Chapitre 9 : « Tu es à moi maintenant »

Gulf

Ces dernières semaines m'ont emporté dans un tourbillon émotionnel sans précédent, me laissant complètement désorienté.

Pour résumer, j'ai quelque peu perdu mon sang froid et me suis jeté sur Mew (oui, encore...) à notre dernier atelier, me convainquant que c'était seulement pour être plus à l'aise sur le tournage. Pour être tout à fait honnête, la lecture du roman de Mame m'a un peu travaillé aussi. Moi qui n'avais jamais rien lu d'érotique par le passé, j'ai été servi.

Au cours de ma lecture, je visualisais involontairement Mew dans la peau de Tharn, et moi dans celle de Type. Je l'imaginais m'embrasser, me déshabiller, me... Dès les premières scènes sensuelles, je devais faire des pauses régulières, sous peine de me sentir fiévreux. Mon dieu, Mame ! Je sais que la série ne sera pas aussi explicite, mais enfin... C'est tout de même perturbant. C'est la première fois que je suis confronté à la question du sexe entre deux hommes, alors forcément, cette lecture éveille en moi des sentiments aussi inédits que confus.

Pendant ces épisodes de trouble, j'essayais de penser à Poom, mais je dois dire que je restais inexplicablement de marbre. Je sais que les hommes de mon entourage auraient du mal à le concevoir, car Poom est une mannequin particulièrement belle. Mes émotions semblent déréglées. Je dois par ailleurs des excuses à ma petite amie pour avoir été si distant, voire même absent, ces dernières semaines. Rien à voir avec le fait que je me sente coupable d'avoir embrassé Mew, qui plus est avec la langue, alors que rien ne m'y obligeait...

Ceci dit, si je réfléchis rationnellement à tout ça, je sais que j'ai une excuse légitime. Je veux absolument que notre alchimie soit perceptible à l'écran, que le public tombe sous le charme en regardant nos scènes. Il ne faut pas imaginer que, malgré mon caractère réservé, je n'ai pas d'ego. J'ai besoin de prouver des choses aux autres mais surtout à moi-même ; je suis prêt à me dépasser quand j'ai un objectif en tête. En outre, il y a une telle attente que ne je ne supporterais pas de décevoir ceux qui croient en moi. J'ai enfin la chance de montrer au public ce que je vaux !

Ainsi parle la voix de la raison. Cependant la voix du cœur, elle, tente une percée dans le voile du déni « tu ne te mentirais pas un peu à toi-même ? Tu ne vas pas me faire croire que tu ne mourais pas d'envie d'embrasser Mew ? » siffle-t-elle, narquoise.

Oui. Mew est attirant. D'accord. Quelle personne saine d'esprit ne le trouverait pas séduisant, après tout ? Il est beau, protecteur, gentil, intelligent... magnétique. Donc oui, ce n'est pas le garçon le plus déplaisant que j'aurais pu embrasser dans ma vie. Il n'y a pas de mal à expérimenter, après tout ?

Allongé dans mon lit, en cette fin de journée d'avril, je tente de poursuivre la lecture du roman. Mon esprit tourne au ralenti, encore embrumé par des images de notre baiser. Sentir ses lèvres, sa langue, son odeur... Des frissons me traversent à l'évocation de ce moment un peu brûlant. Ne sois pas comme ça, Gulf, voyons, sinon tu ne tiendras pas pour la suite. Je soupire, lasse, finissant par abandonner le livre et optant plutôt pour le visionnage de vidéos youtube. Dans mes recommandations, des cover musicales de Mew. Voilà qui ne va pas m'aider à me le sortir de la tête...

Je lance une vidéo au hasard. C'est une reprise acoustique d'une chanson d'Ed Sheeran, un des musiciens préférés de Mew. Ses belles mains, constellées de veines qui parcourent jusque ses avant-bras, grattent la guitare avec aisance. Il fixe la caméra et je me sens alors tout petit devant tant d'intensité. Oui, c'était bel et bien une mauvaise idée.

