Chapitre 18: Émeraude et démon
Étendue sur un lit, Gabi ouvrit les yeux et sut tout de suite qu'elle rêvait. Elle fixa la bibliothèque située au plafond et les fils de toiles d'araignées qui scintillaient à la lueur de la lune éternelle. Elle se redressa sur le vieux lit où elle était. Autour d'elle il n'y avait que des bibliothèques, dans tous les sens, toutes remplies. Des toiles d'araignée brillaient dans chaque recoin. Les arachnides trottaient de partout. De petites araignées en émeraude qui vivaient leur vie, tissaient en silence les toiles et se promenaient le long des étagères.
Gabi savait que cette bibliothèque sans dessus dessous était la représentation de son esprit. Là où elle se réveillait la nuit après s'être endormi.
Elle se leva et arpenta les coursives des bibliothèques. Elle jeta un œil par-dessus la rambarde en bois. Encore des étagères de livres à l'infini. Sa tête était à la fois un bazar sans nom et la mémoire vivante de la terre.
— Emerald, t'es où ? appela-t-elle.
— Au dessus, lui répondit une voix gutturale.
Gabi leva la tête et vit une femme étendue dans une sorte de hamac en fils d'araignée. Les arachnides lui servaient le thé. Elle sirotait sa tasse en lisant un livre. Gabi se dirigea vers une coursive à la verticale et posa un pieds dessus. Elle monta le long de cette coursive sans problèmes. Elle savait que la gravité jouait des tours ici. Elle se posta en face du hamac mains sur les hanches. Une paires d'yeux en émeraude se posa sur elle.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Tu peux pas dire « quoi » comme tout le monde ?
— Au grand jamais je ne m'abaisserai à ce genre de vocabulaire, répliqua la femme.
Ses traits étaient sévères, sans doute à cause de son visage ultra fin, de ses pommettes qui ressortaient ou de son profile dessiné au couteau. Sa peau était verdâtre, ses cheveux long et lisses semblaient être en émeraude, comme ses yeux, et des cornes de taureau dépassaient de sa tête. Elle aspira une gorgée de thé et fit mine de continuer sa lecture. Sa robe élégante, noire et avec de la dentelle ajoutait une touche de noblesse à ce personnage énigmatique. Gabi grogna.
— C'est mon hamac...
— Voilà une raison de plus pour me l'approprier.
Elle chassa une araignée qui grimpait sur sa main.
— Au diable ces horreurs ! Pourquoi donc ces choses pullulent ici ? Mon espace mental est une bibliothèque, pas une culture d'araignée !
— C'est aussi mon esprit, donc on doit partager.
— Mais pourquoi ces insectes ?
Gabi laissa une araignée en émeraude lui grimper sur les doigts.
— J'aime bien ces bestioles. Elles construisent leur maison et attendent que la nourriture vienne à elles. Puis on ne dirait pas, mais elles sont patientes et déterminées. À chaque fois que leur toile est détruite, elles la tissent à nouveau, encore et encore. Elles persévèrent.
— Jolie comparaison, mais cela ne change rien au fait qu'elles sont envahissantes. Abrégeons Gabrielle. As-tu une requête à formuler ?
Gabi grinça des dents.
— Première requête : ne m'appelle pas comme ça, je t'ai dit un millier de fois que c'était Gabi.
— En effet. Pourquoi préfères-tu Gabi ?
La jeune fille ferma son visage. Les raisons, elles les connaissaient très bien. Pourquoi elle ne voulait pas se faire appeler par ce nom.
— Je l'aime pas. Ça me rappelle trop le passé. En enterrant ce nom, je l'enterre avec.
— Tu gères plutôt bien le deuil en tous cas. Je suis de plus en plus fière de toi.
Emerald descendit de son hamac et donna le livre à des araignées qui partirent le ranger.
— As-tu envie de voir quelque chose en particulier ? demanda la femme.
Chaque nuit ou presque, Gabi se réveillait dans sa propre tête, cette bibliothèque étrange et revoyait cette femme. Depuis presque sept ans elle supportait cette colocataire, malgré elle. Emerald s'avérait être en réalité une déesse de l'Ancien monde. Elle se disait être Emerald la Deuxième des Douze.
