Chapitre 8 : « Embrasse-moi encore »

Mew

— Mew ? Mew, est-ce que tu m'écoutes ?

La voix ferme de Boss interrompt brusquement le cours de mes pensées. Je reviens à moi dans le salon de chez mes parents, où mon manager semble avoir élu domicile depuis janvier dernier. Il fait pratiquement partie de la famille à présent. Nos chemins se sont croisés au casting et ce fut dès lors un coup de foudre professionnel.

Boss travaillait uniquement à la production de la série à l'origine et comme je n'avais pas de manager, nous avons décidé qu'il m'accompagnerait dans cette aventure. Il est organisé, amical, altruiste, dynamique. Nous avons des centres d'intérêt communs et presque le même âge. Si bien qu'il est devenu un ami, en quelque sorte. Un complice même, et bien souvent un garde fou : il doit régulièrement tempérer mes envies désordonnées. Si ça ne tenait qu'à moi, je serais déjà aux quatre coins du globe à réaliser des milliers de projets avant même d'avoir achevé celui en cours.

— Tu m'as entendu, Mew ? Je parlais de l'association avec la marque Camper qui a été dealée par la production.

Tu veux savoir ce que je pense, Boss ? Tu veux vraiment savoir ce que j'en pense ? Je pense que Gulf est si adorable que c'en est insupportable. Que j'aimerais mieux me le sortir de la tête plutôt que de penser tout le temps à lui. J'ai d'autres choses à faire, comme par exemple, parler avec toi de cette pub pour une marque de chaussures, passionnante à n'en pas douter. Mais je ne peux pas car Gulf imprègne chaque cellule de mon cerveau. Je pense que j'ai envie de le protéger, de l'enlacer, de murmurer yai nong dans son cou avant qu'il ne s'endorme, et je pense à ses lèvres en forme de châtaigne qui ne cessent de m'obséder. Voilà la seule chose à laquelle je suis capable de penser, si tu veux tout savoir. Bordel.

— Mew, est-ce que ça va ?

— Ouaip. Bien sûr. Tout va bien.

— Tu en es... sûr ? Tu as l'air ailleurs ces derniers temps.

— Tu disais quoi ? Camper, c'est ça ?

Boss m'observe, soupçonneux. Je me force à sourire comme si de rien n'était.

— Ce n'est pas un sourire très convainquant ça, Mew. Ça n'a pas l'air d'aller très fort. Les ateliers se passent bien ?

— Oui, pourquoi ça n'irait pas ?

— À toi de me le dire.

Boss me rejoint sur le canapé, quittant l'espace d'un instant sa posture professionnelle pour celle de l'ami à l'oreille attentive.

— Tu me le dirais, si tu avais des soucis ?

— Évidemment. Tout se passe bien. Un peu trop bien même...

Boss lève un sourcil, perplexe.

— Laisse tomber.

— Nong Gulf te donne du fil à retordre ?

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demandé-je sur la défensive.

— Je ne sais pas. Je prêche le faux pour savoir le vrai, c'est tout. Et puis c'est avec lui que tu passes tout ton temps, donc si quelque chose n'allait pas, je suppose simplement que ce serait lié à ton « yai nong » développe-t-il, narquois.

Pris en flagrant délit. C'est vrai que je n'ai pas précisément été un modèle de discrétion. Lorsque Gulf s'est endormi contre mon épaule dans la voiture, après la rencontre avec nos fans, son visage semblait si doux et apaisé... Et je pouvais enfin contempler sa bouche à loisir sans risquer d'être pris sur le fait (enfin c'est ce que je croyais !).

Avant notre baiser, j'arrivais à me contenir, mais depuis que j'ai senti la chair rebondie et la douce chaleur de ses lèvres contre les miennes, impossible de détourner le regard. Quelle bouche... Et je vais devoir l'embrasser pendant des mois... Malédiction. Attiré par sa bouche, attendri par son visage endormi, j'avais naturellement eu envie de lui donner un surnom affectueux.

Je m'éclaircis la voix, avant de répondre à Boss.

— C'est un petit jeu, entre nous, tu sais.

— Non, je ne sais pas. Tu veux bien m'expliquer ? se moque-t-il.

