Chapitre 25: Une longue histoire


Après plusieurs coups sourds, la porte de la réserve céda, Charlie se cassa la figure dans son élan et s'étala sur le sol. De manière peu élégante elle se redressa en s'agrippant au bar, jambes flageolantes à cause des crampes qu'elle avait attrapé dans la cave. Elle se décomposa un peu en voyant l'état du bistrot après l'attaque. Elle s'était abritée dans la réserve avec d'autres gens le temps que ça se termine et découvrait à peine les dégâts.

Le sol était couvert de boissons, mélangées à certains endroits avec du liquide rouge. L'odeur d'alcool se mêlait à celle de la poudre et du sang. Des bouts de verre crissèrent sous ses bottes quand Charlie s'avança. Elle se pencha au dessus du bar et souffla de soulagement en y voyant les quatre adolescents abrités :

— Heureusement vous n'avez rien. J'ai eu peur pour vous les jeunes.

Matt lui répondit par un claquement de dents et Charlie se demanda pourquoi lui et Nya avaient des saladiers en métal sur la tête. Sarah et Ren se relevaient, encore sous le choc.

— Pourquoi vous avez tous des têtes d'insomniaques ? demanda la blonde.

— C'est rien, assura Nya en retirant son bol en métal. Juste une attaque de fou furieux... ENCORE.

Charlie se tourna vers la personne debout près du comptoir. C'était Scorpio. Elle fronça les sourcils en voyant son état.

— T'as encore taché ta chemise !

Scorpio s'essuya les mains sur son pantalon marron sombre, un air fatigué et sinistre sur le visage. La tache de sang commençait à sécher sur sa chemise.

— Wait a seconde ! fit Nya. Y a que la tête de la chemise qui vous choque ?

— Même au savon de Marseille ç'a du mal à partir, dit Charlie, l'air en rogne. Cette fois-ci, c'est toi qui la détacheras ! J'en ai marre de faire ta lessive après tes petites tueries !

— Mais sérieusement ! glapit Matt. Scorpio vient de tuer Cinis !

— Eh bé bon débarras, répondit Charlie en jetant un coup d'œil au cadavre de l'intéressé.

Son corps se changea en cendre compacte et grise avant de se disperser dans l'air. Scorpio se rassit sur son tabouret et but le reste de son café en soufflant qu'il était froid.

— Quelqu'un peut nous expliquer pourquoi Scorpio s'est sorti la balle de sa tête comme si de rien n'était et ne s'est pas effondré à terre comme tout être humain normal ?? cria Matt.

— Commencez pas à m'embêter les mioches, gronda Scorpio en essuyant son visage couvert de sang avec une serviette.

Il se leva en la roulant en boule et la jeta par terre. Il contourna le bar pour attraper une bouteille brune encore vivante sur son étagère et sortit du café en cognant contre un tabouret renversé sur sa route. Le meuble valdingua dans un vacarme métallique. Charlie soupira et se massa le front.

— Il va repartir... Dire qu'il allait mieux.

— C'est pas à cause de nous quand même ? demanda Sarah. Perso, j'ai rien dit ! C'est Matt et sa grande bouche !

— Mais pourquoi toujours moi ???

— Non ce n'est pas de votre faute, rassura Charlie. Vous avez le droit de poser des questions. Tout le monde s'en pose, mais peu ose lui demander en face comme tu viens de le faire.

— Il est vexé parce que je lui demande comment il peut encore être en vie après un plomb dans le front et le cœur ? s'étonna Matt. Désolé, mais c'est pas possible !

— La mort n'existe pas ici, rappela Nya. Les gens peuvent tout à fait se prendre des plombs en pleine face et continuer leur vie comme si de rien n'était ! LO-GI-QUE ! ajouta-t-elle en se frappant la paume sur le front, fatiguée par les bêtises qu'elle racontait.

