Chapitre 35: Confrontation dans les halles
Ren se réveilla avec un sursaut quand il sentit sa tête tomber. Il la redressa vivement. Il se frotta ensuite les yeux, qui piquaient. Dire qu'il était en train de s'endormir dans un moment pareil. Il s'étira pour réveiller ses muscles fatigués et ramassa le pistolet qui avait glissé de sa main.
En face de lui, Sarah avait l'air de s'être endormi. Sa tête reposait contre des caisses en bois empilées sur le côté et ses longs cils noirs se déployaient sous ses yeux clos. Ren songea à la réveiller pour pouvoir repartir. Il s'appuya au sol et bascula sur ses pieds. Marchant comme un canard, il partit tapoter l'épaule de la démone.
Celle-ci ouvrit d'un seul coup ses yeux couleur lave à pupille fendue, le faisant sursauter. Elle ne dormait pas pour de vrai finalement. Elle était comme un chat, toujours en alerte même pendant la sieste.
— Euh...On va chercher les autres ? proposa Ren.
— Ouais...
Elle se redressa en pestant contre le sol inconfortable et épousseta son short marron. Ren se leva à son tour et examina les alentours. Pas l'ombre d'une personne dans le labyrinthe d'allées. Le duo se mit prudemment en marche.
Ren gardait les yeux fixés sur la charpente de métal, certain que Stone se promenait là haut. Ses yeux lui faisaient perpétuellement croire à un bout de manteau ou de chaussure dépassant par endroit, ou encore à des mouvements. Il était sur les nerfs à l'idée de se faire descendre d'une seconde à l'autre.
— À quoi il joue à ton avis ? demanda Sarah à voix basse.
— Hein ?
— Stone. Pourquoi s'embêter à provoquer un attaque pendant la Foire alors qu'il peut nous avoir quand il veut dans la rue ?
— Pfff, vous n'avez aucun sens de la fête ma parole ! résonna une voix.
Ren se stoppa net et braqua un pistolet au dessus de lui avant de tirer sur une silhouette. Elle sauta agilement sur une poutre en face puis se pencha vers eux. Un sourire blanc apparut au milieu de la pénombre.
— Descends de là ! ordonna Ren en tirant.
Planqué en haut de son perchoir comme une gargouille, Stone s'accrocha à une poutre verticale et pivota derrière pour ne pas se prendre la balle.
— Pour répondre à votre question : si je m'embête à monter tout ça, c'est pour m'amuser ! Ça n'a rien de drôle de vous tirer lâchement dans le dos pour m'enfuir et avoir des âmes sans accroc. Alors j'ai inventé ce super jeu ! Histoire de ne pas m'ennuyer ! J'ai même convié Malya et Cinis pour rendre tout ça encore plus marrant !
— Mais on s'en balance de ta vie !
— Ralala, vous êtes d'un rasoir ! On joue tous les trois ?
Stone sauta de son piédestal et fit dérouler son bracelet grappin jusqu'au sol. Il posa les pieds à terre et rapatria le câble avant de dégainer un pistolet de poing. Ren et Sarah se mirent en garde. Stone sourit.
— On va commencer par un cache cache...
Il partit en pas chassé sur le côté et disparut dans une allée perpendiculaire au niveau d'un croisement. Ren lui cria de revenir et le traita de lâche. Il le poursuivit et ses bottes glissèrent sur le sol de pierre. Personne dans l'allée. Stone s'était volatilisé. Il fit un pas en appelant Sarah.
— Tu refroidis ! lança une voix lointaine.
— Montre-toi !
— Dites, pourquoi vous voulez les âmes ? Pour le vœu ? Et pour souhaiter quoi ?
Ren fit demi-tour, car la voix venait de son dos. Sarah le rejoignit et dressa les oreilles. Si seulement ils avaient Matt avec eux. L'elfe était un vrai capteur audio avec ses longues oreilles.
— Rentrer chez nous dans notre monde ! répondit Sarah.
Ren allait lui ordonner de se taire mais se rattrapa. Engager la conversation était la meilleure solution pour repérer Stone.
— Quelle bande d'égoïstes !