— Oh c'est bon, lâche-moi.

— Je t'embête, Mew. Détends-toi. C'est vrai qu'il est mignon, ce gamin.

— Donc, Camper. Dis-m'en un peu plus.

~~

Je passe le week-end dans la maison de mes parents, à l'abri de l'effervescence du centre de Bangkok, pour tenter de glaner un peu de calme avant la tempête. Détente, détente... et détente pour seul mot d'ordre. Les semaines précédentes n'ont pas été de tout repos, même si j'ai bien conscience que le plus dur reste à venir. La période de promotion sera un véritable marathon au moment de la diffusion de la série. C'est pour cette raison que je dois grappiller le plus de repos possible, tant qu'il en est encore temps.

Je gratte distraitement les cordes de ma guitare, perdu dans mes pensées. Les aiguilles de ma montre indiquent 23h. Musique, exercices physiques et phases de langueur rythment cette soirée solitaire. Parfois, je feuillette le bouquin de Mame. « Ce sont vos devoirs du week-end » a-t-elle décrété au dernier atelier, une lueur coquine au fond des yeux.

Allongé dans mon lit, je poursuis ma lecture du chapitre 1 avec un enthousiasme relatif. J'ai toujours aimé les livres, mais mon esprit mathématique a une nette préférence pour les contenus historiques ou scientifiques, même si je ne boude pas non plus mon plaisir pour un classique de la littérature.

Voyons voir... Où tout cela va-t-il me mener... Mild m'a déjà prévenu de la nature très explicite du texte, mais ça ne m'impressionne guère. Je ne suis pas né de la dernière pluie. J'ai déjà eu plusieurs expériences par le passé. Aussi bien avec des femmes qu'avec des hommes. Je suis attiré par des personnes, non par des genres. Tout ça pour dire que ce ne sont pas quelques scènes de sexe, aussi graphiques soient-elles, qui vont m'effrayer.

J'avance dans ma lecture, de plus en plus intrigué par l'évolution de la relation entre Tharn et Type. L'histoire finit par me saisir, mine de rien. Je reste relativement imperturbable, jusqu'à une scène fatidique, impliquant... des glaçons.* Ok. Je referme le livre, un tant soit peu fébrile.

Mame ! Sérieusement ? As-tu perdu l'esprit pour écrire des choses pareilles ? C'est au moment de cette scène ô combien audacieuse, que des images de Gulf choisissent de m'apparaître par flash, évidemment. Non, non, non... Je les chasse, refusant obstinément d'imaginer mon innocent compagnon dans des situations aussi impudiques. Ma respiration me trahit malgré moi. Ainsi qu'une douce chaleur qui commence à se diffuser dans mon bas ventre. J'ai interrompu ma lecture pile au bon moment, c'était moins une.

Alors que je tente de faire refluer les prémices d'un désir involontaire, mon téléphone se met à sonner. Gulf. Il ne manquait plus que ça. Depuis notre rencontre, je n'ai jamais ignoré aucun de ses appels. Je reprends contenance, me redresse dans le lit et accepte la visio.

— Hello... Khun phi, me salue-t-il avec son sourire timide.

Merde. Il m'appelle vraiment de cette manière, maintenant. J'aime ça, et en même temps ça me torture. Il semble installé dans son lit, un débardeur blanc révèle la rondeur de ses jolies épaules nues. Je tente de rester impassible, en dépit d'un trouble certain provoqué par l'esprit obscène de Mame.

— Nong... Que me vaut ton appel ? Tout va bien ?

— Je suis chez moi, dans mon lit. Évidemment que tout va bien. Que pourrait-il m'arriver ?

— C'est juste que tu n'appelles jamais aussi tard d'habitude.

— Oh, je suis désolé. Est-ce que je te dérange ?

— Tu sais bien que tu ne me déranges jamais. Tu voulais prendre des nouvelles de ton khun phi, c'est ça ?

Il n'aura fallut que quelques instants pour que mon assurance habituelle ne reprenne le dessus.

— Ahah, très drôle. Non je... On avait dit qu'on s'appellerait quand on commencerait la lecture du roman. Je voulais juste avoir tes impressions.

— Tu as commencé ? demandé-je prudemment, un peu stressé.

