Chapitre 34: Juste une histoire de fin du monde
Face à la cyborg, Pix ne perdit pas une seule seconde et arracha l'intégralité des carreaux qui dallaient le sol du couloir. Grâce braqua le canon de son bras sur le démon et tira un laser rouge.
Pix le dévia d'un mouvement de bras et le projectile de lumière fit exploser un interrupteur sur le mur. Le plastique fondit en un instant et des étincelles se mirent à cracher. Pix balança les plaques du carrelage sur Grâce, comme des shurikens. Les carreaux tournoyèrent à vive allure en fonçant sur le robot.
Elle dressa les deux avant-bras et les écarta. Les projectiles furent balayés avec facilité. Seules de rayures griffèrent ses bras de métal. Elle se pencha en avant et piqua un sprint dans le couloir ravagé, évitant et renvoyant les carreaux avec aisance.
Pix lévita au dessus du sol et prit ses distances en la voyant se rapprocher dangereusement. Il tendit un bras sur le côté et le mur se mit à vibrer. Puis il se déforma totalement, se mut comme un serpent et barra le passage dans le couloir. Grâce défonça la cloison et pointa son bras-pistolet sur le front de Pix. Il bascula la tête en arrière et regarda le rayon lui passer juste au dessus de son nez.
Il roula la tête sur le côté, replia une jambe et la balança sur le corps de l'androïde. Elle chuta en arrière mais effectua une roulade et se redressa dans la foulée.
— Élimination... fit-elle.
— Ah ! Tu es du service de dératisation ! s'étonna Pix. J'en ai vu par là ! Ils sont tous robotiques, un peu comme toi.
Un autre laser manqua de lui ouvrir le ventre. Le démon arracha les dalles au sol, puis le mortier et créa un trou. Il mit les bras en croix sur son torse, resserra les jambes et se laissa tomber dans la fine ouverture à l'étage d'en dessous. Il se stabilisa en l'air en voyant qu'il s'agissait d'un grand hangar d'entraînement. Tout en métal, il devait faire des centaines de mètres cubes.
Un coup sourd résonna au dessus de lui. Pix s'écarta sur le côté. Grâce passa à travers le plancher et fit une chute magistrale jusqu'en bas, près de trois étages en dessous. La cyborg s'explosa les jambes et une partie du corps en atterrissant. Des morceaux de métal et des boulons s'échappèrent de l'androïde.
Mains dans les poches, Pix lévita dans sa direction. Le robot leva un bras et tira une salve de laser. Ils se stoppèrent tous autour de Pix, firent demi tour, repartirent et explosèrent des coins différents du hangar.
— Élimination.
— Change de disque.
La cyborg utilisa un de ses bras encore entier pour ramper. Ses jambes n'étaient plus que des morceaux d'acier tordus. La chute l'avait quasiment détruite. Pix leva une main et l'agita pour lui souhaiter adieu. Puis il la tendit en avant. Sa force télékinésique afflua dans ses veines, s'échappa de ses doigts et circula dans l'air.
Ce qui restait de la cyborg se mit à se tordre et se déformer dans un gémissement de métal. La moindre pièce se désolidarisa du reste en cédant à la pression exercée. Pix en fit une balle de métal grossière et la tassa avant de la jeter plus loin. Il s'épousseta les mains.
— Un soucis en moins.
Il allait partir quand la balle de fer se mit à briller. Une sorte de lueur blanchâtre s'en échappa et serpenta dans les airs. La lumière avait l'apparence d'une jeune fille avec des tresses africaines. Pix sentit une partie de son esprit hurler au fantôme mais il s'en approcha quand même. La fantôme ressemblait à Grâce, en moins robotique. Elle le fixa longuement avec un regard mort puis inclina la tête avant d'afficher un léger sourire.
— Merci, murmura-t-elle.
Elle s'effaça progressivement jusqu'à disparaître dans l'atmosphère. Pix fixa son emplacement encore quelques instants. Il venait sans doute de voir l'âme de Grâce, celle qui était emprisonnée dans un corps de robot. En la détruisant, il l'avait libéré...
