Gulf

« On travaillera ça en douceur, ok ? J'ai une certaine expérience. Je ne te brusquerai pas. »

Est-ce que j'ai repensé à cette phrase un paquet de fois ? Bien sûr que... oui.

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Depuis la soirée sur la péniche, je me suis reclu dans mon appartement pour préparer les premiers ateliers avant le tournage. J'ai à peine quitté ma chambre et la notion du temps est devenue assez floue. Je m'imprègne de mon personnage et je relis le script, encore et encore. Je passe aussi une partie du temps à dormir et à jouer aux jeux vidéo. Je n'ai pas totalement perdu l'esprit, non plus. Plus surprenant, j'ai commencé à regarder la précédente série de Mew. Je dois reconnaitre que What the Duck ne m'a pas particulièrement convaincu. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai tendance à vite décrocher des séries (à part Game of Thrones et quelques programmes cultes, je me lasse assez vite), ou si le sujet n'est pas vraiment à mon goût.

Enfin... certaines choses sont plus à mon goût que d'autres : je zappe la plupart des scènes, mais pas celles où figurent Mew. Quand il apparaît dans le champ, me voilà entièrement captif de son aura indescriptible. Je soupçonne les spectateurs d'avoir suivi la série pour lui seul. Je comprends mieux ce que voulait dire Mild quand il évoquait son «expérience ». J'ai donc étudié avec attention sa manière de jouer, et ses scènes... plus intimes. Pour la science, évidemment. Même si honnêtement je n'avais jamais regardé un homme de cette manière là. Il est vraiment... magnétique ? Je l'ai observé embrasser langoureusement son partenaire, et une fois ou deux, je me suis surpris à m'imaginer à sa place. Dans un but purement professionnel ! Qu'est-ce que vous allez imaginer.

Je suis allongé sur le ventre, l'ordinateur devant moi diffuse une énième interview de Mew, quand le téléphone se met à sonner, me tirant de ma semi rêverie. Un rapide coup d'œil m'indique qu'il s'agit de Poom, ma petite amie. Nous sortons ensemble depuis notre deuxième année d'université.

— Salut mon chéri, comment ça va ?

Je me redresse dans le lit pour reprendre contenance.

— Hé salut Poom. Ça me fait plaisir de t'entendre. Je suis toujours en train de travailler.

Je jette un œil à l'écran de mon ordinateur et une pointe de culpabilité m'envahit.

— Ça ne te dirait pas de sortir manger un bout, pour faire une pause ? Tu ne vas pas arriver épuisé le premier jour, ce serait dommage.

— Tu n'as pas tort...

Intérieurement, j'aurai bien passé ma nuit à me laisser envoûter par la voix grave de Mew, mais ce ne serait pas raisonnable. Ça ne me fera pas de mal de passer un peu de temps en compagnie d'une vraie personne et de me changer les idées avant la semaine prochaine.

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Je la rejoins dans un petit boui boui où nous avons nos habitudes. Plats épicés au menu, comme j'aime ! J'aperçois Poom devant le restaurant. Elle porte une jupe tartan et des bottes noires lacées en dépit de la douceur du climat. Le style, avant toutes choses. Poom est belle. Son visage est mignon, son corps est gracieux. On a envie de la serrer dans ses bras et de la faire rire, car ses fossettes son irrésistibles. Je l'enlace et nous nous installons à notre table.

— Alors, ce Mew ? Tu penses que vous allez vous entendre ?

— Oui, bien sûr. Il n'y a pas de raison.

— Je ne pensais pas dire ça un jour mais je suis tellement jalouse... de toi ! Il est plutôt sexy, plaisante-t-elle, malicieuse.

— Hé ! grogné-je en la fusillant du regard.

— Qui aurait cru que mon copain aurait la chance d'embrasser un si beau mec. Pff, c'est mes copines qui vont fantasmer sur vous deux. Je ne suis pas vraiment ravie, tu sais ?

— Tu sais bien que c'est complètement fake tout ça.

— Oh non, pas toujours ! Il y a des acteurs de boyslove, je suis persuadée qu'ils sortent vraiment ensemble.

— Ça, c'est ce qu'ils veulent vous faire croire. Ce n'est que de la promo tu sais. Du fanservice. Vous êtes vraiment trop naïves.

— Hum... Si tu le dis. D'ailleurs, vous avez signé quelque chose à ce sujet ?

— Comment ça ?

— Contractuellement, vous n'êtes pas obligés de flirter en public, n'est-ce pas ? Je me suis toujours posé cette question pour les acteurs de boyslove, ajoute-t-elle, perplexe.

— Bien sûr que non !

Poom semble rassurée, et nous dégustons nos plats sereinement, ou presque.

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« Je n'aurai jamais pensé que mon copain aurait la chance d'embrasser un si beau mec ». J'ai l'impression d'entendre cette voix en écho depuis que je suis rentré du restaurant.

Allez Gulf, concentre-toi. Pourquoi je n'arrête pas de penser au moment où il faudra y passer ? Ils s'embrassent pour de vrai, dans les séries ? Mon cœur commence à s'emballer. J'ai presque envie d'appeler Mame pour faire marche arrière. J'imagine d'ici May me passer le savon du siècle. Qu'est-ce qui ne va pas chez moi, sérieusement ?

Je repense à cette soirée sur la péniche. Mew est arrivé décontracté, sûr de lui. Est-ce humain d'être aussi cool ? Il a été très prévenant et amical avec moi. Il n'a pas hésité à me couver et à me rassurer, tel un mentor attentionné, alors qu'il aurait simplement pu faire la fête, comme tout le monde ce soir là. Au moment de se quitter, il m'a fait promettre de l'appeler si j'avais la moindre question, ou si je voulais parler du tournage. Est-ce que j'oserais ? Il est déjà 23h passé...

