Chapitre 20: L'étranger
— Mais elle me saoule !!! pesta Derak.
Il sauta sur le mur en face de lui pour éviter un énième stalactite de glace qui s'encastra pile là où il se trouvait deux secondes plus tôt. Le vampire tournoya en l'air et se posa contre un mur. Il leva la tête, dents serrées, vers Noëllya. Ayant totalement disjoncté, la démone lui fit un grand sourire à glacer le sang. À nouveau une vague de froid se fit ressentir dans la cage d'escalier où ils étaient piégés et Angèle éternua.
— Comment on va faire ? couina-t-elle.
Derak se dit que la plaisanterie avait suffisamment durée. Cela faisait plus d'un quart d'heure qu'ils tentaient de fuir, mais à chaque fois Noëllya les rattrapait et gelait la cage d'escalier, les piégeant encore et encore dans un vrai congélateur. Derak commençait à avoir froid. Il ne sentait déjà plus ses pieds ni ses mains.
— Je vais l'assommer ! annonça-t-il. Une fois dans les pommes, on sera plus tranquille.
— Non ! protesta Alix.
Derak se contorsionna pour regarder le jeune homme avec un air agacé. Alix était pendu tête en bas, au plafond. Il secoua encore la tête.
— Ne la blesse pas, par pitié.
— Alix, je suis contre la violence, dit Angèle. Mais là c'est elle ou nous... Je ne veux pas finir congelée...
— Mais elle n'y est pour rien !
— Rah la ferme ! pesta Derak en s'arrachant les cheveux. Tu commences à être un peu agaçant ! On va pas la tuer !
— Mais je ne veux pas qu'elle ait mal...
Derak lui tira la langue pour montrer qu'il s'en fichait et que la priorité était de ne pas terminer comme des Misters freeze. Il inspira et se concentra afin de ne pas s'emmêler les pinceaux lors du changement de gravité puis sauta. Le bâtiment entier tourna autour de lui jusqu'à ce que Noëllya soit sur un « mur » à sa droite. Il atterrit puis effectua à nouveau un bond. Mais une force invisible le stoppa net, en plein saut. Il tira sur ses membres qui restèrent bloqués.
— Alix ! râla-t-il.
Ce dernier venait de le stopper avec ses pouvoirs. Il pleurnichait et renifla.
— J'ai dit non, ne lui fait pas de mal !
— Tu gonfles ! Angèle à l'attaque !!
Cette dernière s'envola et se jeta sur Alix avec un cri aigu sensé cacher sa peur et lui donner du courage. Elle s'agrippa dans le dos du garçon comme un koala. Elle lui frappa les bras avec ses petits poings, sans aucune puissance et lui ordonna de lâcher Derak.
— Je veux pas qu'il frappe Nono !
— Lâche mon ami ! Laisse partir Derak.
— Non, je ne le laisserai pas faire de mal à ma pote !
— Bravo les copains !! Battez-vous !!! encouragea Noëllya.
Dépité, Derak regarda Angèle qui faisait ce qu'elle pouvait à son niveau pour pouvoir détourner l'attention d'Alix... Agrippée ainsi dans son dos et à le frapper sans technique ni force, il avait l'impression d'observer une chamaillerie enter frère et soeur. Cependant il sentit la pression du pouvoir d'Alix sur ses membres se relâcher un instant. Immédiatement il en profita pour augmenter son poids avec ses pouvoirs à lui. Le bras d'Alix se mit à trembler et Derak cria victoire : apparemment il ne pouvait pas soulever quelque chose de trop lourd. Lorsque la charge devint trop importante pour lui, Alix le lâcha, épuisé.
Le vampire tomba d'un coup à l'horizontale par rapport au sol. La trajectoire de sa chute passa non loin de Noëllya et il lui flanqua un coup de pieds à l'arrière de la tête. Elle lâcha un grognement et tomba à terre, sonnée. Elle rampa sur un mètre avant de laisser tomber son front contre le sol, inconsciente. La température remonta rapidement à sa valeur de consigne, autour des vingt degrés.