Il se remit en marche, la tête ailleurs. Il avait encore ses amis à aller chercher. Il sortit du hangar en défonçant la double porte blindée. Il flotta dans les couloirs en tentant de se rappeler de la configuration de cette tour labyrinthe. Ses yeux noirs et émeraude pivotèrent en direction du sol. Il allait se faire un raccourci.
Quelques sols, plafonds et cloisons détruits plus tard il arriva dans un énième couloir dans lequel il sentait la présence de Derak. Il lévita jusqu'à une porte et il l'ouvrit par la force. Il pointa sa tête dans la sorte de chambre et vit justement le jeune homme allongé sur un des lits. Pix afficha un grand sourire et vola jusqu'à lui.
— Derak ! C'est moi mon pote !
Le concerné sursauta et se redressa d'un coup avant d'hurler à pleins poumons. Toujours en flottant, Pix l'attrapa et le serra dans ses bras en disant qu'il était super heureux de le revoir. Paniqué, Derak tenta de se dégager.
— Oui, moi aussi je suis content de te revoir, bredouilla-t-il.
— Ben quoi ? fit Pix. Pourquoi t'as peur ?
Derak voulut lui répondre que rien qu'à sa tête on avait envie de s'enfuir ou encore que leur dernière rencontre s'était soldé par des griffures et des morsures. Il remua comme une chenille pour s'échapper et glisser des bras de Pix. Il tomba sur son lit et leva les bras prêt à se défendre. Il tremblait légèrement. C'était pourtant stupide : Pix état son ami. Mais actuellement, il ne le reconnaissait pas et en avait peur.
— Ah... réalisa Pix. Ça va j'ai compris.
Il se laissa retomber au sol et trois de ses yeux se fermèrent et s'effacèrent. Ses yeux habituels reprirent une couleur normale et ses sourcils se remirent dans leur position initiale, c'est-à-dire inclinés vers le bas. Pix regarda Derak avec son air de chien battu et se mit à pleurer.
— Désolé...
— Mais arrête un peu, soupira Derak.
— Je suis un monstre ! glapit Pix en essuyant ses larmes avec les bras.
— Arrête ! répéta Derak. Bon reprenons depuis le début : qu'est-ce que tu fais là ? Et t'étais où pendant deux semaines ?
Pix renifla bruyamment et avala tout ce qu'il avait dans le nez, ce qui arracha une grimace de dégoût à Derak.
— J'étais dans une cellule capitonnée et sous sédatif donc j'ai pas pu faire grand-chose. Y avait aussi une psychiatre qui me parlait... Je me suis souvenu de pleins de trucs sur mon passé ici, à force... Je suis né dans ce monde à la base.
— Ouais, j'ai cru comprendre qu'un accident t'avais envoyé dans notre monde... Mais ce qui me turlupine c'est le fait que tu aies été normal pendant tout le collège et que là...
— J'avais oublié... Refoulé tout ça. Mais en arrivant ici, un événement a fait ressortir ces souvenirs et ma deuxième personnalité...
— Bon, on doit s'attendre à quoi concrètement pour la suite ? Je doute que tu restes tranquille une fois rentré...
Il y eut un petit silence durant lequel Pix chercha les mots à utiliser.
— Crise de démence... répondit-il d'une petite voix. Et mon deuxième moi qui switch de temps à autre... J'ai aucun contrôle là-dessus.
— Ah te remet pas à chialer ! pesta Derak en voyant les larmes monter. Tu fais quoi ici ??
— Je... Je suis venu vous chercher pour qu'on puisse rentrer à la maison. Retrouver nos amis... Au fait.. Où sont les filles ?
Derak ne put soutenir son regard plus longtemps et fixa ses pieds en se mordant la lèvre. Hors de question qu'il se mette à pleurer lui aussi.
— Bon, on ne sait pas trop comment faire pour rentrer concrètement, dit-il pour ne pas aborder le sujet. Mais on pense que Saurac détient un miroir comme celui qu'on a brisé en arrivant. Ça pourra marcher ?
— Oui, mais les filles ?
— Viens, on va commencer par chiper le miroir de ce vieux serpent ! lança Derak avec entrain.