— Eh bien... oui... et toi ?

— J'ai lu quelques heures ce soir. Alors, qu'en penses-tu ?

— Comment dire... Je ne m'attendais pas à ce que ce soit... autant, confie-t-il à voix basse, soudainement rougissant.

— Effectivement, certaines scènes sont un peu trop détaillées à mon goût... Je me demande ce qui est passé par la tête de Mame.

— Ce n'est pas très compliqué à savoir, en l'occurrence...

— Ahaha, oui, très juste.

Un silence se faufile entre nous. Les yeux de Gulf sont doux, plissés de sommeil. Il m'observe longuement.

— Gulf. Tu sais qu'on ne devra pas aller jusque là, rassure-moi ?

— Oui, évidemment !

— Alors, ne sois pas inquiet.

— Je ne suis pas inquiet, me lance-t-il avec un air de défi dans la voix.

Okay... J'avale ma salive. Son regard ne se dérobe pas. Il me fixe avec une lueur d'audace au fond des yeux.

Pendant un bref instant, il y a comme une tension dans l'air.

— Phi...

— Oui ?

— Non, rien.

À travers l'écran, je peux percevoir ses petites oreilles rougir.

— Il faudra qu'on en parle, non ? ose-t-il enfin demander.

— De quoi, au juste ?

Je crois savoir où il veut en venir, mais j'ai envie de l'entendre dire. C'est un peu cruel de ma part, j'en conviens.

— Eh bien... Il faudra bien parler de nos scènes... intimes. Avant le tournage. Pas comme la dernière fois.

C'est une situation inédite. En général, c'est moi qui vais au devant des sujets sensibles avec mon entourage, mais depuis l'épisode du baiser volé, Gulf semble avoir pris de l'assurance. Il continue de me surprendre chaque jour. Tandis que moi, je n'en mène pas large.

— Oui, on peut en parler autant que tu le souhaites, si ça te fait plaisir, le taquiné-je avec un air charmeur.

— Je ne voulais pas dire ça, idiot !

Cela m'amuse toujours autant de le chercher. Je redeviens néanmoins sérieux, car c'est une question qui travaille manifestement Gulf. Et si quelque chose le préoccupe, je veux tout faire pour arranger ça.

— Je t'embête. Excuse-moi, tu as raison. Comme je te l'ai dit, je ne te brusquerai jamais. Je suis conscient que c'est ton premier boyslove, et que tu n'as jamais été intime avec un homme... Je prendrai soin de toi. Y a-t-il quelque chose... que tu veux savoir en particulier ?

— Je... Je me demande juste comment réussir à transmettre l'alchimie qu'on attend de nous. Nous devrons exprimer de la passion et être crédible. Je veux être à la hauteur.

— Nous ferons de notre mieux, Nong. Le secret, c'est d'être à l'aise ensemble et de se faire confiance. Je te guiderai, ne t'en fais pas. Est-ce que tu me fait confiance ?

— Oui...

— Alors... tout ira bien. Nous avons encore plusieurs ateliers pour travailler cet aspect. D'ailleurs, je peux te proposer de faire quelques exercices, pour être à l'aise ensemble. Comme par exemple... nous... enlacer... Ce genre de choses, pour s'habituer à notre contact. Nous pourrons débuter dès le prochain atelier. Tu t'en sens capable ?

Je me sens un peu timide de lui demander ça, mais il est temps d'initier le skinship (contact physique), comme on dit.

— Oui... je pense. Est-ce que... ça ne te gêne vraiment pas d'être proche de moi, de cette manière ?

Je déglutis, étrangement intimidé par la question directe de Gulf. N'a-t-il pas regardé ma précédente série ? Il sait bien que je suis familier avec ce registre de scènes.

— Je... Non, ça ne me gêne pas. Pas du tout. J'ai l'habitude, tu sais.

Que puis-je dire d'autre ? Je ne veux pas l'effrayer en lui révélant qu'au contraire, je désire presque sa proximité.

— Et toi, Gulf ? trouvé-je le courage de formuler à mon tour.

Cette question me brûle les lèvres depuis le premier jour. Je ne peux pas rater cette occasion.

— Je ne pense pas que ça me dérange non plus, Phi, me révèle-t-il. Je t'ai bien embrassé sans même ton consentement, alors...

