans compter les détraqués qui nous ont agressé plusieurs fois et cette timbrée de scientifique qui nous fait enfermer au moindre dérapage !
À ses côtés, Gabi et Angèle avaient l'air abattu et perdues dans leurs pensées.
— Mais le pire du pire, et ça c'est bien au dessus de toutes vos petits histoires steampunk, c'est quand t'apprends que ton meilleur ami que tu connais depuis le collège est en réalité un ...
— Derak la ferme ! rabroua Gabi en lui donnant un violent coup de coude dans les côtes.
Le vampire se plia en deux et se tut. Grimaçant à cause de la douleur, il fixa ses genoux, sourcils froncés.
— Bref, relativisez vous quatre ! Vous au moins, vous allez bien... répéta-t-il d'une voix étranglée.
Le silence plana à nouveau. Un silence qui en disait long sur le fossé qui commençait à se creuser entre les deux groupes. Ils avaient chacun vécus des choses que les autres ne pouvaient imaginer...
— Bon, on va pas commencer comme ça quand même ? demanda Angèle d'une petite voix. On vient à peine de se retrouver les amis...
— Oui Angèle a raison, approuva Matt. On va pas laisser un mois de séparation gâcher toutes ces années d'amitié ?
— Bien sûr que non... dit Sarah en faisant des ronds sur la table avec son doigt. Mais ça va prendre du temps avant que tout redevienne comme avant.
— Ça sera plus jamais comme avant, marmonna Derak.
Gabi et Angèle lui lancèrent un regard lourd de sens. Le vampire roula des yeux et se tourna vers Ren.
— Chuis désolé pour ce que je t'ai dis. C'était dégueulasse...
— Mouais... Excuses acceptées.
Ren accepta bon gré mal gré la poignée de main. Puis Derak afficha un grand sourire. Un sourire de façade...
— Et si on mangeait des crêpes ce soir, tous les huit ?
— Pourquoi des crêpes tout d'un coup ? questionna Sarah.
— Ben vous vous souvenez ? Quand on nettoyait le grenier on s'était promis de manger les crêpes de la Chandeleur une fois rentré. Ça a mis plus de temps que prévu, mais ça tient toujours !
— Bonne idée, ça va détendre l'atmosphère ! approuva Matt.
— C'est quoi les crêpes ? demanda une petite voix.
Avec un cri de surprise, Nya fit volte face en faisant un bon sur sa chaise. Emi poussa un hurlement de panique devant cette réaction soudaine et se réfugia dans les bras de Gabi en pleurant. Elle la rassura et lui caressa la tête.
— C'est rien...
— La méchante fille qui crie elle me fait peur ! couina la petite.
— C'est pas ma faute ! Elle est arrivée dans mon angle mort ! se défendit Nya.
Dans le Deuxième monde ce genre d'approche surprise s'était souvent terminée avec un couteau ou une balle logé quelque part dans un point vitale. L'américaine lâcha un rire nerveux en se disant qu'elle devra rapidement perdre ce mauvais réflexe de sursauter et se préparer au combat au moindre bruit.
— Crêpe à la pâte aux noisettes du coup ce soir, continua-t-elle.
— Ouais mais faut voir l'infirmière avant... ronchonna Ren.
— Tu vas lui dire quoi pour le coup de couteau à ta jambe ? questionna Sarah.
Après la douche, Ren avait enroulé sa cuisse dans du bandage et des compresses. La blessure s'était rouverte mais ne saignait plus trop.
— On verra...
— Un coup de couteau ??? glapit Angèle.
— C'est rien, fit Ren. C'est qu'un jeu vidéo après tout, ajouta-t-il d'un ton venimeux avec un regard lourd de sens en direction de Derak.
— Tu veux te battre ? demanda le vampire.
— C'est pas l'envie qui me manque !
— Ça suffit le combat de coqs !! siffla Sarah en se levant. Je vais en prendre un pour taper sur l'autre si ça continue.
— Et si on allait à l'infirmerie qu'on en finisse ? demanda Matt. Après on ira manger et j'imagine qu'on devra retourner voir Litowski tous les huit.
— Bonne idée... soupira Gabi en se levant.
Emi, qui ne l'avait pas lâchée, descendit de ses genoux et partit ouvrir la porte du bistrot.
— Va falloir que je règle deux trois trucs avec elle, termina Gabi.
La bande sortit dans le parc de l'école et un moment ils regardèrent Emi s'extasier devant un pissenlit. Angèle s'approcha, s'accroupit et dit à la fillette de bien regarder. L'ange souffla sur le pissenlit et les aigrettes plumeuses s'envolèrent et se dispersèrent dans le vent. Emi cria de joie et leur courut après, ses yeux pétillant d'émerveillement.
