Chapitre 23: L'aigue-marine et le diable


Cette fois-ci, Ren ne laissa pas la fille qui hantait ses nuits s'enfuir. Il l'attrapa par le bras dès qu'il la vit en rejoignant le royaume de Morphée. Surprise, la fille se tourna vers lui en écarquillant les yeux. Deux aigue-marine, bleu pâle, aux reflets irisés de rose et de jaune, comme ses courts cheveux de cristal.

— Reste, supplia Ren.

La fille, qui était restée raide jusque là, détendit ses muscles. Elle offrit un doux sourire à Ren.

— Bien joué, dit-elle d'une voix cristalline. Tu as fini par nous attraper, moi et la vérité.

— J'ai juste besoin de comprendre...

La conversation au sujet des Gardiens avec Scorpio et Charlie lui avait introduit des tonnes de questions en tête. Il s'était demandé pourquoi la déesse censé vivre en lui avait gardé le silence pendant toutes ces années, ne faisant que fuir à chaque rencontre. Les réceptacles, les âmes des Douze,... Il allait enfin savoir.

— Ton attente est terminée, annonça la fille. Je vais pouvoir éclairer ta lanterne.

Le monde noir et vide autour se découpa en fragments et éclata, inondant l'espace de lumière. Ren se protégea les yeux puis les rouvrit prudemment en sentant une brise souffler ses cheveux. Ce qu'il vit devant lui le scotcha sur place et il ne put s'empêcher de lâcher un « wouah » émerveillé.

Il se tenait maintenant au bord d'une falaise abrupte, couverte de lianes et de plantes grimpantes. Des centaines de cascades d'eau coulaient autour de lui et se jetaient dans un grand bassin au pied de la falaise. De la brume trainait aux pieds des cascades et le grondement de l'eau jouait comme une mélodie discrète. L'air était humide et le vent soufflait.

— Commençons par le commencement : bienvenue dans mon plan astral ! s'exclama la fille en tournoyant sur elle-même. Ceci est la représentation de ton esprit et du mien : un plan métaphysique. C'est ici que nous nous verrons désormais.

— C'est beau... fit Ren.

— Ensuite je me présente : je suis Aguamarine la Douzième.

Elle lui fit une petite révérence en souriant. Ses cheveux en aigue marine étaient coupés courts et ses grand yeux de même nature débordaient de vie. Elle portait sur elle une sorte de justaucorps en écailles de poissons argentées et des pièces d'armures en forme de coquillages dorés sur à peu près tout le corps. Des boucles d'oreilles et des piercings en or rappelaient des nageoires de poissons de chaque côté de sa tête. De grands tissus blancs et légers flottaient à sa taille, comme une jupe. Sa peau était pâle, légèrement bleutée et elle faisait à peu près la taille de Ren.

— T'es vraiment une des Douze ? demanda Ren en l'examinant.

— Je peux savoir ce que ça veut dire, cette question ? répliqua Aguamarine.

— Je sais pas... Je vous imaginais plus comme les statues... Des adultes plein de prestance, avec une aura divine. Pas vraiment une gamine de mon âge.

Ren se plia en deux quand Aguamarine lui flanqua un coup de poing dans le creux de l'estomac.

— De ton âge ?? J'ai cinq milles ans et toi tu en as peine seize ! Quant aux statues, les sculpteurs étaient sans doute éblouis par nous autres divinités. Ils avaient donc tendance à nous vieillir, nous embellir et nous rendre plus sages, ce qui donnait un résultat en complet décalage avec la réalité.

Les représentations qu'on faisait de la Douzième déesse de l'ancien monde ne collaient absolument pas avec sa véritable apparence. Passé cette première surprise, Ren se redressa en se tenant le ventre, larmes aux yeux et envie de vomir.

— Bon... Qu'est-ce que tu veux savoir Ren ? commença Aguamarine en s'asseyant au bord de la falaise.

— Euh... À peu près tout, dit Ren d'une voix étouffée. Y a eu tellement d'informations d'un seul coup que j'ai pas trop compris ce que Scorpio et Charlie m'ont raconté. En fait à un moment donné je me suis retrouvé avec ton... âme dans mon corps ?

— Tout à fait ! En réalité la pierre bleue que ta mère a implantée, il s'agissait de mon âme. Elle a fusionné avec ton cœur et tu es devenu mon réceptacle et Gardien. Je te donne mes pouvoirs et ma mémoire en échange de ton esprit. Vois ça comme un échange de bons procédés !

La déesse lança une pierre dans le bassin au pied de la falaise et la regarda couler dans l'eau cristalline.

— J'ai toujours vu le monde à travers les yeux et les oreilles d'un autre, depuis ma mort...

— Mais les Douze n'ont pas « rendu leur clés à l'humanité » ? questionna Ren en se souvenant de ses cours d'Histoire.

— Non. Nous sommes tous mort le jour où le monde s'est disloqué. Mais nous avons survécu sous forme de pierre, notre âme, et nous vivons au travers des Gardiens depuis bientôt quatre millénaires.

— Le monde s'est disloqué ?

— C'est compliqué. Avant le monde était uni, mais quelqu'un l'a divisé en trois.

— C'est une personne qui a fait ça ??

Ren ne pouvait presque pas la croire. Une personne aurait réussit cet exploit ? Qui pourrait scinder le monde en plusieurs dimensions parallèles ?