— Peut-être mais un humain reste un humain, dit l'elfe. Ici, ils ne meurent pas pour de vrai, mais ils s'effondrent quand même au sol et perdent connaissance. Avant de devenir de la cendre. C'est une forme de mort quelque part, mais pas définitive. Et là, une balle en plein cerveau... Ça ne lui a rien fait...

— Désolée... s'excusa Charlie. C'est une longue histoire. Mais je ne peux pas vous expliquer à sa place. Et pour l'instant, il vaut mieux le laisser tranquille.

Ils tournèrent la tête vers le gérant du bistrot et les autres personnes qui s'étaient cachés dans la réserve. Jipé découvrit avec horreur ses bouteilles brisées au sol. Et tout autant d'argent perdu. Il maudit l'assassin qui avait osé faire ça puis attrapa une serpillère. Charlie proposa au groupe de quitter l'endroit. Ils sortirent dans la rue, sous le soleil brûlant du midi. Au bout de la rue, Ren aperçut Scorpio de dos en train de s'éloigner. Il ignora les conseils que Charlie avait donné et partit à sa poursuite au pas de course.

— Mais t'écoute quand on te dit de laisser les gens tranquilles ??? lui cria la journaliste alors qu'il s'éloignait.

Non il n'écoutait pas, il n'écoutait jamais. Quand il avait une idée ancrée dans la tête, Ren la suivait toujours. Il poursuivit Scorpio sur une centaine de mètres et tourna dans une rue, puis il s'arrêta, faisant face au dos de l'homme. Ce dernier se laissa tomber sur un banc en bois un peu plus loin. Il croisa les jambes, arracha le bouchon de sa bouteille d'un coup de dent et avala de longues gorgées d'alcool en dévisageant Ren sans un mot.

— Quoi ? grogna-t-il en laissant retomber sa bouteille.

— Pour qu'on soit clair : tu es le Gardien de Topaz et ton pouvoir c'est l'immortalité, se lança Ren.

— Non.

Ren serra ses doigts sur ses bras croisés en inspirant longuement. Ses ongles laissèrent des marques sur sa peau. Il détestait au plus au point quand on lui parlait en le prenant de haut.

— Comment tu expliques alors ? Pourquoi t'es pas mort en te prenant cette balle en plein crâne ? Et d'après le barman et une photo trouvée chez toi, tu serais là depuis deux cents ans.

— Je t'en pose des questions ? siffla Scorpio.

Un éclat mauvais passa dans le regard de Ren. Un arc d'eau balaya brutalement la bouteille que tenait Scorpio et la jeta plus loin. Le verre explosa au sol et l'alcool se répandit sur le pavé. Scorpio regarda sa main trempée en silence. Même si Ren avait désormais un pied posé sur une mine, il continua :

— Charlie m'a dit que c'était « compliqué ».  T'es quoi alors ?

Malgré l'air sombre et sinistre qu'affichait Scorpio, Ren s'interdit de battre en retraite ou d'esquisser le moindre signe de faiblesse. Quelque chose clochait avec cet homme. Pendant un instant seuls les bruits de la rue étaient audible. Puis Scorpio afficha un sourire en coin.

— Tout le monde a une peur bleue de moi, dit-il. Et toi, tu oses me parler comme ça. Tu oses tenter l'affront.

Ren n'avait jamais eu peur de personne et c'était peut-être un problème. Il cherchait des noises à tout le monde et ne craignait aucune représaille. Il se fichait des conséquences.

— Je suis comme ça, dit-il. Maintenant tu me réponds.

— Tant d'impertinence, s'amusa Scorpio. On dirait moi au même âge. Et ça me plaît.

Ren lui aurait bien balancé qu'il était toujours insolent, mais il la boucla à temps. Il croisa les bras.

— Alors ? T'es un Gardien oui ou non ? Ton pouvoir c'est l'immortalité ?

Il ne pouvait pas se tromper. Il ne voyait pas d'autre option. Scorpio était juste comme lui, un réceptacle d'une âme divine, mais avec un autre dieu et un autre pouvoir.