Je décide de lui envoyer un petit message sur Line, sans idées derrière la tête. Je suis mon instinct.

Gulf : Hello P'Mew, c'est Gulf. Est-ce que tu dors ?

La réponse ne se fait pas attendre.

Mew : Salut petit Gulf. Nope, je ne dors pas.

Petit Gulf ?! Je suis clairement loin d'être petit, non mais oh.

Gulf : Je ne te dérange pas, j'espère ?

Mew : Jamais.

Gulf : Tu te sens comment à l'approche des ateliers ? Tu as travaillé ton personnage ?

Mew : Détendu. Oui, un peu. Le personnage de Tharn me correspond beaucoup, je n'aurai pas un grand rôle de composition à créer.

Gulf : Ah oui ? C'est super, ça. Tu seras à l'aise, alors. J'adore le personnage de Type, mais il a vraiment un sale caractère. Pour le coup, c'est un peu éloigné de ma personnalité.

Mew : Je pense que tu vas vraiment t'amuser, alors. C'est agréable d'être quelqu'un d'autre, parfois.

Je souris. Il n'a pas tort...

Gulf : Tu es conscient que je vais beaucoup te hurler dessus ? Tu es prêt à subir le courroux de Type ? :p

Mew : J'ai hâte de voir ça. :p

Gulf : Je serai impitoyable ahah.

Mew : Tant mieux ! No pain, no gain ;)

Je laisse quelques minutes s'écouler.

Gulh : Au fait j'ai regardé ta série. What the Duck.

Mew : Alors, tu en penses quoi ?

Gulf : Je ne veux pas être insultant ? Mais tu portes largement la série.

Mew : Ça ne m'insulte pas. Au contraire, c'est plutôt un super compliment pour moi, un peu moins pour la production xD

Une question me brûle les lèvres. Je m'installe plus confortablement dans le lit pour pianoter sur mon téléphone.

Gulf : Dis-moi, tu t'es bien entendu avec ton partenaire de jeu de l'époque ?

Sa réponse tarde un peu. J'en profite pour me servir une limonade bien fraîche. Mon téléphone vibre après bien cinq minutes de suspens insoutenable.

Mew : Ouch. Question sensible. Joker ?

Dans le mille. Alors que je visais pourtant au hasard. Ma curiosité est piquée au vif.

Gulf : Oh ? Désolé, tu n'es pas obligé de m'en parler.

Parle-m'en, s'il te plaît.

Mew : Disons qu'il y a eu des complications. Rien qui vaille la peine d'épiloguer.

Gulf : OK, désolé d'avoir abordé le sujet.

Cinq longues minutes s'écoulent à nouveau... Je me débarrasse de mon short et m'allonge dans le lit. Il est bientôt 23h30, mes paupières sont lourdes, le sommeil guette.

Nouvelle vibration.

Mew : Il n'y a pas de mal... En fait, pendant le tournage, tout allait bien. Puis il y a eu une série de malentendus entre nous. Les réseaux sociaux n'ont pas aidé. Ça s'est emballé. Aujourd'hui notre relation n'est plus ce qu'elle était.

Gulf : Je vois... Parfois les amitiés s'abîment, malgré nous. Je suis désolé.

Mew : Je dois te laisser. On se voit demain pour notre interview et les Line TV Awards ensuite, tu n'as pas oublié ? Et pour le début des ateliers, je ne m'en fais vraiment pas. Je suis sûr qu'on va assurer. Ne stresse pas trop, ok ? Good night, petit Gulf.

Oups, à m'isoler dans ma bulle, j'en avais presque oublié cette histoire d'interview et de cérémonie. Notre toute première interview, pour un média thaïlandais spécialisé dans le divertissement, et notre tout premier évènement... Quand je disais que tout le monde s'emballait déjà !

En tous cas, je n'avais pas du tout prévu la tournure de cette conversation. Mais au moins, on apprend un peu à se connaître. C'est préférable, non ? Surtout si sa langue doit se retrouver dans ma bouche. Ne. Pas. Penser. À. Ça.

Je me demande bien ce qui a pu se produire avec son co-partenaire. Dormir, ou enquêter sur internet telle une groupie enragée avide d'informations ? La réponse b, évidemment. Je n'en suis pas fier, mais je suis trop curieux.

Après quelques recherches sur google, je tombe sur des vidéos youtube explicatives produites par des fans. Ils vont un peu loin dans la chronique de l'événement, mais au moins j'ai des réponses à mes questions, même si j'ai la désagréable sensation de violer l'intimité de mon futur complice.

J'apprends ainsi toute l'histoire : Mew aurait embrassé son partenaire de What The Duck dans l'intimité, mettant celui-ci mal à l'aise car n'éprouvant pas les mêmes sentiments... Après avoir été rejeté, Mew et lui se sont livrés à une "guerre" sur les réseaux sociaux, le point d'orgue prenant la forme d'une vidéo confession outant Mew et le dépeignant sous un très mauvais jour. Le pauvre... J'ai perçu sa profonde gentillesse, ainsi que sa bienveillance, son respect et son écoute. Je présume qu'il y a eu une série de malentendus entre eux et des personnes malveillantes en ont profité pour s'emparer de l'histoire et déballer un ramassis d'inepties. Ça me met en colère pour Mew, dont j'ai presque envie de sauver l'honneur.

Dans cette triste histoire, une autre information me travaille plus que je ne le voudrais. Mew aime les hommes ? Ou en tous cas, pas seulement les femmes. Je ne sais pas si ça me met une boule au ventre... ou des papillons.

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