Chapitre 15 : « Be Mine »
Gulf
7 octobre 2019, premier jour de diffusion de Tharntype
— Pour les scènes d'amour, je n'ai rien eu à lui apprendre...
Mew me jette un regard coquin en balançant cette information avec insouciance, face aux caméras et aux présentateurs de l'émission. Je m'étrangle intérieurement alors que mon partenaire, lui, semble fier de sa petite provocation : si révéler mon aptitude aux scènes d'amour est une stratégie pour me donner des envies, ça fonctionne dangereusement.
J'observe Mew qui continue à livrer des anecdotes sur le tournage, parfaitement à son aise.
Il est... canon. Je me mords la lèvre, sans pouvoir m'empêcher de penser à nos baisers fiévreux et à sa déclaration enivrée dix jours plus tôt. Je ferme les yeux, me remémorant cette soirée où tout a basculé. Il y avait trop d'euphorie, d'émotions et d'alcool ce soir là, un cocktail détonnant qui nous a poussés dans les bras l'un de l'autre.
J'ai éprouvé tant de sentiments confus, mais une chose est sûre : j'avais envie de lui et de ses baisers. Il me plaît, physiquement et romantiquement. Inutile de me mentir davantage. Mais est-ce que ce désir presque pulsionnel suffit pour balayer une relation de près de trois ans ? Je n'ai toujours pas statué... Je suis en plein tourments et je culpabilise ; d'un côté je donne peut-être de faux espoirs à Mew, de l'autre je joue avec les sentiments de Poom. Je suis pris en tenaille et je n'ai pas envie de mettre en péril notre carrière en créant un scandale si jamais les choses venaient à mal tourner.
Jamais je n'aurais imaginé me retrouver dans cette situation périlleuse quand j'ai auditionné pour le rôle de Type. Est-ce que ma vie s'est transformée en fiction boyslove sans crier gare ?!
~~
Après l'émission, nous sommes attendus dans les locaux de l'agence pour filmer en direct notre réaction à l'épisode 1. Pas le temps de souffler. À l'idée du coup d'envoi de la série le soir même, un mélange de nervosité, de doute, d'excitation et d'angoisse m'assaille. Pas seulement en raison de mes attentes pour Tharntype, mais aussi pour l'avenir de Mewgulf...
Une fois arrivés à destination, Mew et moi nous laissons choir dans le canapé sans attendre, épuisés, nous collant l'un à autre en quête de réconfort. J'ai une conscience aiguë de son épaule contre la mienne... Une chaleur irrigue déjà mon corps. Maintenant que je connais les sentiments de Mew à mon égard, chaque toucher, impromptu ou volontaire, fait courir une infinité de frissons sur ma peau.
Les sentiments frémissent entre nous mais de nombreux interdits planent encore. Mew se montre patient, me couve d'attentions auxquelles il m'est de plus en plus difficile de résister. Il suffit que je le regarde se mouvoir pour avoir envie d'appeler Poom sur le champ, la larguer et embrasser Mew à pleine bouche. Mais nous ne sommes pas dans un film Hollywoodien n'est-ce pas... Je dois encore me débattre avec une armée de démons avant de pouvoir libérer le secret de mon cœur.
Une fois la caméra en place, le live commence. Au cours de la diffusion de l'épisode, une tension monte progressivement jusqu'au point d'orgue de la scène finale.
L'embarras et le désir se disputent chaque fibre de mon corps. C'est toujours aussi perturbant de voir ces lèvres tant convoitées se poser sur les miennes, tout en entendant Mew - Tharn - respirer dans mon cou avec excitation. Je comprends pourquoi je ne pouvais m'empêcher de lui retourner son baiser pendant le tournage de cette scène brûlante. Je déglutis au rappel de la caméra braquée sur nous. J'entends la respiration de Mew s'alourdir, certainement autant troublé que moi.
