Chapitre 29: L'assassin n°1
— Le plan est simple, en théorie ! On repère Stone, on se met à quatre sur lui avec des pistolets, des objets tranchants et nos pouvoirs, et on se jette sur lui pour créer un effet de surprise tel qu'il n'aura pas le temps de savoir ce qui lui arrive ! Et enfin on le tue, on récupère ses âmes et on se barre en courant comme des fous. Simple et efficace !
La tablé répondit à Matt par un grognement typique du réveil à l'aube. Seul l'elfe semblait frais pour démarrer la journée. Les trois autres avaient la tête dans le gaz et dormaient dans leur bol de chocolat froid. Le reste du réfectoire était plutôt vide à cette heure là.
— Et si on le trouve pas ? demanda Sarah.
— On balance quelqu'un de très bruyant au milieu de la rue et on attend que Stone le descende pour attaquer !
— T'en as d'autre des idées de génie comme celle-là ? demanda Ren, agacé.
— De toute façon on le trouvera ! Faites confiance à mon instinct, ça va le faire ! On va récupérer les six milles âmes et des brouettes qu'il a sur lui comme ça on en sera à neuf milles environ ! On sera rentré chez nous en un instant ! Je sens déjà l'odeur de notre piaule à l'internat.
— Le panier à linge sale qui dégueule, les cadavres de chaussettes qui pourrissent sous vos lits, la senteur délicate des fringues de sport de Ren en train de sécher en boule derrière la porte de la salle de bain, énuméra Sarah. Que de senteurs bucoliques !
— Enfin bref, on termine de manger, on va se préparer et on se met en route. Je propose de commencer par la galerie commerciale. C'est à côté du métro en plus, en cas d'imprévu on pourra se rendre là bas en cinq minutes !
— J'en veux pas de l'imprévue ! protesta la démone. Hors de question de clamser encore une seule foutue fois !
— Bon en route mauvaise troupe, lança Nya en raclant le fond de son bol avec la langue. On passe à l'action et on rentre.
Quelques minutes plus tard, le quatuor était dans le métro aérien, filant à toute vitesse au dessus de la ville. Matt avait le nez collé aux vitres et ses yeux pétillaient comme ceux d'un enfant devant les vitrines de Noël. Dans le même style, Sarah bombardait de photos avec son portable, malgré ses dix pour cent de batterie restant. Assis sur sa banquette Ren pesta contre l'étiquette qui dépassait de son col montant et qui lui grattait la nuque. Il tira ensuite sur une de ses ceintures trop serrée en soufflant. Finalement, après moult insistances, il avait opté pour des vêtements plus locaux.
— Tu ressembles trop au gars de Assassins's Creed comme ça, s'amusa Nya assise en face. Presque la même tenue ! Mets la capuche pour voir ?
Ren la foudroya du regard et croisa les bras avant de se tourner vers la vitre sale du métro. Nya souffla.
— Ça va, je voulais juste plaisanter ou détendre l'atmosphère...
— Je t'ai rien demandé.
Nya fit la moue en se demandant s'il allait continuer à lui parler longtemps comme ça. Elle se leva et épousseta la combinaison pantalon qu'elle portait. Elle marcha jusqu'au deux autres, qui bavaient devant la tour de l'horloge qui se dessinait au dessus des toits, dans la lumière du matin. Elle s'assit près d'eux et regarda le paysage qui défilait derrière la vitre en attendant le terminus.
De son côté Ren se tassa dans son fauteuil en soupirant longuement. Tout ceci le fatiguait... Ils étaient venu ici simplement en cassant par accident un objet, et maintenant il fallait tuer des centaines de personnes pour ramasser leurs âmes et rentrer. Rien n'était simple ni acquis dans la vie décidément. Pourtant leur existence semblait si banale, si répétitive et sans fin. Les jours à l'école semblaient s'enchaîner à l'infini. Il aura fallu d'un rien, d'une chute pour que tout change. S'ils arrivaient rentrer, pas sûr que les choses allaient redevenir comme avant en plus.
Au dessus de sa tête, le micro des annonces se mit à crachouiller. Ren leva la tête vers le haut parleur.