Ren repéra le son sur sa droite, en mouvement. Bras levé devant lui, pistolet chargé, il poursuivit son avancée, pas après pas.
— Ramasser des âmes et rentrer dans votre monde, comme si ça allait vous sauver. Il arrivera un jour où on ne pourra plus fuir nulle part ! La fin des temps en somme.
— On nous le fait à chaque année ça ! répliqua Sarah.
Un vase fut percuté sur leur gauche et le récipient en porcelaine tourna sur lui-même en tintant contre le sol.
— Ben quand on fêtera le quatrième millénaire, ça arrivera pour de bon. Parce qu'apparemment les mondes vont s'effriter. C'est déjà le cas dans le Troisième. Ça finira par nous atteindre un beau jour. Les ténèbres de l'Entre-monde vont nous envahir mes amis. Avec un simple vœu, je pourrais empêcher ça et sauver le monde. Mais bon, vous me volez mes chances tout ça pour rentrer chez vous ! Tout ça pour retarder l'échéance.
Ren repéra enfin l'adolescent qui se faufilait discrètement entre deux meubles. Il arrêta Sarah d'un mouvement de mains et indiqua la cachette de Stone. La démone avança une main en lui conseillant de reculer. Une rafale de feu jaillit de ses paumes et souffla devant eux, chauffant rapidement l'air. La forte luminosité des flammes et la chaleur leur fit plisser des yeux et les meubles furent brûlés en un instant.
La silhouette de Stone s'échappa au dessus du brasier avec son bracelet grappin. Il se suspendit au bout, accroché aux poutres, et étouffa les flammes de son manteau.
— Pas mal ! Pas mal du tout ! Je ressens enfin les effets de l'adrénaline dans mon corps ! C'est trop chouette !
— Ferme-ta-gueule, ordonna Ren.
En deux secondes, il visa Stone au bout de son câble et lui tira une balle dessus. Stone se hissa le long du câble à la force des bras et fit le grand écart avec ses jambes. La balle passa en dessous et se planta dans une poutre derrière. Stone se balança d'avant en arrière et sauta sur une haute machine un peu plus loin, ressemblant à une petite tour d'observation avec un télescope.
Bras écartés il retrouva son équilibre et leur tira la langue. Ren eut un spasme à l'œil et une veine gonfla à sa tempe. Il vida son chargeur sur Stone, transformé en farfadet sautant agilement dans tous les sens autour de la tour. Il ne s'en prit pas une seule.
— Na na na na nèèreuh !
Ren jeta furieusement son pistolet au sol qui tira une balle dans le vide sous le choc. Sarah fit un bond en montant les genoux et lâcha un cri, de peur de se la prendre dans le pied. Une fois la frayeur passé, elle vit rouge. Elle crispa les mains et fusilla Ren du regard, se retenant de lui sauter à la gorge.
— Vérifie si le flingue est vide avant de le jeter, bouffon !!!
Une détonation retentit et Ren sentit une vive brûlure lui taillader le lobe de l'oreille. La balle l'avait manqué et termina sa course dans un réservoir d'essence qui explosa et mit le le feu aux alentours. La déflagration fit faire un énième vol plané aux deux adolescents qui s'écorchèrent de tout leur long quelques mètres plus loin. Ren termina dans des caisses en bois qui s'ouvrirent sous son poids.
Sarah se releva en vitesse en tendit une main en direction du brasier. Le feu s'enroula autour de son bras comme un serpent incandescent. Elle absorba et accumula l'énergie puis envoya un laser de flammes concentrées sur Stone.
Il ouvrit des yeux en soucoupe et sauta de son piédestal en mimant une bombe et se bouchant le nez. La machine en forme de tour explosa au contact du rayon laser et cracha des débris enflammés autour du point d'impact. Sur le dos et le derrière coincé dans sa caisse de bois, Ren fut bouche bée.
— Mais t'es trop forte en fait !
— Comment ça « en fait » ??? se crispa Sarah. Je te signale que si je fais ça à l'école, je provoque un incendie générale et je me fais virer pour avoir compromis la sécurité du kilomètre alentour ! Là je peux me lâcher !!