— Non, répéta Scorpio en jouant avec sa tresse.

Puisant au maximum dans sa réserve de self-control, Ren se fit violence pour rester calme. Il souffla et inspira le plus lentement possible.

C'est bizarre... fit la voix d'Aguamarine. Y a quelque chose dans l'attitude de cet homme qui est bizarre.

— Non, reprit Ren, cherchant au mieux à cacher son agacement.

— Étant donné que t'es un Gardien, je pense que tu auras le droit de connaître ma particularité... On va juste se mettre au calme chez moi. Ensuite tu auras droit à toute l'histoire que Charlie et quelques uns ont eu la chance de connaître. Ça te va petit ?

Ren évita de lui faire ravaler son « petit » et hocha la tête. Il n'allait pas se plaindre, il allait avoir des explications. Scorpio se leva, le dépassant d'une bonne tête et lui tapota le crâne. Puis ils se mirent en route.

***

Les autres n'avaient pas exagéré en traitant l'appartement de Scorpio de « Musée du Louvre ». Le salon était envahi par tout et n'importe quoi. Les étagères croulaient sous des boites remplies par tout et rien. Ren remarqua le fameux carton à alliances que Matt et Sarah avaient évoqué. Des armoires vitrées exposaient des souvenirs et bibelots des quatre coins de la planète. Hormis les étagères et les cartons, un canapé en cuir et une table basse meublaient l'espace restant. Ren approcha les doigts d'un vase en porcelaine contenant des chrysanthèmes fanés. La main de Scorpio claqua contre la sienne.

— Touche avec les yeux.

— J'ai pas cinq ans, répliqua l'adolescent.

Scorpio poussa une petite table qui menaçait de s'effondrer sous son chargement, pendant que Ren continuait sa visite.

— Désolé pour le bazar, je range jamais...

— Je peux t'aider à faire du tri si tu veux, suggéra Ren.

Comme l'aurait fait un chat, le garçon poussa un vase en argile très laid au bord de sa table. Évidemment Scorpio le rattrapa quand il bascula. Il lâcha un sifflement agacé. Il saisit fermement Ren pas la capuche de son sweat et le traina jusqu'au canapé, où il l'assit et lui ordonna de ne pas bouger. Il partit ensuite à la cuisine et demanda si l'adolescent voulait boire quelque chose.

— Je pense pas que t'aies de l'eau chez toi, grogna Ren.

—  Tout juste : le moins fort que j'ai c'est du cidre ou de la bière.

Il revenait justement de sa cuisine avec deux verres de la boisson pétillante. Ren répliqua qu'il n'aimait pas les bulles, mais Scorpio posa quand même les verres sur la table basse, après avoir dégagé un sablier. Il s'assit sur un fauteuil et but son verre d'une traite.

— J'espère que t'aimes les longues histoires.

— Pas vraiment mais bon, t'avais l'air décidé à me raconter ta vie donc je vais me taire.

Scorpio avait le regard rivé sur le fond de son verre et jouait avec les quelques gouttes restantes. Il semblait songeur. Ren pianotait sur ses bras en attendant le début du récit. Enfin l'homme commença.

— J'ai ouvert les yeux pour la première fois une soirée de novembre, sur les rives du Nil. C'était quelques temps après la dislocation. Il y a presque quatre milles ans.

Ren le crut à peine.

— T'as quatre milles ans ???

— Plutôt bien conservé pas vrai ? sourit Scorpio. Et le pire c'est que je me souviens de cette époque comme si c'était hier. Je vivais près de la capitale, avec mes parents et ma sœur aînée. On m'avait appelé avec l'équivalent de Scorpio en égyptien. J'étais un garçon adorable selon ma mère, insupportable selon le voisinage.

— Tu débarques de l'Égypte Antique ? continua Ren, toujours abasourdi.

