Chapitre 21: L'affrontement
Le bâtiment trembla quand le monorail passa sur son rail, juste au dessus du toit. De la sciure de bois tomba des poutres du plafond. Dans une des chambres de l'auberge de jeunesse d'Occlasia, un œil gris s'ouvrit. Nya se releva en hurlant de terreur et s'assit sur son lit, le souffle court et en sueur.
Elle regarda autour d'elle, ne reconnaissant pas l'endroit. Elle tenta de calmer sa respiration saccadé. Son cerveau lui rappela un petit détail qui la fit crier d'horreur. Elle plaqua les mains sur sa bouche, se débarrassa de son drap et se leva. Elle déambula dans la pièce. Elle venait de mourir. Elle était morte. Pourquoi était-elle là alors ?
Elle marcha vers la salle de bain attenante, ouvrit le battant en bois et découvrit une grande baignoire de cuivre, avec un vieux chauffe-eau juste à côté. L'ensemble faisait penser à la salle d'eau antique de l'époque victorienne. Nya se rapprocha du miroir moucheté et trouble sur les extérieur et regarda son reflet hagard.
Rien. Pourtant, elle était morte ! Stone l'avait tué ! Et elle l'avait bien senti passer ! Elle s'était pris une balle dans l'estomac et un couteau en pleine tête. Il n'y avait aucune raison pour qu'elle s'en soit sorti. Alors pourquoi son front n'avait rien ?
En tremblant, elle souleva son teeshirt et regarda son flanc et ses côtes. Rien non plus. Elle délirait ou quoi ? Ou alors. Elle était au paradis ? En jetant un œil par la fenêtre crasseuse, elle vit les cheminées qui grimpaient dans le ciel et lâchaient de la fumée allant du noir charbon au blanc. La ville sentait la révolution industrielle à plein nez, littéralement.
— Et ben, la gueule du paradis...
Elle remit son teeshirt en place, ramassa sa veste de base-ball sur une chaise et sortit de la chambre, ne comprenant plus rien. Dans le couloir, elle croisa une fille à la peau bronzé et aux yeux rubis. Elle s'arrêta à sa hauteur.
— Ah, t'es morte Nya ? s'étonna-t-elle. T'as pas eu le temps de retrouver tes amis ?
Dans sa tête Nya se demanda premièrement qui était cette fille, puis ensuite capta la phrase.
— Comment ça je suis morte ??? beugla-t-elle. Et toi alors, qu'est-ce que tu fiches ici ??? T'es morte aussi ??? C'est ça le paradis ??? Un vieux monde steampunk ???
— Mais t'es aussi tarée que Ren en fait...
— Mais je suis morte ou pas ?? Qu'est-ce que c'est que ce binz ???
— Rololo... soupira la fille.
Nya se souvenait qu'elle s'appelait Samirah.
— Tu vas prendre une petite infusion de tilleul et te calmer. T'es jamais morte avant ou quoi ?
— Ah parce qu'on meurt tous les jours ici, suis-je bête, lâcha Nya avec humeur.
Elle descendit l'escalier de la réception en martelant le sol avec ses pieds et trouva les deux autres adolescents dans le salon, Mathieu et Darel en train de faire une partie d'échec. Elle attrapa une bouteille d'eau au bar et but directement au goulot.
— Bon, j'ai dû faire un rêve bien flippant et réel dans lequel je me faisais tuer par le jumeau de Ren, simple non ? se dit-elle.
Pas convaincant comme explication... Elle se hissa sur un tabouret et se massa les tempes, les coudes posés sur le comptoir de bar. Un monde inconnu, des alter-egos et maintenant la faucheuse qui ne faisait pas son travail. D'un côté c'était bien... Sinon elle y serait passé pour de vrai. Elle frissonna et se dit que cette fausse mort était la pire des choses qui lui soient arrivés.
— Hé Nya, tu t'es faite tuer ? demanda Darel en se rapprochant.
— J'ai la tête d'un cadavre ? répliqua Nya.
Darel fronça les sourcils, l'air de se demander de quoi elle parlait... La jeune fille sauta de son tabouret et traina les pieds jusqu'à un fauteuil, à côté d'un poste de radio du Crétacé. Mathieu demanda à monter le son en entendant des informations apparemment critiques. Darel tourna une molette et bougea un peu l'antenne pour avoir moins de friture. Un journaliste annonçait qu'une immense explosion avait ravagé une partie de la rue du cinéma. L'assassin numéro deux, un dénommé Cinis serait sur place et aurait tué avec brio des tas d'habitants.