C'est à ce moment que la sonnerie de mon appartement retentit. Je ferme l'écran de mon ordinateur avec précipitation, comme pris en faute. Il doit s'agir de Best, le compagnon de May, mais avant tout mon manager.* Il avait promis de passer me saluer aujourd'hui.

Best est à la tête de l'agence qui gère mes contrats, il s'occupe de tout de A à Z. Il était moins présent récemment en raison de l'arrivée de nouveaux talents dans l'agence, mais il est d'habitude tout autant investi dans ma carrière que May. Alors que j'écumais les castings de mannequinat accompagné d'une novice dans le domaine, le destin a mis Best sur notre route. Cette rencontre nous a profité à tous trois, tissant un lien indivisible entre nous, et conduisant même May et Best à se marier. Cette fine équipe est ma deuxième famille.

J'ouvre la porte. Best se tient dans l'embrasure, un grand sourire aux lèvres. Ses bonnes joues et sa bonhomie naturelle pourraient réconforter n'importe qui. Je réalise qu'il tient un gâteau.

— P'Best, c'est pour quoi ce gâteau ?

— Pour quoi ? Plutôt pour qui ! C'est pour toi, mon garçon !

Il entre dans ma chambre étudiante et dépose son colis sucré sur ma petite table basse.

— Tu as un couteau, quelque part ?

— C'est en quel honneur, P'Best ? demandé-je, encore immobile dans l'entrée.

— Mais en ton honneur, voyons ! Pour te récompenser. On n'a pas eu l'occasion de fêter ça, encore. J'ai été tellement occupé, je t'ai un peu délaissé. Alors je voulais me faire pardonner.

Best me fait ses yeux de merlans frits.

— Merci P'Best...

— May et moi sommes si fiers de toi. On va bien veiller sur toi, N'Gulf.

— Calmez-vous, les parents gâteaux. J'ai déjà maman pour me couver à plein temps, tu sais. Et je vous rappelle, pour la énième fois, que le tournage n'a pas commencé, je ne suis encore qu'un parfait inconnu.

Combien de fois dois-je leur répéter ? Ils me mettent une telle pression sans s'en rendre compte. Enfin, je comprends, ils voient enfin leur petit poulain faire ses premiers pas dans la cour des grands.

— Et ? Mame, Tee, Mew... On a une équipe de choc je te rappelle. Sans te compter toi ! Ça va être un carton. Donc les parents gâteaux, comme tu dis, ne vont pas se calmer de sitôt.

Best coupe une part de dessert et l'engouffre avec appétit.

— Pour information, à la fin des ateliers, vous tournerez une courte vidéo teaser, pour attirer de potentiels sponsors.

Il faut savoir que la publicité et la sponsorisation sont indissociables du métier d'acteur quand on veut percer dans le milieu. Il va falloir nous y habituer, car ces missions annexes vont rythmer notre quotidien.

— C'est stressant...

— Mais non. On utilise le terme "stimulant" dans ce genre de situation, tu te rappelles ? Je te connais bien, tu vas t'en sortir comme un chef. Du gâteau ?

— Pas très faim.

— Bah alors, quelque chose te travaille ? Raconte tout à P'Best, qu'est-ce que j'ai loupé ? Personne ne te fait des misères, au moins ? J'ai ouï dire que toi et Mew aviez une très bonne relation, ajoute-t-il avec un clin d'œil.

— Je suis juste un peu fatigué, tu sais, mais tout se passe à merveille.

Si tu savais, P'Best...

~~

Les jours qui ont suivi, Mew et moi avons continué à nous téléphoner pour discuter de tout et de rien, ainsi que du script. C'est devenu notre rituel nocturne. En presque deux ans de relation, je crois n'avoir jamais autant appelé Poom. Enfin, ce sont les exigences du métier...

Mew me confie son amour de la musique ou encore son rêve de détenir son propre label. Il me révèle aussi son goût pour les mangas, notamment One Piece auquel il voue un véritable culte, et toutes sortes de choses geek. Je n'aurai pas forcément imaginé mon charismatique partenaire, si adulte et responsable, en amateur de bandes dessinées japonaises, mais cette touche d'innocence m'attendrit. Je lui parle à mon tour de mes passe-temps, comme les super-héros, le hip hop et les jeux vidéos.