Au tout début, Gabi avait du mal à la croire : elle était encore une gamine quand tout lui était tombé dessus et était athée jusque là. Des dieux ? Elle n'avait jamais cru en l'existence d'êtres surnaturels, protecteurs des hommes quand ça leur chantait et punisseurs le lendemain. Pour elle c'était surtout l'invention des hommes pour asseoir leur autorité. Parce que dans son cas, ces dieux n'ont jamais été là pour l'aider.
Pourtant un beau jour cette femme tirée à quatre épingles se présentait à elle comme une déesse de l'Ancien monde, une des Douze. Les créateurs du monde ayant disparu sans laisser de traces après la grande Guerre d'il y a quatre milles ans. Gabi avait mit du temps avant d'accepter que cette femme vivait dans sa tête et squattait son esprit. Elle la retrouvait tout le temps dans la représentation mentale qu'était cette bibliothèque.
De plus, c'était également grâce à la déesse si elle avait des pouvoirs, sinon elle n'en aurait jamais eu. Tout ceci tenait plus de la malédiction que du miracle. La jeune fille ne supportait pas une partie de son pouvoir et savait beaucoup trop de choses.
— Je ne sais pas, je m'en remets à toi, comme toujours, répondit-elle.
— Parfait. Suis-moi donc, je t'emmène consulter un souvenir.
— Pour changer.
En plus de tout cela, Emerald était la déesse de la mémoire, de l'esprit et du mentale. Elle était pire que la bibliothèque d'Alexandrie et ce lieu d'esprit en était la preuve. Elle était la mémoire vivante de l'humanité. Des millénaires de savoirs et de connaissances s'accumulaient dans cette bibliothèque et Gabi en payait le prix fort.
— Ne te plains pas. Tu m'as demandé des explications, à toi d'assumer.
— Je ne suis pas censé savoir tout cela... J'aurais du rester ignorante comme le commun des mortels. Je ne devrais pas connaître les rouages de l'Histoire.
— Il s'agit du prestigieux rôle des Gardiens.
— Pour quoi ?
— Je n'en sais rien.
Elle avait beau avoir la mémoire d'un éléphant, Emerald ne savait rien en dehors de ses souvenirs. Depuis des années, Gabi voyait défiler les images de toutes les vies qu'avait eu la déesse au travers des « Gardiens », des réceptacles qui accueillaient l'âme de cette immortelle au fil des siècles. Gabi était l'un d'eux.
— Pourquoi t'es toujours là en fait ? Pourquoi t'es pas morte comme tous les textes de la Guerre le racontent ?
— Comment ont-ils osé ??
— Oui, tous les historiens s'accordent à dire que les Douze ont disparu après la Guerre et ont « rejoint leur demeure céleste pour veiller sur leurs enfants les hommes ».
— Un scandale ! Un tissu de mensonges ! S'ils savaient à quoi j'ai été réduit ! Un vulgaire fantôme, condamné à sauter de réceptacle en réceptacle, vivant dans la tête de centaines de personne sans jamais pouvoir faire le moindre geste. Je me sens si humiliée, reléguée au rang du bas-peuple. Mes jours de gloire semblent si loin.
— C'est fini ?
— C'est bon oui... Pourquoi dois-je subir cela ? Est-ce que le reste de ma fratrie subit le même sort que moi ?
— Les Douze sont encore en vie alors ?
— Point totalement, mais je pense. Voir à quoi nous avons été réduit m'attriste au plus au point. Pourquoi subir un tel sort ?
— Raison de plus pour enquêter là-dessus. Fouiller tes souvenirs nous permettra sûrement de connaître les réponses à ces questions. Mais as-tu déjà croisé un de tes frères ou sœurs vivant dans la tête de quelqu'un ? Un autre Gardien ?
— C'était il y a si longtemps... Mais oui, j'ai déjà croisé d'autres Gardiens. Plusieurs fois... Toujours à des siècles d'intervalle et jamais en même temps. Mais nous n'avions hélas rien découvert de plus... Cependant je sens un certain changement s'annoncer dans cette éternité immuable. Un de tes amis a piqué ma curiosité.
— C'est pas possible... Il n'a aucun signe... Rien pouvant le désigner comme un Gardien.
Emerald se tourna vers Gabi et approcha sa main de son visage. Elle ne broncha pas et la déesse lui dégagea sa mèche de cheveu qui lui masquait l'œil. Elle la ramena derrière son oreille et lui releva le menton. Gabi regardait sur le côté. Son œil droit qu'elle avait toujours caché du mieux que possible était en émeraude, comme ceux d'Emerald. Elle n'avait jamais montré son regard vairon à quelqu'un. Elle devait garder le secret de cette marque de reconnaissance : un œil en cristal qui l'identifiait comme une Gardienne.
