Chapitre 16 : « Le centre de son monde »
Mew
Je lui ai toujours dit « tu peux le faire, yai nong ».
Et il l'a fait.
Je me sens fier de le voir sortir de sa zone de confort ce soir. Je n'ai qu'une envie, c'est le prendre dans mes bras et l'embrasser. Je sais qu'il n'est pas encore prêt à bouleverser sa vie pour moi, et je ne peux guère lui en vouloir. J'ai moi-même mis un certain temps à accepter mes sentiments, à accepter de tout risquer ; car rien n'est moins raisonnable que deux hommes ensemble dans l'industrie du divertissement thaïlandais, où l'homophobie est toujours bien ancrée malgré les apparences.
Quoi qu'il en soit, je serai là pour lui, même si c'en est presque douloureux de ne pouvoir être... plus.
— Moi aussi j'ai une surprise pour toi, P'Mew...
Je fronce les sourcils, curieux et impatient. Une surprise ? Ce n'est pas dans les habitudes de Gulf.
Après le show, je lui offre son cadeau : une figurine Captain America des Studios Marvel, dont il raffole. Nous nous tenons toujours sur scène, pendant que le staff débarrasse la salle et que le public se disperse.
— Merci, je l'adore ! Mais il ne fallait pas...
— C'est ton anniversaire. C'est important. TU es important.
Il rougit, se dérobant à mon regard.
— Tu t'en es très bien sorti ce soir, tu sais. Je suis fier de toi.
— Ne te sens pas obligé de prendre des pincettes avec moi. Ma voix était encore trop instable.
— Il faut toujours se comparer à soi-même, yai nong, pas aux autres. Tu as fait d'énormes progrès, je t'assure.
— C'est grâce à toi...
Gulf me prend la main, cherchant mon contact.
— Ne diminue pas tes efforts. C'est grâce à ton travail et à personne d'autre.
— Merci d'être là... murmure-t-il en levant des yeux trop brillants vers moi.
Est-ce la lumière trompeuse des projecteurs ou y aurait-il comme une lueur particulière au fond de ses prunelles mystérieuses ? En arrivant sur scène plus tôt, j'y ai presque décelé des larmes.
— Est-ce que... tu veux dîner avec ma famille et moi, ce soir ? demande-t-il, une note d'espoir mal dissimulée dans la voix.
— Tu es sérieux ?
— Oui... J'ai envie de profiter de ta présence. Ça fait des jours qu'on ne s'est pas vu, et c'est l'occasion de rencontrer ma famille, enfin si ça ne te dérange pas bien sûr... bredouille-t-il.
Alors comme ça, je lui aurais manqué ?
— Bien sûr, yai nong... Ce serait un vrai plaisir.
— Et puis...
Il se mord la lèvre, cherchant manifestement ses mots. Je l'encourage du regard, serrant ses mains plus fort dans les miennes.
— J'ai quelque chose à te dire, après. Quand nous serons seuls, expire-t-il avec difficulté.
Une multitude de scénarios me traversent l'esprit. Quelle que soit l'issue, j'ai l'impression que je n'oublierai pas cette soirée de sitôt.
~~
— Je te présente mes parents, Mae Nuch, Pho Alex que tu as déjà rencontré, et ma sœur, P'Grace.
— Enchanté, dis-je en joignant mes mains en signe de prière à plusieurs reprises, pour exprimer tout mon respect.
Je me sens nerveux de rencontrer une partie de la famille Traipipattanapong.
— Enchanté d'enfin te rencontrer, me sourit la mère de Gulf avec bienveillance. Merci d'avoir pris soin de N'Gulf. Il est vraiment sorti de sa coquille depuis le tournage, grâce à toi. Je voulais te le dire depuis longtemps.
Je la remercie, intimidé et un peu ému de cette déclaration, presque honoré.
Gulf a les traits de son père, mais il possède le charme timide et gracieux de sa mère. Sa sœur, quant à elle, semble taquine, mais aussi très protectrice à son égard. Une grande-sœur, quoi.
Nous dînons ensemble au restaurant pour célébrer cette soirée forte en émotions. Un nouveau pied dans son monde. Une nouvelle étape franchie dans le labyrinthe menant à son cœur trop bien gardé.
Devant sa famille, nous n'osons pas trop bavarder librement, mais Gulf entame un dialogue muet en ne cessant de me jeter des regards et d'effleurer mon genoux avec le sien. Ça ne lui ressemble pas...
— Rentrez de votre côté, P'Mew va me raccompagner à mon appartement. N'est-ce pas, phi ?
Pris de cours, je promets toutefois à sa famille de le ramener sans encombre.