Mew fait tant d'efforts pour m'apprivoiser... moi qui suis un peu solitaire et perdu dans mon monde en temps normal. En tant que personne introvertie, les interactions avec les autres ont tendance à m'épuiser. Je ne suis pas misanthrope, loin de là, mais c'est ainsi que je fonctionne. Pourtant, avec Mew, cela semble si facile de s'ouvrir. Je lui parle de tout. Il ne juge jamais, me conseille et m'encourage. J'ai l'impression qu'il me trace un chemin dégagé d'embuches, me guidant et me rattrapant toujours au bon moment, au bon endroit... Cela faisait une éternité que je ne m'étais pas senti ainsi en sécurité. Depuis l'enfance, à vrai dire.

Mew me fait me sentir plus vulnérable, et en même temps plus fort. Sensation étrange.

J'attends toujours ces sessions avec une certaine impatience. Nous chattons déjà toute la journée, et la nuit venue on se livre à bâtons rompus, ou presque. L'épisode du baiser a été purement et simplement balayé. Je crois que nous sommes un peu gênés, tous les deux, et désireux de rester professionnels malgré notre moment d'égarement.

— Alors Nong, tu as regardé One Piece comme promis, aujourd'hui ? me demande-t-il lors de notre traditionnel rendez-vous par écran interposé.

— Je n'ai pas eu le temps, Phi... Je suis désolé.

Il me fait son air boudeur.

— Je suis désolé ! Je vais me rattraper. Je ferai tout ce que tu veux.

— Tout ce que je veux, vraiment ? gronde-t-il, l'œil malicieux.

— Hum... laisse-moi réfléchir... Tu veux du gâteau ? J'ai des restes apportés par P'Best qui traînent dans mon frigo.

— Sérieusement, c'est ça que tu es prêt à faire pour moi, me refiler un bout de gâteau qui traîne dans ton frigo ? Quelle déception, ronchonne-t-il.

— Ahah P'Mew pardon. Je plaisantais.

Il détourne le regard, faussement contrarié.

— P'Mew... P'Mew... minaudé-je. Pardon ! Tu vaux bien plus que ça. Je te le promets. Khun phi... ?

J'utilise ma petite voix, celle qui le fait céder à tous les coups. Il finit par s'adoucir.

— À quoi le gâteau ?

— Ahaha tu te fiches de moi ?

— Bah quoi ?

Je secoue la tête, consterné.

— Je t'en apporterai demain.

— Tu es prêt pour cette nouvelle journée d'atelier, d'ailleurs ?

— Oui, tout à fait prêt.

— Alors maintenant, tu es à l'aise avec moi ?

Je me demande pour quelle obscure raison Mew ne cesse de s'inquiéter à ce sujet. Je comprends ses réserves considérant son passif avec son ancien co-partenaire, mais je crois que mon attitude a été plutôt éloquente ces dernières semaines.

— Phi...

— Oui ?

Je me dis qu'il est temps de lui faire savoir plus ouvertement, sinon il va encore prendre des pincettes avec moi jusqu'à la fin des temps.

— Je crois qu'on sait tous les deux maintenant que je ne suis définitivement pas en sucre, une fois encore. Et.. te toucher ne me répugne absolument pas, tu le sais ?

— Vraiment ?

— Oui. Vraiment. Alors arrête de t'inquiéter.

— Ça ne te dérange pas que je sois si tactile ? Je peux me montrer très câlin quand je passe beaucoup de temps avec quelqu'un... que j'apprécie.

Mon cœur manque un battement. J'imagine Mew me câliner... Est-ce que ça me déplairait, d'être coincé entre ses larges épaules ? Non, le tableau ne me déplaît pas.

— Non, ça ne m'embête pas, Phi... Et puis c'est pour le boulot.

Mew me lance un regard indéfinissable.

~~

Nos gestes sont devenus naturels. À présent qu'il sait que je ne suis pas si fragile en dépit des apparences, Mew s'autorise davantage de choses. J'avais déjà perçu son besoin de contact, mais aussi qu'il se contenait. Sa manière de me toucher, d'approcher son visage du mien pour me parler et toutes ses petites attentions, malgré son soin constant à ne pas me brusquer, semblaient révéler un indéniable désir de proximité à mon égard.