— Ce jeune homme est prometteur ! s'exclama le journaliste emplis d'admiration non dissimulé. Un jour, il sera le maître de la ville, loin devant Stone.
— Il est jamais objectif ce journaliste, soupira Samirah.
— J'aperçois également un jeune garçon qui... Charlotte ?? Mais qu'est-ce qu'un boulet comme toi peux venir faire ici ?? Tu ne vois pas que je suis déjà sur l'affaire ? J'ai pas pas besoin de toi !
Il y eut le son d'un coup de pieds, puis une chute et le crissement du micro qui tombe à terre et qu'on ramasse. Une voix de femme grésilla dans le poste de radio.
— J'ai un message pour la fille avec les cheveux bleu, la tresse, la cicatrice sur l'œil et les vêtements étranges ! Si tu entends ce message, rejoins vite la rue de l'incident ! La rue du cinéma ! Tes amis sont en danger ! La démone, le garçon avec les grandes oreilles et Ren sont en danger ! Si tu entends ce message viens vite nous aider !!
Nya se raidit sur place. Cette description lui correspondait ! Elle s'approcha du poste de radio, en alerte et tendit l'oreille.
— Je répète ! Rue du cinéma ! Ren et tes amis sont en danger ! On est mal en point, viens vite je t'en supplie !
— Charlotte pousse toi !
— Aaaahhh !!! Pousse toi toi, sinon je crie et je te plante !
Le poste de radio cracha des sons de bagarre, des coups, puis le bulletin météo remplaça ce joli bazar. On annonça des orages pour la semaine. Nya se leva d'une traite de son fauteuil.
— Oh shit ! Vite, la rue du cinéma ! Elle est où ?? Faut que j'y aille !
— Vers le cinéma...
L'américaine se retint de donner une baffe à Darel puis se rua sur un plan de ville, placardé sur un tableau en liège dans la salle. En vitesse, elle chercha le cinéma en paniquant puis le trouva. C'était à l'autre bout de la cité, elle n'aura jamais le temps d'y arriver en quelques minutes. Elle lâcha un juron en anglais, puis retourna vers les trois locaux.
— Quelqu'un a une voiture ou un truc pour aller vite ?
Elle n'avait pas le permis, mais s'était entrainé assez souvent avec la voiture de son grand père sur les routes désertes de Louisiane pour savoir conduire un peu. Darel se leva en bombant le torse.
— On dirait que c'est à moi d'entrer en scène ! Je vais te montre ma toute dernière invention, viens !
En boitant un peu, Darel l'accompagna jusqu'à l'extérieur. Nya se demanda ce qu'il avait pour marcher comme ça. Il se planta devant un hangar attenant à l'auberge et lança un « tadam », rempli de fierté. Nya s'arrêta devant une sorte de moto, composée de plaque de cuivre, de gros boulons, d'un moteur à piston immense et complexe, d'un petit siège en cuir et d'un phare sur le guidon.
— C'est ma toute dernière invention ! lança Darel en croisant les bras avec orgueil. Personne n'a jamais inventé ça ! C'est totalement inédit. C'est une voiture à deux roues, avec un moteur digne du métro ! Puissance et vitesse garantie, ce truc devrait théoriquement aller jusqu'à quatre vingt kilomètres par heures !
— Ouais c'est une moto quoi... dit Nya en guise de conclusion.
Darel écarquilla les yeux, comme si l'idée du millénaire venait de lui frapper la tête.
— Une moto ! Ça sonne bien comme nom. Merci Nya. Maintenant je peux présenter mon projet à la Foire aux inventions en fin de mois ! Je vais devenir célèbre et surtout riche ! Bon, je t'explique comment ça fonctionne. Alors pour démarrer tu tournes cette molette, puis tu appuis sur la pédale là et tu accélère avec les poignées, tu tournes le guidon pour te diriger et...
— Ouais, c'est une moto quoi, répéta Nya, amusée.
Elle sauta sur le véhicule, actionna les molettes et boutons nécessaires, puis le véhicule lâcha un grondement sourd. La jeune fille sentit l'adrénaline lui courir dans les veines et la moto s'élança avec vitesse sur les pavés. Elle laissa un « youhou » joyeux s'échapper de sa gorge et changea de vitesse. Avec un vrombissement puissant, la moto eut une nouvelle poussée d'accélération et Nya slaloma entre les véhicules à vapeur de la rue, sa tresse flottant dans son dos.