Le live terminé, Tee emporte la caméra dans la pièce adjacente. Nos managers, quant à eux, discutent dans la cuisine en prenant un verre. Mew et moi sommes donc enfin seuls, au moins pour quelques minutes. On se regarde en chien de faïence. Sa main se pose sur la mienne.
— Est-ce que... commence-t-il, avant que Boss ne fasse irruption dans la pièce.
Mew retire précipitamment sa main, pris sur le fait.
Compliqué de se retrouver seuls pour aborder le sujet qui nous brûle les lèvres. Boss récupère quelque chose dans son sac, avant de repartir en direction de la cuisine, nous offrant un bref instant d'intimité.
— Est-ce que tu as... pu réfléchir ? reprend Mew à voix basse, sur le ton de la confidence.
Ses yeux...
Au début du live, l'animateur nous a soumis à un jeu de questions/réponses. « Désignez la partie du corps que vous préférez chez votre partenaire. » Mew a éludé la question, me laissant curieux et frustré. Quant à moi, j'ai donné une réponse sincère, je la connais déjà depuis longtemps.
« Ses yeux... Il se passe quelque chose dans ses yeux. » J'aimerais tout envoyer balader et m'autoriser à m'y perdre, mais quelque chose me retient dans les profondeurs océaniques de mes doutes.
— Oui, je ne fais que ça... mais toute cette effervescence est déjà si compliquée à gérer... J'ai encore besoin de traiter certaines données.
Et parler à Poom, bien sûr... Je ne dirais pas que j'ai peur d'elle mais... Si, j'ai peur d'elle. Et j'ai peur de la blesser, de la perdre à jamais.
— C'est vrai qu'on est constamment observés, je te l'accorde...
— C'est probablement plus prudent de faire profil bas pour le moment, laissé-je tomber, honteux de mon attitude timorée.
Mew acquiesce, compréhensif, une lueur de déception au fond de ses beaux yeux sombres.
Une boule se forme dans ma gorge. J'ai l'impression d'être le pire des opportunistes, incapable de prendre une décision, par prudence tenté-je de me convaincre, mais si c'était par pure lâcheté ?
— Fais-moi savoir quand tu auras finis de traiter certaines données, et alors je te révèlerai la partie de ton corps je préfère... me souffle-t-il à l'oreille, séducteur.
~~
Les interviews et les évènements de promotions se sont enchaînés tout le mois d'octobre et de novembre à une allure folle. Les premiers épisodes ont été accueillis avec un tel engouement ! On ne parle plus que de Tharntype et de l'alchimie incroyable des deux acteurs principaux.
Pour préserver notre chance, Mew a réalisé une sorte de pèlerinage spirituel dans neuf temples différents... Ai-je déjà mentionné à quel point il est croyant et superstitieux ? Cela tranche avec son caractère pragmatique d'ingénieur tout juste diplômé, mais j'aime aussi ça chez lui, ses petits paradoxes qui font qu'il est... lui, tout simplement.
« J'ai prié pour la série, et j'ai aussi prié pour nous deux, yai nong, pour notre succès individuel, pour notre succès ensemble, et pour tout ce que l'avenir voudra bien nous apporter de positif. »
Quel incorrigible sentimental celui-là, me dis-je en découvrant son message, non sans une certaine émotion.
~~
Nous voilà sans cesse en croisade pour promouvoir la série. Et les fans sont au rendez-vous ! À chacune de nos apparitions publiques, ce sont des cris de liesse qui nous accueillent, un avant goût de célébrité. Notre public est assez niché, car le boyslove ne touche par toutes les catégories de la population, loin s'en faut, mais il est en revanche très bruyant et investi. C'est impressionnant.
Heureusement, Mew est toujours là pour me protéger et me guider. Il a déjà l'expérience de la foule, alors il jette constamment un œil sur moi pour vérifier que tout va bien. Il me prend la main et protège mon espace vital des fans parfois intrusifs. Il agit presque comme un garde du corps, et je ne peux m'empêcher de trouver ça scandaleusement sexy.