— Laisse moi finir tu veux. Arrivé à l'adolescence, durant laquelle je suis devenu un jeune homme sublime, je me suis soudain souvenu de ma vie d'avant. Des souvenirs qui m'appartenaient, je le savais. Des choses que j'avais oublié après ma mort, le jour de la dislocation...

Il se tut, l'air de ressasser des souvenirs douloureux, avachi dans son fauteuil en cuir. La souffrance pouvait se lire dans son regard en cristal.

— Ce jour où mon propre frère m'a tué... gronda-t-il avec amertume.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

Scorpio se redressa sur son fauteuil et le regarda droit dans les yeux, avec de nouveau cette aura puissante et intimidante. D'une voix lente et lointaine, il prononça ces mots :

— Je m'appelle Topaz le Huitième, dieu de la mort et réincarné en tant que Scorpio...

Il attrapa le verre auquel Ren n'avait pas touché et l'avala, avant de poser son regard sur le plafond, tête appuyé sur le dossier de son fauteuil. Ren le fixa d'un air éberlué tandis que les mots circulèrent dans sa tête.

— Ce corps à quatre milles ans, moi j'en ai plus de cinq milles, poursuivit Scorpio. J'étais Topaz, je suis mort quand le monde s'est brisé et j'ai ouvert les yeux en Égypte, devenu un nourrisson le jour de ma renaissance...

— At.. at... at.. Attatata... fit Ren, perdu. T'es en train de me dire que t'es pas un Gardien, mais le dieu Topaz en chair et os ?

— Lui-même. Un dieu immortel réincarné, errant sur terre depuis quatre millénaires. Contrairement aux autres, je ne suis pas prisonnier dans le corps d'un réceptacle. Je ne change pas de Gardien à chaque fois que l'hôte meurt. Je suis Topaz...

Dans la tête de Ren, Aguamarine n'arrêtait pas de crier de joie, créant un vacarme difficilement supportable dans son cerveau.

C'est mon frère ! C'est vraiment mon frère ! Je me disais bien qu'il lui ressemblait trop pour que ce ne soit pas lui !

— Euh... Wouah... T'es un dieu en personne...

Ren se sentit presque intimidé de lui parler en face et regretta sa conduite insolente envers lui. Il baissa le regard, même s'il avait horreur de ça. Mais là il n'y pouvait rien et agissait tout seul. Il était quand même en face de l'un des Douze.

— Pauvre petit, commenta Scorpio, menton dans la main. Tu débarques dans un monde parallèle, tu apprends que tu es un Gardien et enfin qu'un dieu de l'Ancien monde existe toujours.

— Ouais bon, ça explique pourquoi t'es immortel, que t'as quatre milles ans et qu'une balle peut pas te descendre.

— Désolé pour ma réaction tout à l'heure. C'est juste que... Ce que m'a dit ton ami l'elfe en me demandant des explications, ça m'a rappelé ma condition. Un être supérieur qui ne peut pas mourir. L'immortalité est bien la pire des punitions pour un dieu. Attendre cette fin qui ne vient pas, ne jamais connaître le soulagement au moment de la mort ou même quand on perd connaissance après une blessure... Le temps est bien la pire des choses... J'ai été au bord de la folie un bon nombre de fois.

Scorpio jeta un regard circulaire à son appartement qui tenait plus d'un capharnaüm qu'une habitation.

— Du coup, j'ai rapidement appris à vivre dans le présent, sans jamais trop songer à l'avenir ou au passé. J'ai beaucoup voyagé durant tous ces millénaires, histoire de m'occuper et fuir mes anciennes vies. J'ai bien aimé découvrir des cultures différentes, apprendre les dialectes des pays - je parle plus de dix langues au passage- goûter des plats exquis, rencontrer des gens exceptionnels. Ça me changeait les idées à chaque fois. Ça me forçait à oublier les gens que j'ai aimé et perdu...