— Mesdames et Messieurs, suite à un problème technique à la gare du grand magasin, l'arrêt s'effectuera à la station suivante, merci de votre compréhension. Votre cher conducteur vous souhaite une très bonne fin de voyage.
Le micro se coupa sur un rire tandis que le silence planait dans la rame. Seul le bruit des engrenages au dessus du train et son bruissement quand il avançait se faisait entendre.
— Attendez... Le grand magasin n'est pas censé être le terminus de la ligne C ? demanda une dame dans le wagon.
— Mais si ! s'exclama une autre femme. Les rails continuent seulement jusqu'à un vieil entrepôt, dans la banlieue de la ville.
Entre temps, Ren se rapprocha de ses camarades, qui n'en menaient pas large. Tout comme le reste des passagers : le stress commençait à contaminer l'air.
— Y a que moi que ça inquiète cette histoire de terminus ? questionna Matt, blanc comme un linge. Sérieux il se passe quoi ? On s'arrête pas au terminus, mais après ? Mais après y a plus qu'un entrepôt ? Ah mais si c'était un piège en réalité ?? Oh par les Douze, on est foutu !!! C'est pas un imprévu ça, c'est un giga imprévu !
— Piège...
Ren se rappela de son premier trajet en métro dans ce monde. Lorsque l'assassin masquée avait stoppé le train pour attaquer... Ça recommençait. Ils subissaient encore une attaque. Mais de qui ? Le jeune homme remonta l'allée centrale en demandant aux autres de le suivre. Il joua des coudes entre les passagers et s'avança jusqu'au wagon de tête.
Il tambourina contre la porte menant à la cabine du conducteur, seul endroit d'où étaient diffusés les annonces. Il hurla d'ouvrir. Nya le dégagea et demanda de s'écarter. Elle leva la jambe et ouvrit la porte avec un coup de pied. Matt fut le premier à se faufiler dans la cabine en brandissant un pistolet. Mais il n'y avait personne.
— Où est le conducteur ? demanda l'elfe en baissant son arme.
— Bang...
Un coup de feu explosa l'air à la gauche de l'elfe et un nuage de sang jaillit de la tempe de Matt. Regard vide et fixe, il tomba sur le côté et s'écrasa sur le sol métallisé. Ren, Nya et Sarah reculèrent, horrifiés. À hauteur d'homme, on pouvait voir le canon fumant d'un pistolet qui dépassait du contour de la porte.
D'un pas théâtral, Stone s'avança dans l'encadrement, un bras dans le dos et l'autre tendu avec son flingue dans la main. Il afficha un grand sourire sinistre.
— Salut vous deux, lança-t-il à Ren et Nya. Ça faisait longtemps ! Et salut jolie fille, ajouta-il avec un regard soutenu à Sarah.
Les âmes appartenant à Matt rejoignirent la pierre de Stone et son corps disparu. Rictus en coin, l'assassin se rapprocha d'eux, à mesure qu'ils reculaient.
— Qu'est-ce que tu fabriques jeune homme ? cria une dame en se levant. J'ai un rendez-vous et toi tu décides d'attaquer mon métro ??
Une balle en pleine tête la réduisit au silence. Stone ramassa ses âmes pendant que tout le monde fuyait au fin fond du métro. Tous, sauf trois. Ren, Nya et Sarah gardaient une distance de sécurité avec Stone, mais ne fuyaient pas. Ce qui le fit rire.
— Tiens donc, vous avez envie de mourir ? Merci, vous êtes trop gentils les copains ! Je vais pouvoir étaler tout votre sang par terre.
— La ferme ! ordonna Ren. Je vais te faire payer le coup de couteau de l'autre jour, sale meurtrier.
La rage se lisait dans son regard tandis qu'il attrapait un couteau de combat. Les deux filles dans son dos, saisirent leur pistolet, prêtes à tirer. Stone exhiba sa dentition complète, avec un regard sadique.
— Ah ouiii ! Ta cicatrice est magnifique en tous cas ! Dire que c'est moi qui aie fait cette merveille !
— Tais-toi, tu vas crever !
— Oh, mais on ne s'est même pas présenté comme il faut ! Moi je suis Stone, mais ça vous le savez déjà ! Et vous ?
— Nya, Sarah et Ren ! cria l'américaine. Retiens bien nos noms parce que nous serons tes tueurs !