— Pas une personne. Un dieu qui n'a jamais eu sa place. Une "Anomalie"...

— Un des Douze ?

À sa connaissance, il n'avait existé que douze dieux dans l'histoire de l'humanité. Douze dieux qui avaient foulé le même sol qu'eux et vécus parmi les mortels. Un d'eux aurait détruit le monde ?

— Non, ce n'était aucun des Douze. C'était "celui en plus"... Un dieu déchu qui n'aurait jamais dû voir le jour...

— Un autre dieu ?

Aguamarine essuya la larme qui venait de rouler sur sa joue, comme si de rien n'était. Elle soupira et se tourna vers Ren en souriant.

— Je te montre ?

La brume envahit les lieux et Ren se retrouva dans le brouillard. Il se leva et plissa les yeux dans la purée de pois. Les nuages se dispersèrent et un rayon de soleil fendit les nuages. Ren se trouvait en bas d'un immense château, dont les nombreuses tours étaient perchées très haut sur des falaises. Devant lui, un temple de pierre et une foule monstrueuse. Ren sursauta quand une fillette lui passa au travers en courant.

— Maman ! Maman ! Dépêche toi !

— Surtout fais comme si je n'existais pas hein !! pesta Ren.

Une femme en tenue antique lui passa au travers comme s'il était un fantôme, en disant à sa fille qu'elle arrivait, les bras chargés d'objets précieux, comme des offrandes.

Évidemment que tu n'existes pas, c'est un souvenir patate ! lui rappela la voix d'Aguamarine.

Ren allait devoir s'habituer à cette sorte de radio miniature dans sa tête. C'était comme quand il avait ses écouteurs : seulement lui entendait la musique.

— Et je fais quoi ? demanda-t-il.

Ben avance... dit Aguamarine. Va voir !

Ren se mit en marche, passant au travers de la foule comme un spectre. La voute du temple masqua les rayons du soleil et il dut s'habituer à la pénombre intérieur. Il inspira l'air si particulier et propre aux églises. Des lampions piquetaient l'obscurité comme des étoiles. D'immenses piliers soutenaient un plafond majestueux en mosaïque. On pouvait y deviner une sorte d'horloge, avec à chaque nombre un cristal d'une couleur différente et la représentation de douze personnes en habits blancs, comme des divinités. Ren poursuivit son chemin et vit alors ce pour quoi tout le monde affluait ici.

Sur le chœur surélevé se tenaient douze personnes aux cheveux de cristal. Ils étaient côte à côte, drapés de vêtements de soie et brodés d'or. Les personnes s'agenouillaient bien bas devant eux et déposaient des paniers d'offrande au pied de l'escalier. Ren se faufila au premier rang et observa la foule de fidèles venu remercier ces douze divinités.

— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il.

Tu vas bientôt le savoir, mais il s'agissait de la fête de la Renaissance. C'est le nom que les humains ont donné au jour où les Douze sont descendu sur terre et ont fait renaître le monde de ses cendres.

—  Vous ne vous sentiez pas gêné ?

Un peu. On n'attendait pas vraiment un culte en notre faveur, mais les humains y tenaient absolument. Ils ont toujours eu besoin de croire en quelque chose, de penser que des forces supérieures étaient à l'œuvre dans ce monde.

— Ah.

Ren observa les Douze et répertoria une à une les pierres de naissance dans l'ordre. Aguamarine était placé tout à gauche de celui du centre et était élégante dans sa robe de soie blanche. Elle semblait chercher une occupation du regard. Un autre, le peridot à première vue, devait sûrement se faire violence pour ne pas bailler et s'endormir debout.

Ren repéra celle qui devait être Sapphire, dont Charlie était la Gardienne. Une jeune femme qui ressemblait aux statues grecques. Ses cheveux bouclés en saphir étaient coiffés de la même manière que les figures antiques. Des épis de blé en or pendaient à ses oreilles et des ailes d'anges étaient pliées dans son dos.

Ren n'en crut pas ses yeux en voyant le dieu dont la pierre était le topaze. Au premier coup d'œil, il crut d'abord que c'était Scorpio. L'illusion était quasiment parfaite : le dieu avait des cheveux en topaze tirés en arrière et formant une immense tresse dans son dos, sa peau était couleur sable et ses yeux en cristal semblaient naturellement cernés de noir. Lui aussi devait s'ennuyer.

— Scorpio lui ressemble...

Bah, ça arrive de temps à autre. Une fois, une de mes Gardienne me ressemblait comme deux gouttes d'eau !

— Et vous êtes tous dans la tête de quelqu'un sur la planète ?

Oui. Un Gardien, pour chaque dieu. Pour nous garder en vie... Il y a sûrement une raison, mais je ne sais pas laquelle.

— On trouvera bien. Du coup, il est où ce dieu qui a détruit le monde ?

Aguamarine lui indiqua une des petites chapelle au fond à droite de l'église. Ren fendit la foule comme s'il n'était que du vent. Il arriva dans cette partie à l'écart, silencieuse et déserte contrairement à la nef et aux bas-côtés du monument. Ren vit quelqu'un assis à côté d'une statue de pierre. Les genoux remontés vers lui et un cahier sur les genoux, une garçon à la peau grise écrivait avec une plume.

— C'est qui ?