Derak lâcha un soupir et se laissa retomber sur le vrai sol. Il joignit ses mains et fit doucement revenir la gravité à la normale. Alix et Angèle décolèrent du plafond et redescendirent au sol.
— Pfiou... Et bien elle était vraiment décidé à nous attaquer et nous congeler, souffla Angèle.
— Bon, on fait quoi ? questionna Derak. On la ramène avant qu'elle émerge et on lui remet une perfusion de calmant ? Je comprends mieux pourquoi ils en ont tous et qu'ils les gardent !
Alix renifla encore et ramassa le corps inerte de Noëllya. Il vérifia son pouls et soupira de soulagement.
— T'as vraiment cru que j'allais la tuer ? s'étonna Derak. Hé je suis pas comme ça ! Puis assommer les gens c'est ma spécialité ! Je connais ma technique par cœur.
— Elle n'y...
— Est pour rien ? Je sais, mais en attendant elle a failli nous tuer ou nous frigorifier vivant. Elle s'en remettra, fais pas la tête.
Il enfonça les mains dans les poches de son pantalon et poussa la porte coupe feu de la cage d'escalier avec le pied, après avoir abaissé la poignée avec l'épaule. Alix se releva et chargea Noëllya sur son dos. Angèle s'apprêta à les suivre mais se rendit compte d'une chose. Ses mains ne portaient plus le poids monstrueux de tout à l'heure...
— Mince ! Le classeur de Pix ! s'exclama-t-elle. Je l'ai laissé là haut. Ne bougez pas, je vais le chercher.
— Angèle attends !
— Ça ne prendra pas plus de cinq minutes. Puis ça m'intrigue vraiment cette histoire avec Pix.
Laissant derrière elle les trois autres, elle remonta les escaliers en métal sur plusieurs étages et poussa la porte coupe-feu. Elle se retrouva dans le couloir en moquette de tout à l'heure. Elle l'arpenta et finit par voir le classeur qu'elle avait laissé tomber dans le feu de l'action.
Elle le ramassa et remit une feuille qui s'était échappé. Elle se redressa et s'apprêtait à redescendre mais elle aperçut une silhouette au fond du couloir. Elle s'arrêta et tourna la tête, intriguée. Un enfant se cacha derrière un mur, au niveau de l'angle du corridor. L'ange se rapprocha prudemment.
— Y a quelqu'un ?
— Non ! couina une voix.
Angèle pointa sa tête dans la deuxième partie du couloir et vit une petite fille accroupi au sol, se cachant les yeux avec les mains, espérant se faire discrète. Elle avait les cheveux coupés au carré, blanc comme ceux de l'ange, une peau rougeâtre et des cornes sur le front. Elle ressemblait un peu à un oni, ces monstres des légendes japonaises. Mais un oni petit et tout mignon. Elle portait un pull en laine bleu et un legging noir, ainsi qu'une paire de chaussettes épaisses.
— Hé, bonjour toi, dit doucement la jeune fille.
La petite sursauta et se tourna brusquement vers Angèle. Deux grands yeux vairons et terrorisés la regardèrent. Celui de gauche était couleur saumon, tandis que l'autre était blanc avec d'étranges reflets et motifs de cristal. Comme un œil en diamant.
— N'aies pas peur, je voulais juste voir qui c'était, rassura Angèle.
Elle se demanda ce qu'une si petite fille pouvait faire ici. Elle eut un peu peur en voyant qu'elle n'avait pas de perfusion, alors qu'ils étaient quand même dans un hôpital psychiatrique pour détraqué. La petite oni se mit à claquer des dents et recula, apeurée.
— Tu t'appelles comment ? demanda Angèle.
Elle ne semblait pas avoir plus de cinq ans, mais devait savoir parler... Cependant, la petite resta muette et continuait à fixer Angèle comme un alien. Cette dernière se présenta gentiment. Elle avait l'habitude des enfants, après tout elle avait des jumelles en bas âge en guise de sœur. Elle savait comment s'y prendre.
— Ne t'inquiète pas, je suis une gentille personne, affirma-t-elle avec douceur.
La fillette désapprouva en secouant rapidement la tête. Angèle lâcha un « quoi » surpris, malgré elle.