Elle avança rapidement jusqu'à un carrefour donnant sur plusieurs boulevards et s'y arrêta. Elle tenta d'apercevoir les lieux du carnage, la rue du cinéma. Elle vit d'épais nuages noirs qui flottaient à quelques deux cents mètres, dans l'avenue à sa gauche. Un incendie donnait une couleur rougeâtre aux nuages amoncelés au dessus de la ville. Le temps était à l'orage.
Elle remonta les pieds sur les supports prévus à cet effet sur les flancs de la moto et démarra, espérant ne pas se tromper. La rue avait été désertée et les rares personnes encore présentes fuyaient en sens inverse de la jeune file. Elle s'arrêta dans un crissement de pneu et laissa la moto contre un mur. Elle toussota en sentant l'odeur qui flottait. L'acre senteur du bois brûlé, de la cendre et du sang. Un coup de feu lui fit claquer les tympans. Elle trottina entre les tas de gravas, le cœur cognant.
Elle accéléra la cadence en voyant des silhouettes au milieu de la fumée, sautant dans tous les sens en compagnie de bruits de pistolets ou de couteaux de métal en train de s'entrechoquer. Un homme en manteau blanc contre une femme en chemise à manches évasées, corset de cuir et pantalon taille haute.
Nya attrapa la lame qui trainait dans sa poche et se passa le tranchant dans la paume. Elle posa l'autre main dessus et attrapa le manche de l'arme en formation. Avec un grand et rapide mouvement du bras elle extirpa une longue chaîne en métal de sa plaie et lança la lame à l'extrémité droit sur l'homme en blanc à quelques mètres.
Un œil bleu pivota vers l'éclair d'argent qui lui fonçait dessus. L'assassin dévia la lame avec son couteau et, déséquilibré, il roula au sol pour éviter une chute douloureuse. La femme blonde face à lui l'attaqua à l'aide d'une liane immense serpentant dans son dos mais qui le loupa de peu et défonça le pavé. Elle se retourna vers Nya qui ramenait sa chaîne. Elle attrapa le poignard au bout et se rapprocha de la blonde.
— T'as entendu mon appel c'est génial. Milles merci !
— Je m'appelle Nya, précisa cette dernière.
— Enchanté, moi c'est Charlie ! On affronte Cinis ensemble ?
— C'est lui qui a réduit cette rue en cendre ? questionna Nya, horrifiée par les dégâts.
— Apparemment.
— Ils sont où Matt, Sarah et... Ren ?
— Matt et Sarah ? Oh... Je suis désolé... Il les as tué...
Nya sentit un poids monstre lui tomber dessus. Elle se dit que ce n'était pas possible et resta incrédule. Tuer. Ils se sont fait tuer ? Une lame lui taillada un peu la joue et la douleur la ramena à la réalité. Elle lâcha un « aïe » et ses doigts se maculèrent de sang quand elle s'essuya la joue. Un couteau venait de voler vers elle et avait raté son visage. Nya grinça des dents.
— Ma tronche a déjà assez morflé comme ça ! Puis comment as-tu osé tuer mes amis ???
La température de son sang augmenta jusqu'à le faire bouillir. Une veine gonfla à sa tempe. Nya réclamait vengeance. Elle leva le bras et sa chaîne s'abattit sur le sol en faisant une vague et soulevant des nuages de poussière sur sa route. L'homme en blanc évita l'attaque et tira une rafale de balles. Des éclairs de lumière s'allumèrent au bout de son flingue.
La terre gronda et des ronces par centaines s'élevèrent pour former une barrière protectrice. Les balles semblèrent éclater contre les ronces. Charlie venait d'ériger cette muraille végétale, rien qu'en frappant un pied au sol.
— T'as des pouvoirs ??? s'étonna Nya.
— Euh... Oui ?
— La classe !
Elle manqua de se retrouver avec un plomb dans les entrailles et partit s'abriter avec Charlie derrière la muraille de ronces. La jeune femme souffla, l'air de réfléchir.
— Il faut le tuer, c'est la seule solution pour qu'il nous fiches la paix.
— Le tuer...
Nya regarda l'homme au visage balafré tapit derrière un tas de bois carbonisé. Il rechargeait son pistolet.