La nuque de Stone craqua quand il pencha la tête sur le côté pour éviter une balle. Nya jeta un regard incrédule à son pistolet.
— Mais comment t'as pu éviter ??
— Bon je commence à m'ennuyer ! lança Stone en dégainant deux pistolets de poing. Amusons nous tous les quatre !!
Une averse de balle s'abattît dans le wagon. Les adolescents se jetèrent à terre, à l'abri derrière les banquettes de cuir. Mains sur les oreilles et recroquevillés sur eux-mêmes, ils attendirent que le déluge cesse. En hurlant de rire Stone courut vers eux et pointa sa tête au dessus des dossiers. Ren leva brusquement la tête, assez vite pour voir le poing qui lui fonça dessus. Son nez explosa et un ruisseau de sang en coula. Un puissant et douloureux coup de pied le délogea de sa cachette. Ren se redressa sur ses coudes et rampa en marche arrière sur le sol. Stone se rapprochait, l'air dominant, un couteau dans la main.
Le train freina brusquement et Stone fut emporté dans l'allée centrale à cause de la vitesse. Ren s'agrippa aux sièges pendant que le métro ralentissait dans une longue plainte d'acier. Dans la cabine du conducteur Nya avait attrapé le levier de frein et arrêtait l'engin.
— Je crois que c'est notre arrêt ! lança-t-elle.
Le métro passa dans l'ombre d'un bâtiment et s'arrêta au fameux entrepôt en fin de voie. Nya attrapa une chaînette qui pendait et tira dessus. Les portes s'ouvrirent et les passagers s'échappèrent progressivement dans le vieux bâtiment à l'abandon, avant de fuir à l'extérieur. Ren en profita pour se relever et sortir. Il sauta depuis la porte et atterrit sur le sol un mètre plus bas. Sarah et Nya s'empressèrent de le suivre, puis le trio recula, prêt à bombarder Stone dès qu'il sortira du métro, toujours accroché à son rail de plafond et à un mètre du sol.
Un des carreaux de fenêtre explosa derrière eux suite à un coup de feu et les fit sursauter. Ils se retournèrent et ne virent que les brisures de verre qui chutaient jusqu'au sol. Un rire résonna sous le toit de tôle. Ils se tournèrent dans tous les sens pour en chercher la provenance.
— Vous vous enfuirez pas hein ? Vous me facilitez tellement la tâche que ç'en deviendrait lassant. Au risque de passer pour un arrogant, je vais rendre les choses plus amusantes, vous en pensez quoi ?
Ren se raidit en voyant Stone se pencher sous le train et leur sourire. Il était caché derrière.
— Hein les amis ?
Ren tira à l'aide de son pistolet et évidemment la balle se planta dans le métro. Stone ricana et continuait à marcher tranquillement derrière. Seules ses jambes étaient visibles sous le train. Arrivé au niveau d'une porte, il remonta dedans puis se pencha par la porte opposée à l'extérieur.
— Vous êtes des débutants et moi le pro. Vous êtes des souris et moi le serpent !
Il plongea le bras dans une poche de son manteau de cuir et en sortit une sorte de grenade. Alertée, Nya hurla de se mettre à couvert et il se précipitèrent en direction des conteneurs de stockage plus loin. Stone arracha la goupille avec les dents et leur balança la bombe dessus. Elle roula à terre et explosa dans un vacarme assourdissant. La déflagration les projeta tous les trois dans les airs. L'atterrissage de Ren fut douloureux et ses os vibrèrent. Il se redressa en rageant et remarqua un début de brûlure sur ses avant bras. Il tâta son étuis à la taille et ne trouva pas son pistolet.
— C'est ça que tu cherches ? demanda Stone.
Ren leva la tête, abasourdi et son cœur manqua un battement. Stone exhiba l'arme sous un rayon de soleil qui filtrait à travers la lucarne du toit de tôle. Il pointa l'arme sur Ren en souriant.
— Bang.