Aujourd'hui, nouvel événement d'envergure. Nous ne sommes qu'en novembre et je suis déjà épuisé. Je donnerais cher pour une grasse matinée. En arrivant sur les lieux, je suis instantanément réconforté par l'apparition rassurante et virile qui se tient devant moi dans un doux pull au col roulé. J'aimerais me nicher dans cette chaleur douillette. Pas étonnant que certains fans aiment appeler Mew « daddy ». Il a cet aura... Je secoue la tête, essayant de ne pas faire dériver mon esprit.
Les journalistes s'agglutinent autour de nous dans la salle de réception pour nous poser tout un tas de questions, reliées à Tharntype la plupart du temps, mais parfois plus personnelles. Mew m'a briefé à ce jeu d'équilibriste avec les journalistes qui peuvent se révéler trop inquisiteurs : livrer des secrets de tournage fait partie du jeu, mais il faut éviter les faux pas, au risque de perdre le contrôle et de voir sa vie privée envahie et décortiquée par une meute de charognards.
— Est-ce que vous avez déjà été jaloux ? demande un journaliste à Mew. J'ai entendu dire que pour une scène en particulier, vous étiez sur le tournage alors que votre présence n'était pas requise, pour quelle raison ?
— Oh, vous parlez de la scène pendant la full moon party ?
Je me souviens de cette scène : Type se fait draguer par un étranger dans un bar. Mew n'était pas censé être là, mais nous avons toujours eu l'habitude de nous soutenir sur nos scènes individuelles, alors ce n'était pas très surprenant.
— Effectivement, j'étais là pour garder un œil sur lui.
Je me tourne vers lui, surpris.
— Comment ça, phi ?
— Tu as vu comment l'équipe de tournage t'avais habillé sexy ce jour-là, avec ce haut échancré ? Ils aiment toujours l'habiller sexy, alors je garde un œil sur lui, confie-t-il au journaliste, taquin.
Assurément, ce commentaire est du pain béni pour la troupe massée devant nous qui recueille ce « renversement de thé » comme on dit, avec satisfaction. Ils gloussent, heureux d'avoir fait admettre à Mew sa jalousie. Une fois qu'ils s'éloignent, je le fixe avec insistance.
— C'était quoi, ça ?
— Oh, juste un petit renversement de thé, lâche-t-il avec un clin d'œil.
— Ah, je vois, c'était simplement pour faire plaisir aux journalistes, donc.
— Je n'ai pas dit ça.
Je lève un sourcil.
— Phi... Ne me dis pas que tu étais vraiment jaloux à cause de cette scène avec l'acteur étranger ?
— Eh bien... Peut-être un peu. Il te dévorait du regard.
— N'importe quoi...
Il baisse les yeux, penaud.
— Je voulais juste te soutenir et prendre soin de toi. Je n'étais pas là pour te « surveiller » si ça peut te rassurer, je ne suis pas un stalker ou un jaloux maladif non plus...
— Tu fais bien de le préciser car je commençais à en douter, lancé-je, moqueur.
— Bon, d'accord, parfois je peux me montrer un peu possessif quand je tiens à quelqu'un, admet-il, embarrassé.
— Ah oui, vraiment ? je n'avais pas remarqué, dis-je ironiquement.
Il me pince doucement le ventre pour me punir de ma remarque provocatrice. Lorsque Mew est jaloux, ça ne me gène pas autant que ma petite amie. Au contraire, ça me fait même un petit quelque chose dans l'estomac...
— Je te promets de faire un effort là-dessus.
— Ça vaudrait mieux, le menacé-je gentiment.
— Surtout que...
— Surtout que...? l'encouragé-je à poursuivre.
Mew détourne le regard, mystérieux, laissant sa phrase en suspens.
Ce soir-là, tout près de sombrer dans les bras de Morphée, je reçois un sms.
«...Surtout que tu n'es même pas encore à moi. »
Outch, touché... Il va vraiment falloir que je règle cette situation intenable.
~~
— Gulf...