Si au début j'étais très intimidé par Mew, aujourd'hui j'éprouve une sensation de confort à ses côtés. Je suis toujours troublé par son aura et sa carrure - je ne suis sans doute pas prêt d'arrêter de rougir en sa présence - mais il me rassure au lieu de m'impressionner. Je ne suis pas une personne tactile, et pourtant avec lui c'est différent.

Pour me saluer aujourd'hui, Mew passe son bras autour de mes épaules, comme d'habitude, mais ses yeux brillent d'un éclat particulier. Comme si nous partagions un secret. Nous discutons, détendus, pendant que le reste du groupe afflue progressivement dans la salle de pause.

Alors que tout le monde échange dans une atmosphère joyeuse, Mew se met à m'enlacer en se plaçant derrière moi. Il passe ses bras autour de mon ventre et pose son menton sur mon épaule. Je recouvre naturellement ses mains des miennes. Les autres remarquent notre rapprochement et se mettent à nous jeter des regards de plus en plus insistants. Les conversations s'essoufflent tandis qu'ils nous fixent avec curiosité.

— Les gars, vous savez que c'est TharnType la série, pas MewGulf la série ? s'esclaffe Mild.

— Très drôle, P'Mild.

— Ne t'inquiète pas, je vais m'occuper de son cas. Hein Mild. Fais gaffe à toi, sinon on ne te verra que dans le bêtisier, c'est moi qui te le dis.

Mew et Mild se charrient gentiment sous l'œil amusé du groupe. Ils se connaissent depuis What the Duck, alors ils sont très proches tous les deux. Sous ses airs taquins, Mild est quelqu'un de profondément gentil. On peut compter sur lui en toutes circonstances. Il prend bien soin du groupe en arrivant toujours les bras chargés de victuailles, enfin ça c'est surtout car il est aussi gourmand que Techno, le personnage qu'il incarne.

Les discussions vont bon train autour de nous et la présence de Mew, tout contre moi, me réchauffe de l'intérieur. J'aimerais rester ainsi toute la journée.

La matinée s'écoule avec lenteur ; une certaine routine s'est finalement installée, entrecoupée de rebondissements et de baisers volés. Alors que nous sommes assis sur le sol de la salle d'atelier, à l'écoute des recommandations de Tee, Mew enserre doucement ma taille. Je lui souris. Ce geste, loin de me déplaire, me donne envie de me blottir contre lui. Un peu de tenue. Comme dit Mild, c'est TharnType la série après tout, pas MewGulf la série. Mew pose sa tête contre la mienne, son habitude quand il a sommeil.

— Tu es encore fatigué, P'Mew ? chuchoté-je

— Oui. Et j'ai besoin de câlins, quand je suis fatigué.

— Là là... dis-je en tapotant sa tête, attendri.

Je pensais que nos retrouvailles après le précédent atelier seraient embarrassantes, en raison de ce baiser trop passionné que nous avons échangé, mais il n'en est rien. Le besoin de contact est plus fort. Alors que je caresse avec douceur la tête de ce grand bébé, Run nous regarde avec attention. Je m'apprête à retirer ma main, pris en flagrant délit, mais il pose son index sur sa bouche en promesse de discrétion. Mew n'a rien remarqué, la tête nichée dans mon cou.

— Tu sens bon, yai nong, marmonne t-il.

Je me dégage et le regarde, choqué. Il m'offre un grand sourire innocent.

Je crois bien qu'une phase de flirt a été résolument enclenchée...

~~

Lors de la répétition de la fameuse scène du baiser, Tee nous guide pour corriger notre jeu et notre posture. Nous nous gardons bien, cette fois, de nous embrasser sans retenue devant lui. La scène reste sobre. Mon rythme cardiaque ne manque toutefois pas de s'accélèrer à l'approche des lèvres de Mew, que j'effleure à peine, en adéquation avec le script.

— Les garçons, déclare Tee après l'exercice, j'ai observé que vous commenciez à travailler le skinship et c'est une bonne chose. Je sens que vous êtes à l'aise tous les deux dans vos scènes, n'est-ce pas ?