— Ça ferait de nous des meurtriers... Je peux pas !
— Mais de quoi tu... Oh. Écoute, je sais que tu n'es pas habitué, mais ça ne fera rien ! Il tombera dans les pommes, disparaîtra et se réveillera dans son lit. La mort n'existe pas !
Nya se rappela soudain de ce qui lui était arrivé après s'être pris un couteau dans le front. Le sentiment de la mort et du froid qui l'avait emporté, soufflé loin de la réalité, puis lorsqu'elle s'était réveillée, elle avait l'impression d'émerger d'un cauchemar. La faucheuse n'existait pas. Ils avaient des vies à l'infinie, s'évanouissaient et se réveillaient dans leur lit. Son cerveau fit le rapprochement avec :
— Un jeu vidéo. Ce monde est un putain de jeu vidéo !
Elle se pencha derrière le mur de ronce, vrai refuge improvisé, pour avoir un visuel sur la rue. L'assassin était caché derrière un tas de briques...
— Si je meurs, je perds juste une vie. Si je meurs, je reviens à mon point de sauvegarde ! Si lui meurt, il reviendra quand même !
Un sourire déterminé aux lèvres, elle s'arma de deux épées et partit à l'assaut. Des balles ricochèrent sur les lames lorsqu'elle les para avec des mouvements rapides mais précis. Nya lui cria de venir se battre s'il était un homme. Cinis leva son nez au dessus de son tas de gravas, l'air en rogne. Nya dévia une énième balle et sauta sans réfléchir par-dessus les graviers.
Elle écrasa son épée à côté de l'homme en blanc qui roula au sol pour éviter. Ayant prévu cette réaction, Nya enchaîna avec un coup de pied en plein visage. Un craquement écoeurant résonna dans sa mâchoire et la tête de Cinis partit sur le côté.
Nya s'apprêta à lui donner le coup de grâce avec son deuxième sabre mais une douleur violente lui piqua la jambe. Elle baissa les yeux vers la seringue plantée dans son mollet. Le coup de pied ne se fit pas attendre et Cinis vola sur quelques mètres à cause de sa force surhumaine. L'homme roula et cracha du sang. Nya sentit ses muscles de la jambe la lâcher et elle posa un genou à terre. Une couleur violacée tachait son mollet. Des pas résonnèrent sur le pavé et Charlie cria en voyant Nya accroupi à terre.
— Qu'est-ce que t'as ? Pitié, ne me dis pas qu'il t'as injecté une de ses seringues ?
— Beeen....
— Rah merdouille ! On doit se dépêcher, t'as plus que cinq minutes.
— PARDON ? hurla Nya.
— Achevons Cinis et allons chercher Ren.
— Ça veut dire quoi j'ai plus que cinq minutes ? Me dis pas que c'est du poison ?
— Incurable, aucun remède n'existe. Moi-même, avec mes pouvoirs, je ne peux rien pour toi. Désolé... Il n'y a aucun antidote...
— Merveilleux, rit Nya de façon jaune. Je vais clamser dans cinq minutes mais tout va bien.
Ses muscles étaient déjà à moitié paralysés, comme quand on avait des fourmis dans les jambes après s'être coupé la circulation sanguine trop longtemps. Malgré cela elle se releva, bien déterminée à emporter cet assassin avec elle. Cinis se redressa de façon pitoyable en les voyant se rapprocher. Il ramassa un couteau.
— Je récupère mes âmes et je me casse ! Je dois en récolter, je n'ai pas le choix. Je veux les vingt milles âmes et le souhait qui va avec !
Il poussa un cri de rage et fouetta l'air avec son couteau, pour écorcher et tuer Nya. Elle les évita mais rapidement sa vue se troubla et ses muscles ne la portaient plus. Elle se laissa tomber à terre, les membres inférieurs paralysés. À la force des bras, elle essaya de s'enfuir. Charlie tenta de tirer sur Cinis avec son pistolet mais ce dernier esquiva et la frappa avec son couteau à l'estomac. La blonde tomba à terre en vomissant du sang.
Cinis lâcha un rire glacial en la regardant se plier au sol et serrer son ventre pour garder un peu de sang dans son corps. Nya se hissa au sommet d'un monticule de brique, honteuse d'abandonner Charlie de façon si lâche. Ses yeux se fixèrent sur la silhouette étendue au sol derrière le tas de pierre. Une silhouette d'adolescent aux cheveux noirs, mi long et ébouriffés. Elle attrapa un caillou et le jeta sur le garçon.