— Bon... Euh. Tu veux que je te raccompagne à ta chambre ? Tu t'es perdu ?
Elle ne comprenait pas trop ce que cette enfant fabriquait ici, dans cet hôpital sinistre. Elle lui tendit une main amicale et la fillette hurla et recula en paniquant, à croire qu'Angèle venait de la gifler.
— Mais attends !
— Non ! Tu me touches pas ! Vous êtes tous des méchants !
— Mais je veux juste...
Angèle sentit un vertige. Le décor se déforma, comme si deux filtres colorés se séparaient avant de se superposer à nouveau. L'air semblait s'être figé. Elle entendit un « tic tac », puis tout redevint normal. La fillette avait disparu. Toujours accroupi au sol, Angèle cligna des yeux, n'y comprenant rien. Avait-elle rêvé de cette enfant ? Ou bien était-ce l'influence de son pouvoir ?
Elle soupira. Elle n'aura qu'à demander à Alix si elle l'avait déjà vu. Elle ouvrit le classeur dans ses mains et regarda la première feuille.
— Qu'est-ce que tu fais là Pix ? Qu'est-ce que tu nous caches ?
Leur ami avait vécu dans ce monde et dans cette tour. Il y était hospitalisé. Pourquoi ? C'était intriguant... Angèle découvrira bien la vérité. Ensuite elle ira demander à Pix en personne s'il se souvenait de tout ça. Elle réalisa soudain que Pix n'était pas ici. Ni lui, ni aucun autre de ses amis. Derak et elle étaient bloqués ici, dans un autre monde et sans aucun contact avec l'extérieur. Comment allaient-ils rentrer chez eux ?
Elle mit le classeur sous son bras et se mit en marche pour rejoindre les garçons. Cependant étant donné que chaque couloir se suivait et se ressemblait et que son sens de l'orientation était inexistant, elle se perdit. Elle s'arrêta et regarda devant et derrière elle. Pas l'ombre d'une personne à l'horizon et seul le ronronnement de la climatisation meublait l'ambiance. Angèle aurait préféré le silence. Elle tenta de se rassurer. Tout ira bien. Il suffisait juste de revenir à l'escalier. Mais l'idée d'être seule ne la rassurait absolument pas. Elle tenta de trouver rapidement une solution.
Une porte s'ouvrit sur sa gauche, sûrement à cause d'un détecteur de mouvement. Angèle espérait que ce soit l'escalier, ainsi elle passa la porte. Cependant ce n'était pas l'escalier mais une pièce. Elle claqua l'interrupteur sur le mur. Les néons s'allumèrent. C'était un sorte de bureau... Des piles de feuilles encombraient les meubles. Angèle en attrapa une qui semblait être écrit en chinois. Que du baratin scientifique.
Elle reposa la feuille mais cogna un presse papier au passage. Elle paniqua et tenta de le rattraper, mais elle oublia qu'elle avait le classeur dans les mains et le lâcha. Le presse papier se brisa au sol et le classeur lui broya les orteils.
Un déclic retentit. Une porte s'ouvrit dans la pièce alors qu'elle sautillait sur place. Elle cligna plusieurs fois des yeux. Étant curieuse de façon maladive, elle partit jeter un œil. Elle découvrit des étagères de stockage plein les murs. Elle s'avança, émerveillée.
Des bocaux contenant des sortes de flammes colorées décoraient les étagères. Un vrai arc en ciel qui scintillait dans l'obscurité de la pièce. Elle se mit sur la pointe des pieds et tapota un des bocaux. L'aura à l'intérieur bougea à peine. Qu'est-ce que c'était que ça ? Elle attrapa le bocal et le souleva. La flamme ressemblait à une âme, comme on la représentait souvent. Elle tourna le bocal et lut l'étiquette qui était collé dessus.
— Abillac Mathew ?
Pourquoi ce nom était familier ? Elle fronça les sourcils. Il y avait deux dates marquées dessus, une date de naissance et une qui ne pouvait être que celle de mort. Elle ne comprenait plus rien mais voulut lâcher ce bocal. Cette chose dedans n'était tout de même pas des restes de personnes ? Pourquoi y aurait-il un nom et deux dates dessus alors ? Comme sur une urne funéraire ?