— Bon, d'accord... Mais envoie nous un message quand tu seras arrivé, alors. Merci Phi Mew, et ravie d'avoir fait ta connaissance ! Tu ne peux pas imaginer comme nous sommes soulagés que Gulf puisse compter sur quelqu'un de mature et gentil dans cette industrie, déclare la mère de Gulf, la main sur le cœur.
— Vous pouvez me faire confiance, je veillerai toujours sur lui.
Pourquoi ai-je l'impression que l'on parle de tout autre chose ?
~~
Pendant le trajet à bord de ma voiture, Gulf laisse tomber sa tête sur mon épaule, somnolent.
— Tu es fatigué, bébé ?
— Tu n'as pas idée...
— Je vais te laisser dormir dès que je t'aurai déposé, alors.
— Non ! s'écrie-t-il, désormais bien réveillé.
— Tout va bien ? Tu es étrange, ce soir...
La promesse d'une surprise, le dîner avec sa famille, les frôlements de genoux...
— Phi, arrête-toi.
— Quoi ?
— Arrête-toi, s'il plaît.
— J'ai promis de te ramener chez toi pour que tu puisses te reposer.
On peut appeler ça du déni, mais je crains tellement la sentence qui m'attend que je la repousse inconsciemment.
— Juste une minute. Regarde comme c'est beau, en plus, s'exclame-t-il, perdu dans la contemplation du ciel à travers la fenêtre.
Non, il n'est vraiment pas dans son état normal.
Sous sa demande insistante, je me gare près du fleuve. C'est vrai que la vue sur le Chao Phraya est superbe. Le temple illuminé se découpe sur le ciel strié de bleu et de blanc, tandis qu'une Lune gibbeuse veille sur cette image presque irréelle, d'un autre temps, dans un coin de ciel étoilé.
Gulf détache sa ceinture et se tourne vers moi, ses gestes empreints d'un sentiment d'urgence. Il pose sa main sur ma jambe et me regarde avec gravité. Je ne pense pas qu'il voulait s'arrêter pour la vue, tout compte fait.
— Je ne peux plus attendre pour te le dire.
J'attends la suite, suspendu à ses lèvres.
— Phi... Poom et moi, c'est fini.
J'ai du mal à réaliser ce que je viens d'entendre.
— Tu es sérieux ? Est-ce que tu vas bien ?
Une vague d'émotions me submerge. De l'inquiétude pour Gulf, bien sûr, mais aussi une satisfaction coupable.
— Oui, c'est on ne peut plus terminé... et ça va on ne peut mieux.
Il pose sa main sur la mienne.
— Je suis tout à toi, maintenant. Enfin, si tu veux encore de moi...
Mon cœur explose dans ma poitrine.
— Yai nong... Évidemment, je te veux tellement fort.
J'ai les lèvres sèches, d'un coup, pris de court par cette nouvelle.
— Tu es sûr de ton choix ?
J'ai l'impression de devoir me pincer pour vérifier que je ne rêve pas.
— Oui...
La Lune éclaire son beau visage, dont j'ai envie d'effacer les traces de fatigue laissées par cette soirée éreintante. Je caresse sa joue, ronde et douce sous mes doigts.
— Tu as fait ça... pour moi ?
— Je l'ai fait... pour moi, Phi. Car j'ai envie d'être avec toi. Même si c'est difficile. Même si je ne sais pas de quoi demain sera fait. Et même si on se trompe... Tout ce que je sais, c'est que c'est à toi que je pense nuit et jour depuis notre rencontre.
Sa tête se pose contre mon front.
— Et moi qui croyais que tu n'étais pas doué pour les déclarations... soufflé-je en souriant.
— Crois-moi, je ne suis pas doué, alors ne t'habitue pas trop.
Je lâche un petit rire nerveux, les paupières closes, laissant les sensations d'un prémice de bonheur inédit infuser chaque cellule de mon corps.
Nous restons ainsi en silence pendant un moment, nos visages tout proches et nos mains entrelacées.
— Khun phi ?
— Hum ?
— Tu peux me le dire, maintenant, la partie de mon corps que tu préfères ?
Un rire m'échappe. Il ne perd pas le nord, celui-là.
— Tu ne le sais pas ?
— Non... déglutit-il, nerveux.
J'attrape son menton entre le pouce et l'index, lui relevant la tête pour le regarder droit dans les yeux.
— Tes lèvres, yai nong... Tes magnifiques lèvres.
Indécentes lèvres.
Qu'il se mord et se lèche inconsciemment sous la force de mon regard.
Il ferme doucement les paupières, tandis que je contemple sa bouche avec avidité.