Le garçon avait des yeux aussi noir que la nuit, sans aucun reflet dedans. Un regard mort. Sa peau couverte d'étranges tatouages était comme celle des cadavres, froide rien qu'en la regardant. Ses cheveux noirs semblaient être en cristal, même si aucune lumière ne parvenait à se refléter dedans. De l'obsidienne. Le garçon se gratta la nuque et Ren vit que ses ongles étaient noirs.

Mon frère cadet ... Ren, je te présente Obsidian. L'Anomalie ou le Treizième. C'était un de nous, sans l'être. Un dieu sans pouvoirs, qui ne représentait rien.

— Il n'avait pas de pouvoirs ? Alors que c'était un dieu ?

Personne n'a jamais trop su ce qu'il était. Une de mes sœurs disait qu'il était né de sentiments négatifs, alors que les Douze sont constitués de magie pure. C'était quelqu'un d'effacé, de taciturne et de solitaire. Mais quelque chose l'a changé. Quelque chose lui a fait dire que ce n'était pas cette vie là qu'il voulait. Qu'il aurait dû être quelqu'un d'autre.

— Qu'est-ce qu'il voulait être ?

Dieu.

***

Ce fut le son de la pluie martelant les toits qui réveilla Ren. Blottie sous sa couverture, l'intégralité de son corps hurla de douleur quand il remua. Il grogna mais soupira. S'il avait mal, c'est qu'il n'était pas mort... Il ouvrit les yeux, les images du temple et des Douze encore imprimées dans sa tête. Un rêve et un souvenir d'une autre mémoire.

Il se frotta les paupières et se leva. Il se gratta la joue mais retira sa main en sentant les points qui lui tenaient sa balafre. Sa joue et sa paupière étaient également toutes gonflées. Il se leva contre l'avis de ses muscles et se débarrassa de sa couette. Le salon de Charlie s'offrit à lui. La façade était étrangement en bon état, alors que la veille ce n'était qu'un trou béant...

— Bien dormi ?

Ren pivota vers Scorpio, accoudé sur le comptoir de brique de la cuisine. Il mâchouillait un morceau de pain, l'air ensommeillé. Ses cheveux lisses de jais lui tombaient en cascade dans le dos et sa chemise complètement déboutonnée laissait apparaître un tatouage sur son pectoral gauche. Un V suivit de trois bâtons. Un huit en chiffre romain.

— Euh...La façade ? questionna Ren.

— Artefact magique... dit Scorpio en tripotant l'anneau en or à son oreille. Ça répare tout en deux minutes. Alors, la gamine t'as parlé ?

Ren confirma et lui fit un rapide débriefing de sa rencontre avec la déesse. Puis le rêve qu'elle lui avait montré. Scorpio hocha la tête.

— Où est Charlie ? demanda Ren en se levant. Et Sarah et Matt ? Et Nya ?

— Charlie est partie chercher les deux premiers après t'avoir ramassé dans la rue. Elle a dû dormir à mon appartement et devrait pas tarder. Quant à l'autre elle est sûrement à l'auberge...

— C'est quelle heure ? grogna le brun.

— T'as pas de patience c'est dingue... C'est neuf heures du matin. T'as dormi comme une masse. Moi aussi d'ailleurs...

Il se massa le crâne et goba le reste de son quignon de pain. Ren vérifia la position des aiguilles sur l'horloge du salon en fronçant les sourcils. Il avait dormi d'une traite sans se réveiller et seule la quantité importante de sommeil qu'il avait eu pouvait justifier une heure aussi tardive. Il se leva avec la sensation que quelqu'un avait mis le temps depuis la veille en "vitesse fois deux". Scorpio lui tendit une pomme. Ren n'avait pas faim mais prit quand même le fruit.

— Ça va ? Tu encaisses un peu les récentes nouvelles ?

— Quoi, savoir que je suis le Gardien d'une déesse de l'ancien monde, qui vit dans ma tête et que son âme a fusionné avec mon cœur ? Ça va ouais...

— C'est quand même étrange que t'aies pas d'œil en cristal... Mais bon, ton cœur en aigue-marine doit faire l'affaire.

— Si tu le dis...

Ren termina sa pomme et jeta le trognon. Il allait arrêter de penser à ça. De toute façon, il allait revoir ses amis, ensembles ils trouveront le moyen de rentrer grâce à cette histoire de voeu et des vingt milles âmes et dire au revoir à ce monde de cinglés. Mais après ? Comment Ren allait-il vivre sa nouvelle vie de Gardien ? Qu'est-ce qu'il allait faire en sachant que les gens comme lui resteraient dans cet autre monde ? Il ne savait plus.

— Je vais faire quoi après ? demanda-t-il directement à Scorpio.

— Après quoi ? souffla l'homme, menton dans les mains. Rentrer dans ton monde ? J'en sais rien.

— Je vais pas rester les bras croisés... J'ai une des Douze dans ma tête quand même. C'est sûrement pour quelque chose non ? Je dois sûrement avoir un rôle ou une mission.

— Pfff, tu nous fais une crise existentielle ?

Ren se prit la remarque comme un seau d'eau glacé et Scorpio se fendit d'un sourire sur le côté, narquois.

— Pourquoi les Douze sont encore en vie alors ? Pour décorer ? C'est forcément dans un but précis !

— Demande à Aguamarine.

— T'as qu'à demander à Topaz, répliqua Ren.

La riposte amusa Scorpio.

— Il aime pas qu'on l'embête pour rien...