Il ramassa ses chaussures, des sortes de claquettes d'hôpital, les enfila et se dirigea vers la porte en faisant semblant d'être content. La main de Pix se referma sur son bras et Derak s'immobilisa en sentant des ongles pointus sur sa peau.
— Derak, où sont les filles ? demanda-t-il.
Le vampire osa lever le regard vers Pix et regretta aussitôt en croisant ses cinq yeux sinistres. Pix les fit disparaître et redemanda d'une voix plus douce. Derak serra les dents et laissa tout sortir en hurlant :
— Gabi se fait examiner la cervelle et Angèle est sûrement morte à l'heure qu'il est, voilà t'es content ???
Pour une fois, il ne put retenir les larmes qui débordaient de leur vase, ni les sanglots qui s'accumulaient dans sa gorge. Pix se décomposa.
— Comment ça... Angèle... est morte... ?
Derak inspira pour pouvoir se redonner un peu de contenance et se calmer.
— Saurac l'a emmené pour lui retirer son pouvoir, ça va faire cinq jours. Et après ce qu'on à découvert sur les détraqués, elle va en mourir. C'est ce que Saurac fait de ses patients à la fin : elle les tue et leur retire leur magie... À l'heure actuelle... elle doit sûrement... Et moi j'ai rien pu faire...
Il cogna son poing contre le mur en pinçant les lèvres. Pix lâcha progressivement son bras et fixa le sol à son tour, ne réalisant pas.
— Et Gabi ? demanda-t-il.
— Saurac l'a prise pour lui étudier la cervelle, elle arrête pas de lui dire qu'elle est une émeraude... Je comprends vraiment pas... (il eut un petit rire nerveux) Et t'as moi, qui reste là parce que je suis sûrement inutile, même pour la scientifique psychopathe. C'est triste quand même...
— Alors on peut encore sauver Gabi ! lança Pix. C'est pas parce qu'Angèle n'est plus là qu'on doit tout arrêter !
Derak fit deux pas en arrière, le coeur cognant. Comme une proie face à prédateur, il sentit qu'il devait fuir un danger imminent. Pix parlait d'une manière étrange. Comme s'il y avait deux voix qui se superposaient, pas tout à fait comme il le fallait. Deux ton bien distinct qui ne formaient qu'un.
— T'entends ce que tu dis ? croassa Derak en secouant la tête. Non mais...Ça ne te fait rien de savoir qu'on ne reverra pas Angèle ??
— Mais c'est pas moi ! protesta Pix d'une voix brisée. C'est l'autre ! Toujours ma faute !!
Derak prit encore ses distances quand Pix se griffa le visage d'un geste sec. Le jeune homme écarquilla les yeux, autant à cause de sa blessure qu'à cause de la réaction de Derak. Sa lèvre du bas trembla et des larmes humidifièrent ses yeux.
Sa voix se brisa.
— T'as peur de moi ??
— Mais c'est flippant ce que tu fais, se justifia Derak.
— Je te jure que je fais pas exprès ! Bon en s'en fiche ! Faut aller sauver Gabi ! Tu viens ?
Séchant d'un seul coup ses larmes, Pix se lança en trottinant et sortit de la chambre. Il s'arrêta dans l'encadrement et se retourna en voyant que Derak ne le suivait pas. Il le regardait avec incompréhension à cause de son changement de comportement d'une seconde à l'autre.
— Ben tu fais quoi ? Dépêche !
— Mais qui dit que tu m'attaqueras pas en chemin ?
— Tu me fais pas confiance ? couina Pix.
— C'est pas ça... C'est juste que... Pour être honnête tu me fais peur maintenant...
Le silence s'installa. D'un côté la honte d'avoir été trop honnête, de l'autre la désillusion face à la réalité. Pix resta immobile, sans pouvoir croire la réaction de son ami. Il ne pourrait pas supporter que ses amis ne l'aiment plus, n'aient plus confiance en lui... La tristesse l'envahit à nouveau et l'emporta. Il baissa la tête, abattu. Après quelques secondes, il la releva. Il fixa Derak avec ses yeux de démon.