Elle aspira les dernières flammes du baril de pétrole et envoya un second laser sur Stone qui venait à peine d'atterrir. Une nouvelle explosion fit trembler les vitres du bâtiment plus loin et un nuage de flammes s'éleva. Sarah serra un poing en souriant.
— Dans tes dents ! Si avec ça il nous laisse pas tranquille !
Ren n'en revenait toujours pas de la puissance de destruction que possédait la démone. Ses pouvoirs de feu étaient incroyables. Toujours coincé dans le bois de la caisse, il en sortit comme il put en se contorsionnant dans tous les sens.
— Franchement bravo là, fit-il une fois libre.
Il se posta face au nuage enflammé qui consumait le stand et les inventions. Sarah s'appuya sur un genou et se releva. Elle était aux anges.
— Bon, ça c'est fait ! Je pense que les autres ont dû nous repérer maintenant.
— Même Matt sans lunettes pourrait voir cette colonne de feu. On s'éloigne avant de cramer ?
Sa peau couverte de cendre noire commençait à suer face à la chaleur dégagée par le feu. Le tout se mélangeait au sang qui rampait le long de ses bras et de ses paumes de mains blessés. Sarah n'était pas mieux.
— La douche va être bonne, dit Ren.
— Idem, je me sens sale et poisseuse.
— Pareil.
Leur cœur manqua un battement et se relança avec peine. Ils se retournèrent en craignant à l'avance ce qu'ils allaient voir. Dans leur dos, Stone applaudissait, courbé en avant. La moitié de son corps était couvert de sang et de brûlures rouges, luisantes et toutes fraîches. Il souriait à moitié, un œil fermé.
— Mais il me faudrait quelques mètres de gaze pour guérir tout ça, dit-il en indiquant son corps meurtri.
— Comment t'as pu éviter ça ??? hurla Sarah en le pointant de l'index. C'est pas possible ! Je t'ai eu ! T'étais encerclé par les flammes !
— Je me suis pris le souffle brûlant dans la moitié de la face, mais à part ça je m'en suis sorti ! J'ai de sacrés réflexes ! Mais en tous cas ça brûle un peu, faut avouer.
— C'est le principe du feu connard !
— Et moi je vais te présenter le principe de l'eau !
Ce fut au tour de Ren de passer à l'attaque. Un jet d'eau s'échappa de sa main et serpenta jusqu'à Stone. Il roula au sol sur le côté pour éviter mais lâcha une grimace à cause de ses brûlures. Ren fit faire un demi tour au courant aquatique qui attrapa Stone en rasant le sol. Ren le jeta violemment plus loin et fit disparaître la masse d'eau. Le sol était trempé et l'assassin était étendu dans la flaque. Il semblait en mauvaise posture pour une fois.
Pour autant, il plongea une main tremblante dans la poche de son manteau et en extirpa un pistolet. En frissonnant à cause de la douleur, il le pointa sur Ren. Ce dernier fronça les sourcils. Même dans son état, il voulait encore les agresser. Ce type était incompréhensible.
Ren se mit en garde et lui pointa un flingue dessus. Il le fixa droit dans les yeux. Un duel de regard figea le temps. Stone ne le lâchait pas des yeux et continuait à le viser, étendu à terre. Ren entendait uniquement le son de sa respiration, de son cœur et des flammes crépitantes autour. Sarah était immobile dans son angle mort.
Stone se fendit d'un sourire en coin et baissa son arme. Il posa une main à terre et se releva. Ses brûlures le faisaient souffrir, cela se voyait à sa posture et à ses membres parcourus de tremblements. Il respirait bizarrement.
Ren était en train de se demander s'il fallait l'achever ou non lorsque Stone leva son bras et colla le pistolet à sa propre tempe provoquant la stupéfaction. Il s'autorisa un dernier regard et sourire hautain dans leur direction.
— À dans cinq minutes ! lança-t-il.
Sans les lâcher du regard il pressa sur la détente. Si Sarah détourna la tête, Ren se souvint parfaitement des secondes qui suivirent. Le son de la détonation qu'il n'avait que trop entendu ces derniers temps. Le sang qui s'échappa sous la forme d'un petit nuage rosé du crâne de l'assassin . Le corps de Stone qui devint raide et qui chute. Et toujours son regard couleur sang plongé dans celui de Ren. Il n'eut même pas le temps de toucher le sol que son corps se volatilisa en cendres.