Le silence retomba et Scorpio parcourut du regard l'ensemble de ses bibelots de tous les âges, l'œil humide. Ren préféra se taire, pour le laisser se remettre des souvenirs qu'il venait de ruminer. Il ne pouvait pas s'imaginer à la place de Scorpio... Ou Topaz. Vivre autant d'années, perdre au fur et à mesure les gens que l'on aime, sans jamais voir le bout du tunnel. Un instant il pensa que c'était peut-être ce que vivait Aguamarine, mais différemment. À travers les yeux et les oreilles d'un réceptacle.

— Je suis désolé...

Il n'avait rien d'autre à dire. Scorpio se redressa un peu et soupira en lui disant que ce n'était pas la peine de s'excuser pour lui.

— Charlie est courant de tout ça... poursuivit-il. Elle sait qui je suis. Elle sait que je traine plus de trois milles neufs cents ans d'existence derrière moi... Elle n'a pas été la seule à le savoir. Tous les Gardiens que j'ai rencontré pendant mon périple l'ont su aussi.

— Y en a d'autres ? Des Gardiens ? Y a d'autres réceptacles dans ce monde ?

— Il existe trois Gardiens dans ce monde, quatre si on m'inclut. Charlie est la seule que j'ai croisé ces deux cents dernières années. Depuis quatre milles ans je n'ai fait que revoir les Gardiens de Sapphire, Amethyst et Ruby. Je pensais donc que les autres étaient morts ce jour là, que nous n'étions que quatre à avoir survécu à la dislocation. Mais ton arrivée a tout perturbé. Maintenant je sais que les huit autres sont aussi en vie et se terrent dans le Premier et Troisième monde.

— Y a trois mondes ?

— Si les ambitions de l'autre cinglé sont devenus réelles alors oui.

— Tu parles d'Obsidian ?

— La gamine t'as déjà mis au courant ? Au moins elle ne fait pas tout de travers, s'amusa Scorpio.

— C'est donc vraiment lui qui a détruit le monde ? Pourquoi ?

— Pour devenir Dieu. Tu comprendras mieux quand je te montrerais.

— Montrerais quoi ?

— Tends ton bras.

Suspicieux, Ren tendit prudemment sa main vers le dieu réincarné. Ce dernier attrapa un couteau qui trainait sur une pile de livre et se passa la lame dans la paume de la main. Ren retira vivement son bras en le voyant rapprocher l'objet tranchant.

— Tu fais quoi ?

Scorpio lui saisit le poignet en lui faisant « shhhh » et lui taillada la paume. Ren lui ordonna de le lâcher en tirant sur son bras, mais Scorpio avait une poigne de fer. Il referma ses doigts autour de la main de Ren et la lui serra, mélangeant leur sang. Enfin Ren arracha et récupéra sa main qui lui piquait. Scorpio lui sourit.

— Un pacte de sang, expliqua-t-il. En mélangeant notre sang, on pourra mettre en commun nos souvenirs et nos mémoires. Une façon de créer un puissant lien entre les Gardiens. Tu comprendras tout ce soir.

Mais oui ! s'écria Aguamarine. Les liens du sang sont les plus puissants de tous ! En faisant ça, nos esprits, nos souvenirs, nos rêves, tout sera en quelque sorte mis en commun.

— Euh... fit Ren. Je vais arrêter de réfléchir histoire de garder quelques neurones...

Il regarda l'entaille dans sa main en grimaçant. Il se leva du canapé et dévisage Scorpio. Un dieu vivant sur terre, qui se tenait devant lui. Il peinait encore à le croire, mais du même côté il avait une déesse dans la tête, des pouvoirs divins et un cœur en cristal. La vie était vraiment une garce, mais elle avait quand même son lot de surprise.

— Tu vas tenir le coup, promit Scorpio en se levant. Je suis sûr que tu es aussi têtu que solide.