— Va pourtant falloir m'accepter comme ça maintenant. Je ne serai plus jamais comme avant. Je peux rien y faire. Maintenant on va chercher Gabi parce qu'on perd du temps. T'as toujours été comme ça de toutes façons. Tu procrastines, tu refiles toujours la patate chaude aux autres, en bref tu esquives absolument tout en espérant que ça marche quand même. J'y vais et compte plus sur moi pour t'attendre.
Pix disparut dans le couloir, laissant un Derak déstabilisé en plan dans la pièce. Il se répéta mot pour mot ce qu'il venait de se dire. Et se dit que c'était juste tout ça. Même s'il jouait le mec confiant, sûr de lui et jovial, au fond il s'esquivait à la moindre occasion. Rien que dans cette tour, il n'a jamais pris la moindre initiative. Il restait là, à attendre que quelqu'un propose quelque chose.
Il souffla et se dirigea vers la sortie de la chambre en courant. Il cria à Pix de l'attendre. Ce dernier se jeta sur lui en pleurant, surgit de derrière l'encadrement de la porte.
— Je suis désolé !!! glapit-il en le serrant dans ses bras. Je suis horrible de dire des choses comme ça !
— Laisse, c'est la vérité... répondit Derak en s'écartant.
Il craignait toujours que Pix décide de le mordre d'une seconde à l'autre. Le garçon renifla en s'excusant.
— Bon, allons chercher Gabi avant que la folle ne lui ouvre vraiment le crâne ! lança Derak.
Les deux garçons se mirent en route dans les couloirs, bien déterminé à la retrouver et rentrer chez eux.
***
La battement ponctuel d'un électrocardiogramme était le seul bruit audible en plus de la ventilation. Il était relié à un corps de jeune fille étendue sur un lit de réveil. Deux yeux bleu éteints et entourés de cils blancs s'ouvrirent doucement. En dessous, une bouche entrouverte formait de la buée sur un masque à oxygène. Des cheveux blancs s'étendaient sur l'oreiller et beaucoup étaient cassés et jonchaient le matelas.
Les yeux morts pivotèrent en direction de l'écran de l'électrocardiogramme et de ses pics réguliers. Des informations comme la concentration en oxygène dans le sang, le rythme cardiaque ou autre accompagnaient la ligne mouvante. Les yeux se posèrent ensuite sur les multiples câbles plantés dans un avant bras blanc comme du marbre. Elle tenta de bouger les doigts mais ses fibres nerveuses ne répondirent pas.
Angèle se sentait encore endormie et faible. Comme si elle sortait d'un sommeil millénaire. Ou du coma.
Elle attendit encore une bonne demi heure avant de pouvoir enfin remuer ses membres engourdis. Les sensations revinrent petit à petit. Elle se redressa avec difficulté sur ses coudes et fut essoufflée d'un seul coup. Elle qui songeait à enlever le masque à oxygène le plus vite possible, elle comptait le garder au final. Elle reprit son souffle et traina les jambes au bord du lit. Elle posa les pieds à terre, s'appuya sur les meubles et se leva.
Ses jambes flageolantes eurent une peine immense à la porter. Elle s'accrocha à son porte perfusion et fit un pas. Elle crut qu'elle allait s'effondrer au sol. Mais elle tint bon et fit un autre pas. À une vitesse d'escargot, trainant sa perfusion et la machine à oxygène derrière elle, elle traversa la salle de réveil. Elle était en chemise d'hôpital et n'avait rien aux pieds.
Arrivée à une sorte de lavabo elle s'y appuya de tout son poids. Elle inspira et expira bruyamment et reprit sa respiration. Tous ses muscles tremblaient et ne la portaient pas. Elle avait l'impression d'être complètement vide à l'intérieur. Elle leva les yeux vers le miroir au dessus du lavabo.
Elle ne reconnut pas ce qu'elle vit. Ses cils avaient complètement blanchis, tout comme ses sourcils. Auparavant, seuls ses cheveux étaient blancs. Sa peau était encore plus pâle, hormis ses taches de rousseur et même son regard semblait terne. Un bleu banale...
Impossible de savoir ce qu'il s'était passé dernièrement. Elle se souvenait du moment où on l'avait anesthésié, puis le black-out complet et son réveil. Que s'était-il passé entre temps pour que son apparence ait changé et qu'elle se sente si vide ?