— Ren ! Aide-nous ! Fais pas ton faiblard !
Elle lança une autre pierre. Il fallait qu'elle le réveille. Elle se mit à paniquer en sentant qu'elle avait de plus en plus de mal à respirer. De plus ce crétin de Ren ne bougeait pas d'un pouce. Il fallait qu'elle trouve quelque chose de cinglant pour le réveiller. Rien de bien élaboré ne lui vint à l'esprit. Bon, elle n'allait pas faire des métaphores non plus...
— Mais bordel tu resteras inutile toute ta vie !!! glapit-elle.
Allongé sur le côté, Ren ouvrit péniblement un œil quand un autre caillou atteignit sa tête et que la phrase lui rentra dans les oreilles. Il pivota sur le côté, les sens coupés du monde. Les sons résonnaient comme s'il était sous l'eau et il y voyait flou. Il avait des acouphènes qui venaient de l'intérieur de sa tête et il avait mal partout. Sa tête tomba sur le côté et il vit la silhouette imprécise de Nya, qui émettait des sons éloignés. Une autre pierre lui atterrit dans la face et lui ramena un peu de lucidité.
— Mais c'est quoi ton problème ? grogna-t-il.
Il se redressa et ses muscles protestèrent à l'unisson. Il avait vraiment mal. Il jeta un regard mauvais à Nya. Elle était étalée sur un tas de gravas et semblait avoir un mal fou à respirer ou même se mouvoir.
— Aide... nous ! supplia-t-elle.
Une ombre jaillit dans son dos et les flammes se reflétèrent dans une arme blanche. Cinis brandit son poignard au dessus de la tête de Nya et s'apprêtait à l'abattre dans sa nuque. Quelque chose donna un coup d'élan à Ren. L'adrénaline lui permit de se lever et de se ruer sur l'assassin au manteau blanc.
Il récupéra la lame que Nya lui lança et sans réfléchir il la planta dans l'épaule de Cinis. Un hurlement résonna à ses oreilles et une douleur lui lacéra le bras quand Cinis riposta. Ren arracha le couteau de l'épaule de l'assassin et la lui planta en pleine poitrine. Il s'agrippa à lui dans sa chute et tomba à terre. Il leva à nouveau son arme et l'enfonça d'un coup sec dans la cage thoracique de Cinis, visant le cœur. Il ne resta plus que son corps raidit et la respiration rauque de Ren.
— Ça t'apprendras à tuer mes amis...
Il lâcha le couteau d'une main tremblante et reprit son souffle, à genoux sur le pavé et la cendre. Le danger s'éloignait déjà et la pression retomba peu à peu. Le calme et le bruissement des dernières flammes qui brûlaient furent tout ce qu'on pouvait entendre dans cette rue en ruines.
Tout d'un coup, une pierre bleutée se mit à briller à la ceinture de Cinis. Cette dernière disparut et les lueurs s'envolèrent vers Ren, avant de reformer une pierre ovale dans sa main. Par transparence, il vit un nombre en chiffre romain : deux milles. C'était une pierre de récolteur. Des âmes.
— Tu l'as eu... souffla Nya en rampant vers lui. T'as descendu ce gars ?
Ren tourna son visage sale, couvert de cendre et de sang vers elle. Elle s'était tournée sur le dos et respirait lentement, de manière contrôlée.
— Ouais... je crois.
Il regarda la pierre qui contenait les âmes. Elles étaient à lui maintenant.. Il inspira et soupira longuement, évacuant le stress accumulé durant ces dernières minutes. Il tourna la tête vers Nya. Une seule question lui traversa l'esprit à propos d'elle.
— Pourquoi t'es venu ?
Son propos suintait le reproche. Il n'en avait rien à faire de Nya, la détestait et elle le lui rendait très bien. Les deux s'entendaient comme chient et chat. Elle n'avait rien à faire là...
— C'est évident non... souffla la jeune fille. Je me réveille à peine de ma mort et j'entend que mes camarades sont en danger. J'ai pas réfléchi. Tout le monde aurait fait pareil.
— On n'est pas ami, rappela Ren.