L'instant d'après Ren chuta à terre en se faisant rentrer dedans par une force prodigieuse. Dans sa chute, il vit Nya se prendre la balle en pleine épaule, à sa place. Elle se réceptionna avec quelques pas maladroits pendant que sa chemise s'imbibait de sang à vitesse grand V. Sa peau était brûlée par endroit à cause de l'explosion. D'abord dérouté, Stone hurla de rire devant la situation, agrippé à l'encadrement de la porte du métro pour ne pas tomber à terre sur le coup. Souffle rauque, Nya pressait sur sa blessure pour garder du sang. Elle se tourna vers Ren.
— Ça va ? demanda-t-elle.
Ren ne bougeait pas depuis ce moment où elle l'avait bousculé et s'était prise cette balle à sa place. Il ne la comprenait pas... Il ne savait plus quoi penser de cette fille.
— T'essaies de faire quoi là ? demanda-t-il.
Il n'y avait aucune animosité dans sa voix, qui tremblait légèrement. Nya souffla.
— Rien du tout.
— Pourquoi tu m'as sauvé ?? cria Ren. Pourquoi t'as fait ça ?? Pourquoi tu t'es encore blessé pour moi ?? Je le mérite pas !
— Roh la ferme ! répliqua Nya. T'as pas le droit de dire ça ! C'est moi qui ne mérite rien ici ! D'accord ?? C'est moi la méchante dans cette histoire Ren ! T'as vraiment une mémoire de poisson rouge !
Ses dernières phrases étaient enrouées et des larmes roulèrent sur ses joues sales. Elle les essuya et s'arma d'une lance de combat, qu'elle sortit de son épaule en sang.
— Moi, j'ai été horrible... Toi t'as rien fait... Moi je suis la méchante et toi la victime. Alors t'as raison de me traiter comme une moins que rien, c'est tout ce que je mérite et je l'accepte. Mais... Je ferai quand même tout pour me racheter.
Elle sourit, fit un pas en avant, puis un autre et se mit à courir droit sur Stone en train de s'étrangler de rire dans son wagon. Elle leva la lame de sa lance, prête à frapper et l'assassin rigola encore. Il essuya la larme qui perlait à sa paupière en reprenant son souffle.
— Je crois pas non !
Il pointa son flingue sur Nya qui criait pour se donner du courage. Au dernier moment, ce moment où on pensait qu'elle allait l'embrocher ou que Stone allait tirer, elle lâcha son arme. Stone s'écarta de la trajectoire de la lance avec surprise et Nya glissa sous le train, pour en ressortir de l'autre côté et monter à bord. Elle sortit un couteau de combat de son épaule saignante et lacéra l'air. Stone évita en paniquant et la lame finit par lui taillader les bras. Il donna un coup d'épaule pour dégager la jeune fille, agrippa les barres de plafond du train, remonta les jambes et repoussa Nya avec force.
Elle roula sur le sol et tomba du train. Elle effectua plusieurs roulades arrière et se réceptionna, accroupie à terre. Elle dévia une balle avec son couteau de combat et la lame se brisa. Elle jeta le couteau au loin, se leva et recula. En face d'elle, perché dans le train, Stone savourait sa victoire imminente. Il pointa un pistolet en avant. Nya ferma les yeux, prête à recevoir le coup de grâce. Un cliquetis retentit. Craintivement elle rouvrit un oeil. Stone croassa en regardant son arme qui n'avait plus de balles. Il la jeta à terre d'un air rageur.
Nya posa sa main sur son épaule en sang et dégaina un manche d'arme, puis une longue chaîne se déroula de sa blessure et enfin le tranchant d'une lame en jaillit. La jeune fille lança son arme en avant. Elle se planta brutalement dans le métro, près de la porte ouverte. Stone fit un bond en arrière avec un cri, puis partit en courant et changea de wagon. Nya tira d'un coup sec sur sa chaîne et récupéra sa lame. Elle la relança dans la foulée, en diagonale, le couteau brisa une vitre et se logea dans le dos de Stone.
— Yes ! Prend ça dans les dents bouffon !
Stone fit volte face, saisit la chaîne à deux mains et tira brutalement. Ne s'attendant pas à ça, et affaiblie par sa blessure, Nya chuta en avant et lâcha son arme. Elle se ramassa à terre en grimaçant. Elle n'eut pas le temps de se relever que trois coup de feu l'achevèrent. Penché par la porte, Stone soupira et sauta du métro. Il ramassa ses âmes. Il s'était reçu un coup de couteau dans le dos et avait des éraflures plein les bras, mais semblait ne pas sentir la douleur.