Angèle se releva et regarda avec tristesse les aigrettes s'envoler loin dans le ciel. Elle n'avait pas essayé de voler depuis la perte de ses pouvoirs, mais elle connaissait déjà le résultat en sachant qu'elle arrivait à voler uniquement avec des courants de vent. Elle n'était pas assez forte... Sans ses pouvoirs elle était encore plus faible...
— Elle trop mignonne cette gamine, dit Sarah en regardant Emi courir dans l'herbe et souffler sur tous les pissenlits qu'elle croisait.
— Vous l'avez trouvé là bas ? demanda Matt. Forcément parce que j'ai jamais vu ce genre de personne ici. Elle ressemble à un démon, mais elle a pas les cornes de bélier. On dirait un oni comme dans les légendes au Japon ! Pourquoi vous l'avez ramené ? Je pense pas que ce soit très bien le trafic de personnes entre les mondes...
— Je pouvais pas la laisser là bas, répondit Gabi. Elle n'a jamais rien connu d'autre que la tour et les médecins. C'était pas une vie...
De retour à l'infirmerie, ils tombèrent sur Coco, la médecin de l'école (mais tout le monde l'appelait l'infirmière) qui revenait de sa pause. C'était une trentenaire pétillante, aux grands yeux noisettes et aux cheveux blond coupés courts et ramenés derrière les oreilles. Pas très grande, elle débordait de bonté et de gentillesse, qualités essentielles quand on travaillait avec des enfants.
— Ça alors, ça fait longtemps que je nous vous ai pas vu tous les huit, s'exclama-t-elle, un gobelet de café fumant à la main. La directrice m'a fait un topo rapide. Bilan médical complet pour tout le monde du coup !
Elle coinça son gobelet entre les dents et chercha la clé de l'infirmerie sur son trousseau surchargé. Elle ouvrit et invita les adolescents à entrer. Ils s'installèrent sur des chaises disposées le long du mur de la pièce, tout en longueur et remplie de lits d'hôpital qui permettaient aux malades et aux blessés de se reposer. Pour une fois tous les matelas étaient vides.
Coco enfila sa blouse médicale et s'avança:
— Qui commence ?
Toujours serviable Sarah poussa Ren en avant. Ce dernier souffla, agacé, et Coco l'emmena dans une pièce attenante, un petit cabinet médical avec tout le nécessaire. Ren sauta sur le table d'examen. L'infirmière remarqua immédiatement l'état de sa joue.
— Houlà ! Qu'est-ce que t'as fait et qui t'as recousu ?
Un instant Ren revit le visage de psychopathe de Stone, puis sa lame qui lui frôlait le crâne et lui tranchait la joue... Qu'est-ce qu'il allait bien pouvoir inventer ?
— Je me suis fait griffer. Et c'est une vieille infirmière qui m'a recousus avec du fil.
— C'est vraiment pas terrible comme travail, marmonna l'infirmière en examinant la balafre. Elle n'a même pas serré les points... Mon pauvre tu resteras marqué à vie. Et c'est même pas la peine de passer de la crème cicatrisante, elle est déjà trop vieille...
Pendant un quart d'heure, Ren se fit examiner sous toutes ses coutures, comme à une visite médicale. Il eut droit à un test moteur, physique, visuel puis il fit quelques exercices avec ses pouvoirs.
— Bon tout a l'air de bien aller, dit l'infirmière en notant des choses sur une feuille. Dommage qu'on n'ait pas de psychologue, sinon on aurait pu faire un petit test. Je vais finir avec une prise de sang.
Coco attrapa une seringue dans une bassine en inox posée sur une table à côté du fauteuil d'examen. Ren remonta la manche de sa veste. L'infirmière lui fit un garrot et planta l'aiguille dans son bras, dans le creux du coude. Ren serra les dents et Coco récupéra la seringue de sang. Elle posa un morceau de coton et du sparadrap sur la goutte de sang qui perlait sur sa peau.
— Et voilà j'en ai fini avec toi, s'exclama Coco en se levant de son tabouret.
— Euh... J'ai une blessure à la cuisse aussi...
— Ah ? Montre moi ça.
Un peu embarrassé, Ren quitta son jean et retira les bandages de sa jambe, qui étaient déjà imbibés de sang. L'infirmière faillit avoir une attaque en voyant l'entaille plutôt profonde à sa cuisse.
— Mais comment tu t'es fais ça ?