— Je sais. Mais on laisse pas un camarade dans la galère. Surtout quand on est loin de chez nous. Perdu dans un monde inconnu et sans personne d'autre pour nous aider... Je l'ai dit, j'aurai fait pareil pour n'importe qui...
Ren grommela. Il exécrait cette impression d'avoir une dette envers quelqu'un. Surtout si ce quelqu'un était Nya.
— Tu me dois rien en échange, okay ? dit Nya, faisant écho à ses pensées. J'attend rien en retour, donc te fatigues pas...
Comme il n'avait jamais eu l'intention de la remercier, Ren se dit que ça l'arrangeait très bien. Il se laissa tomber sur son postérieur. Il déplia ses doigts et regarda la pierre de récolteur dans sa paume. Elle était froide, comme si les âmes qui la composaient étaient de glace. Puis il se rappela de cette rumeur qui circulait. Celle que Mathieu et Samirah lui avaient évoqué à son arrivée.
— Si on a vingt milles âmes, on peut faire n'importe quel vœu...
Il écarquilla les yeux et se leva d'un coup en regardant sa pierre. Elle ressemblait tout d'un coup à une clé pour le retour. La solution semblait si évidente.
— On peut souhaiter n'importe quoi ! On n'a qu'à souhaiter de pouvoir rentrer !!
Enfin une route pour la maison se dessina au loin. Et il faudra vingt milles âmes pour ça. Ren ne put s'empêcher de crier de joie et de sauter sur place, ce qui s'avéra être une mauvaise idée pour son corps endolori.
— T'entends ça Nya ? On peut faire un vœu et rentrer chez nous !
Mais Nya avait déjà fermé les yeux et semblait s'être endormi si profondément que sa cage thoracique ne semblait plus bouger. Hésitant, Ren se pencha au dessus d'elle et tendit l'oreille pour entendre sa respiration mais rien. Il recula et regarda un nuage de cendre s'envoler et le corps de Nya disparu.
— Rentrer à la maison... répéta-t-il.
Il se sentit extrêmement fatigué d'un seul coup et son corps ne pouvait plus supporter ni son poids, ni la douleur devenu insoutenable. Il se laissa tomber au sol, serrant son récolteur contre lui. Ses paupières se fermèrent toutes seules et il accueillit avec joie et soulagement les ténèbres de l'inconscience...
Sur un toit de la rue du cinéma, un spectateur inattendu avait observé le carnage, sa tignasse de jais épaisse au vent. Ses yeux rouges intrigués rappelaient ceux des hiboux, perchés sur leur branche et examinant avec attention une scène. Un sourire carnassier étira ses lèvres tandis qu'il jouait avec le cristal pendant à son oreille droite.
— Enfin un peu de concurrence. On va bien s'amuser !
***
Momifié dans des draps blancs, Matt se mit à paniquer et gigota dans tous les sens quand il se réveilla. Il roula et tomba de son matelas, droit sur le plancher. Il finit par trouver la sortie de sa couette, pointa sa tête à l'air libre et hurla.
— Par les Douze ! Qu'est-ce que je fabrique là ???
— Bordel de ... !!
L'air s'échappa de ses poumons lorsque le poids d'un corps l'écrasa. Sarah venait de lui tomber dessus. Aplati comme une crêpe sous ce poids, l'elfe agita les pieds en suppliant de dégager.
— Matt !!! s'exclama Sarah.
La démone se poussa, releva l'elfe et le serra contre elle en pleurant. Déboussolé, le nez à moitié dans la poitrine de la jeune fille, Matt mit du temps avant de raccrocher les wagons.
— J'ai eu si peur ! hoqueta Sarah. J'ai fait un cauchemar tellement réel que j'ai cru que je t'avais perdu ! Puis j'ai cru mourir moi aussi.
— Cauchemar ? répéta Matt.
Il s'écarta de Sarah qui avait l'air vraiment soulagé mais qui n'arrêtait pas de gratter et tripoter un coin de sa tête. Toujours désorienté, Matt était certain d'avoir échappé à la mort. Lui aussi avait fait un rêve dans lequel il mourrait. Ils étaient tous deux tombés dans une sorte d'attaque terroriste et s'étaient défendus face à l'homme en blanc. En vain.
Matt s'était reçu un plomb douloureux dans la carotide. Jamais il n'avait eu aussi mal de toute sa vie. Il avait dû tenir une minute, le temps qu'une deuxième balle se loge dans sa tête et qui heureusement pour lui l'avait rapidement achevé... Il était mort. Et pourtant il était là...