Elle reposa le bocal, horrifiée. Ça ne serait pas l'âme de la personne décédée ? Ou une chose de même nature ? Quoi alors ? Un pouvoir ? De la magie ? Tant de questions se bousculèrent dans sa tête. Elle vit alors une petite note sur un post-it jaune, collé à l'emplacement du bocal. Elle le retira et le lut.
Le petit a succombé à l'extraction de son pouvoir. J'ai gardé son âme et son pouvoir, puis envoyé son corps à la morgue. Un de moins, mais un pas de plus vers mon objectif.
Angèle lâcha la feuille. Tout ceci était trop horrible pour être réel. Elle décida de s'enfuir au plus vite de cet endroit macabre, rempli d'âmes de personnes mortes et de pouvoirs en bocal. Elle ramassa le classeur et sortit en vitesse de la pièce. Elle se dirigea vers la première porte qu'elle trouva et fut presque énervé de voir que c'était celle des escaliers. Juste en face...
Elle dégringola les marches sur plusieurs étages, ne sachant plus où s'arrêter. Elle décida d'ouvrir une porte au hasard et se cogna dans le torse de quelqu'un. Elle se dégagea et s'inclina plusieurs fois pour s'excuser.
— Tiens Angèle, j'allais te chercher !
— Derak ? gargouilla la jeune fille.
Sans savoir pourquoi elle fondit en larme et se jeta dans ses bras. Le vampire leva un sourcil déconcerté.
— Oui ? J'ai loupé un truc ?
Angèle se mit à raconter avec confusion et en pleurant qu'elle avait rencontré l'âme vengeresse d'une fille oni qui voulait lui extraire son pouvoir et l'envoyer à la morgue dans un bocal. Derak lui tapota le crâne en lâchant un « oui oui ».
— Bon tu vas aller prendre une douche et aller au lit, proposa-t-il. Ça ira mieux demain...
C'était une phrase pratique mais elle sonna faux sur le moment. Il attrapa le classeur et l'allégea un peu en modifiant son poids puis passa un bras autour des épaules d'Angèle pour la raccompagner. Il avait l'impression d'être en permanence avec une gamine qu'il fallait tout le temps réconforter.
La porte de la chambre d'Alix s'ouvrit et ils entrèrent. Ce dernier devait être sous la douche, on entendait l'eau couler. Noëllya n'était pas là, sans doute qu'elle était encore prise en charge par les infirmiers. Angèle se laissa asseoir sur un des lits.
— Ça va aller, rassura Derak. Tu veux pas lire le classeur ? Ça va te changer les idées.
— Si... répondit Angèle, l'air ailleurs.
Elle attrapa le classeur et le posa sur ses genoux. Derak se leva et ramassa la manette de jeu qui traînait sur une table de nuit. Il alluma la télé et fut étonné de voir que le jeu auquel jouait Alix était toujours en pause, affiché à l'écran.
— Bah, il m'en voudra pas si j'avance un peu, ricana-t-il.
Il remit le jeu en route et promena son personnage au milieu de l'univers urbain. Angèle ramena ses jambes sur le lit et se mit en tailleur. Elle commença la lecture des différents rapports à propos de Pix. Mais pour elle, ça ne pouvait pas être lui. Les descriptions à son sujet ne correspondaient absolument pas au garçon qu'ils connaissaient tous.
— Peut-être que la crise d'adolescence s'est faite à l'envers chez lui, proposa Derak quand elle lui évoqua cette pensée. Genre chiant et agressif avant, puis tout gentil et pleurnichard comme un enfant maintenant. Ça dit quoi tous tes trucs ?
Angèle attrapa la toute première page et lut à voix haute. Cela correspondait au jour d'arrivée de Pix dans cet établissement. L'auteur de ces papiers décrivait tout, comme des comptes rendu de fin de journée. Les parents de Pix seraient venu dans cet hôpital pour laisser leur enfant se faire soigner, car ils craignaient pour sa santé mentale. Selon eux, il avait de sévères problèmes et peut-être besoin d'un psychiatre. Ou d'un traitement.