Ren souffla par le nez et partit se rincer les mains dans le lavabo de la petite salle de bain coincée entre le salon et la chambre de Charlie. Le miroir au dessus lui renvoya l'image d'un garçon fatigué, au regard mort et surtout défiguré par la balafre qui courait sur sa joue. De l'os de la mâchoire jusqu'à la pommette sous la paupière inférieur, l'estafilade rouge tenait avec quelques points.

— Dommage, se moqua Scorpio en passant dans le couloir. Une si belle gueule gâchée par une cicatrice.

— Je préfère ça plutôt que le suicide...

— J'ai reçu un télégramme de Charlie, elle nous attend au café du coin, continua l'homme en agitant un bout de papier. Avec tes potes. Tu enfiles tes chaussures et on y va.

Ren se sécha les mains et sortit de la petite salle d'eau. Il récupéra ses rangers dans le hall d'entrée et Scorpio ferma la porte derrière eux. Il s'était rattaché les cheveux et avait au moins reboutonné sa chemise à manches bouffantes. Dehors, il restait encore de la cendre et des débris, mais la majorité des dégâts de la veille avait été réparés. Les gens vivaient une vie normale, pourtant les attaques et les assassinats étaient monnaie courante. Quel monde bizarre quand même. On banalisait la violence et le crime d'homicide et la vie n'avait absolument aucune valeur.

Ils arrivèrent en vue d'une devanture de café que Ren reconnut : c'était là où il avait croisé Scorpio après l'attaque de Stone. Le vélum blanc à rayures bleues offrait un peu d'ombre aux personnes attablées en terrasse, avec un café et des pâtisseries. Ren se reçut des regards et des critiques quand il s'avança au milieu des tables. Diantre, que son accoutrement était étrange ! Il poussa la porte en verre. Le gérant qui lavait des tasses lui souhaita la bienvenue.

— Par ici Ren !

L'adolescent vit Charlie assise à une table au fond du bar. Un sourire naquit sur son visage quand il vit les deux personnes à côté de la journaliste.

— Coucou Ren ! s'exclama Matt en le voyant.

Il devait sourire comme un débile, mais qu'est-ce qu'il s'en fichait. Sarah et Matt étaient là, sous ses yeux et en vie ! Il s'approcha et Matt se leva pour le serrer dans ses bras avec des claques dans le dos.

— Content de te revoir mon pote ! s'exclama-t-il.

— Je me suis fait un sang d'encre. Quand je vous ai vu...Et qu'il vous a... J'ai cru que je vous reverrai jamais.

— Moi-même je sais pas comment on peut être en vie mais bon, dit Sarah.

Elle serra à son tour Ren dans les bras avant de le décoiffer en souriant.

— Et ben ! souffla Matt. Va falloir mettre au point la situation.

— Nya est pas censé venir ? demanda Ren en remettant ses cheveux en place.

Charlie confirma en disant qu'elle devrait recevoir un télégramme à l'auberge. Matt prit l'air étonné, réalisa quelque chose, inspira et glapit :

— Nya est ici !? Ça veut dire qu'on est au moins quatre coincés dans un monde parallèle steampunk ?? Oh bon sang mais j'y pense, on a aucun moyen de rentrer en fait !! On est piégé de l'autre côté d'une réalité épaisse comme une feuille de papier, avec notre monde qui est juste là derrière mais on peut pas rentrer !! On est coincé à tout jamais dans ce monde de barbares et en plus la faucheuse a déserté ! Comment c'est possible ça d'ailleurs, le voyage entre les dimensions ! Argh mais en fait le multivers existe pour de vrai !! Enfer et damnation c'est quoi ce truc de malade qu'on est en train de vivre ??? Puis les autres ils sont où aussi ??

— C'est bon, c'est bon, ça va, ferme-là un peu tu veux ? grogna Sarah en lui filant une tape dans l'oreille. Quelle pipelette tu nous fais...

— Mais quoi, j'ai raison ! On sait pas comment rentrer !

— En fait j'ai peut-être une idée, dit Ren.

— Toi ? s'étonna Sarah. Pff.

Elle pouffa discrètement dans ses mains et se rassit sur la banquette en cuir en riant. Ren souffla de mécontentement, voyant clairement qu'elle se foutait de lui.

— Moi au moins j'essaie de nous sortir de cette situation de merde au cas où tu l'aurais pas remarqué !!

— Mais il va se calmer celui-là ? rétorqua Sarah. Toi, tu vas percevoir ta tisane au tilleul. Puis ravie de t'avoir retrouvé au fait !

— C'est vrai que c'est dommage de se crier dessus alors que vous vous êtes retrouvés il y a à peine cinq minutes, fit remarquer Charlie.

— Ouais bon bah, pardon...

Le tintement du carillon de l'entrée résonna quand une fille entra dans le café. C'était Nya. Elle remarqua le groupe au fond de l'établissement, en face du bar. Elle s'avança timidement, mains dans les poches de sa veste. Ren lui jeta un bref regard, mauvais. Ils se regardèrent en chien de faïence, puis Nya fixa ses pieds.

— On est content que tu ailles bien Nya ! lança Sarah pour réchauffer l'ambiance.

— C'est clair ! Super content qu'on soit réuni ! ajouta Matt. À quatre on sera toujours plus fort que tout seul !