— Et ben, le blond a tenu deux secondes, Nya dix minutes, combien de temps vous allez tenir vous deux ? Hein Ren et Sarah ?
Assis à terre, le jeune homme n'avait pas bougé et avait regardé Nya se battre contre Stone. Foncer sur lui sans hésitation avec une balle dans l'épaule, alors que Ren était resté là sans rien faire. Il frappa son poing sur le sol. Cachée plus loin derrière un conteneur rouillé, Sarah s'en voulait aussi. Nya a été la seule à partir à l'assaut et eux l'avaient regardé sans lui venir en aide... Ils l'avaient laissé se débrouiller toute seule.
— Tu parles d'une amie... souffla la démone.
Ren se releva et planta son regard jaune dans celui rubis de Stone, qui patientait d'un air mielleux près du métro.
— Tu vas pas t'en tirer comme ça connard ! hurla Ren. Sarah !
— Reçu !
Ren posa un genou puis les mains à terre et de l'eau se répandit sur le sol, remplissant le hangar de quelques centimètres. Intrigué, Stone pataugea dans la flaque. Il regarda ses bottes trempées.
— Tu recommences avec tes tours de magie... dit-il tout à fait sérieusement.
Plus loin dans l'entrepôt, Sarah sortit de sa cachette, tendit les bras en avant en visant Stone. Une rafale de flammes orange s'échappa de ses paumes et fonça sur l'assassin qui avait ouvert des yeux gros comme des soucoupes. Sarah dirigea soudain son souffle de feu sur le sol. L'eau s'évapora instantanément à son contact, créant un épais rideau de vapeur sur l'ensemble du bâtiment. Déboussolé au milieu du brouillard brûlant, Stone se tourna dans tous le sens. Il ne pouvait plus voir ses adversaires.
Un objet tomba au loin et Stone tira une rafale de balle dans cette direction. Ren se reçut une balle perdue dans le bras. Il se retint de hurler à cause de la douleur fulgurante et son sang gicla. Son cœur se mit à battre dans son bras et bouger ses doigts fut douloureux. Il serra les dents et continua sa progression dans la vapeur, couteau en main. Son alter-ego n'allait pas s'en tirer comme ça.
— Vous faites des tours de magie hein ? fit Stone qui scrutait la purée de pois. Sans parler de vos apparences bizarres... Dites, vous n'êtes pas du coin, c'est ça ? Alors c'est vrai ces histoires ?
— De quoi tu parles ? ne put s'empêcher de demander Ren.
Il y eut un instant de silence durant lequel Stone tourna la tête vers la provenance de la voix. Il sourit.
— Ça vous intrigue, hein ? Des histoires vieilles de plusieurs millénaires font parfois surface. Des sortes de légendes, des échos du passé. Des dieux oubliés, des mondes parallèles, des alter-ego, et des rumeurs sur la fin des temps, rien que ça...
Au milieu de la vapeur, Ren s'était stoppé et avait froncé les sourcils tant il fut déconcerté.
— Des murmures qui s'échappent des miroirs m'ont raconté ces histoires... Je sais que vous savez. Vous êtes du Premier monde n'est-ce pas ? Un monde où tous les gens possèdent des pouvoirs comme vous. Un endroit où mourir est encore possible.
Ren secoua la tête et décida d'ignorer ses paroles. Il s'avança vers l'assassin et leva son arme en voyant sa silhouette. Soudain, Stone se baissa, fit demi-tour et enfonça une lame de couteau dans la cuisse gauche de Ren. Il sentit ses fibres musculaires se déchirer et se faire trancher, puis ses veines exploser et ses fibres nerveuses hurler. Sa jambe lâcha et il tomba à terre. Son pantalon s'imbiba de sang et la douleur pulsa dans sa jambe.
Stone se rua sur lui et la plaqua à terre en riant. Ren se cogna contre le sol. Bloqué, il tenta de se redresser. L'assassin lui attrapa l'épaule et le cloua au sol, avant de lever un couteau au dessus de sa tête, un sourire dément au visage. D'un mouvement rapide, il enfonça la lame dans la poitrine de Ren. Il hurla de douleur. Le couteau se fraya un chemin dans sa chair, puis buta contre quelque chose de dur. Au niveau du cœur.