Nous acquiesçons. 

— Un nouvel exercice que je vous propose, c'est de dormir ensemble.

Mew et moi restons interloqués un instant. Dormir ensemble ? Euh ?!

— Hahah, ne soyez pas choqués ! Je parle de dormir ensemble au sens littéral. Qu'est-ce que vous allez imaginer. On tourne un film sérieux, ici.

Me voilà rassuré... On pouffe de rire, un peu gênés par les pensées inappropriées qui nous ont traversés.

— Faites une petite sieste, habituez-vous à partager le même lit. Je pense qu'il y a pire, comme exercice. D'ailleurs, après ce déjeuner copieux, vous avez peut-être les paupières un peu lourdes ? nous influence Tee. Je repasse plus tard.

Nous échangeons un regard pour le moins embarrassé.

— Bon... commencé-je en me dandinant. Un petit somme P'Mew ? Ahah.

— Je me doute que ça ne sera pas très compliqué pour toi, marmotte.

— C'est vrai que je peux m'endormir n'importe où ! Mais je te rappelle que tu es fatigué aujourd'hui, donc ça ne devrait pas être une punition pour toi non plus.

— Ce n'est jamais une punition d'être près de toi, susurre-t-il.

Ok... Est-il vraiment obligé de dire des choses aussi ridiculement romantiques ? Je sais bien qu'il me taquine, mais mon cœur a tendance à réagir au premier degré.

— Idiot.

C'est la seule chose intelligente que je trouve à dire. Puis, le rire de Mew. La main de Mew sur ma nuque. Quelle genre de sieste ça va être avec tous ces sentiments confus qui me compressent la poitrine ?

Je m'allonge dans le futon et me tourne sur le côté. J'entends le bruit de la couverture se froisser quand Mew me rejoint. Je ne sais pas si je vais être capable de trouver le sommeil, conscient avec acuité de son corps près du mien. Cela s'est déjà produit pourtant, mais notre relation à ce moment là était... différente.

Les minutes s'écoulent avec une légère tension. Je reste immobile comme une pierre, tandis que Mew ne cesse de gigoter, agité. Il finit par se tourner vers moi. Je sens son souffle dans ma nuque, puis son bras se poser sur ma taille par-dessus la couverture.

— Ça ne te gêne pas...? murmure t-il contre mon oreille.

Des frissons me parcourent.

— Non...

Mew se rapproche alors plus franchement, me serre contre lui. Si au début je ne pensais jamais pouvoir m'endormir ainsi, son souffle régulier dans mon cou finit par m'apaiser. La chaleur de son corps qui m'englobe se transforme en bulle de protection. Nous glissons dans le sommeil, bercés par nos respirations tranquilles.

Au réveil, nos positions ont changé. Je suis toujours dans les bras de Mew, mais ma tête repose sur son torse. Nos yeux s'accrochent.

— Bien dormi, yai nong ? murmure Mew en passant sa main dans mes cheveux avec une infinie douceur.

— Hum hum...

Sans autre forme de procès, il me serre contre lui comme si j'étais précieux. Je sens son corps puissant contre moi. C'est... si doux. Timidement, j'enserre sa taille à mon tour, enivré par son odeur.

~~

Voilà où en est notre relation : câlins et flirt quotidien. Je ne suis d'ordinaire pas quelqu'un de matinal, mais à présent je me réveille aux aurores tant j'ai hâte de retrouver Mew. Je commence à vraiment apprécier la sensation d'être enserré dans ses bras puissants. Chaque après-midi, nous nous endormons ensemble, blottis l'un contre l'autre dans notre douillet cocon de chaleur.