Ren raconta un bobard comme quoi il était tombé et qu'un morceau de verre lui avait blessé la jambe. Mais vu la tête choquée de l'infirmière, elle devait penser que Ren était plutôt tombé au milieu d'un règlement de compte avec des couteaux que sur un bout de verre. L'air dépité, Coco partit chercher de quoi le recoudre. Une bonne et douloureuse seringue d'anesthésiant et cinq points de suture suffirent à refermer la plaie.
— Je vais arrêter de te poser des questions mais t'as bien morflé... Au suivant !!
Ren sauta dans son jean puis renfila ses chaussures avant de sortir de la salle d'examen. Nya poussa Matt en avant avec un sourire hypocrite. Oreilles basses, l'elfe passa à la visite médicale. Nya et Sarah suivirent l'une après l'autre. Un quart d'heure plus tard, la démone revint en pestant, les bras momifiés par des pansements.
— Genre mes veines sont introuvables ! Elle a dû me piquer quatre fois avant d'en trouver une ! Tous les médecins sont aveugles ou quoi ?
— Oui oui c'est la faute de l'infirmière, pas de ta peau toute rouge, railla Nya. Bon on est passé tous les quatre, du coup c'est à vous le groupe deux.
Derak, Gabi et Angèle blanchirent et Pix se colla à un mur en fixant le vide.
— On est obligé ? bredouilla l'ange en se mettant à pleurer.
— C'est pas la fin du monde, dit Matt.
Coco sortit de la petite pièce d'examen, pour voir ce que fabriquaient les autres. Derak inspira et se dévoua, comme s'il allait à l'abattoir. En attendant, Ren et les autres s'installèrent sur les chaises alignées contre le mur de l'infirmerie.
Derak revint un peu plus tard, loin de faire le fier. Gabi se traina en salle d'examen et Angèle rechigna à y aller. L'infirmière dut bien la rassurer avant que la jeune fille ne daigne à entrer dans la pièce communicante. Elle en ressortit toute tremblante et blanche comme un linge.
— Et ben tout ce cirque pour une visite à l'infirmerie, lâcha Ren.
— La ferme, pesta Derak.
Coco se pointa pour savoir ce que faisait le dernier.
— Tu viens Pix ? demanda-t-elle.
Le visage décomposé, Pix resta muet. Ses yeux glissèrent le long du bras de Coco, pour se poser sur la seringue qu'elle avait à la main. Son regard se figea d'horreur et sa respiration se coupa.
— Non !! glapit-t-il en reculant. Laissez moi tranquille !!
— Enfin du calme, rassura Coco avec un geste apaisant. Je dois juste faire un petit bilan rapidement pour savoir si tout va bien. On ne sait pas ce que les objets magiques peuvent causer comme dommages. Il faut vérifier que tout va bien, répéta l'infirmière en s'avançant.
La seringue lui explosa soudain dans le main. Incrédule Coco regarda le piston en métal qui lui restait dans la main, puis les morceaux de verre et l'aiguille à terre. Sa peau se mit à saigner à cause des tessons.
— Désolé... désolé... répéta Pix en glissant à terre, mains sur la tête.
— Reste calme s'il te plait, dit doucement l'infirmière en s'approchant. Va t'installer sur la table d'examen, je vais...
Coco se tut en croisant soudain l'œil visible de Gabi. La jeune fille la fixa un moment en silence, comme si elle cherchait à voir au travers de l'infirmière, puis Coco sourit.
— J'en ai terminé avec vous ! Vous pouvez y aller, je vais aller faire les comptes rendus pour la directrice.
L'infirmière les salua et disparut dans son bureau après avoir ramassé des feuilles. Derak lâcha un gros soupir.
— Allez on va manger ? demanda-t-il.
— Bonne idée ! approuva Gabi. Vous venez les gars ?
Derak attrapa le bras de Pix et le releva. L'adolescent pleurait en silence. Les quatre se dirigèrent vers la sortie de l'infirmerie, laissant les autres en arrière.
— Euh mais... Y a que moi qui a pas compris ce qu'il vient de se passer ou bien ? demanda Nya.
Assis sur un tabouret en train de tourner sur lui même Matt haussa les épaules. Ren aussi avait eu du mal à suivre la scène. Quand le tour de Pix était venu, ce dernier n'avait pas voulu y aller et avait fait une petite crise, et enfin l'infirmière avait brusquement changé d'avis.
— Et en plus ils partent sans nous ces bâtards ! cracha Sarah. Pfff... Je les sens hyper distants depuis qu'on s'est retrouvé.
— Ils ont vraiment pas l'air bien... dit Matt. Après, on sait pas ce qu'il ont vécus là bas.