— Pas d'œil en cristal... En effet. Je me trompe peut-être.
Gabi se dégagea de la main de la déesse et remit sa mèche devant cet œil anormal en émeraude.
— Ma requête maintenant : j'aimerais allez là bas.
Emerald suivit son doigt qui pointait les tréfonds de la bibliothèque, là où tout semblait noir, froid et sinistre. Une sorte de lieu interdit, dont Emerald avait défendu l'accès. Gabi avait pensé pouvoir y aller dans le dos de la déesse, lorsqu'elle absente, mais malheureusement l'immortelle ne la lâchait pas d'une semelle quand la jeune fille était là.
— Non, refusa directement la déesse. Il y a des choses qu'il vaut mieux ne pas savoir.
— Pourquoi ?
— Écoute mon enfant, je possède une mémoire incroyable, mais il y a certaines choses que je voudrais à tout prix oublier... Tu as bien scellé certains de tes souvenirs traumatisants n'est-ce pas ? J'aimerais faire de même, mais j'en suis incapable. Je tente juste de ne pas y penser et allez là bas ravivera ces souvenirs infernaux.
Elle lui posa une main dans le dos et lui proposa à la place d'aller voir ailleurs. Gabi jeta un regard désespéré en contrebas. Des hurlements d'âmes lointaines s'élevaient du gouffre. C'était effrayant et en même temps terriblement attirant. Gabi devait aller voir. Elle donna un coup d'épaule pour se débarrasser d'Emerald.
— Qu'est-ce que !
Gabi visualisa rapidement le réseau de fils qui constituait l'esprit de la déesse. Un entrelacs indescriptible de centaines de fils inaccessibles, de sorte qu'il était impossible pour Gabi de tenter quoi que ce soit avec ses pouvoirs de manipulation mentale. Pourtant elle s'était entraînée durant des mois à trouver celui qui l'intéressait. Mentalement, elle repéra ce fil et gratta ses doigts dessus, comme une corde de guitare. Le fil vibra et les yeux d'Emerald s'alourdirent.
— Comment... Tu as utilisé tes pouvoirs... sur...
Gabi la regarda s'effondrer de sommeil au sol et lui murmura qu'elle était désolée. Elle ne perdit pas une seconde et enjamba la barrière. Même si la chute lui sera fatale, elle se réveillera simplement car ce n'était qu'un rêve. L'air fouetta sa figure et ses cheveux. Plus elle tombait, plus les livres changeaient de couleur, se rapprochant d'un noir d'encre. Des chaînes les retenaient sur les étagères.
Gabi atterrit plus doucement que prévue sur le sol. Du pétrole semblait recouvrit le plancher. Elle jeta un œil à ses pieds nus, presque collés par le mazout. Elle s'avança vers un livre accessible et le retira de son étagère. Ces livres que Emerald n'avait jamais voulu lui montrer. Elle en tenait enfin un dans ses mains. Elle l'ouvrit le cœur battant. Les lettres s'envolèrent et le monde s'évapora. Les lettres formèrent peu à peu un décor et des bâtiments.
Elle reconnaissait le château dans lequel avaient vécu les Douze avant la Guerre, il y a quatre milles ans. Un endroit immense, une véritable forteresse aussi haute que profonde, dont la vue au sommet de la plus haute tour donnait sur des kilomètres. Un gigantisme ridicule quand on savait que seulement une douzaine d'individus y vivait. Il y avait quand même des centaines d'employés qui faisaient vivre ces lieux, entre techniciens de surface, valets, cuisiniers ou gardes. Les couloirs marbrés reflétaient la lueur du soleil. Il faisait beau dehors.
Gabi se tourna en entendant des talons marteler le sol et vit le souvenir d'Emerald marchant dans les couloirs avec un livre, les pans de sa robe flottant derrière elle. Elle s'avança et frappa à une des portes disséminés le long du mur. Le battant s'ouvrit juste assez pour apercevoir la moitié d'un visage. Un œil noir et mort observa Emerald d'un air méfiant.
— Obsidian j'en ai plus qu'assez de ton comportement ! Cesse donc de faire l'ermite. Pourquoi rester enfermé toute la journée au lieu de sortir ?