J'initie rarement le contact moi-même, car Mew ne se fait pas prier pour me toucher dès qu'il en a l'occasion. Je me laisse faire, sans me plaindre, appréciant ses attentions à mon égard. Nous avons poussé notre skinship encore plus loin. Je ne sais plus comment ça a commencé, mais Mew aime me tirer vers lui pour que je m'assois sur ses genoux et palper mon ventre. Il l'appelle son « poong ka tee », ventre au lait de coco. Je suis mince, mais je ne suis définitivement pas aussi bien bâti que Mew. « Tu crois que je devrais faire du sport ? » lui ai-je une fois demandé. « Non, surtout pas. Je l'adore ton poong ka tee... »

Les autres ne sont plus dupes de notre flirt éhonté et s'ils nous taquinent de temps à autre, ils sont surtout blasés à présent, levant parfois les yeux au ciel en maudissant leur célibat. Ils savent, par exemple, qu'une seule chaise suffit pour nous deux, car Mew m'installera systématiquement sur ses genoux. Ils sont troublés par notre proximité, confus quant à la véritable nature de notre relation.

C'est vrai que notre attitude est ambiguë, mais c'est normal de se rapprocher lorsque l'on incarne un couple à l'écran. De plus, Mew est très attaché à la dimension psychologique du jeu d'acteur. Il devient le personnage, jusqu'à déborder un peu le cadre de la fiction. D'après ses dires, Tharn lui correspondrait à 70 %, ce qui est considérable. La seule différence notable à mes yeux entre l'acteur et le personnage, c'est qu'en dépit de sa douceur et sa tendresse, Mew a aussi une force de caractère assez rugueuse, parfois. Il peut vous pétrifier d'un regard autoritaire. Les autres le charrient en arguant qu'il est sévère. Avec moi, pour l'heure, il n'a été que douceur, même si je décèle parfois dans son attitude possessive à mon égard quelques vibrations de type « mâle alpha ».

Gêné par les regards de nos amis au début de notre rapprochement, j'y suis à présent habitué. Ils ont aussi commencé à m'appeler yai nong, pour me charrier à l'origine, puis ce surnom s'est finalement imposé au sein de toute l'équipe. Quant à Mame, elle est enchantée par notre complicité. J'imagine que voir son roman prendre vie, ça doit être quelque chose de fort. Elle filme nos interactions de temps en temps pour les bonus du coffret DVD et les réseaux sociaux ; montrer les « coulisses » constitue toujours un bon produit d'appel. La seule chose qui m'ennuie, c'est que tout le monde sera témoin de notre complicité. Y compris Poom. Je n'ose imaginer sa réaction.

Sa vision de moi s'écroulerait à me surprendre en position de vulnérabilité dans les bras d'un autre homme. J'ai moi-même bien du mal à réadapter ma propre vision de mon identité. Je ne m'explique pas comment j'ai pu devenir, en aussi peu de temps, le yai nong de Mew.  Alors comment pourrais-je lui expliquer à elle ? Elle ne comprendrait pas. Je relègue ces inquiétudes à plus tard. Rien d'autre n'occupe plus mes pensées actuellement que mes prochaines rencontres avec Mew. Le reste semble superflu.

~~

L'atelier du jour est assez particulier. « Loving workshop » indique le planning. Mew m'a rassuré au téléphone, comme d'habitude, soutenant qu'il me suffirait de me laisser guider et d'écouter les sentiments de Type, comme j'ai si bien su le faire jusqu'à présent. J'ai parfois l'impression de faire un peu plus qu'écouter ses sentiments...

À notre arrivée, nos yeux semblent se chercher et se fuir tout à la fois. L'anticipation de ce qui nous attend nous rend fébriles. Mew me touche comme d'habitude, mais je sais ses gestes lourds d'une tension à peine contenue.

La première scène que nous travaillons est déjà un challenge en soi. Je suis censé pleurer dans les bras de Tharn en lui révélant mon traumatisme passé. Tee nous donne des indications d'une précision militaire sur chacun de nos gestes. Faisant fi de la présence des autres, je craque dans les bras de Mew. Les larmes se mettent à couler pour de vrai. J'ai l'impression qu'un barrage cède, et que toute la pression accumulée ces derniers mois se déverse enfin. Mew me serre fort contre lui. La scène terminée, je suis encore bouleversé, pleurnichant sur le tee-shirt de mon partenaire. Il se positionne derrière moi et me berce comme un bébé, m'aidant à me calmer.

— Je suis bon pour pleurer, non ?