Il lui fallut quelques secondes pour revenir à la réalité. Ses mains donnèrent quelques tapes sur ses joues pour l'aider à raccrocher les wagons.
— Ren, faut dégager, le pressa Sarah. À mon avis il ne tardera pas à revenir.
— Ouais...
— Je comprend vraiment pas ce qu'il veut ce gars.
— S'amuser. Il est franchement chelou quand même.
***
Une violente explosion arracha un cri aigu et peu viril de la bouche de Matt. Devant lui, Nya roula la tête et les yeux.
— Quoi encore ??
D'un mouvement rapide, elle para la balle avec une dague qui manqua de lui faucher la cervelle. Elle tourna la tête en direction d'un nuage de flamme, loin dans le hall. Signe qu'il y avait de l'activité par là. Nya esquiva une autre balle et son poignard se brisa quand elle renvoya la suivante. Depuis cinq bonnes minutes, un assassin s'amusait à les cribler de balles, perché à un point de tir en hauteur.
— Hé Matt ! Je pense qu'on devrait aller voir c'qui se passe !
— Avec un tireur au dessus de nous ?? Tu veux crever ou bien ?
Matt fit un bond sur place et partit se cacher derrière un meuble pour ne pas se prendre un plomb. Il cria à Nya de se mettre à couvert, son nez dépassant à peine de la commode en bois. Il remarqua un mouvement au dessus de sa tête, dans l'entrelacs de poutres. Le bout d'un fusil à lunette dépassait par endroit. La silhouette de l'assassin se mit en joue, visant Nya en dessous.
— Nya !! cria-t-il à voix basse.
Le coup fusa au même moment et l'épaule de la jeune fille partit brusquement en arrière avec une giclée de sang. Nya serra les dents et roula sous une sorte de bureau pour se protéger. Elle grogna dans sa barbe devant son énième blessure. Elle prenait cher depuis le début du séjour.
Elle vérifia la position de Matt avec un coup d'œil. L'elfe rampait à quatre pattes sous les multiples tables d'exposition. Il se dirigeait vers un stand qui présentait des armes assez originales. Il attrapa une caisse et la tira vers lui pour fouiller dedans, espérant trouver une quelconque arme pour les aider.
Il fut surpris de découvrir une sorte d'arbalète dans la caisse en bois. Il la sortit avec prudence et admiration. Il avait rarement vu d'armes aussi belle. Le fût était en bois laqué et possédait des gravures dorées. Une idée germa dans son esprit.
Rapidement il saisit les carreaux qui reposaient dans la caisse et en arma un sur l'arbalète. En canard, il avança en restant à couvert et s'installa. L'assassin au fusil était dans sa fenêtre de tir et Matt était dans son angle mort. C'était l'occasion à ne pas manquer.
Il cala l'arbalète sur l'épaule et ferma un œil pour viser. Il bloqua sa respiration, s'enferma dans sa bulle pour se concentrer et son doigt pressa sur la détente. La corde se relâcha d'un coup et envoya le carreau avec force. Il siffla en ligne droite sur la fille. Elle hurla en se prenant la flèche dans la hanche et chuta de son perchoir.
Elle s'écrasa dos contre terre dans un son de craquement d'os. Bouche grande ouverte, elle récupéra l'air qui s'était expulsé de ses poumons avec la même violence que le choc. Matt sortit de sa cachette et trotta vers elle avant de lui pointer l'arbalète dessus. Nya se rapprocha en tenant son épaule et le félicita.
— Je savais même pas que tu savais te servir d'une arbalète !
— Oh t'inquiète, c'est cliché mais les elfes sont souvent repus au maniement des arcs et des arbalètes. En plus de savoir grimper partout ! ajouta Matt en souriant.
— Mets une flèche sur ton arme avant de mettre quelqu'un en joue...
— Ça s'appelle un carreau ! C'est plus cours qu'une flèche normale, ça possède un fer plus fort et pesant et... Roh ça va je me tais ! souffla-t-il.