Gabi avait rarement entendu parler de cet individu. Il serait un des frères d'Emerald, mais elle n'en parlait jamais et le citait sous le nom de "l'Anomalie". C'est tout ce qu'elle savait. Voilà enfin une occasion d'en apprendre plus.
— Laisse moi, lui répondit-il d'une voix rauque. J'ai passé l'âge de vous suivre partout et de me faire surveiller comme un enfant. J'ai grandi.
— Je m'en contrefiche. Je ne te laisse pas seul ici. Tu m'inquiètes de plus en plus..
Emerald perdit de la contenance quand Obsidian ouvrit brusquement la porte pour la fixer droit dans les yeux, d'un air intimidant et oppressant. Sa peau grisâtre était couverte de tatouages et ses cheveux en obsidienne ne reflétaient aucune lumière contrairement à sa sœur émeraude
— Je t'ai dit de partir ! ordonna-t-il.
— Comment oses-tu me parler sur ce ton ??
— Je fais ce dont j'ai envie désormais ! répliqua l'adolescent. Personne ne me dictera plus rien, parce que c'est moi qui dicterai tout au monde entier !
Il claqua violemment la porte au nez d'Emerald. Le souvenir s'arrêta ici et la scène se figea, comme dans un film mis sur pause. Gabi souffla, plantée au milieu du couloir. Elle venait à peine de le voir mais elle ne ressentit que dégoût et horreur à propos de cet Obsidian. Il n'avait rien d'impressionnant, c'était juste un ado rebelle à première vue. Cependant il y avait quelque chose d'à peine perceptible qui lui tournait autour. Une aura mauvaise.
Un claquement sec retentit dans l'air et le couloir de château s'effaça. Gabi cligna des yeux et se retrouva debout au fond du gouffre de sa conscience, à la bibliothèque. Emerald venait de fermer le livre qu'elle avait dans les mains. Gabi la regarda. Elle semblait souffrir intérieurement.
— C'est qui Obsidian ? demanda la jeune fille.
— Un être horrible. De la haine et de la rancœur à l'état pur. Un meurtrier qui a eu la folie des grandeurs.
— C'est qu'un adolescent... Ces livres... Ce sont des souvenirs à son sujet pas vrai ?
Emerald embrassa du regard cette bibliothèque. De l'encre coulait de chaque étagère, formant une grande flaque noire au sol.
— Pourquoi tu ne m'en parles pas ? Il est si dangereux que ça ? Qu'est-ce qu'il a fait ?
— S'il te plait...
— Non, je dois savoir ! Tu ne peux plus me cacher ces choses. Tu dois me montrer tous les souvenirs à son sujet. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens que c'est important. S'il te plaît, Emerald.
La déesse soupira et hocha doucement la tête.
— C'est d'accord... Saches juste que tu en souffriras...
— Ma vie a déjà été assez infernale, ce n'est pas ça qui va me faire peur...
— Dans ce cas, je vais désormais orienter tes rêves vers ces souvenirs. Tu ne pourras pas reculer et ces nouvelles connaissances risquent de devenir un poids... Mais j'accepte.
— Merci Emerald.
Elle sourit faiblement puis lui annonça qu'elle allait bientôt se réveiller. La luminosité avait en effet changé, signe de son réveil imminent. Gabi se rappela soudain d'une chose.
— J'y pense! Tu sais où on est ? Qu'est-ce que c'est que ce souterrain ? Pourquoi il n'y a que des démons ?
Emerald soupira.
— Et bien on dirait que tout cela est devenu vrai. Ce n'étaient pas que des histoires. Tu verras. Je te montrerai. Je connais les réponses à tes questions, mais il me faut plus de temps. Je pensais avoir l'éternité, mais il semblerait que les choses vont changer. Quelque chose se prépare. Une tempête est en train de s'annoncer, mais j'ignore encore quelle est cette tempête. Aucun de vous n'étiez censé découvrir l'existence de ces mondes. Il s'est passé quelque chose qui aura plus de répercussions que prévu. L'ordre établi et l'éternité immuable qui s'écoulait comme une rivière vont être perturbée.
***
Gabi ouvrit les yeux pour la seconde fois de la nuit. Elle se redressa et vit qu'elle était sur un canapé, dans un sac de couchage. Pix était allongé sur un matelas pneumatique aux pieds du canapé, blotti dans son duvet. Gabi se rappela qu'ils étaient chez Peter, cet espèce de sac d'os débile. Ils avaient passé un accord avec le trio rencontré la veille et avaient rejoint les quartier de la falaise, des habitations bâties dans la roche. Elles s'empilaient les unes sur les autres et formaient un immense réseau d'appartements. Ces quartiers surplombaient le reste de la ville. Des sortes d'ascenseur géants permettaient d'y accéder. Les grattes ciels du Souterrain étaient visible au loin.