— Je croyais que ta maman disait le contraire ? me lance Mame, avec douceur et amusement. 

Je lui avais en effet révélé ce détail. Nul besoin de sérum de vérité avec moi, comme je l'ai déjà dit.

— C'est parce que normalement, je ne pleure pas devant les gens, je pleure seul...

— En tous cas, c'était super, me chuchote Mew en m'enlaçant toujours. *

La scène qui suit est fondamentale. Il s'agit du baiser de réconciliation entre Tharn et Type qui surviendra dans l'épisode 6, une fois que Type accepte pleinement son attirance pour Tharn, scellant le début de leur relation. C'est une scène charnière et le baiser doit exprimer une émotion et une intensité uniques.

J'ai du mal à me l'avouer, mais j'ai envie d'embrasser Mew. Voilà, c'est dit. Je ne comprends pas ces sentiments. Je me suis peut-être trop perdu dans mon personnage, brouillant les lignes entre la réalité et la fiction, mais il n'y a rien à faire. J'ai besoin de goûter encore à ses lèvres.

Juste avant la scène, je me repose dans les bras de Mew qui m'enlace par derrière, notre position de prédilection. Ma tête s'appuie sur son épaule. C'est notre manière bien à nous de recharger nos batteries. Une fois n'est pas coutume, je décide de le prévenir de mes intentions...

— Phi... ?

— Hum ?

— Pour la scène qui arrive, sache que je vais t'embrasser.

— Je sais bien, c'est dans le script.

— Je veux dire... je vais t'embrasser vraiment.

Mew me sourit, l'air à la fois ravi et sidéré, comprenant ce que je sous-entends.

— Devant tout le monde ?

— Oui. Tout le monde nous verra sur le tournage de toute façon. Alors ce n'est pas la peine de faire des manières...

— C'est comme tu le sens, Nong.

— Je ne t'ai même pas demandé si tu étais d'accord ? Excuse-moi.

— Je suis d'accord... approuve-t-il sans hésiter.

Son regard, dans lequel je crois discerner une lueur de désir mal dissimulée, se perd dans le mien.

— Alors allons-y.

— Oui, allons-y.

Tee et Mame supervisent la scène. Quelques personnes du staff, ainsi que nos camarades, y assistent de loin, comme si c'était un événement. Les filles, surtout, semblent particulièrement intéressées... Mais je les ignore, ne pensant qu'à mon propre bénéfice.

« Mettez vous en place, les garçons. Essayez d'oublier notre présence. Imaginez... que vous êtes vraiment épris l'un de l'autre. Dans cette scène, Type admet enfin son attirance pour Tharn. C'est un moment d'abandon pur et une prise de conscience nouvelle. Pour le baiser, je vous laisse carte blanche pour le moment. »

Tharn est allongé dans le futon, ses écouteurs pendouillent dans son cou tel que décrit dans le script. Je m'approche de lui pour amorcer une réconciliation après que Type soit sorti avec une jeune fille nommée Puifai, attisant la jalousie de Tharn. C'est un instant de confession et d'émotions totales.

« — T'imaginer avec un autre homme me rend fou. Je ne sais pas pourquoi. Et quand j'étreignais le corps de Puifai, je ne pouvais penser qu'au tien. Tandis que je l'embrassais, je ne pouvais penser qu'à tes baisers. Même si je suis avec elle, je pense constamment à toi.

— As-tu vraiment couché avec elle ?

— Je n'ai pas pu. Tharn. Tu m'entends ? Je ne peux plus coucher avec des femmes. Je ne peux coucher qu'avec toi.

— Alors... tu es à moi maintenant.

— C'est toi qui es à moi. Car je ne te laisserai plus partir.

— Tu sais que j'ai toujours été à toi. »

Ce texte, si sensible, me plonge dans un abîme d'émotions.

« Tu es à moi maintenant » le ton avec lequel Mew prononce cette phrase m'envoie des piqûres de désir.

Je me donne un peu de courage, car j'ai le trac d'être ainsi épié pendant ce moment que j'aurais préféré garder pour nous seuls.