— J'ai que seize ans, pourtant ma vie a déjà été pourrie... Quelqu'un a décidé de me faire vivre l'enfer...

— Tu ne sais pas ce que c'est que l'enfer. Crois-moi, personne ne peut avoir une vie plus pourrie que la mienne. Enfin bref. Maintenant que tu sais tout, tu vas aller t'entraîner, ramasser vingt milles âmes, faire un vœu et rentrer chez toi. Désormais, tu n'as plus rien à faire ici.

Scorpio attrapa une trousse de secours qui trainait miraculeusement dans un placard plein à craquer et la tendit à Ren. Il hocha la tête en enfila un morceau de bandage autour de sa main. Celle de l'homme avait déjà cicatrisé.

— Je vais tuer tous les assassins de ce monde, ramasser toutes leurs âmes et ramener tout le monde au bercail, se jura Ren en serrant le pansement.

— Dans ce cas allons rejoindre Charlie. Sache que j'ai aussi fait un pacte de sang avec elle, du coup toi aussi tu vas être relié à elle. Si tous les Gardiens font un pacte de sang, nous seront tous connectés les uns aux autres et plus forts.

— Pour quoi faire ? C'est quoi l'intérêt de se rassembler ?

Scorpio secoua la tête avec un sourire impertinent sur les lèvres.

— Arrêtes un peu de poser des questions. Disons juste qu'on sait jamais. Il vaut mieux que les Douze soient réunis a cas où...

— Au cas où quoi ?

— Patience mon petit, tu verras...

***

— Raaah mais où est passé ce crétin de Ren des neiges ?? pesta Sarah.

Main en visière elle scrutait la rue où elle avait perdu le garçon il y avait au moins trois quarts d'heure. Une rue commerçante pleine de boutiques en tout genre : vêtements, accessoires, bijoux, chaussures, armes, tout le monde flânait près des vitrines pour admirer les présentoirs. Sarah jeta un regard à ses deux camarades échoués sur un banc, l'air assommé par le soleil et l'humidité. L'arbre au dessus de leur tête peinait à offrir un peu d'ombre et de répit.

— Où est Charlie ? demanda Nya.

— Partie acheter des trucs, répondit Matt occupé à nettoyer ses lunettes.

Sarah se fit une place à côté d'eux et souffla.

— Je suis contente de vous avoir retrouvé tous les deux.

À côté d'elle Nya la regarda d'un air un peu étonné.

— C'est vrai ? demanda-t-elle.

— Évidemment, comment tu voulais qu'on s'en sorte sinon ? Surtout avec la demi-portion qui me sert de coéquipier.

— Tu sais ce qu'elle te dit la demi-portion ?

— Ce que je veux dire c'est qu'en coopérant à quatre, on rentrera plus vite, continua Sarah.

— Coopérer ça reste à voir, dit Matt en remettant ses lunettes. Je te rappelle que c'est pas le grand amour entre Ren et Nya...

À ces mots, la jeune fille se rencogna au fond de son banc et croisa les bras.

— Pas faute de vouloir arrondir les angles...

— J'ai remarqué que tu avais changé de ton avec lui, dit Sarah. T'essaie de te réconcilier avec lui ?

— Mouais, mais bon, il a pas l'air de vouloir arrêter la guerre. Qu'est-ce que je peux faire pour qu'il arrête son comportement avec moi et me pardonne ? Je m'en veux pour ce que je lui ai fait et j'aimerais vraiment qu'on arrête de se battre, mais lui... Il est rancunier quoi.

— Ça c'est sûr, approuva Matt. Ren est capable de faire la tête pendant trois jours si on respecte pas les tours de salle de bain ou si on lui pique une seule miette de dessert.

— Oui mais, j'ai pas envie de continuer comme ça. J'aimerais juste devenir, pas forcément une amie, mais au moins une camarade pour lui...

— C'est quand même pas cool ce que tu lui as fait, poursuivit l'elfe. Sarah m'a raconté. Tu l'as harcelé juste parce que c'était un sans pouvoir ? Mais c'est grave !