— Est-ce que... je peux t'embrasser ? demandé-je prudemment, soudain timide.
— Oui... souffle-t-il si bas que je l'entends à peine, entrouvrant déjà les lèvres pour m'accueillir.
Je m'approche en douceur, supprimant les quelques centimètres qui nous séparent, sentant enfin la chaleur de son souffle. Je pose délicatement ma bouche sur un coin de ses lèvres, puis sur l'autre. J'ai envie de le découvrir lentement, sans me presser.
Ses mains se posent timidement sur mes épaules, m'incitant à approfondir le baiser. Je ravis sa lèvre inférieure, pleine et soyeuse, prenant mon temps, puis sa lèvre supérieure. Je veux savourer l'instant, sentir chaque parcelle de sa bouche et m'imprégner de ce souvenir.
Notre premier véritable baiser.
Je n'entends plus que les battements désordonnés de mon cœur, le bruissement des sièges en cuir et nos souffles mêlés trancher dans le silence profond de l'habitacle, bientôt remplacés par des bruits humides quand la langue de Gulf vient taquiner l'entrée de ma bouche. Je lui rends sa caresse, enroule ma langue langoureusement à la sienne, étouffant un gémissement commun. C'est si bon... J'enserre sa taille, autant que le permet cet espace étroit. Gulf m'embrasse maintenant avec ardeur, gémissant et empoignant mes épaules avec vigueur. Il revendique ma bouche comme jamais auparavant.
Le baiser s'éternise et je rassemble toute ma volonté pour me détacher de lui, le souffle court, avant de déraper vers des étreintes trop enflammées, trop tôt, et dans un lieu pas vraiment approprié.
— Doucement, bébé...
— Pardon... murmure t-il, les yeux vitreux.
— Ne t'excuse pas... C'est juste, que nous avons le temps.
— Oui, bien sûr. Tout le temps.
De mon pouce, je caresse sa lèvre rougie, peinant à réaliser que je vais pouvoir les embrasser encore et encore, que cette 7ème merveille du monde est mienne. Je ne mentais pas : c'est la partie de son corps que je préfère, même si j'ai hâte de découvrir les autres...
— Je te ramène, tu as besoin de dormir. D'accord ? Tes parents vont s'inquiéter sinon.
— Hum... D'accord, monsieur le gentleman.
— Ne te moque pas, je leur ai fait une promesse. Et je veux que tu te reposes et que tu prennes soin de toi.
Il approuve de mauvaise grâce, basculant pourtant déjà dans le sommeil, appuyé contre la fenêtre.
Pendant le reste du trajet, je jette des regards réguliers à Gulf, comme si je veillais sur un trésor qui risquait de disparaître.
~~
— Vous m'avez bien eu hier, quand même. Je me disais bien que P'Best était bizarre !
— J'aime surprendre les personnes auxquelles je tiens, tu sais.
Même à travers l'écran, je peux percevoir ses oreilles rougir. Je note également sa figurine Marvel qui trône fièrement sur sa table de nuit à côté de lui.
— Phi... comment on va faire pour notre... Enfin... pour la nouvelle situation ?
— J'y ai déjà bien réfléchi, figure-toi.
— Et je peux savoir depuis quand tu y réfléchis exactement ? Depuis quand tu me convoites secrètement au juste ? me provoque-t-il avec une confiance que je ne lui connaissais pas.
— Je te le dirais si tu es sage, mais pas tout de suite. Soyons sérieux deux minutes, tu veux bien.
Gulf soupire comme un enfant grondé et s'allonge sur le ventre dans son lit. Ses cheveux sont en bataille et ses longues jambes se balancent en arrière plan, me distrayant quelques secondes.
— Première règle : nous devons absolument nous cacher. Notre carrière n'y survivrait pas...
Une boule se forme dans mon estomac à l'idée que l'on découvre la nature de notre relation. Je déteste l'idée de devoir cacher aux yeux du monde celui qui tient une place spéciale dans mon cœur, mais je ne peux me résoudre à faire du tort à Gulf si cela venait à être découvert.
— Je n'avais pas l'intention de le crier sur tous les toits non plus, se défend-il d'un air boudeur.
— Je sais, mais j'ai besoin que tu comprennes les enjeux. J'ai un passif dans cette industrie, j'ai eu mon lot de haine, de rumeurs et d'attaques. Je suis blindé. Mais toi, tu es si jeune, au tout début de ta carrière... Je ne veux prendre aucun risque, tu comprends ? Tu es trop précieux.
Gulf baisse la tête, comme brûlé par l'intensité de mon regard.
— Ne dis pas des choses comme ça... C'est... trop.