— Tu étais dans le rôle, disons.

— On peut dire ça...

Gulf et moi nous regardons un instant avec intensité. Un silence s'installe, puis une tension on ne peut plus perceptible... Je m'éclaircis la gorge, cherchant à contourner le sujet. J'avise alors ma guitare qui trône au bord du lit juste à côté de l'exemplaire du roman.

— Hé Gulf, ça te dit un petit air de guitare ?

— Oh, tu es guitariste ?

— Je constate que tu n'es pas un de mes fans, sinon tu le saurais... ronchonné-je en faisant la moue.

— En fait... J'ai peut-être déjà vu quelques vidéos de toi jouant de la guitare sur youtube.

— Donc tu es finalement un de mes fanboys ? J'aime mieux ça.

— Bon, tu me joues quelque chose, alors ? fait-il diversion, embarrassé.

Je cale le téléphone en équilibre sur la table de nuit, contre la lampe de chevet, avant de ré-accorder ma guitare. Pour Gulf, je me lance dans une reprise d'un classique de la variété thaïlandaise. Un air doux et mélancolique, sur lequel je pose une voix suave, s'élève dans la pièce. De longues minutes s'écoulent, bercées par la musique.

À la fin du morceau, je lève les yeux vers l'écran, espérant que Gulf ne se soit pas endormi. Il est allongé, tout proche de la caméra, un sourire attendri sur les lèvres. *

— C'était... magnifique, P'Mew, susurre-t-il, sincèrement ému.

C'est comme s'il était là, tout proche, à mes côtés. Une boule se forme dans ma gorge.

— Tu as l'air épuisé, Nong... Tu devrais peut-être aller dormir ?

— Oui... Tu as raison, baille-t-il, l'air groggy.

— Allez, au lit.

— Bonne nuit, P'Mew. À la semaine prochaine.

— Dors bien, fais de beaux rêves.

Il hoche la tête, tout sourire, les yeux mi-clos.

Le visage de Gulf est soudain remplacé par l'écran noir. Je ressens comme... un vide, d'un coup. Je me console avec ma guitare, composant des chansons une bonne partie de la nuit.

~~

Je ne me suis définitivement pas reposé autant que je l'aurais voulu ce week-end. Qu'importe, il va falloir assurer et redoubler d'énergie pour les ateliers qui nous attendent. On entre, pour ainsi dire, dans le vif du sujet. Quand j'arrive ce matin, Kulap me met instantanément une tasse de café brûlant entre les mains, compatissante. Apparemment, je n'ai pas l'air dans une forme olympique. Je la refuse néanmoins, peu friand des boissons amères.

Gulf est déjà allongé dans son futon, le nez dans le script que nous allons répéter aujourd'hui. Je lui ébouriffe le crâne pour lui signaler ma présence.

— Toujours en retard, P'Mew.

— C'est toi qui es trop ponctuel. Laisse-moi t'apprendre qu'il faut savoir se faire désirer.

— N'importe quoi...

— On en reparlera quand ta célébrité aura atteint la mienne, fanfaronné-je, prétentieux.

Gulf s'esclaffe. Il est vraiment bon public, avec moi. Il rit à toutes mes blagues, même les plus nulles.

Je m'allonge à ses côtés.

— Fatigué ? me questionne-t-il, perspicace.

— Hum. Un peu. Je ne serais pas contre faire une sieste.

— À cette heure-ci, ça s'appelle « terminer sa nuit », Phi.

Naturellement, je pose ma tête contre la sienne. Je suis juste bien, installé là. J'attrape une mèche de ses cheveux, comme s'il s'agissait d'un doudou réconfortant.

— Ça va, on ne vous dérange pas trop ? s'amuse Mild, debout devant nous, l'air faussement réprobateur.

— Si, tu nous déranges, grondé-je.

— On est train de répéter une scène très importante, ajoute Gulf.

— Ben voyons, vous m'en direz tant, ronchonne notre ami.

— Tu veux des papouilles aussi ?

— Merci de demander, P'Mew. J'apprécie. Mais, ça ira. Je ne voudrais surtout pas m'immiscer.