— Et si vous preniez un chocolat chaud pour fêter vos retrouvailles ? proposa Charlie, radieuse.

— Bonne idée chérie, approuva Scorpio. Jipé, quatre chocolats viennois, au bar ! Et deux cafés. C'est moi qui paie.

— Oh non, vraiment c'est pas la peine... dit Nya.

— Mais si ! insista Charlie en poussant les quatre adolescents au comptoir. Fêtez ça ! Se retrouver dans un autre monde n'est pas commun. Vous avez eu de la chance. Allez santé !

Charlie récupéra les deux cafés et s'installa à une table en face de Scorpio, laissant les adolescents entre eux. Sarah haussa les épaules et se hissa sur un des tabourets. Matt sautilla et grimpa avec difficulté sur le sien à cause de sa petite taille. Ren s'installa à son tour et Nya s'assit en dernière, comme gênée. Jipé amena les chocolats viennois dans des tasses en verre. Le mélange brun et mousseux semblait appétissant, surtout avec la pyramide de chantilly qui coiffait le tout.

— Bon ben, à la vôtre ! lança Sarah.

— À nos retrouvailles oui ! dit Matt. On a eu de la chance.

Ren ramassa sa tasse et la cogna contre celle de Sarah puis de Matt. Il dévisagea Nya, sans bouger. Cette dernière avait la tête dans la main et remuait mollement son chocolat.

— Tchin tchin Nya ! fit Matt en faisant tinter son verre contre le sien.

— Allez Nya, encouragea Sarah en tendant son verre.

La démone s'étala sur le bar et tendit son bras au maximum pour trinquer. Nya sourit, attrapa sa tasse et trinqua avec Sarah, ce qui sembla la ravir. La jeune fille sourit à son tour puis fila un coup de coude à Ren en repartant à sa place. Ce dernier roula des yeux et tendit sa tasse à Nya. Elle le regarda sans comprendre en clignant des yeux.

— T'attends quoi, le déluge ? s'impatienta Ren.

Nya cogna son verre contre le sien en disant « santé ». Ren soupira et but son viennois. Il était vraiment délicieux. Les saveurs du chocolat, du lait, de la chantilly, du sucre roux et de la vanille donnait un goût unique à cette boisson. Ren n'avait jamais goûté un chocolat chaud aussi bon. Dire que dans leur monde on mélangeait de la poudre à du lait...

— Bon, on commence par parler des trucs bizarre d'ici ? débuta Sarah. Genre qu'on peut pas mourir ??

— C'est clair !!! glapit Matt. Un plomb dans la carotide et la tête et pourtant pouf ! Je suis encore là !

— Moi c'était un plomb dans les entrailles et un couteau dans la tête, dit Nya. Plus un empoisonnement...

— Puis moi une balle dans la cervelle, dit Sarah en frissonnant. Brr.

Ren était content de n'être encore jamais mort.

— Ah et ensuiiite ! fit Matt. J'ai l'impression que personne n'a remarqué ou alors tout le monde fait semblant de n'avoir rien vu.

— De quoi ?

— De la joue de Ren !!! Sérieusement t'as fait quoi ?? Six points de suture et une balafre en plein milieu de la joue !!

— Au moins on est assorti, murmura Nya en pouffant.

Ren l'ignora et Sarah confirma qu'il avait une sale tronche.

— Je me suis pris un coup de couteau dans le visage, c'est tout... dit-il.

— Ça va te laisser une sacrée marque. Attends... bloqua Matt. Un coup de couteau ? Mais c'est normal ici ou quoi ?

— Ouais, son jumeau diabolique nous est tombé dessus, poursuivit Nya. À part la couleur des yeux et la longueur des cheveux, c'étaient les mêmes ! C'est sûrement ton alter-ego ! Parce qu'on est dans un monde parallèle !

— Mais pourquoi tout le monde s'entretue ici ? demanda Sarah. Hier, avant de tomber sur le Cinis on a évité au moins trois embuscades et attaques.

— Pour le vœu enfin ! lança le barman qui écoutait la conversation.

Il se rapprocha en lavant un verre avec un chiffon propre.

— Si cette ville est une des plus violente de la région, c'est parce que les rumeurs sur le vœu n'ont jamais autant circulé.

— Le vœu ?

— Ouais, c'est une histoire qui dit que celui qui aurait vingt milles âmes pourra exaucer un vœu, dit Ren.

Il attrapa la pierre de récolteur qui patientait dans sa poche et la regarda briller dans sa paume.

— C'est peut-être vraiment la solution pour rentrer chez nous... marmonna-t-il.

— Tu peux éclaircir ou développer ? questionna Sarah.

Ren posa la pierre bleue sur le comptoir et la pointa du doigt.

— Si on récolte vingt milles âmes, on aura un vœu. On pourra souhaiter n'importe quoi.

— Mais oui ! réalisa Nya. On a qu'à souhaiter rentrer ! Mais vingt milles âmes... C'est chaud. Si une personne égale une âme, ça en fait autant à tuer.

— Hors de question ! refusa Matt. Même si la vie a l'air de n'avoir aucune valeur, jamais je ne tuerais autant de personnes !

— C'est qu'un jeu vidéo, dirent Nya et Ren en cœur.

La jeune fille s'excusa d'avoir parlé en même temps. Ren haussa les épaules.

— Ouais bon... reprit-il. Comme la mort n'existe pas, techniquement tu ne tues pas vraiment les gens...