Gulf est très pudique avec les sentiments. Il a toujours un peu de mal avec mon caractère sentimental et mes mots doux. Je souris, espiègle.
— Il va pourtant falloir t'y habituer mon cœur.
— Phi, arrête ça ! gronde-t-il, menaçant.
Il m'amuse. Un chaton énervé, pas impressionnant pour un sous.
— Deuxième règle, pas de comportement qui pourrait nous trahir sur le lieu de travail. Et troisièmement... On va y aller doucement, d'accord ?
Même si, quand je regarde ses beaux yeux ardents, sa bouche tentante et ses épaules nues, je n'ai certainement pas envie d'y aller doucement. Mais je ne crois pas que Gulf ait jamais eu d'expérience avec un homme, alors je ne veux pas le brusquer ou l'effrayer.
Il hoche la tête sagement cette fois, un air timide peint sur le visage, comme s'il avait suivi le fil de mes pensées.
Avant d'aller au delà des baisers, j'ai aussi besoin de preuves d'amour entre nous et m'assurer que Gulf ne regrettera pas, que ses sentiments sont bien les siens et non des résidus de Type. Trop de trahisons et de déceptions dans le passé m'ont également fait perdre confiance, laissé avec un sentiment d'insécurité persistant.
— On a besoin de voir comment notre relation évolue en tant que Mew et Gulf, sans l'influence de Tharn Type, continué-je, déroulant mon argumentaire implacable.
— Ne t'inquiète pas autant, Phi. Tout ira bien. Moi aussi je veux prendre le temps d'apprivoiser notre... euh... relation ?
Je sais que les mots lui font encore peur, mais il est de plus en plus audacieux. Entre le Gulf de notre rencontre et le Gulf d'aujourd'hui, c'est le jour et la nuit.
— On devra être discret. Vraiment discret, répété-je encore, presque pour moi-même.
— Tu crois que j'en suis incapable ?
— Disons que ta sincérité désarmante pourrait nous jouer des tours, quelques fois, dis-je, malicieux.
— Tu sais, je ne serai pas toujours parfait. Je serai têtu, boudeur, parfois maladroit et peu doué pour les sentiments. Je crains de ne pas être le meilleur petit ami qui soit.
Petit ami.
J'aimerais passer mon bras à travers l'écran pour le toucher, le rassurer.
— Moi non plus... Je serai jaloux, colérique, parfois excessif... Alors ne t'inquiète pas pour ça. Nous allons apprendre ensemble, d'accord ?
— Apprenons et grandissons ensemble, Khun Phi.
~~
Je me présente chez Gulf quelques jours plus tard en apportant son plat préféré, du porc frit au basilic. Un planning chargé nous attend dans les semaines à venir, alors je veux vraiment profiter de lui en tête à tête tant que nous le pouvons encore.
Dès que je franchis le pas de la porte, je me sens envahi d'un sentiment de timidité inédit. D'accord, je rejoins donc mon adorable petit ami pour la première fois depuis notre mise en couple officielle. C'est étrange. Gulf m'accueille dans un de ses mini shorts indécents et un tee-shirt large. Il n'a aucune idée de l'effet que ça me provoque, ce malheureux.
Son innocence le perdra.
— Salut, Khun Phi.
Ses joues forment comme deux petites pommes au dessus de son sourire rayonnant.
— Salut toi...
J'attrape délicatement son menton, avant de déposer un chaste baiser sur ses lèvres fraîches, attirantes comme des baies bien mûres dans une accablante journée d'été. Je me retiens, gardant le contrôle, encore hésitant quant à la manière de me comporter. Sous mes airs confiants, je suis assez timide en amour.
— Rentre, P'Mew. Ça sent bon ! s'exclame Gulf en ravissant déjà mon sac de nourriture.
Nous nous installons autour de sa petite table basse et dégustons tant que c'est encore chaud. J'observe Gulf manger avec appétit, imperturbable et insouciant. Comment fait-il cela ?
— Gulf ?
— Hum ?
— Tu n'as jamais été avec un homme, n'est-ce pas ?
Il s'étouffe presque avec sa bouchée.
— Phi, tu pourrais prévenir avant de me demander des choses pareilles.
— Désolé...
Le stress me fait parfois manquer de tact.
— Non. Jamais. Tu es le premier, admet-il.
— Ça ne te fait pas peur ?
J'ai hésité à aborder le sujet si tôt, mais je préfère m'assurer maintenant que Gulf a pleinement conscience de tout ce que cela implique.
Il réfléchit longuement en mastiquant. Rien ne semble freiner son appétit.
— J'ai peur de perdre le lien précieux que nous avons, de mettre en péril notre travail, j'ai peur de tellement de choses, phi Mew. Mais j'ai réalisé qu'être avec toi, tout simplement, ne me fait pas peur.