Il nous tire la langue, avant de rejoindre le reste du groupe, déjà affairé à travailler.

De notre côté, ni Gulf ni moi ne semblons avoir envie de nous y mettre. On est si bien, dans notre cocon de douceur. Je pourrais presque m'endormir à ses côtés, bercé par nos respirations.

Nous finissons quand même par entamer cette nouvelle journée d'atelier, car nous avons encore du pain sur la planche. Si notre dynamique conflictuelle a été plus que bien assimilée (Gulf sait facilement montrer un sale caractère !) je ne peux pas en dire autant de nos scènes romantiques, ni même sensuelles.

La matinée est consacrée aux exercices habituels, ainsi qu'à des travaux collectifs. Il est aussi temps, pour Gulf et moi, d'approfondir davantage la question du skinship que nous allons devoir initier. Mame et Tee ont subtilement abordé le sujet eux aussi, nous encourageant à travailler en prévision des scènes intimes. "Étant donné votre scène de baiser de la dernière fois, je ne crois pas que nous devrions trop nous inquiéter" a déclaré Mame en gloussant.

— Pour revenir à notre discussion... ça ne te gêne pas que nous commencions à établir quelques contacts physiques ? demandé-je à Gulf avec précaution, tâchant d'être le plus professionnel possible.

Il secoue la tête en signe d'assentiment.

Nous avons déjà commencé, d'une certaine manière, me dis-je en me rappelant notre proximité récente. Notamment avec l'épisode "khun phi" et la sieste inattendue à mes côtés. Cependant, cette complicité était totalement spontanée, et nous devrions aussi faire les choses de manière adéquate. Établir certaines frontières.

— Est-ce que... je peux t'enlacer par derrière ? Nous pourrons continuer à discuter dans cette position, si ça te va.

Gulf rougit, sans surprise, mais il acquiesce. Je le laisse venir vers moi en ouvrant les bras.

Il glisse sur le sol où nous sommes assis pour me rejoindre. Il me tourne le dos sans même me regarder, probablement timide, avant de s'appuyer contre moi, me permettant ainsi d'enlacer ses épaules. Gulf et moi faisons approximativement la même taille, mais il devient si minuscule entre mes bras. Cette position est réconfortante, agréable.

— Ça va, tu te sens bien ?

— Hum hum.

Nous restons ainsi quelques instants, nous imprégnant de la présence l'un de l'autre.

C'est dans ce moment de relâchement que je décide d'en apprendre un peu plus sur mon jeune compagnon.

— Dis-moi... désolé pour cette question un peu brusque... mais... tu as eu des expériences amoureuses, par le passé ? Nous confier pourrait nous aider à mieux nous connaitre et à être plus à l'aise dans nos gestes. Nous ne sommes évidemment pas obligés d'en parler, si tu ne le souhaites pas.

— Ça ne me gêne pas, il n'y a pas grand chose à savoir. Je suis en couple avec une fille depuis deux ans, et avant ça je n'ai pas eu d'expériences significatives.

Apprendre qu'il est en couple, qui plus est avec une fille, me décontenance, je dois l'avouer.

— D'accord... Est-ce qu'elle est ok avec tout ça ?

— Bien sûr. Elle me soutient. Mais ces derniers temps, nous nous voyons peu. Nos programmes sont assez chargés, pour elle comme pour moi.

— Oui, je comprends... J'espère que vous pourrez vous retrouver.

Je suis sincère. Je ne souhaite que son bonheur.

— Me concernant, reprends-je, ce n'est pas évident pour moi d'en parler... Mais j'imagine que tu es au courant de cette sordide affaire avec mon ancien co-partenaire ? Tu m'avais questionné à son sujet, au début de notre rencontre, mais je n'étais pas vraiment prêt à en parler.

C'est dur pour moi d'aborder ce sujet, mais je veux être transparent avec Gulf. Et puis, comme il est dos à moi, c'est plus facile de me confier. Je fixe sa nuque, tel un point d'ancrage. Il acquiesce à ma question, sans rien dire.

— Je ne sais pas ce que tu en penses, et je n'ai rien à te dicter, mais j'espère que tu n'es pas... mal à l'aise...

— P'Mew, m'arrête-t-il, je suis désolé pour ce qui est arrivé. Comme je te l'ai dit, je te fais entièrement confiance.