— Je sais ! Je sais que c'est dégueulasse. Je me rend bien compte que j'ai fait des bêtises et que j'ai pas réfléchi plus loin que le bout de mon nez à l'époque. Mais je m'en veux, je regrette. Je vais devoir répéter ça pendant le restant de mes jours pour qu'on comprenne ?

Elle avait bien réfléchi et retourné ça dans sa tête pendant des heures. Désormais ce n'était plus que de la culpabilité qui avait remplacé cette colère vis-à-vis de Ren.

— J'ai largement mérité cette cicatrice et les moqueries qui ont suivi.

— Moqueries ?

— C'est dans l'ordre naturel des choses. Je me suis fait remise à ma place par un sans pouvoir. Pour le reste de la classe à l'époque c'était juste la honte. Et on me l'a bien montré et rappelé. Je l'ai cherché mais j'ai mal digéré les « plus faible qu'un sans pouvoir » qu'on m'a lancé. J'ai eu le temps de me dire que ce que j'avais fait était ignoble et que je ne recommencerai plus jamais. Mais là, quand je l'ai revu à la rentrée, quand j'ai vu qu'il avait tout oublié, je suis repartie...

— Tu lui en voulais toujours pour ton œil ? Et ben...

— Ça mais aussi autre chose. Peut-être que je lui en voulais de ne se souvenir de rien.

— Ah je sais ! Tu aurais préféré qu'il se souvienne de tout, qu'il te fasse payer et que vous soyez quitte ! remarqua Matt.

— Peut-être... Mais bon, on changera pas le passé. Je le répète : j'ai bien compris que j'ai été horrible, je m'en veux et je veux me racheter. C'est tout... Comment je peux faire ?

— T'as envie de te faire pardonner, ça se voit un peu. Sauf que y a rien à faire, dit Sarah.

Nya se tourna vers elle, sourcil arqué, en lui demandant de s'expliquer.

— Disons juste qu'avec Ren, il ne faut pas attendre des excuses ou un pacte de non agression formulé explicitement. Et il est trop fier pour accepter des excuses.

— La stratégie c'est donc d'attendre, ajouta Matt. Tu attends juste que ça se tasse et il finira par accepter ta présence, comme ça. Tu sais au début je m'entendais pas du tout avec lui.

Étonnée, Nya lâcha un rire.

— Ah bon ? Pourtant vous vous entendez bien aujourd'hui.

— Il est arrivé en quatrième et ma première impression était pas trop positive. On l'a difficilement supporté à la piaule, pour plein de broutilles et c'était toujours lui le fautif, même si on rajoutait de l'huile sur le feu. Mais étrangement, plus le temps passait, mieux ça allait. On s'est juste habitué à lui et c'est après qu'on a commencé à devenir ami.

— Donc faut que je m'habitue à Ren et lui à moi ?

— Exactement ! C'est la seule option que j'ai à te proposer. Laisse couler, laisse lui le temps de t'accepter, ignore le quand il te crache son venin et après qui sait vous seriez peut-être apte à devenir ami.

— Okay ! Je vais arrêter de le chercher et sympathiser avec lui ! Bon peut-être pas jusque là, mais moi je veux vraiment me racheter. Je veux cesser la guerre et me faire pardonner. La nouvelle Nya entre en scène.

Elle se leva, poings sur les hanches avec un sourire radieux et bagué. Sarah et Matt furent ravis de la voir comme ça. Finalement la jeune fille avait un bon fond. Ils levèrent leurs fesses du banc en voyant Charlie qui venait vers eux, chargée comme une mule avec des sacs de courses.

— Coucou les jeunes ! Désolé j'ai pris mon temps, mais y avait une promotion sur les balles, je m'en suis pris une ceinture complète !