Nya le remercia pour ses oreilles et son cerveau et regarda l'assassin nommée Malya, étendue au sol dans un peu de sang et le corps parcouru de spasmes. Si le « carreau » de l'arbalète lui avait bien amoché la hanche, sa chute l'avait presque achevé. Nya lui donna un petit coup de pied et l'assassin gémit avant de tourner un œil vers elle.
— Bon, qui a bloqué le hall et organisé l'attaque ? demanda Nya. Et vous êtes combien ?
— Trois... souffla Malya.
— C'est pas ton alter-ego ? demanda Matt.
Il avait observé en détail la fille qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à Nya, hormis la couleur et le style des cheveux. Leur voix était aussi identique. Cette dernière ouvrit de grand yeux émerveillés et sourit.
— Enfin ! Enfin je croise la moi de ce monde ! Enchanté ! Maintenant tu réponds ! L'attaque ?
Malya toussa et cracha du sang mais prit quand même la peine de répondre.
— Stone... Ce salaud nous a bien berné Cinis et moi. « Je vous donne une occasion de vous faire des âmes, car la numéro un est dans le hall. Neuf milles âmes au minimum, c'est pas chouette ? ». Quelle enflure ! Il a jamais précisé qui avait les âmes ! Quant à Cinis, il s'est bien fait avoir aussi. Stone lui a fait miroiter à la fois des âmes et un moyen de tuer l'homme immortel, ce débile a tout gobé. Il nous a mené en bateau uniquement pour s'amuser tout seul... Il se croit vraiment au dessus de tout, ça c'est à cause de son foutu miroir...
Le mot fit dresser les oreilles de Matt comme celles d'un chat qui entendrait le son des croquettes.
— Quel foutu miroir ?
— J'ai plus rien à perdre... Stone garde toujours son joujou sur lui. Un miroir magique soi disant, qui lui parle. Il aime bien se vanter de ça, qu'il a plein de connaissances sur d'autres mondes et sur les dieux antiques. Pfff, il est aussi tordu que sa mère en fait. Il vit en permanence dans son propre rêve surtout.
— Matt ! hurla Nya, ce qui lui fit perdre cinquante décibels d'audition. Un miroir magique ! On est venu par là aussi ! C'est peut-être un portail pour rentrer chez nous ! Pas besoin de ramasser des âmes !
— Je m'y risquerai pas perso. On aura l'air fin si on tombe dans un autre monde que le notre. Je préfère le vœu, si ça marche ça sera plus sûr.
— Hé mais c'est quand même bizarre qu'un miroir ait ce genre de pouvoirs. Qu'est-ce qu'on a cassé réellement ?
— Je sais pas. Un artefact très puissant qui n'avait rien à faire au grenier.
— Ce miroir... souffla Malya. J'ai eu l'occasion de l'entendre... Je m'appelle Dieu et je changerai le monde... C'est ce qui est murmuré.
— Dieu n'existe pas, fit Matt. Les seuls qui ont existé sont les Douze, disparus y a 3993 ans très précisément ! Hé mais dans sept ans ça sera le quatrième millénaire ! Trop bien ! Ça va être la fête et tout ! Quelle chance de vivre ça.
— Quatre milles ans... murmura Malya. La date fatidique... La collection... C'est ce que dit le miroir. C'est ce que dit...
Sa voix était déjà à bout de souffle et d'énergie. Sa tête pivota sur le côté et elle expira. Nya lui donna un coup de pied en disant qu'ils n'avaient pas fini l'interrogatoire. Elle sauta en arrière et cria quand le corps se changea en cendre au contact de sa chaussure. Les âmes rejoignirent le récolteur de Matt. Les deux se regardèrent sans bouger. Puis Nya finit par rire.
— On croirait entendre des complotistes sur la fin du monde sérieux ! Ah mieux : des illuminés de religieux. Haha n'importe quoi.
— Ouais bon, le miroir doit bêtement répéter ce qu'on lui dit et un farceur doit s'amuser à flanquer la frousse aux gens. En attendant on devrait aller voir par là bas si les autre s'y trouvent.
Nya suivit son doigt jusqu'au nuage de flamme toujours en activité au loin.