Poom me regarde avec des yeux suppliants, tout en remuant son plat distraitement de sa fourchette.
Je reviens à la réalité de ce restaurant trop chic, dont l'ambiance sonore se compose de couverts entrechoqués et de quelques mornes conversations à voix basses.
— Oui ? Tu disais ?
— Ça fait deux fois que je t'appelle. Est-ce que ça va ?
— Oui, j'étais dans ma tête.
— Comme depuis six mois, souffle-t-elle, dépitée.
Ce soir, nous dînons dans ce restaurant gastronomique choisi par Poom, une tentative pour rompre la routine. Je suis là sans être là, comme hors de mon corps. Je préférerais largement être avec Mew ce soir, et tous les autres soirs. Depuis que cette possibilité a fait son chemin dans ma tête, je ne pense plus qu'à ça, ne me sentant toutefois pas entièrement prêt jusqu'ici à faire le choix qui s'impose.
— Bon, je te disais que nous pourrions faire un voyage, qu'en penses-tu ? Je peux réserver quelque chose à la dernière minute. Ça fait longtemps qu'on n'a pas pris de temps pour nous.
— Poom... Tu sais bien que la période n'est pas du tout propice. Je suis en pleine promo de la série.
— Humph...
— Quoi ?
— Tu es sûr qu'il n'y a rien d'autre ?
Je fais tomber mes couverts, pris au dépourvu. C'est la première fois qu'elle me pose la question aussi ouvertement depuis sa première phase de doute après les ateliers. Poom me fixe comme si elle tentait de m'hypnotiser pour me tirer les vers du nez.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? demandé-je prudemment, la gorge serrée.
Mon estomac se tord.
Poom pose ses couverts avec une lenteur effrayante. Son regard se voile.
— Gulf... Je vois bien que ça ne va pas. Je ne le supporte plus. Parle-moi, je t'en prie.
— C'est juste la promo... C'est épuisant, tu sais, tenté-je de noyer le poisson pour me ménager un sursis.
Ce n'est pas l'endroit pour mener cette conversation.
— Gulf ! S'il te plaît. Nous sommes amis avant d'être un couple, tu te souviens ? Depuis quand tu ne te confies plus à moi ? Je t'en prie, ouvre-toi à moi.
Je me fais l'effet d'un animal tentant d'échapper aux griffes de son braconnier alors qu'il est déjà en cage. Inutile, donc.
— Poom... Je ne veux pas te blesser.
— Je peux encaisser. Tout ce que je veux c'est comprendre.
— Tout se passe bien messieurs dame, vous faut-il autre chose ?
— Non ! répondons-nous d'une seule voix ferme, faisant fuir le pauvre serveur engoncé dans son costume.
Poom me fixe de ses yeux trop perspicaces. Je me sens pris au piège.
— Rien ne me blesserait plus que la malhonnêteté, Gulf. Je préfère la vérité.
Ma voix se coince dans ma gorge.
— Bon, je vais devoir t'aider, soupire-t-elle. Cligne des yeux une fois pour oui, deux fois pour non.
Cette note d'humour me rappelle la raison pour laquelle je l'ai aimée, et pourquoi je lui dois la vérité, par respect pour ces belles années que nous avons passées ensemble.
Eh bien tant pis si la honteuse vérité doit sortir dans ce restaurant trop propre.
— Est-ce que c'est Mew ?
Une brique me tombe dans l'estomac.
— Je le savais, s'écrie-t-elle.
— Qu-quoi ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— Je te connais ! Si je n'ai pas reparlé de Mew depuis la dernière fois, c'est parce que je savais que la vérité m'exploserait au visage seulement en observant ton expression, et j'étais effrayée de ce que j'allais y lire... J'en ai le cœur net maintenant.
— Poom...
— Si tu essayes de me mentir et que j'apprends ensuite que j'avais raison, je te jure que je mets le feu à ton appart.