Gabi se débarrassa de son sac de couchage et se frotta les yeux pour se réveiller. Elle secoua doucement Pix et ce dernier se réveilla avec difficulté. Il ouvrit péniblement un œil, la tête dans le gaz.
— Ça y est... On est réveillé ? Ce n'était qu'un rêve ?
Gabi lui fit non de la tête d'un air désolé. Pix s'assit et s'étira, puis regarda le salon dans lequel ils étaient. Un endroit assez futuriste. Gabi se leva en disant que c'était le moment idéal pour s'en aller. Encore a moitié endormi, Pix ne sut pas trop.
— Mais qu'est-ce qu'on fait là ? demanda-t-il. Y a eut les trois démons bizarre dans la rue, puis cette chose... L'Ombre...
— Ils sont louches... Je ne leur fait pas confiance. On doit partir avant que...
— Ah vous êtes réveillé ! s'exclama une voix. ALEXA allume la lumière.
Le néon du plafond éclaira le salon et une voix synthétique confirma que les lumières avaient bien été allumées. Gabi cligna des yeux et vit Peter entrer tranquillement dans la pièce. Il avait une sorte de compote en gourde dans sa main squelettique, sauf que ça n'avait pas l'air d'être de la compote. Il regardait des sortes d'informations en hologramme au dessus de ce qui ressemblait à une montre connectée.
— Préparez-vous, mangez un bout et on va faire un tour ! On va tenter un truc avec vous deux. Vous serez les appâts pour qu'on puisse capturer un des fauteurs de troubles qui balance des bocaux à Ombres dans les rues ! Deal ?
— Euuuh, hésita Pix.
— Non. Au revoir.
Gabi balança ses jambes hors du sac de couchage et du canapé, manqua de donner un coup à Pix, puis elle se leva et se dirigea vers la porte d'entrée. Elle s'arrêta en voyant qu'il n'y avait pas de poignée ni de bouton pour ouvrir. Elle chercha comment faire pour ouvrir cette porte.
— Tu vas où comme ça ? demanda Peter en pointant son crâne dans le couloir.
— On s'en va. On va trouver un moyen de rentrer chez nous. Mais comment ça s'ouvre ce truc ??
— Sérieusement ? Tu sais pas ouvrir une porte ?
Gabi examina encore le battant en métal, puis abandonna l'idée de l'ouvrir. Elle rejoignit Pix, en train d'émerger. Peter repassa en leur filant le même genre de gourde à compote qu'il mangeait un peu plus tôt.
— De la Pom'Potes ? demanda Pix.
— Connais pas, répondit le squelette. Nan c'est le petit déjeuner. Des pancakes au miel et du jus de pomme.
Gabi jeta un regard dérouté à la gourde et Pix la débouchonna pour renifler le contenu d'un air méfiant. Il prit une aspiration et écarquilla les yeux. Il avait l'impression de sentir le goût des pancakes et du miel sur sa langue puis dans sa gorge.
— Mais c'est trop bizarre ! s'exclama-t-il en reprenant une gorgée.
— J'ai vraiment l'impression de manger du miel et du jus de pomme... Comment c'est possible d'ailleurs ce genre de truc dans un souterrain ?
— Wouah, hé... On dirait que c'est la première fois que vous goûtez ça. De quel planète vous débarquez ?
— On s'en fout !! s'écria la voix stridente d'Æther.
Pix frôla la crise cardiaque en voyant le fantôme surgir du mur après l'avoir traversé comme un simple courant d'air. L'ectoplasme lança le bonjour à tout le monde d'un air joyeux, puis se tourna vers Peter.
— Grâce nous attend dehors, informa-t-elle. On va faire un tour et lancer les appâts... je veux dire Gabi et Pix !
— Ça va devenir une habitude de surgir chez moi en passant par le mur ? demanda Peter. Si mon père te voyait, il irait chercher l'aspirateur pour te virer !
— D'ACCORD, JE PASSE L'ASPIRATEUR.
Pix fit un bond quand un aspirateur robot en forme de cylindre noir passa au ras du sol en se mettant en route. Il monta sur la canapé, de peur de se faire aspirer les chaussettes. Peter grogna et demanda à l'assistante de maison de ranger Roomba.