Craintivement elle regarda ses mains. Elle redoutait ce qui allait suivre, mais elle n'avait pas le choix et devait savoir. Elle pivota en direction d'une table couverte de feuilles un peu plus loin. Elle avança une main en avant pour commander une bourrasque de vent et faire envoler la paperasse. C'était la première chose qu'elle savait faire avec ses pouvoirs.
Mais absolument rien ne vint... Elle essaya maintes fois, mais rien ne répondit. Elle avait juste la sensation de tendre un bras et chercher à faire quelque chose d'impossible. Quelque chose qu'elle ne savait pas faire...
Elle s'effondra à terre en pleurant et serra les bras contre elle. Ce n'était pas possible... Elle ne pouvait pas... Les avoir perdu... C'était pourtant la seule explication.
Ses larmes tombèrent au sol et elle resta prostrée à terre sans pouvoir bouger. Elle attrapa les élastiques de son masque à oxygène et le retira, pour respirer autre chose que de l'air en bouteille. Elle le jeta faiblement plus loin et se releva avec peine. En s'appuyant contre le porte perfusion elle se dirigea vers la porte et ouvrit. Elle ne s'étonna même pas qu'on ne l'ait pas enfermé. Sa tête était ailleurs désormais.
Une fois dans les couloirs elle ne sut pas où se rendre. Elle faisait bien pitié, courbée en avant, agrippée à son porte perfusion et tremblante comme une feuille. Ses cheveux emmêlés lui tombaient sur les épaules, aussi blancs que ses cils.
La peur à l'état pur circula dans ses veines quand le claquement sec d'une paire de talons retentit dans son dos. Angèle ne se retourna pas et allongea le pas, espérant s'enfuir à la vitesse à laquelle elle allait. Les pas s'arrêtèrent et un son surpris se fit entendre.
— Par les Douze...
Angèle jeta un œil par-dessus son épaule. Saurac s'était stoppée en plein milieu du couloir et avait lâché ses feuilles. Lentement elles tombèrent en tourbillonnant jusqu'au sol. Un immense sourire déforma son visage.
— Je... c'est incroyable ! Angèle c'est incroyable ! Tu es en vie !
L'ange reprit sa fuite en se disant que plus longtemps elle resterait là, pire ce sera. Ses jambes refusaient obstinément de lui prêter un peu de force et elle s'essoufflait rapidement. Saurac se mit en marche et la suivit sans peine.
— Tu es une pionnière ! Angèle tu es la première et la seule à avoir survécu à l'extraction de ton pouvoir après cinq jours de coma !
Elle tira soudain la grimace et sa langue de serpent siffla entre ses lèvres. Elle se donna une tape contre la tempe, plusieurs fois. Puis sa grimace partit comme elle était venue et Eileen lâcha un rire aigu et hystérique. Les rides qui se creusèrent sous ses yeux et sur ses joues ne la rendaient que plus sinistre. Déjà que son regard rempli de sadisme donnait juste envie de s'enfuir en courant. Ce qu'Angèle ne pouvait pas faire.
— Tu sais ce que j'ai fait de toi pendant tout ce temps ? poursuivit Saurac. J'ai cherché ! Quand je t'ai ouvert, je pensais trouver ton âme et ton pouvoir logés dans ta cage thoracique, avant de me rappeler que tu n'étais pas de ce monde. Alors j'ai cherché où était caché ton pouvoir. Et je l'ai trouvé.
Angèle s'étala de tout son long contre le sol gelé. Elle ignora la douleur et se releva en tremblant. Comme dans un film d'horreur Saurac continuait à la suivre en marchant. Le son sec de ses pas était insupportable.
— J'ai découvert le secret de vos pouvoirs dans le Premier monde. Je n'avais pas encore fait d'expérience sur Alix, alors c'est toi qui m'a ouvert les yeux. Il se trouve que ton corps possède des sortes de glandes spéciales qui sécrètent de la magie ! Une magie qui circule dans le sang, approvisionne les cellules et vous alimente en permanence. J'ai donc retiré ces glandes et filtré l'intégralité de ton sang pour récupérer ce qui m'intéressait. Et cela a donné un genre de carburant magique très énergétique ! C'est juste magnifique ! Encore quelques litres et j'aurais assez pour alimenter la machine qui me permettra d'ouvrir des portails entre les mondes !!! Je pourrais enfin ramener la magie et la lumière dans le Souterrain et après ça on me considèrera comme un dieu !