— Pix ? Des soucis psychologiques ? Tu délires ?
— T'as qu'à lire gros bêta.
— Non mais désolé, il n'a pas du tout l'air instable. Il est carrément le moins psychopathe de nous tous. Compare le à Ren ou Gabi, je t'assure que y a pas plus sain que Pix.
— Mais Gabi et Ren sont pas des psychopathes...
— Ah vraiment ? s'étonna Derak. Gabi est un peu lugubre et raconte des trucs bizarre, mais Ren...
— Il est agressif, c'est pas pareil.
— Mouais... T'as compris l'idée quoi, Pix est normal. Continue.
Angèle poursuivit sa lecture. Leur ami, âgé de sept ans, s'était donc fait prendre en charge dans une unité spéciale, avec d'autres patients. Très vite, les infirmiers avaient vu ce qui clochait avec lui.
— Il souffrait de grosses crises de démence, apparemment... lut Angèle d'une petite voix. Ça durait assez longtemps. On l'enfermait dans une cellule capitonnée pour éviter qu'il ne blesse les gens et lui même...Brr, c'est horrible !
— Ouais bon, c'était un malade mentale !
— Dis pas ça ! Le pauvre... Mais je ne comprends plus rien. Comme tu l'a dit, il est normal avec nous. On le connait depuis quelques années et il n'a jamais eu un comportement bizarre. Sans ça, on n'aurait même jamais su qu'il avait des problèmes...
Elle eut envie de pleurer d'un coup... Derak haussa les épaules et dégomma un ennemi avec un pistolet laser. Angèle feuilleta la suite des rapports. L'un d'eux décrivait la nature et l'état de Pix au moment de son arrivée. L'ange n'en crut pas ses yeux en voyant les différentes photos et les schémas accompagnant les explications.
— C'est un démon, dit Angèle. Pix est un démon...
— Faudra arrêter les substances illicites un jour...
L'ange frappa la tête de Derak avec le tas de feuilles dans ses mains. Il pesta à propos de son brushing et se recoiffa.
— Je suis sérieuse ! Regarde là !
Derak arqua un sourcil en se tournant vers les feuilles et en piocha une. La photo représentait leur ami, plus jeune et milles fois plus terrifiant qu'aujourd'hui... Il possédait cinq yeux noirs et émeraude sur le visage... Une expression de fureur bestiale qu'ils n'avaient jamais vu lui déformait les traits et ses dents étaient aiguisées comme des rasoirs.
— La vache, ses yeux ! s'exclama Derak. Depuis quand il en a cinq comme ça ??
— C'est terrifiant... Un démon... Dire qu'on vit avec lui depuis la sixième, qu'il semblait si normal... Je vais vraiment pleurer là... ajouta-t-elle, la voix brisée.
— Mais Pix a rien d'un démon ! Sa couleur de cheveux est certes inhabituelle, mais c'est pas impossible dans notre monde. Des couleurs farfelues, tout le monde en a.
— Depuis quand tu dis « certes » toi ?
— Y a juste son tatouage bizarre qu'il a au visage, d'ailleurs c'est peut-être une marque de naissance, mais on n'a jamais vu ses yeux comme ça ! On dirait un montage...
Angèle ouvrit les anneaux du classeur et remit les pochettes plastiques dedans. Elle continua ses recherches et tomba encore sur des comptes rendu. Des infirmiers avaient été blessés pendant qu'ils s'occupaient de Pix, griffés ou mordus. Mais ça, ce n'était que de petites blessures en comparaison avec d'autres. Certains avaient des os et des membres brisés par télékinésie, sans compter des dégâts matériels considérables. Tel qu'il était décrit, Pix était un enfant terrifiant et dangereux... Dément et impitoyable...
— Si tout ça est vrai, alors aujourd'hui il s'est vraiment ramolli... dit Derak. Raaaah merde !
L'écran de la télévision 4K venait de s'assombrir, les bords maculés de sang pixélisé et le personnage venait de tomber à terre. Un game over s'afficha.
— Jeu à la noix ! La manette est pas pratique de toute façon.