Poom peut être impulsive et volcanique, quelques fois, c'est le cas de le dire. Ça fait partie des choses qui m'ont porté vers elle, au départ. Un sentiment de nostalgie m'envahit, mêlé au désir pressant de tourner la page. Le silence s'éternise, un fil de tension se tisse entre nous.
— Tu as raison.
— J'ai bien entendu ?
Son visage se déforme sous le choc de cette révélation balancée en pleine face tel un uppercut.
Je me penche vers elle, pour plus d'intimité, les joues brûlantes de honte.
— Écoute, je suis désolé. C'est vrai que... Mew me rend confus. Voilà la stricte vérité.
Je la tempère, car mes sentiments pour lui dépassent largement le stade de la simple confusion. Mais Poom n'a pas besoin de tout savoir.
— Je m'en doutais, siffle-t-elle, les lèvres pincées.
— Comment ?
— Eh bien... Tu étais constamment distrait, comme si tu pensais à quelqu'un d'autre. Et puis les scènes de coulisses m'ont donné quelques indices, quand même. Il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre ce qui se trame... Tu as plus touché Mew en quelques mois que tu ne m'as touchée en presque trois ans de relation. Et ce regard que m'a lancé Mew lors de notre rencontre. L'intuition féminine a fait le reste. Je ne suis pas bête, tu sais.
— Je suis désolé...
— Arrête de répéter ça. Le mal est fait.
Poom repousse son assiette à peine entamée et se recule dans son siège, les yeux brillants de colère et de larmes contenues.
Je me sens comme le pire des enfoirés à ce moment précis.
— Est-ce qu'il s'est passé quelque chose, en dehors du tournage, je veux dire ? reprend-t-elle après un lourd silence, tremblante.
Je baisse les yeux, honteux. Mon silence est éloquent.
— Okay, n'en dis pas plus. Je ne veux pas connaître les détails. Tu m'as déçue, Gulf.
Poom se lève sans douceur, sa chaise griffe le sol dans un crissement. Elle me jette un dernier regard empreint d'hostilité et de chagrin, avant de quitter le restaurant sans autre forme de procès, me laissant seul avec ma culpabilité.
Je n'ai que ce que je mérite.
~~
J'ai passé une semaine entière chez mes parents à me morfondre. Une rupture, ce n'est jamais une partie de plaisir. Tous mes souvenirs avec Poom sont remontés à la surface, me faisant osciller entre la joie et la tristesse. Est-ce que c'est ça, la nostalgie, ce mélange confus entre ces deux émotions contraires ?
Ma sœur, Grace, toque à la porte. Je suis roulé en boule dans mon lit. Elle me dépose un plat de porc frit cuisiné par notre mère.
— Ça va, petit frère ? demande-t-elle, inquiète.
— Hum, grogné-je, depuis mon refuge de couvertures.
— Poom est là, m'informe-t-elle d'une voix basse chargée d'embarras.
— Quoi ? me redressé-je d'un coup, sortant ma tête de sous la couette.
— Oui... Elle attend dans l'entrée. Qu'est-ce que je fais ?
— Arf... Fais la venir, maintenant qu'elle est là.
— Je suis désolée... N'hésite pas, si tu veux te confier à moi. Et fais-moi le plaisir de manger un peu.
— Merci, P'Grace.
Je me redresse dans le lit, attendant Poom avec appréhension.
— Tu as une sale tête, me dit-elle en guise de bonjour.
— Toi aussi.
Une expression outrée déforme son joli visage.
— C'est de bonne guerre, après tout...
Elle s'assoit au bord du lit, pensive.
— Tu vas bien ? me demande-t-elle.
— Ça pourrait aller mieux. Et toi ?
— Ça pourrait aller mieux aussi... Tu sais, j'ai réfléchis... Je crois que nous ne sommes plus vraiment un couple depuis longtemps. Nous ne voulions simplement pas l'admettre ni toi ni moi, mais c'était déjà fini.
Je hoche la tête, approbateur.
— Je ne voulais pas te faire du mal, j'étais encore attaché à ce qu'on a vécu ensemble, et je tiens toujours à toi à ma manière.