— Ça on connaît au moins, dit Gabi en regardant l'aspirateur repartir à sa base de chargement.
— Assez perdu de temps on y va, dit Peter en enfilant un sweat noir.
Ils se retrouvèrent dehors dix minutes plus tard. La vue depuis les quartiers de la Falaise était encore plus impressionnante qu'en bas. La rue du palier où ils étaient formait une sorte de ponton au dessus du vide, avec des gardes fous en guise de protection contre les chutes. Les immeubles étaient construits dans la roche et les paliers qu'ils formaient s'empilaient les uns sur les autres. La vue donnait sur l'intégralité de la ville souterraine et les immenses tour du centre illuminaient tout comme un soleil artificiel et bleu. Les lumières des quartiers remplaçaient celles des étoiles inexistantes. Pix prit une photo de cette vue sublime.
— C'est ta grand-mère qui te l'a donné ? demanda Peter à propos de l'iPhone 13.
— Salut les gars ! lança une voix légèrement robotique.
Grâce se rapprocha d'eux en agitant la main, avec sa démarche lourde d'androïde.
— Prêt pour l'opération appât ?
— Toujours ! lancèrent Peter et Æther.
— On n'a jamais donné notre accord d'abord, protesta Gabi. Et il en est hors de question. On ne va pas risquer notre vie pour votre fierté ou votre stupide jeu de chasseur de fantôme. Maintenant on s'en va.
Elle se mit en marche, évita les trois démons, qui la regardaient l'air de ne pas y croire et avança le long de la rue ponton, suivit de Pix qui avait semblé hésitant. Ils marchèrent sur plusieurs mètres, laissant derrière eux ce trio.
— T'es sûre ?
— Tu veux revoir ces Ombres ou ta chambre d'internat et l'école ?
Pix se dit en effet que la deuxième proposition semblait plus alléchante.
— Non, je ne veux pas revoir ces Ombres. C'est juste horrible.
— Exactement, maintenant on va chercher un moyen de rentrer. On a déjà assez perdu de temps et tout le monde doit être mort d'inquiétude.
Pix hocha la tête et ils arrivèrent au niveau d'un des immenses ascenseurs qui desservaient les paliers de la Falaise. Heureusement, l'élévateur était déjà là, ils se placèrent dans la file d'attente. Les gens se retournaient sur leur passage, et murmuraient à cause de leur physique peu commun et de leur vêtements vieillots. Pix voulut se mettre dans un trou de souris. Il n'aimait pas le regard des autres en temps normal, alors quand ces regard étaient ceux de démons c'était encore pire.
— On est obligé de monter là dedans ? bredouilla-t-il en voyant le monde qui remplissait l'ascenseur, à la même manière qu'une cabine de téléphérique.
— Pix, fais pas ta poule mouillée, tu es très bien monté jusqu'ici, tu peux très bien en redescendre.
— J'étais dans les vapes. Puis y a trop de monde et c'est que des monstres...
— Fais un effort.
— En plus j'ai mal à la tête.
Malheureusement c'était à leur tour d'entrer. Ils se faufilèrent dans l'ascenseur et s'installèrent près des vitres, entre deux épaules d'autres personnes. Les portes se fermèrent et le monte charge bondé entama sa descente. La vue donnait le vertige et les quartiers à flanc de falaise s'éloignèrent au dessus de leur tête. Le nez collé à la vitre, Gabi regardait les paliers remonter progressivement. Elle baissa les yeux et trouva Pix assis à terre et prostré à ses pieds, les mains plaquées sur les oreilles.
— Tu vas pas encore faire une crise de panique ??
— Y a trop de monde !
— Lèves toi et patientes deux minutes... Moi non plus j'aime pas la foule, mais je prends sur moi.
Une fois l'ascenseur revenu sur le plancher des vaches, ils furent les premiers à se ruer dehors. Ils s'éloignèrent rapidement et se posèrent sur un banc, le temps que Pix reprenne son souffle, parce qu'il était en plus en hyper ventilation.
— Je sais que tu n'es pas un modèle en terme de calme et de sérénité, mais relativise un peu... Personne ne va nous agresser, on est en sécurité.
— Ne parle pas trop vite. Il ne faut point vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.
— Rooh, mais tais-toi toi... souffla Gabi à Emerald.