— Bon ok, mais même dans un jeu vidéo, vingt milles kill, c'est long...

— Pas forcément. Rien qu'en tuant Cinis j'ai récupéré deux milles quatre cent âmes d'un coup. Si on dégomme ceux qui ont déjà récolté autant d'âmes...

— On nous mâche le bouleau ! s'exclama Nya pour compléter. On a juste à tuer les pires assassins pour aller plus vite !

— Voilà... fit Ren.

Finalement la solution semblait évidente : tuer suffisamment de gens, en priorité les assassins du top dix, récolter les âmes, faire le vœu et rentrer dans leur monde. Simple comme bonjour, ou presque.

— C'est pas une si mauvaise idée que ça finalement, dit Sarah. Mais on a beau avoir un entraînement militaire grâce à l'école et des pouvoirs, tuer des professionnels du meurtre, ça va pas être simple.

— Scorpio ou Charlie pourront sûrement nous entraîner, suggéra Ren en avalant le reste de son chocolat.

Il pivota sur son tabouret. Les deux trentenaires buvaient leur café en discutant, l'air dans leur bulle.

— C'est quand même marrant que vous l'ayez croisé, fit remarquer Ren.

— Ouais bon, notre arrivée dans ce monde, c'était pas glorieux, dit Sarah. On est tombé dans la cave du gérant Jipé, qui nous a engueulé et traité de démon, puis Scorpio est venu à notre secours. Il a deviné de suite qu'on était d'un autre monde, j'me demande comment il a fait...

— Il est très perspicace oui, fit Matt en reluquant la démone à la peau cramoisie et aux cornes de bélier.

— Et direct « tenez les clés de l'appartement et à demain ». Voilà comment on s'est croisé.

— En parlant d'appartement, y a des tas de trucs bizarres chez lui, continua Matt. C'est un capharnaüm indescriptible ! Le musée du Louvre. Des tas de babioles de toutes les époques.

— Ah et on a trouvé une photo aussi...

Sarah se contorsionna pour sortir une photo en noir et blanc de la poche arrière de son short en jean. Elle la posa sur le comptoir et la fit glisser à Ren. La photo était celle d'une fête d'inauguration de café et représentait justement le bar où ils étaient assis. Les tenues étaient plutôt vieillotte et le barman avait un petit air de famille avec celui qui les servait. Un petit détail interpella Ren. Parmi les clients qui trinquaient à l'ouverture du café, il y avait Scorpio. Les cheveux plus courts, un peu moins négligé, rasé et impeccable dans son costume chic. Mais toujours le même visage et les mêmes yeux de cristal cerclés de noir.

— Voilà, Scorpio est sur cette photo qui date de deux cents ans, conclut Matt.

Ren passa la photo à Nya qui la compara avec le bar et le Scorpio actuel.

— Ah ben sugar honey ice tea... C'est lui en fait !

— Sans compter la trentaine d'alliance trouvée dans une boite, toutes à son nom, je me demande si on n'est pas face à un fantôme, dit Sarah d'un air mystique.

— Mais plus personne ne meurt ici, fit remarquer Ren.

Curieux, le barman se rapprocha des adolescents et jeta un œil à la photo. Il la tourna vers lui pour l'avoir dans le bon sens et n'en crut pas ses yeux.

— Excusez-moi je n'ai pas pu m'empêcher de regarder... Mais cette photo ! C'est le grand père de mon grand père là-dessus. Le jour de l'ouverture de ce bar.

— Oui et ? demanda Ren avec humeur.

Il n'aimait pas trop la manière dont il s'immisçait dans la conversation. Le barman jeta un œil à Scorpio, puis il se pencha vers eux et leur chuchota, comme s'il racontait un secret :

— Il y a des choses étranges qu'on raconte à son sujet.

Il pointa Scorpio à sa table, puis sur la photo. Son visage semblait effrayé.

— Il s'agit de la même personne... Mon grand père m'a raconté ce que son grand père lui avait dit à l'époque. Quand il a pris son service, mon aïeul a fait connaissance avec un homme dont le savoir et les connaissances dépassaient de loin celles de n'importe qui. Un homme qui est resté jeune durant toute la vie de mon aïeul, jusqu'à son décès.

— Décès ? Mais je ne comprends pas, la mort n'existe pas ici, non ? remarqua Sarah.

— Vous ne savez donc pas que le jour de notre centième anniversaire nous cessons d'exister ? Enfin bref, quand mon grand père a pris la relève, il a toujours servi ce même client au fil des décennies. Il s'agit de cet homme... a qui je viens de servir un café, assis là bas... Près de cinq générations se sont succédées dans cet établissement et pourtant il est toujours là. Il me fait peur. Cet homme est un démon...

Ren observa Scorpio qui buvait son café en regardant la rue derrière la vitre du bistrot. Il serait là depuis deux cents ans, sans avoir pris une seule ride ? Apparemment les gens ne pouvaient plus mourir avant leur centième anniversaire et ensuite ils disparaissaient à cette date. Et Scorpio lui n'avait pas disparu...

— Tu crois qu'il est immortel ? demanda Sarah.

— Ce genre de pouvoir n'existe pas, rappela Matt. On peut peut-être défier les lois de la physique mais pas à ce point là.

— Si ça se trouve dans ce monde peut-être ! soutint Nya.