Gulf...
— Maintenant je veux juste vivre l'instant présent, ajoute-t-il en haussant les épaules.
— Viens là.
Gulf fait le tour de la table pour se glisser à mes côtés. Il pose sa tête sur mon épaule.
— Je voulais aussi m'assurer que ça ne t'inquiète pas d'être avec un homme de cette manière, tu sais... insisté-je un peu maladroitement.
Gulf rougit jusqu'à la pointe de ses petites oreilles, comprenant certainement où je veux en venir.
Le sexe.
— Khun phi, je sais que tu me protégeras et... que tu seras doux, c'est tout ce qui compte.
À mon tour de rougir en saisissant l'allusion.
— Bien. La seule chose que je veux, c'est que tu te sentes en sécurité. Je te promets de prendre soin de toi.
J'attrape sa main, qui paraît si petite dans la mienne, déposant un baiser au creux de sa paume.
Je ne veux pas brûler les étapes, même si l'impatience de le posséder entièrement gronde déjà en moi.
~~
— Yai nong est adorable, courageux et déterminé. Si je me sens contrarié ou découragé, il est toujours près de moi.
Gulf acquiesce, l'air fier. « Être discret sur notre relation », une mise en garde que j'aurais dû m'adresser à moi-même... L'expression « faites ce que je dis, pas ce que je fais » prend ici tout son sens.
C'est un gros évènement aujourd'hui, avec Shopee, un site d'achat en ligne. On doit vendre la série avec conviction, jongler entre promotion de notre « faux couple » et discrétion de notre véritable relation. Un jeu d'équilibriste. Il faut croire que j'aime me rajouter des challenges, dans la vie.
https://youtu.be/nADkWiGJKio
— Gulf, si tu devais offrir quelque chose à P'Mew, qu'est-ce que ce serait ?
Gulf fait mine de réfléchir à la question du présentateur, avant de répondre effrontément :
— Une montre, pour qu'il trouve plus de temps pour moi, minaude-t-il.
Quoi ?
— Est-ce que je ne t'appelle pas tous les jours après le travail ?
Je le prends par l'épaule, ébahi mais secrètement heureux qu'il aspire lui aussi à plus de temps ensemble.
— Et toi, Phi Mew, qu'est-ce que tu achèterais à Gulf ?
— Une chaise pliable, pour qu'il puisse dormir partout à l'extérieur dès qu'il le veut, le piqué-je.
Grâce à toutes nos allusions, je crois que le monde entier a connaissance de la passion première de Gulf : dormir. Et la mienne est de l'embêter avec ça.
Après quelques questions / réponses sur la série, nous participons à un jeu : le but est d'échanger des bouts de papiers au moyen de notre bouche sans les faire tomber. Je ne dirais pas que cela me gêne. Nous n'avons pas encore eu l'occasion de nous explorer, y allant à tâtons, alors je ne vais pas bouder mon plaisir. En revanche, je donnerais tout pour faire disparaître le public d'un coup de baguette magique... Gulf cherche mon regard. Même si le script a été approuvé en amont, je le sens inquiet d'effectuer ce geste aussi intime en public. Je le rassure en hochant discrètement la tête.
J'attrape un premier papier avec ma bouche et m'approche de Gulf. Il presse brièvement ses lèvres contre les miennes pour le recueillir, me faisant ressentir leur contact tiède, légèrement humide. À chaque échange de papier, nous faisons durer le plaisir sous le hurlement des fans. Gulf me jette des regards effrontés, qui font bouillir mon sang. J'ai vraiment hâte de pouvoir l'embrasser sans cet obstacle de papier.
En loge, nous n'avons que peu de temps pour nous changer avant d'enchaîner avec le prochain évènement. La sensation de nos baisers indirects me brûle les lèvres. Nous nous sommes engagés à ne jamais agir comme un couple réel sur le lieu de travail. Pas de baisers, même derrière les portes closes, car nos agents ne sont jamais très loin. Cependant, Gulf et moi ne nous sommes pas embrassés depuis au moins deux jours, et ce sont deux jours de trop. L'impatience de goûter ses lèvres me gagne.
Une fois la porte fermée, je passe un bras autour de sa taille pour le tirer contre moi, lui embrassant le bout du nez.
— Alors comme ça, je n'ai pas assez de temps pour toi ?
— Il fallait bien dire quelque chose d'amusant, se justifie-t-il en haussant les épaules, joueur.
Gulf adore me provoquer, soufflant constamment le chaud et le froid.