Elle fut prise d'un grand éclat de rire et essuya des larmes perlants à ses yeux de vipère. Plus loin, Angèle se mit à pleurer... On lui avait bel et bien supprimé ses pouvoirs pour toujours... Sans ces organes spécifiques, elle n'était plus qu'une sans-pouvoirs.
Ses jambes se dérobèrent complètement sous son poids et cette fois-ci elle ne put se relever que sur ses avants bras et ses genoux. Elle n'en avait plus de force, ni physique, ni psychologique. Après l'avoir contournée, Saurac s'arrêta au dessus d'elle en souriant. Elle tapota avec ses doigts sur sa montre connectée, puis s'accroupit, les avants-bras appuyés sur ses cuisses. Elle attrapa une sorte de seringue au fond de la poche de sa blouse et l'enfonça rapidement dans le bras d'Angèle, qui couina de douleur.
— Histoire que tu restes tranquille... expliqua Saurac. Je ne voudrais pas que de vieux réflexes de survie te permettent d'aller te promener. Tu peux remercier ton ami Pix, il nous a aidé à développer tout une gamme de neuroleptiques, à l'époque où il était un démon tout sage...
Elle se redressa en soupirant puis se redonna une tape sur la tempe. Angèle s'effondra complètement au sol, le calmant faisant déjà effet.
— Je vais laisser mes assistants s'occuper de toi et te remettre sur pieds. Tu as l'air épuisée et bien terne. Tes cils sont tous blancs, ton corps a dû avoir un sacré contrecoup. En attendant je vais aller voir ta copine, Gabi. Elle a sûrement des choses à me dire. J'en ai terminé avec toi pour le moment. Repose toi bien.
Plusieurs personnes arrivèrent dans les couloirs et chargèrent Angèle sur une civière avant de la ramener dans la salle de réveil qu'elle avait peiné à quitter. Ils la transvasèrent sur un des lits et la bordèrent comme une enfant avant de s'occuper des équipements autour. Enfermée dans sa bulle et isolée de tout, Angèle ne réagissait plus. Elle se laissa faire sans aucune résistance. Sans aucune pensée pour le passé, le présent ou l'avenir.
***
Aux anges, Eileen aurait presque sautillé de joie si elle ne portait pas ses talons. Elle se souvenait encore de la béatitude en découvrant le secret des pouvoirs du Premier monde. Des organes sécrétant de la magie à l'état liquide, directement dans le sang, c'était incroyable ! Et les autres avaient aussi ce genre de pouvoirs ! Une violente douleur à la tête calma aussitôt son euphorie et elle se stoppa net. Courbée en avant, les mains sur les tempes, elle serra les dents. Ses acouphènes firent siffler ses oreilles. Elle se frappa le front, comme si ça pouvait chasser la douleur.
— Non Phyllis, je ne prendrai pas cette fichue vitamine C !! cria-t-elle en faisant volte face.
Personne dans son dos... Pourtant elle était certaine d'avoir entendu des murmures. La douleur la quitta instantanément et elle se rappela que Phyllis n'était plus là. Elle était partie, envolée avec l'explosion d'il y a six ans... Les seuls murmures qu'elle entendaient provenaient de son miroir, au chaud, dans sa poche. Elle s'était convaincue de cette option là, refusant de croire qu'elle imaginait ces voix... Elle soupira et se remit en marche.
Un café ne sera pas de trop pour l'aider à tenir la nuit...
Elle s'arrêta à un vieux distributeur inchangé depuis cinquante ans. Dire qu'à la cafétéria une unité centrale servait tous les plats du monde en quelques secondes, juste en appuyant sur un bouton. Cette vieille machine avait besoin de pièces de monnaie, d'une minute entière pour faire couler un café dans un gobelet et ne proposait que deux sortes de boissons. Saurac attrapa son gobelet fumant de café sans sucre et l'avala en se brûlant la gorge.