— Ça m'étonnerait pas que ce soit Sarah... J'espère qu'elle va bien.
— Avec des lances flammes à la place des mains tu en doutes encore ?
— On y va.
Matt accrocha l'arbalète en bandoulière dans son dos et serra la sangle sur son torse. Il chargea un carquois avec les carreaux et rattrapa Nya en la suppliant de l'attendre car il avait de petites jambes.
— T'as qu'à courir !
— Je rêve ! Je dois faire au moins trois pas là où toi t'en fait deux ! Et encore avec Pix et Ren c'est pire ! Quatre pas au lieu de deux ! Quatre !!! Pix fait au moins quarante centimètres de plus que moi, tu imagines ??
— En parlant de lui... Les autres ?
Matt et Nya se sentirent bien idiot de ne penser à eux que maintenant. Ils étaient huit après tout en quittant le grenier. Et après deux semaines ils n'étaient que quatre. Où diable étaient passées le reste de la bande ?
— J'en ai aucune idée. Mais si ils étaient là, on les aurait croisé. On est quand même quatre à être tombé exactement au même endroit sur Terre ! Non, je pense qu'ils sont ailleurs. Dans notre monde ? Dans un autre ?
— J'espère qu'ils vont bien, soupira Nya. Qu'il ne leur est rien arrivé et qu'ils ont un moyen de rentrer.
— Si ça se trouve on s'inquiète pour rien... Ils sont peut-être toujours dans notre monde.
— Nan, ma mémoire est formelle : ils sont bien tombé dans le trou noir de téléportation au grenier. Faut juste espérer qu'ils soient dans un monde accueillant...
— C'est-à-dire ? questionna Matt.
— Ici c'est légèrement violent et barbare même si on meurt pas. Avec un peu de chance, ils seront tombés dans un monde magique avec des licornes, des lapins qui prennent le thé, des jeux de cartes vivants et pleins d'amis pour les aider !
— Des... Non mais tu regardes trop de films toi !
— Bah t'as compris ! Un monde accueillant ! Comme le notre ! Ah d'ailleurs ! Tu crois que si on avait vécu ici, qu'il nous soit arrivé la même chose et qu'on débarque dans notre monde, on aurait été aussi azimuté ?
— Si on avait vécu ici, déjà notre monde nous semblerait trop futuriste, on aurait flippé devant les pouvoirs de tout le monde et le fait qu'on puisse mourir. À devenir parano... Mais passons, faut trouver Ren, Sarah, Scorpio et Charlie et s'échapper de là avant de se faire tuer.
— Ouais, ce serait bête de perdre nos âmes. On en serait à douze milles du coup avec ce qu'on a récolté sur Malya, les âmes de Sarah et celles de Charlie qui a proposé de nous les offrir.
— Ou alors zéro parce que vous aurez fait une mauvaise rencontre ?
Les deux adolescents cessèrent de marcher pour s'immobiliser comme des statues, tête rentrée dans les épaules. Matt jeta un coup d'œil aux alentours.
— Ren ? fit-il.
Il était certain de l'avoir entendu, quelque part dans les recoins sombres des stands, au milieu des inventions et des meubles de brocantes. Mais il ne se faisait pas d'illusions : Ren ne les aurait jamais apostrophés ainsi.
— On fait quoi, on fait quoi ? répéta Nya entre ses dents.
— Vous restez bien sage et vous me servez de cible !
La jeune fille cria de surprise quand Stone surgit depuis le somment d'une machine en vague forme de tracteur. Il venait de sauter au sol et se réceptionna en pliant les genoux. Armé de deux pistolets de poing, il leur barra la route dans l'allée. Nya et Matt se mirent en garde. La jeune fille sortit une épée de sa blessure à l'épaule et l'elfe dégaina sa toute nouvelle arbalète.
— C'est l'heure du deuxième round les nazes ! Vos potes m'ont bien énervé en plus ! J'en peux plus : je dois tuer quelqu'un !
Stone fut prit d'un fou rire hystérique et exhiba le piège à loups qui remplaçait son sourire. Une lueur sadique brillait dans son regard rouge et macabre.