— Personne n'a de pouvoirs magiques ici, souffla Ren. Vous êtes sûr que c'est la même personne ?

— Bien sûr que oui ! Regardez-moi : j'ai soixante ans et quand j'ai commencé à travailler dans ce café j'avais votre âge. Tel que je le vois aujourd'hui, je l'ai vu ce jour où je l'ai servi pour la première fois. Plus je prenais de l'âge et plus je me rendais compte que lui ne bougeait pas. Mon aïeul disait vrai : cet homme est le diable...

— Jipé, un deuxième café ! lança Scorpio en claquant des doigts. Le diable a soif.

Le cafetier sursauta, blanchit et s'inclina plusieurs fois en répétant des « bien sûr Scorpio », mielleux. La situation amusa ce dernier, qui avait un sourire en coin impertinent sur le visage. Le barman qui n'en menait pas large partit à son moulin à café, laissant Ren, Matt, Sarah et Nya dans leur coin.

— Personne ne peut vivre plus de deux cents ans ! finit par dire l'américaine.

— Le diable haha ! rit Sarah. Ce qu'il faut pas entendre... Bref on fait quoi maintenant qu'on a écouté cette histoire de fantôme et but ce chocolat chaud ?

— On fait comme on a dit, on s'entraîne et on part à la chasse aux assassins, dit Ren.

— Okay ! enchaîna Matt. On va récolter ces âmes et rentrer chez nous ! Deal les gars ?

Il tendit sa main pour checker, comme pour sceller ce nouvel accord. Sarah tendit aussi sa main et regarda les deux autres. Nya qui avait semblé hésitante secoua la tête et tendit son poing, déterminée.

— On va rentrer à la maison, oui !

— Allez Ren ! dit Matt.

— C'est un peu niais votre truc là... soupira ce dernier. Mais bon.

Les quatre mains se firent un check. Ils se firent une seule promesse : celle de rentrer chez eux le plus rapidement possible. Ils avaient assez perdu de temps comme ça. Ren se retourna en sentant quelqu'un se rapprocher.

— Vous parlez de quoi les jeunes ? demanda Charlie.

Matt se chargea d'expliquer leur plan pour retourner dans leur monde, en faisant un exposé complet. Sarah dut l'arrêter dans son discours, histoire qu'il respire un peu... La jeune femme, déjà au courant pour leur situation, approuva :

— Je pense que c'est la seule solution en effet. Je ne sais pas comment vous êtes arrivés là, mais le vœu risque d'être votre seule option. Dès demain, on vous emmènera au stand de tir et on va vous donnez de quoi vous équipez.

— Un flingue et couteau par personne ça sera amplement suffisant surtout si vous avez des pouvoirs, rajouta Scorpio en rappliquant avec son café.

Il s'assit sur un tabouret de bar et aspira une gorgée de sa boisson. Ren le fixa droit dans ses yeux en topaze, en repensant à tout ce qui venait de se dire. Le diable... Un homme immortel...Une idée lui traversa l'esprit à son sujet. Scorpio finit par se sentir épié et pivota vers Ren.

— J'ai de beaux yeux, avoue, fit-il en ricanant.

— Je peux te demander un truc ? Mais en privé...

— Reçu cinq sur cinq.

Ren allait se lever quand la vitre du bar explosa en milles morceaux après plusieurs coups de feu. Des bouteilles d'alcool éclatèrent à tour de rôle sur leur étagère et répandirent leur contenue poisseux à terre. Sans réfléchir Ren se jeta par-dessus le bar et se mit à couvert derrière, au milieu des tessons de verre. Les autres enjambèrent eux aussi le comptoir et s'abritèrent.

— Encore ??? glapit Matt. Y a combien d'attaques par jour ici ??

— J'en ai marre !! rugit Ren. On se pose deux minutes et voilà qu'on nous agresse !

— Crie pas ! ordonna Sarah.

Rapidement des hurlements envahirent le café et les rares clients de l'intérieur partirent s'abriter dans la réserve à l'arrière. Charlie fut emportée par la foule et disparut dans l'arrière boutique. Le cafetier organisait l'évacuation vers la cave et ferma la porte derrière lui. Les adolescents avaient droit au comptoir complet en guise de protection, au milieu des flaques de boissons et des morceaux de verre.

— Scorpio ! appela Ren. Ne reste pas planté là, viens t'abriter !

Ce dernier n'avait pas bougé d'un pouce et était toujours accoudé au bar avec son café comme si absolument rien ne s'était passé. D'un coup de pied violent, un homme ouvrit la porte du café. Ren reconnut Cinis et son sang ne fit qu'un tour. Sarah pointa son nez au dessus du bar et faillit s'étrangler.

— Encore lui !

— Encore vous !! s'étonna Cinis en repérant les quatre. Ma parole vous êtes plus collant que de la glue !! Toi là ! Avec le regard mort !

— Il parle à toi, marmonna Matt en filant un coup de coude à Ren.

— Je vais te tuer et récupérer mes âmes ! Les trois autres merdeux aussi !!

— On fait quoi ? demanda Nya.

Cette dernière avait mis un saladier en métal sur la tête pour en faire un casque. Ren se demanda s'il ne fallait pas faire comme elle quand une balle le manqua. Une bouteille de rhum explosa derrière eux.

— Hé, respecte les bouteilles tu veux, siffla Scorpio en rajoutant un carré de sucre dans son café.