Je le plaque contre la porte, humant l'odeur réconfortante de ses cheveux doux. Gulf passe timidement ses bras dans mon dos. Je l'embrasse enfin, savourant le contact électrisant de ses lèvres charnues et le goût entêtant de sa salive, ma nouvelle drogue. Gulf fond entre mes bras, répond à mon baiser avec ferveur, comme toujours. Il initie rarement le contact, mais en revanche il est toujours très réceptif à mes caresses. Trop réceptif, même... me donnant toutes les difficultés du monde à respecter mes serments.
— C'est dur de ne pas avoir de temps ensemble comme on le voudrait, soufflé-je contre ses lèvres, à bout de souffle, excité mais aussi le cœur lourd.
— Tout va bien Phi. Le travail passe en priorité, n'est-ce pas ? Profitons de l'instant présent.
Je hoche la tête dans son cou, surpris de sa maturité, secrètement déçu de cette réponse trop rationnelle.
~~
Gulf me manque chaque jour, même quand je suis avec lui, surtout quand je suis avec lui, car nous sommes sans cesse observés et scrutés, sans sas de décompression possible. Il est là, tout près, sa peau alléchante si tentante, et pourtant je dois garder mes distances. C'est une torture. Je sais que j'ai préconisé d'y aller doucement, mais là, c'est un peu trop doucement : le temps à deux manque cruellement.
Je peux lui voler un baiser en loge entre deux évènements, mais nos interactions s'arrêtent bien souvent là. On doit toujours être levé à l'aube et l'on rentre bien souvent trop tard pour passer nos soirées ensemble. Je profite des événements pour flirter avec lui, utilisant le prétexte du fan service pour tenir Gulf entre mes bras, où il se niche si bien. Nous avons réussi à trouver un point d'équilibre entre la vente de moments, inhérente à notre travail, et la discrétion indispensable à la protection de notre relation naissante. Même si, de temps à autres, nos regards nous trahissent. D'ailleurs, et c'était prévisible, les fans commencent à spéculer sur notre relation. C'est tout à fait courant dans l'industrie du boyslove, alors il n'y a pas lieu de trop s'en inquiéter. Pour le moment.
En revanche, je commence à être vraiment contrarié par le manque d'intimité... Gulf, lui, semble s'en accommoder, insouciant de mes préoccupations dont je n'ose lui faire part, refusant de lui mettre une quelconque pression. Il est égal à lui-même, toujours adorable, calme, entièrement dédié au travail et patient. « Le boulot passe en priorité. »
Ce n'est pas assez.
— Est-ce que tu es libre pour qu'on se voit, ce week-end ?
— Oh... Je ne vais pas pouvoir. Je vois ma grand-mère, et je dois aider un ami pour son déménagement, se justifie Gulf d'un air sincèrement désolé.
— D'accord, yai nong...
— On se voit au studio la semaine prochaine ?
— Oui, bien sûr. Je penserai à toi ce week-end...
— Je... Oui, moi aussi, Khun Phi.
Je raccroche, un peu déçu. Allongé dans mon lit, je fixe le plafond, pensif.
Je sais que Gulf n'est pas très démonstratif, il me l'a fait savoir suffisamment de fois. Je ne lui en veux pas une seconde. Mettre fin à sa relation longue pour nous donner une chance, c'est déjà plus que ce je ne l'aurais imaginé. Mais je me surprends parfois à espérer de lui qu'il se démène autant que moi pour passer du temps à deux. Il passe souvent le week-end en famille, aimant se reposer ou jouer aux jeux vidéo sur son temps libre. Est-ce lié à notre différence d'âge ? Parfois, égoïstement, je rêve d'être le centre de son monde...
~~
Nous sommes enlacés dans le canapé du Studio, attendant sagement de passer au maquillage pour la séance photo du jour. Mon petit ami ronronne doucement contre moi, assoupi sous sa couverture bleue qu'il emporte partout. C'est encore tôt pour cette petite marmotte. Je caresse le moelleux de son ventre avec mon pouce, caché sous la couverture. J'adore cette partie de son corps, la plus mignonne. Gulf se tortille dans mes bras, frottant son nez contre mon cou.
— Tu aimes que je te touche ? lui chuchoté-je, légèrement audacieux.
— Hum... répond-il mollement, à demi endormi.
Je continue cette caresse relaxante et un peu ambiguë, me délectant de la douceur de son ventre et de son corps chaud, profitant autant que possible de ce rare moment d'intimité. Gulf aime toujours autant que je le cajole, et il ne faut pas me le demander deux fois.
Best passe la tête dans la pièce, sans se formaliser de notre position :
— Qui est prêt en premier pour le maquillage ? Il n'y a que Moly aujourd'hui, ce sera chacun son tour.