— Vraiment ?

— Oui, je sais que quoi qu'il arrive, tu me protégeras.

Mon cœur se serre de soulagement.

~~

C'est après la pause déjeuner que les choses se corsent... Tee, le réalisateur, est venu nous donner plusieurs indications sur la manière de jouer la scène du jour. Puis, il nous a laissé travailler.

— Donc, dans cette scène, je te caresse les cheveux, et après... je t'embrasse, énonce Gulf en pouffant d'un rire nerveux.

Nous sommes assis en tailleur l'un en face de l'autre, le script à nos pieds.

— Gulf... Je gagne quoi quand tu rougis ?

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Tu viens encore de virer rouge tomate. Tu sais que si je devais gagner de l'argent à chaque fois, je serais peut-être millionnaire ?

— Contente-toi de faire abstraction, okay ?

— Sinon quoi ? le provoqué-je, un brin de défi dans la voix.

Après une hésitation, Gulf me saute dessus et nous fait tomber à la renverse. Il se met à me chatouiller les côtes, mon point faible. Quel traître !

Je me débats, tordu de rire. Dans notre lutte, je sens le corps de Gulf tout contre moi. J'aimerais ne pas avoir à l'admettre, mais ce n'est pas pour me déplaire... Après plusieurs minutes de rires et de batailles échevelées, durant lesquelles j'ai repris le dessus sur Gulf dont les fins poignets sont désormais emprisonnés entre mes mains, celui-ci cesse de lutter. Il se laisse tomber sur mon torse, à bout de souffle. Je crois qu'il ne se rend pas compte de la position équivoque dans laquelle nous nous trouvons, alors qu'il est allongé sur moi, les bras verrouillés par ma poigne autoritaire.

Mon souffle est court également, mais pas tout à fait pour les mêmes raisons...

Ses cheveux me chatouillent le menton, alors qu'il reprend tant bien que mal sa respiration dans mon cou. Je peux sentir l'odeur de son shampooing. Sans arrières pensées, je passe mes bras autour de sa taille. C'est juste si naturel, que je n'ai même pas réfléchi mon geste. On s'est juste... accrochés, comme deux aimants. Le cœur de mon compagnon ne s'est pas calmé depuis notre guerre de chatouilles. Il semble même tambouriner plus fort encore.

Je réalise soudain que n'importe qui peut nous voir. Et ça me fait paniquer un bref instant. Je suis déjà terrifié à l'idée de m'attacher à nouveau à quelqu'un, mais si en prime il y a des témoins à cette faiblesse... non. Je finis par dégager Gulf tout en douceur, à contre cœur cependant. Il fait froid, d'un coup. Je crois qu'on fait un peu de zèle, avec les exercices de skinship.

— On devrait s'y remettre, non ?

— Hum hum, acquiesce-t-il, fuyant mon regard.

Il se lève pour rejoindre le fond de la salle, à l'écart des autres. Sans me questionner, je lui emboite le pas.

L'ambiance a subtilement mais définitivement changé entre nous. Je peux le sentir. L'heure n'est plus aux rires. Nous reprenons notre scène dans un état second.

Les yeux de Gulf n'ont jamais semblé si sérieux ni concentrés. Nous sommes assis l'un en face de l'autre, si proches, que je peux distinguer le grain de sa peau. Notre texte se déroule comme dans un rêve. Type et Tharn ont repris possession de nos corps.

Enfin, c'est la scène du baiser, que j'appréhendais autant que je désirais secrètement depuis la lecture du script ce matin. Il a une petite amie, me rappelé-je.

Gulf s'approche de moi. Nos yeux semblent connectés par une force invisible et indéfectible. Son visage est à quelques centimètres du mien et mon cœur commence dangereusement à s'affoler. Et puis mon jeune compagnon, et non Type, me demande d'une petite voix :

— Phi... Je peux t'embrasser... ?

Sa demande me laisse pantois.

— Tu n'es pas obligé de m'embrasser pour de vrai, tu sais.

Je ne voudrais surtout pas que Gulf se force à quoi que ce soit...

— Comme je te l'ai dit la dernière fois, je crois que ça me permettrait d'être plus à l'aise sur le tournage, confie-t-il, le rouge aux joues.