Les yeux de Mew se voilent tandis que je m'approche de lui. Je l'embrasse doucement, jouant d'abord avec ses lèvres en m'accrochant à son tee-shirt. Mew répond instantanément à la caresse, s'abandonnant enfin à mes baisers. Sans plus de retenue, je l'embrasse à pleine bouche, affamé, comme si je voulais goûter sa saveur intime. Qu'importe que l'on ne doive pas s'embrasser avec la langue, j'en ai une furieuse envie. Ma langue, semblant hors de contrôle, s'entremêle à la sienne. Je le veux. Le bras de Mew repose tranquillement sur mon épaule. Je sens bien qu'il a envie de m'étreindre plus fort mais qu'il se retient, conscient des yeux indiscrets posés sur nous. L'urgence de mon baiser contrebalance son calme apparent.

Je me recule pour reprendre ma respiration. Mew semble comblé et abasourdi à la fois... Un petit sourire sexy et espiègle étire ses lèvres. Nous échangeons un regard trouble, et cette fois c'est lui qui vient chercher mes lèvres. Notre baiser est exigeant, éperdu. Mew me serre davantage contre lui comme s'il voulait me posséder. J'ai à peine conscience que nous ne sommes pas seuls. Nos langues semblent avoir fusionné dans une danse, ou une lutte, je ne saurais le dire... Une décharge électrique traverse mon bas ventre. Je me sens durcir, stimulé par cette caresse toute humide. Merde. J'espère que Mew ne va pas le sentir... Un sursaut de lucidité me pousse à me détacher de lui.

Des hurlements se font entendre. Tout le monde, après avoir assisté à cette scène d'une troublante intimité, est ahuri. Mon compagnon a le sourire jusqu'aux oreilles... Il semble si fier et satisfait. Quant à moi, je m'essuie la bouche et m'effondre contre lui en riant, choqué de ma propre audace.

Cet après-midi là, Mew et moi ne nous décollons pas d'un iota. Nous passons des heures dans le futon à répéter nos lignes et à nous câliner. Mon partenaire ne semble pas vouloir me lâcher. À chaque fois que je tente de m'éloigner ses mains attrapent vivement ma taille pour me ramener contre lui.

— Où tu crois aller comme ça ? me gronde-t-il avec douceur.

Notre baiser nous a rendu comme avides de la présence l'un de l'autre.

Mame est amusée de nous voir chahuter comme des gamins, alors elle sort son téléphone pour nous filmer tandis que Mew et moi nous entremêlons dans le futon en riant. Mew passe sa jambe entre les miennes, frottant involontairement une zone un peu sensible depuis notre baiser... Je me raidis tout en appréciant honteusement cette caresse, espérant que mon corps ne me trahisse pas. Mame finit par s'éloigner, sentant qu'il est plus que temps de nous laisser seuls.

— Yai nong... murmure Mew contre mon oreille en me serrant toujours contre lui.

Une fois encore, sa voix grave me déclenche des frissons incontrôlables.

— Arrête P'Mew...

Il faut vraiment qu'il arrête... Sinon je ne réponds plus de rien.

— Finalement, je trouve que tu te débrouilles bien avec les scènes d'amour... Je n'ai pas grand chose à t'apprendre on dirait...

— N'en parlons pas, s'il te plaît !

— Tu préfères l'action aux mots, c'est ça ?

— Phi !

Mew et moi sommes devenus réellement proches depuis cet atelier, nous confondant pleinement et dangereusement dans nos rôles. J'ai l'impression qu'il n'y a rien de plus naturel que d'être dans ses bras.

Le temps de TharnType, nous nous appartenons.

« C'est TharnType la série, pas MewGulf la série. » Je ferais bien de ne pas oublier cette mise en garde, au risque de me perdre...

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* En réalité, May n'existe pas. Les managers de Gulf sont Best et Bermb. Mais je tenais à intégrer un personnage féminin dans cette histoire qui en manque cruellement. Cependant, j'ai réalisé que je ne pouvais pas non plus écarter Best qui est si important dans le parcours de Gulf.

* La vidéo en question de ce doux moment où Mew réconforte Gulf après la scène des pleurs : https://twitter.com/gulf_sunflower/status/1334275869842391040

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