— Yai nong... Je vais y aller en premier, pendant que tu finis ta nuit, d'accord ?
— Hum hum...
— Tu as cinq minutes, annonce Best.
Je caresse les cheveux de Gulf, contemplant son joli visage endormi. Je pourrais rester ainsi des heures...
— Yai nong ?
— Oui ?
— Si on ne déborde pas sur le planning, on ne terminera pas trop tard, aujourd'hui. Est-ce que ça te dirait d'aller dîner ? proposé-je, plein d'espoir.
Parfois, je ressemble vraiment trop à Tharn.
Il ouvre des yeux lumineux, un léger sourire se dessine sur son visage ensommeillé.
— Est-ce qu'on peut manger épicé ? me supplie-t-il avec une petite moue adorable.
Gulf adore la nourriture épicée, alors que c'est loin d'être ma cuisine favorite, mais j'ai envie de lui faire plaisir.
— D'accord. Va pour de l'épicé.
— Merci, tu es le meilleur...
Après cette longue journée de séance photo pour un magazine de mode, j'invite Gulf à notre premier dîner en amoureux au restaurant. Le temps est lourd, orageux. Nous avons passé depuis des mois la saison des pluies, mais le ciel est pourtant chargé ce soir. Nous allons certainement nous prendre le déluge sur la tête... Tout le monde semble pressé de se mettre à l'abri de ce ciel menaçant, alors la route est embouteillée dans le centre de Bangkok. Je souffle, un peu agacé. Gulf pose sa main sur mon genoux.
— Tout va bien, Phi. On arrive bientôt. Tourne à la prochaine.
— C'est un restaurant dans lequel tu vas souvent ?
— Oui, avec mes amis de l'université surtout. Ils font un délicieux Pad Kra Pao *. Ne grimace pas, Phi, leur carte propose plein de plats différents.
— Tout ce qui te fera plaisir voyons, bébé, dis-je d'un ton un peu suggestif.
Je détache mes yeux de la route une seconde pour observer sa réaction. Il rougit. J'en étais sûr. Voilà quelque chose d'immuable, semble-t-il.
Quand nous arrivons dans le restaurant, l'odeur des plats traditionnels mijotant en cuisine vient instantanément chatouiller nos narines. Gulf inspire fortement en se frottant l'estomac.
— Je suis affamé ! s'exclame-t-il avec enthousiasme.
Un gamin impatient. Trop mignon pour mon bien.
Nous dînons dans une ambiance assez légère. Je suis content d'avoir enfin un peu temps avec mon yai nong, même si une certaine mélancolie couve en moi. Gulf apprécie ma compagnie, mes attentions, mon côté protecteur. Il me porte l'admiration d'un novice à un aîné. Ses baisers sont toujours exigeants et follement sensuels, me prouvant son évidente attirance pour moi. Je n'ai rien à lui reprocher, si ce n'est peut-être une certaine forme de... désinvolture, une nonchalance, qui contrastent avec mon caractère un peu trop avide de contrôle. Un peu trop sentimental, aussi.
Son cœur est-il aussi gonflé que le mien quand je le regarde ? L'insécurité dans les relations a toujours été ma bête noire. Je suis incorrigible.
— Gulf...
— Oui ?
— Est-ce que tu es heureux, en ce moment ?
— Oui, merci pour ce soir. C'est délicieux !
— Non, je veux dire... avec moi, de manière générale ?
Gulf suspend son geste, repose ses couverts plein de nourriture puis me regarde avec étonnement.
— Gulf ? Bah alors, qu'est-ce que tu fais là sans nous ?
Deux garçons s'approchent tout à coup de notre table, interrompant notre conversation.
— Tong, Boss ! Vous avez aussi dîné là ce soir ?!
— On arrive seulement.
— P'Mew, voici mes deux meilleurs amis de l'université. Je suis content de vous voir !
— Enchanté, dis-je avec une certaine réserve, encore irrité par la brusque interruption.
— Alors c'est toi le fameux P'Mew ! Depuis le temps que Gulf nous en parle.
— Heu... Je n'en parle pas tant que ça non plus, tempère Gulf, gêné, en lançant des éclairs à son ami.
Alors comme ça, il parle de moi autour de lui ?
— Installez-vous avec nous !
Mon cœur se serre.
— Tu es sûr ? On ne veut pas vous déranger, dit prudemment le plus trapu des deux, celui au visage jovial. Tong, je crois.
— Ça ne nous dérange pas, n'est-ce pas phi ? me demande Gulf, ses grands yeux de biche innocents braqués sur moi.