Cinis pointa son pistolet vers celui qui avait osé l'interpeller, puis changea de couleur. Il se mit à trembler sans pouvoir se contrôler et son expression se figea de terreur en voyant Scorpio.

— T...T...Toi ? balbutia-t-il.

— C'était un rhum vieux vieilli en fût de chêne, continua Scorpio. Et toi, bim ! Tu exploses des années d'efforts avec une balle. Aucun respect envers le travail de ceux qui se sont occupés de ce rhum.

— Ne bouges pas !!! cria Cinis, pris de sueurs froides. Sinon, je tire !

— Pour détruire un de ces somptueux whisky ? Tu n'oserais quand même pas ? Si tu savais tous les soirs où je me suis roulé sous les tables avec celui là en plus.

— Rappelle moi ce qu'on fous là ? demanda Sarah à Ren.

Le jeune homme lui posa une main sur le crâne et la rapatria sous le comptoir, histoire de ne pas se prendre un coup au passage. Matt avait opté pour la technique du saladier et était prostré dans un placard ouvert à la place des bouteilles.

— Il est complètement inconscient ce type ! murmura Nya en se retenant de crier.

— C'est moi où Cinis est sur le point de se faire dessus ? demanda Matt. Il est couvert de sueurs froides.

— Tu sais ce qu'on va faire ? poursuivit tranquillement Scorpio. Tu vas me donner ton flingue et on va se prendre un petit digestif en discutant. Ça te va ?

— J... J... Jamais ! C'est hors de question ! Je vais te tuer !! Il faut que je me débarrasse de toi, au moins une fois !

— Allez gamin, souffla Scorpio en tendant sa main.

Le geste fit sursauter Cinis qui leva son pistolet droit devant lui et tira. La dénotation fit crier Nya et donna une mini crise cardiaque au groupe. Ren resta paralysé sur place en voyant la tête de Scorpio partir brutalement en arrière et une giclée de sang jaillir de son front. Sa tête roula et tomba vers l'avant. Cinis l'avait eu en pleine face...

Aveuglé par la colère, Ren sentit Sarah le rattraper par la ceinture de son jean quand il voulut se jeter sur Cinis pour aller le planter. La démone le tira d'un coup sec et le fit tomber derrière le comptoir. Ren serra les dents et regarda Cinis. Il jetait un regard incrédule à son pistolet, un sourire nerveux et l'air épuisé. Il tremblait comme une feuille.

— Je... J'ai réussi. Je l'ai eu !

— Les gars ? fit Matt.

— Enfoiré, gronda Ren en voulant repartir à l'assaut. Je vais le tuer... Je vais lui étaler son sang sur le sol...

— Ren s'il te plait ! supplia Sarah en le retenant comme elle pouvait. Arrête de bouger !!

— Assomme-le au pire, proposa Nya.

— Les gars ?

— Je l'ai enfin tué !! s'écria Cinis, ébahi, en dansant sur place.

— Les gars, ça choque que moi le fait que Scorpio tienne encore assis ? demanda Matt en pointa le concerné du doigt.

Abasourdi, Ren prit cinq secondes pour réfléchir puis pivota la tête vers le cadavre de l'homme. Il était toujours accoudé au bar. Ren refusa de croire ses yeux. Cinis remarqua à son tour et devint aussi blanc que son manteau quand il réalisa.

— Non... C'est pas vrai...

— Bien visé, mais il va falloir un peu plus que ça pour m'avoir...

— C'est pas possible...

Après un long bâillement témoignant de son ennui, Scorpio releva mollement la tête. Il décroisa ses jambes, se leva du tabouret et porta une main à son front recouvert de sang. Un trou noir lui avait ouvert la tête.

— Mais comment ??? hurla Cinis. Pourquoi tu n'es pas mort ??

Scorpio fouilla avec ses doigts dans la cavité de son front et en extirpa la balle qui l'avait créée. Il la jeta par terre en soupirant. Un peu de sang tacha le sol et la balle y rebondit avec un bruit métallique. La blessure se referma toute seule et cicatrisa en un instant, sous les regards ébahis de l'assemblée.

— C'est impossible ! Je t'ai eu en pleine tête !! Tu devrais nourrir les cafards du sol ! Tu aurais dû me donner tes âmes et disparaître ! Pas te lever comme si de rien n'était !

— Tu jacasses beaucoup quand même, rit Scorpio en se rapprochant lentement de lui.

Un nouveau coup de feu partit et l'homme ne broncha même pas quand la balle se logea dans son torse. Une tâche de sang se diffusa sur le tissu blanc de sa chemise. Il siffla entre ses dents et attrapa le menton de Cinis, qui se raidit sur place.

— Tu viens de trouer ma chemise préférée...

Ren détourna les yeux et Sarah se boucha les oreilles pour ne pas entendre le craquement écoeurant des cervicales de Cinis, puis le cri rauque et étranglé qu'il lâcha pour expirer. L'assassin tomba à terre, raide mort et Scorpio resta debout devant son cadavre, en époussetant ses mains. Les quatre adolescents se pétrifièrent sur place, comme s'ils venaient de croiser le regard de la Méduse, quand il se retourna. Scorpio se fendit d'un sourire sinistre. Son propre sang commençait à sécher sur son visage.

— Je pense pas qu'il plaisantait le gars en disant que c'était le diable... fit Matt d'une toute petite voix.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top