Parce qu'en plus elle commentait le quotidien de Gabi de temps en temps. Pix inspira et hocha la tête. Il demanda ensuite par où commencer pour trouver le chemin du retour. Gabi soupira. Le néant spatiale remplaça son cerveau, comme pour formuler une réponse. Le son des dents de Pix s'entrechoquant la ramena à la réalité et elle suivit son regard. Elle se retourna et pesta en voyant un squelette, un fantôme et un robot se rapprocher en courant.
— Encore eux...
— Attendez vous deux ! lança Æther. On peut s'arranger. Grâce est équipé d'un canon anti Ombre, vous risquez rien.
— C'est une occasion en or de chopper les coupables, argumenta Peter. Ils pourrissent le quotidien de tout le monde en jetant ces bocaux à Ombres. C'est un complot et on veut savoir qui tire les ficelles.
— S'il vous plait, termina Grâce. Vous pouvez nous aider, vous pouvez aider tout le monde.
Gabi les toisa tous les trois et sentit comme une once d'agacement la traverser.
— Mais j'en ai strictement rien à faire de vos problèmes du quotidien. On a des soucis plus urgent à régler de notre côté, je ne vais pas perdre mon temps avec vos bêtises de quartier. C'est compris ?
Peter voulut protester, mais Gabi lui donna un mal de crâne sournois d'un seul regard. Le squelette geignit en sentant comme des épines se planter dans son esprit.
— C'est quoi votre problème soit disant plus important que le chaos qui règne à cause de ces créatures infernales ??? glapit Æther.
— Rentrer chez nous.
— Mais vous venez d'où ??
— D'un autre monde, maintenant laissez nous.
— Prenez nous pour des débiles ! cria Æther. Un autre monde ? Mes fesses oui !
Gabi se retourna, prête à s'en aller, mais se stoppa net en voyant le regard inquiétant de Grâce. Elle préféra ignorer cet air sinistre et peut-être hostile, et demanda à Pix de se lever pour partir. Évidemment il ne bougea pas et fixait un balcon d'immeuble en face.
— Bon qu'est-ce que t'as encore ? demanda Gabi.
Pix pointa un index tremblant vers la silhouette du balcon. Grâce se retourna et la vit tout de suite. Elle plia ses jambes mécaniques et fit un bond puissant et surhumain vers l'intrus qui les observait. Un cri retentit quand elle saisit la silhouette qui tentait de s'enfuir, puis elle la balança avec force dans la rue. L'androïde refit un bond de lapin et atterrit sur le bitume qui craquela sous son poids.. La nouvelle arrivante, qui portait un hoodie noir à capuche tenta de ramper en paniquant mais Grace fut plus vive et l'attrapa à la gorge. Elle la maintient à terre et lança :
— C'est donc toi un des troubles fête qui sème la pagaille avec les Ombres !
Un gloussement sortit de la capuche et Grâce secoua la silhouette en lui ordonnant de répondre. L'inconnu se tordit à la manière d'une poupée de chiffon, comme s'il n'y avait aucun muscle pour retenir son corps. Peter se rapprocha, lui enleva la capuche et la vision de cette fille donna des sueurs froides à Gabi et Pix.
C'était littéralement une poupée de chiffon ! De taille humaine, la fille avait une peau entièrement faite en tissus couleur marron clair, avec des coutures au niveau du cou, des articulations et à chaque phalange des doigts.. Sa bouche était cousue et elle avait des boutons de coutures à la place des yeux. Des cheveux en laine lui tombaient de chaque coté de son visage.
— C'est quoi ce truc ? demanda Gabi.
— Sacha, enchanté ! s'exclama la poupée.
Gabi n'avait jamais rien vu d'aussi étrange et effrayant. Une poupée vaudou vivante, ce monde était décidément de plus en plus étrange. Inquiète, elle jeta un œil à Pix. Il était assis au sol, tremblait de tout son corps et son expression était figée par la peur, une fois de plus. Gabi le rejoignit et lui tapota l'épaule, espérant le rassurer un peu.
— Cette fois on te tient ! s'exclama Æther. Avoue que c'est toi qui balance les bocaux des ténèbres ressuscitées !
— Ooooh, fit la poupée d'un air attendrit. Comment t'as deviné ?
Elle dégagea son bras de chiffon et extirpa rapidement un récipient en verre de sa poche. Elle le jeta en l'air avec un rire aigu. Peter et Æther lâchèrent un cri et se jetèrent dessus pour tenter de le rattraper, sautant en l'air. Le squelette fit un bond et l'attrapa de justesse, du bout des doigts.