Une légère déception me comprime l'estomac : n'a-t-il pas remarqué que nous étions en rendez-vous ?! Mais je ne peux guère rien lui refuser, et il semble heureux de me présenter ses amis. Arrête donc de faire le rabat joie, me sermonné-je intérieurement.
— Non, bien sûr, confirmé-je avec politesse.
Les nouveaux arrivants s'installent en face de nous, et je sens Gulf se détacher de moi inconsciemment. Il passe le reste de la soirée à rire avec ses deux amis, évoquant leurs cours, leurs professeurs favoris et le foot, un sport auquel je ne m'intéresse même pas. Plus le temps passe, plus la mélancolie plante ses crocs profondément dans ma chair. Est-ce que j'en demande trop, en petit copain invasif ? Ou est-ce que Gulf est encore sur la réserve par rapport à notre histoire ? Je boude, blessé.
Quand arrive la fin du repas, je m'apprête à proposer à Gulf de le ramener chez lui et de passer un peu de temps ensemble. Une deuxième tentative pour nous retrouver lui et moi ce soir...
— Ça vous dit d'aller prendre un verre ?
... Mais j'ai été devancé.
— Oh, ouais ! Ça fait une éternité ! Je me damnerais pour un bon cocktail, comme à l'époque. Qu'en penses-tu, Khun Phi ?
J'ai l'esprit trop assombri par l'ensemble de la soirée, dont les plans ont été irrémédiablement gâchés, pour faire un quelconque effort d'enthousiasme.
— Non, pas pour moi, je vous abandonne.
— Phi ? Tu es sûr ?
— Oui, ce n'est pas grave. Amuse-toi mais fait attention. On a du travail, demain. Salut, les gars. Ravi d'avoir fait votre connaissance.
Je me lève et vais payer l'addition sans un regard en arrière pour le trio. Dehors, l'orage gronde, à l'image de mon état intérieur. Il pleut des cordes. Une pluie tiède mais épaisse coule sur mon visage et dans mes cheveux. J'aurais dû penser à prendre un parapluie ! J'hésite à faire demi tour, inquiet de laisser Gulf monter en voiture sous cette pluie battante, mais je me retiens. Je n'ai pas toujours à veiller sur lui, c'est un adulte. Je me dirige vers ma Honda, quand je sens soudain quelqu'un m'attraper le bras.
— Phi ! hurle Gulf, ruisselant de pluie lui aussi.
— Qu'est-ce tu fais sous la pluie ! On parlera plus tard. Va t'abriter, tu vas tomber malade ! crié-je pour me faire entendre à travers le déchainement des éléments.
— Non ! Je reste avec toi. Phi, je suis désolé !
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Je suis désolé d'être distant, quand je meurs pourtant d'envie d'être avec toi. Je suis désolé si je donne parfois l'impression de repousser tes sentiments et d'être irréfléchi.
Je reste silencieux, frappé par sa sincérité.
— Je crois que j'ai peur de mes propres sentiments. Je me sens submergé, parfois, d'un bonheur... presque insupportable. C'est bien ça le problème. C'est trop de bonheur. Et je gère mal. Tu sais que j'ai du mal avec les émotions... Alors je me protège, sans même m'en rendre compte. Mais je réalise maintenant que je ne veux plus jamais te laisser partir comme ça.
Gulf termine sa tirade, essoufflé. Je reste pantois, sonné par cette déclaration. Avec lui, c'est tout ou rien.
Il s'accroche à moi, la tête réfugiée dans mon épaule, continuant à réciter une litanie d'excuses, les larmes aux yeux. Je caresse son crâne d'un geste tendre. Heureusement, personne ne peut nous voir dans ce parking sombre et désert. La pluie dégouline toujours sur nous, mais peu nous importe. La terre pourrait bien trembler et s'ouvrir sous nos pieds que nous ne cesserions pas de nous étreindre, fusionnels. Gulf relève la tête et se jette sur mes lèvres. Nous partageons un baiser au goût de pluie et de sel, un baiser au goût de vérité.
— Viens, je te ramène à la maison.
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* Sauté de porc au basilic et au piment.
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Montagnes russes ! À peine en couple, Mew fait déjà son relou avec ses insécurités, mais Gulf pourrait peut-être agir d'une manière un peu plus rassurante... Qu'en pensez-vous ? Personnellement, j'essaye juste de respecter leur dynamique "réelle" et mon idée de leur couple, avec leurs défauts et leurs qualités, leurs hauts et leurs bas. Ils sont loin d'être parfaits tous les deux et c'est aussi ça qui me plaît.
La suite, dans un instant ! Je ne veux pas trop en dévoiler, mais ça devrait vous plaire... 😏
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