La porte de la salle de bain s'ouvrit à la volée, laissant apparaître un Alix hagard, les cheveux trempés lui tombant autour de la tête et mouillant son teeshirt.
— Qu'est-ce que t'as fait ? glapit-il en voyant l'écran de game over.
— J'ai perdu...
Le menu proposait uniquement de charger une partie ou de revenir à l'écran titre. Derak prit la première option. Le fichier de sauvegarde s'afficha.
— Pourquoi j'étais niveau quarante et là c'est niveau dix neuf ?
— Pardon ??? T'as pas sauvegardé ??
— Ça le fait pas tout seul ?
Alix attrapa les épaules de Derak et le secoua comme un prunier.
— Soixante heures de jeu !!! Soixante heures et trois nuits blanches pour rien !!! Comment as-tu osé toucher à ma console !?
— Mais il va se calmer celui là ?? râla Derak. Sans dec', y a pas mort d'homme !
Alix partit se rouler en boule sur son lit et se mit à maugréer et pleurnicher en même temps, tout en récapitulant les quêtes qu'il allait devoir refaire. Plus tous les niveaux d'expérience perdus.
— Pfff, fit Derak. Bon, je vais me doucher, ça marche comment ?
Alix lui maugréa qu'il y avait une trappe pour les affaires sales, un placard avec des vêtements propres et qu'il n'avait qu'à entrer dans la cabine de douche et lancer un programme de lavage. Derak fit remarquer qu'il n'était pas une voiture, puis entra dans la salle d'eau.
De son côté, Angèle rangea son classeur sous un lit, en repensant à tout ce qu'elle venait de lire. Pix, un démon, qui faisait des crises de folie et de démence telles qu'on devait l'enfermer comme un malade mentale. Elle avait juste l'impression de lire des textes à propos d'un étranger...
La porte de la pièce s'ouvrit et Noëllya entra en tenant une poche de perfusion dans les bras. Elle semblait fatiguée mais calme. Alix fut ravi de la revoir.
— Tu vas mieux ? s'enquit-il.
La démone tourna ses yeux bleu vers lui et lui sourit. Un sourire triste.
— Désolé. J'ai fait la marionnette et des choses pas gentilles...
— C'est pas de ta faute, rassura Alix en la serrant dans ses bras.
— Coucou Angèle.
La jeune fille fut heureuse que Noëllya se rappelle de son nom. Elle la salua de la main. Une tête se pointa dans l'encadrement de la porte et Saurac s'avança dans la pièce. L'ambiance se refroidit d'un coup et de façon imperceptible.
— Bonjour les enfants, lança la directrice. Je venais vous dire que Noëllya va mieux et qu'on a réussi à la calmer. Vous n'auriez pas dû vous en aller en catimini du self... Mais je passe l'éponge, ajouta-t-elle avec un sourire hypocrite. On se voit demain et je vous garantis qu'on a du travail à faire ensemble !
La directrice s'en alla comme elle était venu et la porte se ferma. Noëllya partit se rouler sur son lit, ravie d'être à nouveau là. Puis Angèle se rappela d'une chose.
— Au fait Alix. Tout à l'heure j'ai croisé une enfant dans les couloirs...
— Y en a partout des bambins ici.
— Non, elle était toute seule dans les étages supérieurs. Une fille oni avec la peau rouge, des cheveux blanc au carré et des yeux vairons. Un saumon et l'autre gris très clair. Ah et des cornes rouges sur le front. Tu sais qui c'est ?
Alix leva les yeux au plafond, l'air de réfléchir puis se tourna vers Angèle.
— Tu parles d'Emi ?
— Emi ? Elle s'appelle comme ça ?
— Ouais, mais je ne connais que ça... Elle a cinq ans je crois et elle est arrivée quand elle était encore bébé. Elle n'avait même pas un an et ses parents l'ont laissé ici... Je ne sais pas ce que Saurac lui fait, mais elle ne veut laisser personne l'approcher.
— Ça explique pourquoi elle m'a crié dessus...
— Elle est craintive. Je n'arrive jamais à parler avec elle. Elle fait parti d'un programme spécial elle aussi.