— Je l'ai ! Je l'ai !
— Peter dégage, t'es sur ma route !!! hurla Æther.
Le fantôme lui rentra dedans pendant son saut, le squelette tomba à terre dans un bruit de claquements d'os et le bocal fit un vol plané.
— Mais pourquoi elle, elle peut me rentrer dedans ???
Le récipient en verre explosa sur le goudron un peu plus loin, à quelques mètres de Pix et Gabi. La substance liquide et noir s'échappa des bouts de verre et forma l'Ombre tant redouté. Un bras gluant se jeta sur la jeune fille. Elle n'eut pas le temps de réaliser quoi que ce soit que la main se referma sur elle et l'envoya valdinguer dans les airs. Elle hurla de panique et pria pour que ses cervicales tiennent le coup. Le paysage tourna violemment autour d'elle, puis des bras en métal la rattrapèrent fermement. Grâce venait de la rattraper. La cyborg atterrit sur ses jambes puissantes et reposa Gabi dans la foulée.
— Tout va bien ? demanda-t-elle.
Il n'y avait aucune trace de compassion dans sa voix, mais Gabi lui dit quand même oui. Elle se releva en vitesse et se précipita à la rescousse de Pix. Il était prostré un peu plus loin, les yeux fixés sur l'Ombre. La créature s'avançait vers lui en émettant un étrange gloussement.
— Pix !!! Fais quelque chose ! lui cria Gabi.
— Elle va le détraquer ! paniqua Æther. Pix !
Mais le jeune homme n'entendait plus rien et sombrait à nouveau dans cette fosse abyssale qu'il redoutait temps. Cet endroit qui semblait le couper du monde extérieur et qui l'empêchait d'agir. Là où la peur régnait en maître. Il voyait l'Ombre qui se rapprochait et la terreur qui grandissait. Son cœur résonnait dans sa cage thoracique et battait dans sa tête, insupportable. La peur se répandit comme du poison et le paralysait.
— Les pierres préciieeeuses, geignit l'Ombre.
Elle approcha doucement sa main noire du visage du jeune homme, l'air de savourer sa victoire et son butin. Tout d'un coup Pix sentit sa respiration saccadée se calmer. Son cœur ralentit lentement la cadence et sa tête cessa de le faire souffrir. Il avait lâché prise, s'était abandonné à cette peur. Il avait cessé de lutter contre le courant et se laissait emporter. Étrangement, ça le calma et lui fit du bien.
Un rictus déforma ses lèvres.
Il décrivit un rapide arc de cercle avec le bras et une onde de choc cogna l'Ombre. Celle-ci explosa en centaine de petites gouttes noirâtre avec une longue plainte stridente. Les gouttelettes s'évaporèrent à peine le sol touché, comme si ce dernier était brûlant. Les autres furent bouché bée. La tension retomba peu à peu tandis que les secondes s'écoulaient.
Puis un rire coupa ce calme comme un couteau. Gabi frissonna.
Elle vit Pix se lever et s'avancer vers eux dans la lumière des lampadaires. Il étira les bras au dessus de sa tête et dérouilla ses épaules. Un sourire bizarre était imprimé sur ses lèvres et Gabi sentit à nouveau la peur courir sous sa peau quand elle réalisa que c'était lui qui riait comme ça.
— Bon débarras ! s'exclama Pix en époussetant ses mains. Bah quoi Gabi ? Pourquoi tu fais cette tête ? J'ai un truc sur le visage ?
La jeune fille se dit qu'elle était forcément dans un cauchemar quand elle plongea ses yeux dans ceux de Pix. Un regard d'émeraude, à la pupille fendue, cerné de noir et la sclérotique désormais aussi sombre que de l'encre. Il avait une deuxième paire d'yeux de même couleur au niveau des sourcils et un autre œil située sur le front et à la verticale. Il avait cinq yeux, vert, fixes et impitoyables. Son sourire carnassier aux dents étrangement pointues s'élargit.
— Un problème Gabi ? Tu n'as pas aimé la façon dont j'ai explosé la tronche de cette Ombre ? Moi ça m'a éclaté !
Alors qu'il riait à gorge déployée, Gabi se dit qu'ils avaient un gros problème sur le dos... Décidément, quelqu'un dans l'univers leur en voulait et tenait à le montrer.
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