— Ils nous cachent des choses en prime, ajouta Sarah.
— C'était trop bête de penser que tout allait redevenir comme avant d'un coup, souffla l'elfe en se levant de son tabouret. Ce voyage a l'air d'avoir plus de conséquences que ce que je pensais, surtout pour eux.
— Hé nous aussi on a morflé, dit Ren. Physiquement on a pris cher entre les blessures et toutes les fois où on est mort.
— Et comme tu as dis au café, l'ambiance dans le Deuxième monde était ultra stressante, ajouta Nya. C'était fatiguant d'être toujours sur ses gardes.
— Oh arrêtez de vous plaindre on est rentré, c'est derrière nous maintenant. J'espère... ajouta Sarah.
— On va manger ? proposa Matt. Je crève la dalle comme si j'avais pas mangé d'un mois.
***
Les jours qui suivirent furent aussi épuisants qu'interminables. Comme promis, ils furent chacun auditionnés par la gendarmerie locale. Ils s'étaient tous accordés sur l'histoire à raconter juste avant, si bien qu'ils furent tous crédibles et cohérents dans leurs propos. La directrice tenait la presse à l'écart, mais peu étaient les journalistes à patienter devant le portail de l'école. Ils rentrèrent tous chez eux au bout de quelques jours de refus.
La médecin Coco termina les bilans de santé et leur fit un compte rendu à chacun. Presque tous n'avaient quasiment aucun dommage, hormis quelques blessures. L'exception était Angèle. La prise de sang avait révélé la perte des pouvoirs de l'ange. Cette dernière redoutait ce qui allait suivre...
Le quotidien mit une bonne semaine avait de revenir un petit peu. Il fallait s'y attendre...
Puis arriva le moment où Ren retrouva ses sœurs, Zoé et Vanessa, en larmes et hystériques. C'était dans le couloir de l'internat, au niveau des casiers. Elles avaient débarqué et s'étaient jetées sur lui, le prenant de cours. Elles lui demandèrent maintes fois où il était passé, s'il n'avait rien, le tout à grand renfort de câlins, chose très inhabituelle pour Ren. Il passait son temps à se chiffonner avec ses sœurs, surtout l'ainée, et voilà qu'il se retrouvait à les serrer dans ses bras.
— Si tu savais comme on a flippé, pleura Vanessa. Je me suis effondrée quand on a appris ta disparition.
— Plus les semaines passaient et moins on avait d'espoir, renifla Zoé.
La benjamine se jeta dans ses bras. Cœur serré, Ren lui rendit l'étreinte. Vanessa essuya ses larmes, lèvres pincées.
— Tu nous a manqué grand frère... croassa Zoé.
Elle leva ses yeux noisettes et baignés de larmes vers lui, de la buée sur ses lunettes. Elle fut à peine écarté que Vanessa éclata à nouveau en sanglots et serra Ren dans ses bras, de toutes ses forces comme si elle craignait qu'il ne s'en aille à nouveau. Mains agrippées dans son dos, tête posée contre son torse, elle se mit à hoqueter.
— Je t'aime p'tit frère... Tu peux pas savoir à quel point je me suis fait un sang d'encre pour toi. Trois mois sans toi... C'est long. C'est interminable.
— T'étais où pendant trois mois ? demanda Zoé. T'as pas fugué à cause de ce qu'il y a eu à Noël j'espère ? Si tu savais comme maman s'en est voulu quand on leur a annoncé ta disparition. Elle a culpabilisé à mort, elle répétait que c'était de sa faute... T'es quand même parti en boudant après Noël. Tu leur en voulais et ils s'en sont pas remis les parents...
— La fugue était l'hypothèse la plus probable, ajouta Vanessa. C'est ce qu'on pensait. Tu étais fâché avec papa et maman à cause de ce qu'ils t'ont fait, t'aurais très bien pu partir sans rien dire...
Le cœur en miettes, Ren finit par répéter le mensonge savamment construit autour du saut temporel. Il chassa le sentiment de culpabilité qui commençait à le grignoter. Tout ça, rien de tout cela n'était de sa faute. Ses parents pouvaient toujours s'inquiéter et se ronger les sang, ça restera de leur faute à eux... Ils n'avaient qu'à pas l'utiliser comme cobaye d'expérience et lui laver le cerveau par la suite.
Ses sœurs eurent l'air de croire à son explication et après un dernier câlin, elles retournèrent à leurs occupations, soulagées de revoir leur frère. Ren remonta à la salle commune, mains dans les poches. Le samedi, les élèves des deux classes de secondes flemmardaient à l'internat.