— Quel genre de programme ? Puis y en a combien des projets ici ?
— Une bonne dizaine, mais tout tourne autour d'un même idéal : le désir de Saurac. C'est plus que bizarre. Elle arrête pas de répéter qu'elle aura la connaissance universelle, la vie éternelle ou je ne sais quoi. Elle veut être prête, quand « Dieu » viendra sur terre.
Angèle pencha la tête sur le côté, un air intrigué sur le visage. Dans la salle de bain, Derak poussa un cri strident et insulta la douche intelligente pour qu'elle baisse la température de l'eau.
— Dieu ?
— Ouais, c'est bizarre... Je ne sais pas de quoi elle parle.
— Mais, il n'y a aucun Dieu qui existe... Seuls les Douze ont foulé le même sol que nous, mais ils ont disparu après la Guerre.
— Ça aussi, ça me perturbe. Dans ce monde, comme dans le votre... Le notre, se reprit Alix. L'histoire est exactement la même avant la Guerre.
— Ah bon ?
Ces deux mondes parallèles auraient donc un passé en commun ? Comment deux mondes si différents l'un de l'autre peuvent-ils avoir la même histoire ? Angèle soupira, fatiguée de réfléchir.
— L'Histoire a dévié après la Guerre, s'exclama Noëllya. Un, deux, trois, puis hop : un monde, trois mondes !
— On faisait parti du même monde ? demanda Angèle. Dans ce cas, pourquoi, du jour au lendemain, le même monde se serait divisé en trois ?
— Dieu... répondit vaguement Alix.
Angèle ne comprenait décidément plus rien.
— Quoi Dieu ?
— C'est Dieu qui a détruit le monde et divisé en trois. C'est Dieu qui reviendra nous sauver quand quatre milles ans se seront écoulé, récita Alix. Saurac répète ça tout le temps, quand elle parle toute seule dans son bureau, devant un petit miroir de poche.
La porte de la salle de bain coulissa et Derak se jeta dehors en pestant, dans un nuage de vapeur. Tout en changeant de couleur, Angèle poussa un cri et se masqua les yeux en voyant qu'il avait juste son caleçon sur lui.
— Cette douche veut ma mort ! glapit-il. Ça fait trois fois qu'elle m'ébouillante et me congèle coup sur coup ! Ah et ensuite... Kwwaaaa ! T'as dit quoi ?? Miroir de poche ?
— Euh, ouais, Saurac a un petit miroir ovale, qu'elle ne veut jamais quitter, répondit Alix, l'air blasé. Elle lui parle, un peu comme le miroir magique de ce conte pour enfant là, comment ça s'appelle ? Blanche neige ?
— Ça date de quatre cents ans, c'est vieux ! dit Noëllya.
Derak se frotta le menton puis afficha l'air ahuri de celui qui venait d'avoir l'idée du siècle.
— Si on casse ce truc, on pourra sûrement rentrer à la maison ! On pourra revenir à Occlasia Academy ! Mais je suis un génie moi !
— Si le génie pouvait s'habiller, je lui en serais reconnaissante, bredouilla Angèle, tournée vers le mur.
Elle se répéta les paroles de Derak puis se dit que ce n'était pas une si mauvaise idée que ça. Casser le miroir et rentrer chez eux. Elle se tourna prudemment, vit que Derak enfila un teeshirt puis demanda :
— Saurac l'a toujours sur elle ?
Alix approuva d'un hochement de tête.
— Et demain on doit la voir. On en profitera pour lui dérober ! Ensuite on le casse et tout rentre dans l'ordre ! Bonne idée Derak, félicita Angèle.
— Je sais.
— Tout espoir n'est donc pas perdu. On n'est pas obligé de passer le restant de nos jours dans cette tour sinistre.
Malgré les récentes découvertes plus que glauques à propos de Pix, cette nouvelle eut l'effet d'un rayon de soleil perçant les nuages après des semaines de pluie. L'astre diurne leur manquait déjà. Mais il y avait de l'espoir. L'espoir de revoir le soleil et le ciel. Celui de revoir leurs amis disparus et retrouver leur vie.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top