Face aux deux pistolets et l'épaule dégoulinante de sang, Nya se dit que c'était peut-être le moment de tenter une action désespérée. Elle attrapa un pistolet, pour être prête à l'utiliser au cas où.
Elle jeta un coup d'œil à son récolteur d'âmes, quasi vide. Elle n'avait rien à perdre mais n'allait pas tenter d'attaque suicide comme la dernière fois. À la place elle gonfla ses poumons et sa cage thoracique, ouvrit en grand la bouche et hurla du plus fort qu'elle put :
— Hého !!! Par ici !!! À l'aide !!!
— Tu fous quoi ?? s'étrangla Matt en se bouchant les oreilles.
— Youhou !!! Par ici !!! Ren !!! Sarah !!! Quelqu'un à l'aide !!!
Elle reprit son souffle pour lancer un dernier appel mais une douleur lui carbonisa la gorge. Un son étranglé s'envola de sa bouche et elle porta une main à son cou. Malgré la douleur insupportable, elle sentit la balle encore chaude dans sa carotide, qui lui avait coupé la respiration.
Sans attendre, elle se servit de ses dernières forces pour se tirer une balle dans la tempe. Le soulagement et la douceur de la mort lui ouvrirent les bras et l'accueillirent. Elle se sentit flotter puis s'évanouir, loin de la réalité.
À ses côtés Matt la regarda tomber et s'évaporer sans bouger. Ses yeux remontèrent en direction de Stone qui venait de tirer. Son sourire donnait encore plus froid dans le dos, tout comme le rire qu'il lâcha. Tremblant d'horreur, Matt se rendit invisible et partit se cacher en vitesse en se demandant pourquoi Nya avait hurlé comme ça avant de se faire tuer. Tout en progressant à quatre pattes sous les stands il vit soudain pourquoi.
Pour que les autres l'entendent et suivent le son de sa voix afin de les retrouver. C'était si simple et évident ! Elle s'était encore sacrifié pour eux. Elle s'était encore faite tuer pour leur offrir une chance de victoire. Plus il la connaissait, plus Matt commençait à se dire qu'elle était finalement incroyable comme fille.
Toujours invisible à la vue de tous il remarqua cependant que Stone avait l'air de le suivre. Il le cherchait plus qu'autre chose mais restait aux aguets, un peu trop proche de Matt à son goût. L'elfe arma son arbalète, visa et brisa un vase un peu plus loin, espérant que le bruit puisse attirer son attention et le faire s'éloigner.
La porcelaine éclata et contre toutes attentes, Stone braqua les yeux et son flingue dans la direction de Matt. L'elfe partit se cacher.
— Tu me prends pour un idiot ? demanda-t-il. Je sais d'où tu as tiré sale gamin ! Viens là que je te fasses la peau !
Stone baissa la tête et ses yeux suivirent une grenade qui roula à ses pieds. Blasé, il lui donna un coup de pieds comme dans un ballon et l'envoya exploser plus loin. Il se dirigea en vitesse près d'un stand d'explosifs. Il passa derrière le comptoir en bois et pointa son flingue. Un petit tas de poudre et de bombe avait été placé. Il suivit prudemment la mèche tracé au sol avec la poudre noire, jonchée ça et là par des bâtons de dynamite. Ses oreilles entendirent du mouvement sur sa droite.
Il ferma les yeux et tira en direction de la faible respiration qu'il arrivait à percevoir. Un cri de douleur lui annonça qu'il avait fait mouche.
Prostré à terre Matt se plia en deux pour serrer son ventre et ralentir son hémorragie. Dans sa tête il se demandait comment Stone avait pu réussir à l'avoir sans le viser et sans le voir. Il était invisible ! Comment avait-il pu se faire tirer dessus ?
L'elfe rampa en dessous d'une autre table, déterminé à terminer son petit plan malgré sa blessure. Il continua à verser une traînée de poudre et déposer des bâtons de dynamite jaunâtre sur sa route. Il allait encercler Stone et tout faire exploser.
Alors qu'il allait poursuivre son avancée, une main lui saisit la cheville et le tira brusquement. De nouveau visible, Matt s'étala au sol en laissant échapper ses munitions et Stone le sortit de sous les tables d'exposition. Il leva un bras au dessus de sa tête et frappa Matt avec un couteau, pile entre les omoplates. L'elfe lâcha un cri de douleur et des larmes perlèrent à ses yeux.