Ren croisa Antoine alors qu'il allait monter les escaliers vers les dortoirs. Le garçon aux cheveux rasés sur les côtés et couleur sable afficha son sourire carnassier. En voilà un qui ne lui avait pas manqué...
— Est-ce qu'on a le droit de savoir ce qu'il vous est arrivé , à toi et ta bande de copains casse pieds ?
Droit au but, c'était la première chose qu'il demandait à Ren depuis leur retour.
— C'est pas tes affaires, répliqua Ren avec humeur.
— Tiens, j'ai un nouveau surnom pour toi ! déclara soudain Antoine. « Le balafré » ! Ça rend aussi bien que le rageux, tu trouves pas ? Comment t'as fait ça d'ailleurs ? Et vous étiez où ? En tous cas, ça nous a fait de ces vacances dans la classe sans vous huit.
Ren lui jeta un regard hautain, profitant d'être sur une marche d'escalier pour paraître supérieur. Antoine monta deux marches pour être plus haut que lui et reposa la question avec insistance.
— On était dans une dimension parallèle et on chassait des âmes pendant que mon jumeau démoniaque voulait me saigner à blanc, ça te va ?
— Prends moi pour un débile tant que t'y es !!! grogna Antoine.
— C'est déjà le cas, souffla Ren en montant une marche.
— Tu veux régler ça avec les poings c'est ça ??
Mains dans les poches, Ren monta le reste de l'escalier en faisant un croche pieds à Antoine au passage. Le garçon dégringola les trois premières marches de l'escalier avant de s'étaler sur le lino sous les rires des autres dans la salle de vie.
— Je vais te tuer Saurac !!! hurla-t-il en se relevant.
— Quand tu veux, lança Ren en agitant la main, l'air de dire « cause toujours tu m'intéresses ».
Il traversa le couloir et entra dans sa chambre avant de se laisser tomber sur son lit en grognant. Assis sur le matelas au dessus, Matt pesta quand toute la structure trembla. De l'autre côté de la chambre, Derak se prélassait sur son lit, devant son ordinateur. Une clé USB était branchée dans le port et un câble reliait le PC à un casque bluetooth. Sur le lit du dessous, Pix serrait ses genoux en fixant le vide, une nouvelle habitude, en se balançant doucement d'avant en arrière.
— Et terminé ! s'exclama Derak en expulsant la clé USB.
Il débrancha le casque, l'alluma et le posa sur ses oreilles pointues et pleines de piercing en argent. Il plissa les yeux avec l'air d'un critique musical avant d'enlever le casque, satisfait. Il flotta en apesanteur jusqu'au sol et tendit le casque à Pix. Prudemment, le garçon le posa sur ses oreilles. Son regard stressé d'insomniaque se tranquillisa peu à peu. Ses muscles se détendirent enfin. Il posa ses mains contre les écouteurs argentés du casque. En légère rotation dans les airs, Derak attendit un verdict. Matt et Ren fixaient ce spectacle étrange sans un mot.
— Alors ? s'impatienta Derak.
Pix sourit et leva les yeux. Il hocha la tête.
— Ça va mieux.
Il semblait calme et rassuré et ferma les yeux. Il les rouvrit avec un sourire reconnaissant.
— Merci.
— Alix aurait aimé entendre ça. Content que ça fonctionne !
Derak se posa au sol et se tourna vers Ren et Matt. Assis sur leur lits respectifs, ils avaient la tête de ceux qui ne comprennaient plus rien à rien.
— Content de vous revoir les amis, lança Pix.
Il avait retrouvé sa tranquillité et sa bonté d'avant, comme si durant ces derniers jours il n'avait pas été lui-même et qu'il venait de se réveiller d'un seul coup. Ren se pencha en avant et jeta un coup d'œil à Matt sur le lit du dessus, accoudé à la rambarde de sécurité en bois. L'elfe baissa les yeux et haussa les épaules. Ils étaient deux à ne rien comprendre.
— Bon Mario Kart ? proposa Matt pour changer de sujet.
L'ambiance s'égaya d'un seul coup et cette fois il n'y avait personne pour la briser de façon sinistre. Ils jetèrent couvertures et traversins au centre de la pièce pour former un canapé de fortune et Pix posa sa console de jeu au milieu. Chacun récupéra une manette et ils enchaînèrent les courses en braillant joyeusement. Un simple moment de répit et de joie depuis tout ce temps faisant un bien fou. L'espace d'un instant, ils avaient presque oublié toutes leurs galères, toutes leurs tensions, tous leur traumatismes. Juste un moment entre amis, comme au bon vieux temps...
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