Elle reprit sa route et après plusieurs ascenseurs elle arriva dans le couloir des salles d'examens. Elle entra dans la deuxième après avoir scanné son badge. Elle s'installa à un bureau et alluma l'ordinateur holographique. Il afficha l'enregistrement d'une activité cérébrale. Saurac tourna sur sa chaise vers la patiente assise et attaché à une chaise, portant des électrodes sur tout le crâne.
— C'est quand même drôle ce fait que tu soies molle au quotidien mais que ton activité neuronale tourne à pleine régime.
Gabi ne prit même pas la peine de lui adresser un seul regard. Elle était séquestrée ici depuis des heures et commençait à avoir mal au coccyx à force de rester assise. Son dos était également en train de décéder. Elle aurait bien profité de l'absence de Saurac pour se tailler, mais le regard rouge d'un de ses robot brillait dans un coin de la pièce, sans bouger. Elle n'avait donc pas tenté la fuite, sachant bien qu'elle signerait son arrêt de mort...
— Je prendrai le temps qu'il faudra, mais je finirai bien par te soutirer des informations. Que signifie réellement ton œil de cristal ? Quel lien partages-tu avec Emi ?
Gabi fit semblant de ne pas l'entendre. Il était hors de question de lui dire quoi que ce soit. Emerald l'encouragea une énième fois à garder le silence mais lui conseilla tout de même d'essayer d'avoir des infos de la part de la scientifique. Celle-ci tiqua en voyant un pic d'activité cérébrale s'afficher à l'écran.
— À quoi tu penses jeune fille ? se demanda-t-elle. Et par les Douze réponds moi !
— Comment avez-vous entendu parler des Douze ? questionna Gabi.
— Mais tout le monde connait ces dieux petite sotte ! Ils étaient là bien avant que le monde ne se scinde en trois. Ils étaient des hommes et des femmes aux pouvoirs surpuissants. On dit que leurs yeux et leurs cheveux étaient en cristal.
— Hum hum... marmonna Gabi.
— Nos mondes ont une histoire commune, c'est pour cela que je connais aussi les Douze. Une histoire commune de plus de deux milles ans, mais qui a subitement prit fin durant la grande Guerre. Dieu a provoqué cette Guerre afin de libérer les hommes de l'emprise des Douze. Mais il se trouve qu'il a mystérieusement disparu en même temps qu'eux, alors qu'il prévoyait un règne de quatre millénaires sur trois nouveaux mondes.
Gabi avait déjà une info : c'était bel et bien Obsidian, alias Dieu qui a provoqué la Guerre et la dislocation. Il avait également disparu en même temps que les Douze. Il ne restait plus qu'à savoir où Saurac avait entendu tout cela.
— Je n'ai jamais lu ça dans aucun livre, relança-t-elle.
— Évidemment puisque chaque monde possède sa version de la vérité. Chez nous, il n'y a absolument rien dans les livres. Plus rien, hormis certains miroirs spéciaux et l'héritage des Veilleurs, ne permet de savoir ce qu'il s'est passé avant la Dislocation. Parce que notre monde a tout simplement fait la chose la plus logique à faire face à ces dieux qui nous ont enfermés dans l'obscurité et privés de magie : tourner le dos aux Douze. Beaucoup pensent que leur époque est révolue, mais moi je sais qu'on aura bientôt besoin de la puissance des dieux pour nous sauver de la fin du monde.
— Fin du monde ? soupira Gabi.
— Tu ne le sais donc pas ? s'étonna Saurac. Ma pauvre.
Elle se leva prestement de sa chaise et s'avança à une table. Elle saisit un stylet noir entièrement en plastique et se mit à écrire en l'air avec. Elle traça un cercle lumineux et bleuté, puis deux autres.
— Tu vois ça ? Il s'agit des trois mondes.
Elle les numérota de un à trois avec son stylo magique. Elle hachura l'espace entre les cercles.