— Hein... fit Stone.
Malgré la douleur dans la quasi-totalité de son corps, Ren repoussa l'assassin avec un jet d'eau à forte pression. Emporté, Stone fit un baptême de l'air dans le hangar et chuta lourdement plus loin. Ren se tourna sur le côté, respirant avec peine. Son bras le faisait souffrir. Sa jambe, sa cage thoracique au moins trois fois plus. Il commençait déjà à perdre connaissance. Sa champs de vision rétrécissait à grande vitesse, se couvrant de noir. Ses oreilles sifflaient.
Stone se redressa en titubant sourcils froncés par la concentration.
— Normalement un cœur c'est tout mou ! C'est comme découper une tarte ! Et là, ça a buté contre un truc solide, comme du verre. T'es pas normal toi !
Au moment où il fit un pas, un coup de feu retentit et du sang jaillit de son ventre. Une tache noire se diffusa sur son sous-pull bordeaux. Il toussa et un filet de liquide rouge coula de sa bouche. Il passa sa main sur son ventre et regarda ses doigts maculés de sang. Ses épaules furent parcourues d'un soubresaut. Il lâcha un rire nerveux et glacial, puis hurla de rage.
Plus loin Sarah apparut au milieu du brouillard qui se dispersait. Tremblante, elle tenait à deux mains son pistolet.
— Toi ! T'étais planquée comme une lâche pendant que ton ami se faisait trancher et tu fais ce genre de coup foireux ! Je vais te tuer !
Sarah rechargea rapidement son arme et tira une deuxième balle. L'épaule de Stone partit en arrière suite au coup, mais il grimaça à peine. Plus enragé qu'autre chose, il hurla encore et s'avançait vers elle à une vitesse ahurissante. Sarah lui visa la jambe et cette fois-ci il s'effondra à terre. Avec son bras valide, il rampa au sol en laissant une traînée de sang derrière lui. Un peu comme un escargot.
— On t'a jamais appris à crever ? demanda Sarah en reculant de quelques pas quand il tenta de lui attraper la cheville.
— Je reviendrai récupérer mes âmes, croyez-moi sur ce coup là ! Ça se terminera pas comme ça !
Il toussa et cracha du sang. Sarah se demanda comment il pouvait encore vivre avec trois balles dans le corps et un coup de couteau dans le dos. Mais déjà sa respiration se fit plus lente et sifflante. Avant de cesser complètement. Sarah attendit encore une minute avant de le tâter du bout de la chaussure et vérifier s'il était enfin mort. Et c'était le cas. Tout d'un coup, une sorte de nuage de particules bleues s'éleva de la pierre de récolteur de Stone. Sarah les regarda rejoindre progressivement la sienne qu'elle avait mit en bijou sur le dos de sa mitaine de cuir. Puis le compteur afficha six milles huit cents âmes.
La cendre du corps de l'assassin se dispersa et Sarah se laissa tomber à terre sur le coup de la fatigue nerveuse. L'adrénaline avait fait son effet, désormais c'était l'épuisement qui l'envahissait. Mais tout était terminé au moins. Elle se redressa soudain et se précipita vers Ren qui gisait toujours à terre. Elle se mit à quatre pattes à côté de lui. Il était en position latérale de sécurité et baignait dans son propre sang. Sarah lui ouvrit un peu la paupière. Mais étant donné qu'il avait déjà un regard mort en temps normal, difficile de savoir s'il était toujours en vie.
— Ren, je l'ai eu, tu m'entends? J'ai eu ce salaud ! On a nos âmes !
Elle l'entendit souffler et ses yeux jaunes pivotèrent faiblement vers elle.
— Bien fait pour lui, murmura-t-il.
Sarah voulut ajouter quelque chose mais elle ne trouva rien à dire en évaluant l'état dans lequel était son ami. Une balle dans l'épaule, et un coup de couteau dans la cuisse et dans le cœur. On ne distinguait que du rouge sombre sur ses vêtements. Sarah pinça ses lèvres en sentant la douleur et la tristesse dans sa gorge.