— On peut savoir ce que tu fabrique petit elfe ? Tu cherches à t'enfuir ? demanda Stone en lui tailladant le dos et les bras.
La douleur était tellement insupportable que Matt pria pour que cela cesse. Il suait à grosses gouttes et avait du mal à respirer. Il sentait que son poumon sifflait. Sa peau lui piquait et lui démangeait de partout, dans chaque entaille. Stone le retourna sur le dos et posa la pointe de son couteau sur son front, un air intéressé au visage. Il fit glisser la lame jusqu'à la tempe de Matt, en laissant une douloureuse balafre de sang, puis à une de ses longues oreilles.
— Ça fait quoi si je touche à tes oreilles ?
— T'as pas intérêt, articula Matt comme il le put.
Sa vision commençait à se brouiller et ses oreilles à siffler. Il était déjà bien au delà de son seuil critique de résistance à la douleur et à deux doigts de l'évanouissement.
— Et pourquoi ? demanda Stone en penchant la tête sur le côté.
— Les oreilles des elfes, c'est sacré ! On n'y touche pas, point. C'est comme les ailes d'un ange, les dents d'un vampire ou les cornes d'un démon ! C'est tellement symbolique que nous retirer ça équivaut à la peine de mort !
— Désolé, je vis pas dans un monde de chimère moi.
— Tu vis dans un rêve, c'est pas mieux. Apparemment t'es tellement dérangé mentalement que t'entends des voix dans un miroir ?
Le regard que Stone lui jeta lui donna encore plus de sueurs froides. Un regard tout à fait sérieux, presque neutre. Pourtant cet air là rendait Stone encore plus effrayant.
— Les voix que j'entend m'ont appris une chose : on sera tous condamnés un beau jour. Condamné aux ténèbres éternelles, à la folie et à une vie de servitude auprès de Dieu. Quand on aura dépassé une certaine date, plus rien ne pourra nous sauver du bain de sang qui nous attendra dans chacun des mondes. Alors moi je cherche une solution avant qu'il n'y en ait plus... Mais j'imagine que tu ne dois pas comprendre...
Matt loucha sur le canon du pistolet que Stone lui braqua sur le front. Il entendit le déclic de l'arme, la détonation puis plus rien. Il aurait juré entendre Stone lui marmonner qu'il l'ennuyait.
L'assassin fixait le corps décédé de Matt avec un air vide. Il essuya le sang qui avait giclé sur son visage et se redressa en se demandant s'il disait vrai. S'il ne se trompait pas quelque part. Il posa les doigts sur le miroir de poche qui reposait dans celle de son manteau. Et s'il comprenait quelque chose de travers ? Et si sa mère s'était trompé à l'époque ? Et si l'apocalypse qui les attendait était le seul destin des trois mondes ?
— Suis ton idée de départ... se dit-il. Se débarrasser de l'Entre monde pour se débarrasser des Ombres. C'est peut-être ce qui nous sauvera après tout. N'écoute pas Eileen...
Des bruits de courses le sortirent de ses pensées et il fut ravi de revoir les deux adolescents qui se pointèrent. Essoufflés, Ren et Sarah venaient d'arriver sur les lieux, après une course effrénée dans l'espoir de rejoindre leurs amis, après avoir entendu l'appel à l'aide de Nya. Les yeux de Ren glissèrent sur le corps de Matt, en sang, complètement lacéré par le tranchant d'un couteau et la tête ouverte d'une balle. Sarah fut horrifié de voir le pauvre elfe dans cet état. Les deux restèrent immobiles.
Ren le regarda devenir de la cendre et disparaître. La vision des blessures, du sang et de la souffrance sur le visage de son ami alluma un feu destructeur dans son corps. Il ne supportait plus tout ça. Il avait horreur qu'on puisse toucher à ses amis. Il fixa Stone et ses sourcils creusèrent des plis au dessus de son nez quand ils se froncèrent. Son regard devint ivre de rage.
— Toi, tu viens de signer ton arrêt de mort...
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