J'acquiesce alors pudiquement, le souffle court. On devra de toutes façons jouer cette scène lors du tournage, a dit un homme sage. Nous sommes ici pour ça, après tout, répéter nos scènes... Je fais taire la voix de ma conscience me rappelant qu'en aucun cas les bisous ne sont requis.

Le temps semble une nouvelle fois se suspendre tandis que Gulf comble la dernière distance qui nous sépare. Je regarde ses belles lèvres pulpeuses fondre sur moi. Tremblant, mais déterminé, Gulf pose ses lèvres sur les miennes. Légère caresse. Ce doux contact me rappelle notre chaste premier baiser devant tout le monde.

Spontanément, je lui rends son baiser avec une précaution infinie. Je picore ses lèvres doucement, si doucement, par peur de faire fuir ma petite créature farouche, en définitive pas si farouche... Je l'embrasse comme un aveugle découvrant un nouveau territoire, par petites touches, pas à pas. Nos lèvres entament un dialogue timide.

Je m'attends à chaque instant à ce que Gulf rompe le baiser. Pourtant, il continue son exploration. Il pose même ses mains sur mes épaules pour s'accrocher à moi. Je me recule pour vérifier que tout va bien. Gulf hoche la tête à mon interrogation muette. Il est prêt à continuer l'exercice.

— Ouvre la bouche, maintenant, lui intimé-je avec douceur.

Gulf acquiesce et ferme les yeux, entrouvrant légèrement la bouche. Il est adorable. J'embrasse sa lèvre inférieure, puis sa lèvre supérieure, avec précaution. Mon cœur manque de s'arrêter quand je sens le bout de sa langue venir à la rencontre de la mienne, happée par cette chaleur humide.

Instinctivement, j'attrape sa taille. Le baiser, si doux, prend une tournure inattendue. Sa langue me taquine, provocante. Un gémissement de surprise et de désir mêlés m'échappe. À cet instant présent, je dois faire appel à toute ma volonté pour ne pas dévorer Gulf. Je me détache de lui, à contre cœur, tâchant de reprendre mes esprits.

— Yai nong... soufflé-je, effaré.

Gulf garde les yeux baissés, les joues et les oreilles cramoisies. J'attrape son menton pour le pousser à me regarder.

— Est-ce que ça va ?

Il lève enfin les yeux. Ses pupilles sont d'un noir de pétrole. Je déglutis.

— Phi... Je suis... désolé. Je me suis laissé emporter.

Je ne pensais pas pouvoir être amusé dans un moment pareil, mais il faut croire que Gulf déjoue toutes mes prédictions. Je ris tout bas, attendri. « Je ne te brusquerai pas. » Décidément, j'étais bien présomptueux. Pour le moment, c'est plutôt Gulf qui prend un malin plaisir à me brusquer.

— Tu n'as pas à t'excuser.

— Phi.. ?

— Oui ?

— J'ai besoin de ressentir ce que ressentent Tharn et Type.

Ce n'est donc que ça ? De la conscience professionnelle ? me siffle une petite voix pernicieuse.

— Oui. Je comprends.

Ma main, animée d'une vie propre, caresse son menton. J'ai décidément toutes les difficultés du monde à ne pas le toucher.

— J'aimerais explorer avec toi cette dimension de leur relation. Je me sentirais plus confiant et performant, sur le tournage.

— Mais qu'avez vous fais de Nong Gulf, le timide jeune homme du casting ?

— Je t'avais dit que je pouvais assurer. Ils veulent de l'alchimie, alors on va leur en donner, non ?

Cherche-t-il à me tuer ?

Ma main quitte son menton, pour se poser sur son épaule avant de continuer son chemin sur son bras, puis son poignet, et enfin sa main que je caresse. Que j'emprisonne presque, déjà accro à son toucher.

— Phi... Embrasse-moi encore.

Sa demande me laisse tremblant, et pour la première fois depuis bien longtemps, intimidé. Gulf me fixe, une lueur de désir et d'obstination dans les yeux.

— Tu es sûr ?

— Oui. P'Mew. Rappelle-toi, je ne suis pas en sucre.