— Tu meurs pas pour de vrai de toute façon... articula-t-elle. On va se revoir, tous les quatre.
Pas de réponse. En tremblant la démone chercha le pouls de Ren, mais en vain. Elle se mordit la lèvre et se leva en inspirant profondément. Elle évita de regarder les âmes rejoindre sa pierre et le corps de Ren disparaître dans le vent. Avec peine elle regarda le nombre en chiffre romain visible par transparence dans son récolteur. Neuf milles. Plus que onze milles et ils seront rentrés.
Sarah ramassa son arme qui juchait à terre et la rangea dans l'étuis enroulé autour de sa cuisse. Elle n'avait plus rien à faire dans ce hangar désert. Elle sortit par ce qui devait être une ancienne porte et se retrouva dans une rue tout aussi vide. Au loin elle vit le dôme en verre du centre commercial de la ville. Elle se mit en marche, l'esprit vidé de toute pensée. Elle ne sentait même plus la douleur de ses blessures.
Après une bonne demi-heure de marche, Sarah arriva enfin en vue du café, là où ils s'étaient retrouvés la première fois. Épuisée elle souffla de soulagement devant la devanture. Sa bouche était sèche et sa langue pâteuse. Elle commençait à avoir chaud en plus. En trainant des bottes, elle poussa la porte et réclama de l'eau. Le gérant Jipé la reconnut, difficile d'oublier une personne avec un tel physique dans ce monde.
— Ça va démon... Euh jeune fille ? Tu as l'air mal en point.
— À boire ! fit-elle en se laissant choir sur le comptoir.
En haussant ses sourcils gris et broussailleux assortis à sa moustache, Jipé lui donna un verre d'eau qu'elle lapa goulûment. Elle lâcha un râle de satisfaction et en demanda un deuxième. Elle l'avala tout aussi vite et fut enfin désaltérée. Elle se coucha sur le bar, la tête dans les bras, heureuse de pouvoir enfin souffler et relâcher sa garde. Elle regarda l'état de ses bras, couverts de crasse, comme son visage. Sans compter le sang qui n'était pas le sien qui tachait ses vêtements et sa peau.
— D'où tu sors comme ça ? questionna le barman.
— D'une tuerie dans un hangar de métro... dit Sarah.
— Ah. Levillier a rapidement évoqué ça à la radio tout à l'heure. Cette femme a beau être une vraie fouineuse, elle est toujours la première au courant de ce qu'il se passe dans cette ville. Alors ?
— Tout va bien ! Mes amis sont tous morts mais tout va bien ! cria Sarah.
Ses larmes montèrent malgré elle et coulèrent sur ses joues, laissant des traces claires au milieu de la poussière, du sang et de la suie qui maculaient son visage.
— Et moi j'ai neuf milles âmes, ce qui doit faire de moi le pire assassin de cette ville ! ajouta-elle nerveusement. À part ça la vie est belle !
À ces mots, le barman changea d'expression. Il avait l'air intéressé tout d'un coup. Il posa son verre au fond de l'évier et se dirigea doucement vers sa caisse. Il ouvrit le tiroir et discrètement en sortit un objet. Il se rapprocha de Sarah en restant méfiant, main dans le dos. La suite se produisit très vite. Il sortit un pistolet de derrière son dos et le pointa sur Sarah. Au même moment elle sentit une silhouette dans son dos et une ombre la recouvrir. Une main s'avança rapidement et saisit fermement le poignet de Jipé. Sarah se courba en avant et tourna la tête. Dans son dos, il y avait un homme. Jipé blanchit...
— Holà mon vieux, qu'est ce que tu étais en train de faire hein ?
— Scorpio... balbutia le cafetier.
Ce dernier sourit et posa un avant-bras et son menton sur la tête de Sarah, sans lâcher Jipé de l'autre.
— Ce n'est pas...
Le poignet de Jipé craqua quand Scorpio lui tordit et il cria de douleur. Il lâcha son pistolet et Scorpio contourna Sarah sur son tabouret pour s'avancer au bar. Son sourire attachant était glacial...
— Elle a des âmes, se justifia Jipé en pleurant. J'en avais besoin, mais sur le coup je n'ai pas réfléchi. Je regrette...Aie pitié de moi Scorpio, je t'en supplie !