L'air enchanté, elle exhiba sa trouvaille : une ceinture composée uniquement de cartouches de balles cuivrées. Elle se débattit avec ses multiples sacs pour la ranger et montrer le reste de ses achats.

— Et hop, des pistolets et des couteaux de combats rien que pour vous ! Un de chaque par personne, j'ai pris le meilleur rapport qualité prix.

— C'était vraiment pas la peine tu sais, dit Matt.

— Mais si ! L'argent c'est fait pour être dépensé ! Pas pour prendre la poussière et le moisi dans un bocal en verre. Tenez, ce sont des vraies merveilles ! Je vous ai pris les étuis en plus !

Elle leur refila le matériel, comme une mère Noël distribuant ses cadeaux. Sarah récupéra un pistolet en laiton, pas trop lourd et qui tenait bien en main, plus un couteau de combat et les étuis qui allaient avec. Elle tendit le pistolet au bout de son bras et ferma un œil pour viser. Nya se baissa quand elle pivota vers eux et Matt glapit.

— Pointe ça ailleurs toi !!!

— On a des pouvoirs qui sont des armes et on va utiliser ça ?

— Tu réfléchis deux secondes ? s'énerva Matt. Déjà qu'on ne passe pas inaperçu avec nos physiques et nos vêtements, si en plus une pyromane s'amuse en ville, on va se faire repérer en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire !

— Bon on s'y met quand à cette chasse aux âmes ? demanda Nya. Et comment ça marche ?

— C'est l'heure du tuto dingo de Charlie Levillier ! s'exclama cette dernière. Quand vous tuez une personne, elle meure et son âme quitte son corps sous la forme de petite boule de lumière bleue. Elles rejoignent toutes seules et immédiatement les pierres de récolteur.

Elle indiqua la pierre bleutée qui brillait, accrochée en porte clé à la ceinture en cuir de son pantalon.

— Un chiffre vous indique le nombre d'âmes que le récolteur contient. Vous gardez cette pierre tout le temps sur vous, tant que vous avez au moins une âme, la vôtre.

— Ok les gars ! On va commencer une partie de jeu vidéo et tuer tous les ennemis ! s'exclama Nya.

Sans que personne ne comprenne, elle se ficha un coup de poing dans le nez. Un filet de sang chaud lui coula des narines. Avec son sang elle créa deux sabres, monta sur un muret de parterre de fleurs et se mit en position de combat, agitant ses épées vers le ciel.

— Ramenez-vous les nazes !! Nya va vous faire la peau !!!

Les passants se retournèrent en se demandant pourquoi cette jeune fille si étrangement vêtue et avec le nez en sang était en train de beugler dans la rue, avec deux épées dans les mains. Matt l'attrapa par son teeshirt et la fit descendre de son piédestal, rouge de honte.

— T'es cinglée toi en fait...

— Sinon comment on va s'y prendre après l'entraînement ? demanda Nya. On vise des bâtiments avec beaucoup de monde ou on fait des assassinats discrets ?

— Avec le pouvoir de Matt, la deuxième option sera bien, confirma Sarah. Le petit gars peut se rendre invisible.

— Stylé ! L'homme invisible !

— C'est tout sauf stylé, soupira Matt. C'est vraiment pas ouf comme pouvoir. Ensuite, comment on fait pour avoir le classement des assassins ?

— C'est mis à jour dans le journal du matin, dit Charlie. Et ce grâce à moi votre fidèle journaliste ! Ce sont toujours les mêmes qui se disputent les places, mais globalement c'est Stone qui reste le premier, loin devant tout le monde.

— Holy shit, ce gars me fait flipper...

Elle espérait secrètement ne pas le recroiser tant il était sinistre avec son regard sadique et son sourire de psychopathe, mais il faudra sûrement le descendre lui aussi pour avoir ses âmes. Nya fit disparaître ses sabres et cogna ses poings entre eux.

— Alors ? Qu'est-ce qu'on attend pour aller s'entraîner et s'y mettre ?

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