— C'était réel je crois... Dans ce cas, on est au paradis ?
Sarah secoua la tête pour désapprouver et regarda le salon où ils étaient. Un vieux salon de l'époque victorienne, qui respirait l'ambiance steampunk. Un pêle-mêle d'objets variés s'entassait sur chaque meuble, faisant ressembler cette pièce à un cabinet de curiosité...
— Non c'est l'appartement de Scorpio... poursuivit la démone. C'est trop perturbant. J'ai reçu une balle dans la tête, juste après avoir vu... Ren ! Oh putain c'est vrai ! Il est ici aussi ! On doit aller l'aider !
— Du calme Sarah ! Je sais que t'es désorientée à cause de ce qu'il vient de se passer, mais hors de question de retourner dans cet enfer ! L'homme avec le masque de peste est peut-être encore là-bas ! On peut encore se faire tuer ! Je veux pas mourir une seconde fois !
Sarah lui lança qu'elle en avait rien à battre et se dirigea à grandes enjambées vers la porte de l'appartement. En chemin, elle cogna une boite qui dépassait d'une étagère surchargée et son contenu se répandit sur le parquet. Matt se frappa le front.
— Et bé bravo... Scorpio va nous tuer si on fiche le bazar chez lui. C'est déjà assez généreux de nous avoir donné les clés sans rien en échange... Suspect mais généreux.
Sarah pesta et mit un genou au sol pour ramasser le contenu de la boîte. Matt s'accroupit pour l'aider et fronça les sourcils derrière ses verres de myope.
— Des alliances ?
Le carton ne contenait que des bagues, certaines en or, toutes simples et d'autre qui semblaient très vieilles, en cuivre oxydé, comme des vestiges.
— Scorpio collectionne les bagues ? demanda Sarah en en regardant une en argent et en émeraude qui lui plaisait bien.
Matt en regarda une en or et la roula entre ses doigts. Elle semblait usagée et vieille. Le métal était rayé. À l'intérieur on pouvait lire les noms des mariés : Félicia à Scorpio. Une autre contenait toujours le nom de Scorpio, mais celui de la femme était différent.
— Là encore c'est pas les mêmes, fit remarquer Sarah, en parlant des prénoms. Il a eu combien de femmes ? Y a au moins trente bagues là dedans, c'est quoi ce délire ??
— Y en a en grec, en chinois, en arabe et même en latin. Y a plusieurs langues... Celle là a même l'air de débarquer de l'Antiquité !
— Il collectionne les alliances ? Mais toutes portent son nom...
— C'est bizarre...
Ils arrêtèrent de se poser des questions et rangèrent là boite là où ils l'avaient trouvé. À bien y regarder, son appartement désordonné semblait être un condensé de souvenirs de musée et d'objets de toutes les époques et de toute la planète. Sarah s'approcha d'un cadre photo posé sur une commode et l'attrapa.
La très vieille photographie en noir et blanc représentait des personnes assises à un bar, pour célébrer l'ouverture d'un café visiblement : une banderole était suspendue au dessus du comptoir et annonçait l'événement. Le gérant semblait heureux comme tout et les clients vêtus à l'ancienne levaient leur verre à la santé de l'homme cafetier. Et parmi les clients, on pouvait reconnaître Scorpio.
— Mais mais quoi ?? fit Sarah.
Il ne ressemblait pas vraiment à sa version actuelle. Sur la photo il était rasé, ses cheveux étaient plus courts et encadraient son visage et son vieux costume chic ne laissait pas voir la moitié de son torse, comme avec sa chemise et son veston aujourd'hui. Il semblait moins négligé, mais avait toujours les mêmes cernes et yeux cerclés de noirs.
— C'est peut-être un parent ? proposa Matt.
— Avec les mêmes yeux bizarre en cristal et sourire charmeur ? On dirait que c'est lui ! Mais il a quel âge ce type ?
Matt sortit la photo de son cadre et lut la date marqué au dos : 6 juin 3801.
— Soit il y a presque deux cents ans... marmonna-t-il. On est en 3993...
— Pfff... Sûrement un parent alors. Aucun être humain ne peut vivre deux cents ans et être aussi bien conservé. Bon on va chercher Ren et puis c'est tout ! J'en ai ma claque de ce monde steampunk dont la faucheuse à l'air d'être au chômage technique.
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