Mes yeux se posent sur ses lèvres, déjà un peu rouges et gonflées de notre précédente étreinte. Il marque si vite.

Cette fois, je n'ai plus la force de me faire prier. J'attrape sa nuque et initie le baiser. Je n'arrive pas à rendre ce nouvel échange aussi doux que je le voudrais. J'ai tellement envie de goûter ses lèvres que ça me fait mal. Elles sont si douces et moelleuses. Je l'embrasse profondément, avalant le gémissement étourdi qu'il laisse échapper. À nouveau, sa langue cherche la mienne. Son odeur me rend fou. Un mélange de shampooing, de parfum et la fragrance intime de son corps. Un cocktail étourdissant. C'est trop. Beaucoup trop pour moi. Alors je le repousse, avec une excuse toute trouvée.

Nos têtes sont posées l'une contre l'autre, tandis que nous reprenons notre souffle.

— Yai nong...

Il lève la tête, et pose sa main sur ma joue. Ses yeux semblent emplis de désir.

— Tu sais qu'on n'a pas à s'embrasser avec la langue ? C'est même à éviter, sur le tournage. Il y a une limite d'âge.

— Oh... vraiment ? Je crois... que je préfère, pourtant, confie-t-il d'une voix éraillée.

Il va finir par me provoquer une attaque.

Notre « scène » est finalement interrompue par l'arrivée de Run. Je suis même étonné qu'on nous ait laissés tranquilles si longtemps, et j'espère que personne ne nous a vus. J'étais trop emporté pour m'en inquiéter, cette fois.

— Vous savez l'heure qu'il est ? Tout le monde est presque parti. Vous êtes tombés dans une faille spatio-temporelle ou quoi ?

Pas loin, Run. Pas loin.

Malgré l'intrusion de notre ami, Gulf ne brise pas notre contact visuel, comme envoûté. La présence de Run me conduit toutefois à me ressaisir.

— Heu... les gars... ça va ?

— Oui, oui. On était juste concentrés par notre scène, tenté-je de noyer le poisson.

Un silence. Run nous observe enfin avec attention, soupçonneux, remarquant sûrement les lèvres gonflées de Gulf et mon air coupable.

— Ok. Ok. Ok. Je vois. Je crois que j'ai compris. Je ne veux pas savoir. Je veux savoir ? Non, je ne veux pas savoir... Allez, ciao les inséparables !

Run nous tourne le dos, hilare. Bon. Pour la discrétion, on repassera, encore.

— Rentrons, Nong. Je te raccompagne.

Je me lève brusquement, contrarié d'avoir été percé à jour. Gulf me jette un regard indéfinissable.

Dans la voiture, la tension est palpable. Gulf garde le silence tout le trajet, l'air préoccupé. J'essaye d'agir comme d'habitude, fredonnant un air de musique qui passe à la radio.

— Nous voilà arrivés. Ça va aller, Gulf ?

— Oui, P'Mew. Merci pour aujourd'hui.

Merci de quoi, au juste ?

— Repose-toi bien... On se voit dans quelques jours ?

Je crois que nous n'avons jamais autant échangé de banalités à la minute.

Gulf me regarde, l'air suppliant et perplexe à la fois. D'un geste instinctif, je lui caresse les cheveux, puis la joue, avant de poser prudemment ma main sur la sienne. Un élan de tendresse s'empare de moi, mais je me fais violence pour ne pas céder à mon désir de l'étreindre.

— À bientôt... Khun phi.

Gulf entrelace brièvement ses doigts aux miens, avant de quitter la voiture.

Je crois qu'un peu plus, et nous subissions une combustion spontanée.

Son départ me laisse pantelant, perplexe, nerveux et étourdi de questions. Je m'étais promis de ne plus jamais m'attacher ainsi à une personne rencontrée sur un tournage. J'ai l'impression que c'est raté, et surtout, infiniment et douloureusement plus fort...

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* Pour en savoir plus je vous invite à lire le roman de MAME. La traduction française est également en cours sur wattpad, ici => https://www.wattpad.com/story/217191199-tharntype-traduction

* J'ai vraiment écrit ça avant la diffusion de la chanson de joyeux anniversaire de Mew pour Gulf hier soir, pur hasard ahah.

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