— Supplie-moi à genoux, exigea-t-il en claquant des doigts.
Il souriait toujours, de façon si perturbante que ça faisait froid dans le dos. Le cafetier se mit à genoux, mains jointes pour prier, toujours en pleurant. Il semblait terrifié. Scorpio se pencha au dessus du bar et lui enfonça un index dans le crâne.
— Répète après moi Jipé : je ne toucherai plus jamais à cette adorable jeune fille, sinon je rejoindrai la cohorte des morts plus tôt que prévu.
Le barman répéta la phrase en tremblant de tous ses membres, à deux doigts de l'évanouissement. Satisfait, Scorpio lui tapota affectueusement la tête.
— Parfait.
Il se redressa et coinça une cigarette entre ses lèvres. Il demanda à Sarah si elle avait fini. Elle était tellement fatiguée qu'elle ne voulait plus opposer de résistance à personne. Elle se leva et suivit Scorpio dans la rue. Bien qu'il soit carrément flippant, c'était une des rares personnes qu'elle connaissait depuis ces deux semaines dans ce monde.
— Euh merci... J'imagine qu'il a voulu me tuer en apprenant que j'avais des milliers d'âmes.
— T'as eu Stone ?
Sarah confirma et Scorpio hocha la tête, l'air de dire « pas mal ». Il tira sur sa cigarette et souffla un nuage de fumée dans l'air.
— Ça veut dire quoi : rejoindre la cohorte des morts plus tôt que prévu ? demanda Sarah en accélérant le pas pour le rattraper.
— Oh ça... Une menace bien efficace contre les gens qui m'agacent. Paradoxalement, la mort n'existe plus vraiment mais c'est la seule chose qui terrorise les gens ici. Chacun a dans sa tête cette vérité universelle : tout le monde meurt le jour de ses cent ans, jamais avant, jamais après. L'idée de clamser avant leur est insupportable.
— Ah... En tout cas, tu le terrifie le vieux.
Scorpio sourit, mains dans les poches, décontracté.
— Changement de sujet, Charlie s'est mise à récolter des âmes aussi, rien que pour vous. Je serai presque jaloux. Elle se débrouille bien... Normalement si vous continuez comme ça vous partirez d'ici la fin du mois. Je vous souhaite bien du courage.
— Merci Scorpio.
— Dernière chose : maintenant c'est toi la numéro un. Si les gens rechignaient à aller chasser Stone à cause du personnage, pour toi ils n'hésiteront pas un seul instant.
— Raah mais pourquoi ?
— Stone inspire la peur à cause de sa cruauté et ses actes assez violents... Mais aussi à cause de son caractère un peu enfantin... C'est un peu dérangeant et ça n'encourage pas à aller le buter, surtout qu'il est très fort. Mais toi, personne ne te connaît. Ils penseront tous que t'as eu un coup de chance et te sauteront dessus à la première occasion. Tu passeras pas la semaine à mon avis.
— Qu'ils essaient de me voler mes âmes, je carboniserai cette ville de suite.
Scorpio souffla par le nez pour montrer son amusement.
— Soyez prudents tous les quatre...
L'homme la salua en disant qu'il gardera un œil sur eux. Sarah agita la main et pris le chemin vers l'auberge, en se disant que l'homme était vraiment mystérieux. Elle regarda sa pierre de récolteur. Ils étaient presque à la moitié du chemin. Plus que onze milles âmes et ils seront chez eux. Le seul endroit où ils devraient être. Elle avait soudain hâte de retrouver l'école, ses camarades de classes même si elle les détestait, sa chambre et le reste du groupe.
Depuis leur arrivée ici, ils n'avaient trouvé aucune trace des quatre autres. La dernière fois qu'elle les avait vu, c'était avant leur chute dans le grenier. Pourtant ça lui semblait déjà si lointain... Raison de plus pour s'activer et rentrer le plus rapidement possible en espérant que les autres sauront se débrouiller de leur côté. Avec un peu de chance, ils auront également compris que ramasser vingt milles âmes pour avoir un vœu était leur chance de rentrer. Dans le pire des cas, ils étaient coincés dans un autre monde que celui là, avec un retour qui semblait impossible. Mais Sarah préféra ignorer cette éventualité...
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