— Et ça, c'est l'Entre monde, la barrière qui sépare les trois. Cependant, depuis quelques années, elle commence à s'effriter. Notre monde est la première victime : des Ombres sont apparues en masse et errent dans les souterrains. Ces créatures viennent de l'Entre monde à la base, mais quelque chose leur a permis de s'en échapper. Encore aujourd'hui la barrière entre les mondes continue de s'effriter. Il y a six ans, un passage s'est ouvert à cause d'un surplus d'énergie lors d'une explosion. Et il y a deux semaines, vous débarquez. C'est la preuve que les choses changent et finiront par faire s'effondrer les mondes. Ce n'est qu'une question de temps avant que les deux autres dimensions ne se fassent envahir par les Ombres et les ténèbres.
— Et bien ça a l'air horrible. Mais où avez-vous entendu cela ?
Saurac plongea la main dans la poche de sa blouse blanche et en extirpa un miroir de poche en forme de disque. Elle balaya les écritures néons d'un geste de la main et exhiba son objet avec un sourire en coin.
— Ce miroir murmure des choses fascinantes aux oreilles des gens. Des échos du passé. Des voix qui me chuchotent l'Histoire des Douze, des mondes et de Dieu au creux de l'oreille. Ce miroir est le témoin de l'ascension d'un dieu déchu, de son statut d'anomalie à celui de sauveur et créateur des mondes. La mémoire de Dieu en personne
Elle passa un pouce sur le miroir, un sourire aux lèvres. Gabi s'autorisa un sourire discret. Finalement, Saurac était vraiment stupide. Elle venait de lui déballer sur un plateau d'argent plusieurs informations essentielles. Si Gabi arrivait à attraper le miroir, elle aura accès à quelque chose de crucial pour leur mission.
— Donc le monde va s'effondrer ?
— Pas si je trouve une solution pour le sauver. Et je l'ai déjà trouvée !
Elle se mit à rire, comme si la situation était hilarante. Son rire se transforma en quinte de toux violente. Gabi la vit cracher quelque chose dans sa main. Eileen y jeta un regard dépité, puis essuya sa main dans un mouchoir, qu'elle lâcha ensuite au dessus de la poubelle. Du sang rougissait le papier... Saurac se donna une tape sur la tempe en grimaçant.
— Tout comme Dieu a rassemblé la puissance des Douze il y a 3993 ans pour scinder le monde en trois, je n'ai qu'à rassembler la même collection de cristal pour obtenir le pouvoir de sauver le monde. En plus de ramener la lumière et la magie chez nous, en plus d'aider l'humanité à évoluer jusqu'à la perfection, je sauverai les mondes. Je deviendrai moi-même un être puissant, éternel et omniscient, adoré de tous ! Je me tiendrai aux côtés de Dieu ! Alors soit gentille Gabi et donne moi ton oeil en émeraude.
Toujours en souriant elle regardait Gabi d'un air malsain. Les cernes sombres autour de ses yeux déments qui ne faisaient que renforcer le côté sinistre de ses iris de serpent.
— Allez au diable espèce de tarée ! répliqua la jeune fille avant de se prendre une gifle.
— Change de ton ! ordonna Saurac en secouant sa main endolorie.
Gabi sourit malgré la baffe cinglante qu'elle s'était prise. Ça faisait tellement de bien de dire tout haut ce qu'elle pensait. Elle se prit un deuxième soufflet gratuitement qui la fit saigner du nez.
Maintenant énervée, Saurac déclara qu'elle en avait plus qu'assez pour aujourd'hui. Elle partit éteindre son ordinateur avant de s'arrêter et de regarder Gabi. Son sourire mielleux n'augura rien de bon.
— Je vais descendre faire un tour à la morgue. J'aimerais récupérer les ailes d'ange de ton amie avant de m'en débarrasser au crématorium.
Ces dernières phrases achevèrent Gabi. Elle leva la tête sans y croire, le cœur cognant. Ravie de l'effet provoqué par son mensonge, Saurac la salua et s'en alla de la pièce, sans la détacher de sa chaise.
Gabi sentit une larme rouler sur sa joue. Un concentré du peu énergie qui lui restait dans le corps. La voilà qui se sentait vidé d'un seul coup. Emerald tenta de la rassurer, mais la jeune fille n'avait plus le cœur à entendre quoi que ce soit. Elle était pourtant ravie d'avoir obtenu les infos qu'elle cherchait. Ce n'était plus le cas...
Saurac savait pertinemment où piquer pour faire mal.
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