— Je le sais.
— Je suis vraiment désolé. Je crois que nous avons grandi différemment.
— Et un beau garçon est apparu dans l'équation, te faisant tourner la tête et te détournant de moi...
Je rougis à l'attaque sournoise mais cruellement véridique.
— Je ne sais pas encore totalement ce que je ressens à ce sujet, je n'ai pas envie d'en parler pour le moment...
Avec toi, devrais-je ajouter. Car au fond, je crois savoir ce que je ressens depuis un moment... Même si je n'étais pas prêt à dépasser certaines appréhensions.
Poom acquiesce, étrangement compréhensive.
— Tu ne manges pas ton plat ? C'est pourtant ton préféré, s'étonne-t-elle en avisant l'assiette fumante posée sur ma table de nuit.
— J'ai l'impression de ne plus vraiment savoir ce que j'aime et ce que je n'aime pas, tu sais.
— Je vois où tu veux en venir.
Et là, un miracle se produit. Poom esquisse un petit sourire. Un sourire triste, mais un sourire quand même.
— Ta mère m'a invitée à ton anniversaire le mois prochain, reprend-t-elle après un silence.
— Elle a fait quoi ?!
— Oui, je lui ai dit que c'était une mauvaise idée.
Je la regarde avec attention, le souvenir de mon adoration pour elle surgit dans tout son éclat nostalgique.
— Viens, s'il te plaît, ça me ferait plaisir. En tant qu'amis.
Poom semble hésiter.
— D'accord, en hommage à notre amitié... Un dernier anniversaire.
— Un dernier anniversaire ensemble.
~~
Des semaines se sont écoulées et les blessures se sont refermées à une plus grande vitesse que je ne l'aurais pensé. Il était temps de couper le cordon de cette relation qui ne tenait plus qu'à un fil ; parfaite excuse pour repousser des sentiments que je m'interdisais d'éprouver.
Maintenant je suis libre, libre d'aller vers Mew. Je n'ai pas vraiment réfléchi à toutes les implications de ce choix, mais je sais juste que je veux être avec lui. Je ne lui ai pas encore annoncé la grande nouvelle, cependant. Je compte bien lui faire savoir que je vais pouvoir « être à lui » dans un avenir proche, mais j'attends juste le moment idéal.
Le moment où je serai prêt à sauter dans l'inconnu, sans retour en arrière possible.
~~
4 décembre 2019, anniversaire de Gulf
Le jour J, je célèbre mon anniversaire autour d'un dîner, accompagné par ma famille, une poignée d'amis proches et... Poom. C'est un peu bizarre, mais en réalité nous sommes soulagés tous les deux de cette rupture, alors notre relation est plutôt apaisée. Tout le monde s'interroge mais nous n'avons bien entendu rien révélé de ce qui a précipité cette décision, évasifs. Nos amis sont restés coi quelques minutes, mais ils ont fini par hausser les épaules en se jetant avec appétit sur le banquet de nourritures dressé dans le jardin. Je regarde les étoiles, un brin mélancolique en cette journée particulière.
Je suis heureux d'être si bien entouré, mais je ressens aussi un vide. Il me manque quelque chose... Tous mes amis et mes collègues m'ont souhaité un bon anniversaire, sauf une personne. Celle qui fait battre mon cœur désormais. Je regarde compulsivement mon téléphone, sous l'air perplexe de ma mère qui ne rate rien de mes moindres variations d'humeur.
Le souhait d'anniversaire de Mew se fait attendre, un peu trop à mon goût. Est-ce que c'est sa manière de me punir pour mon attitude étrange et mon indécision ?
Le temps passe, et toujours aucun message. Alors que je me résous à l'idée de ne pas recevoir son souhait à l'approche de minuit, mon téléphone vibre sous un afflux de notifications. Je déverrouille mon écran, curieux de connaître la source de toute cette agitation numérique.
Mew m'a identifié dans une publication Instagram à 23h59 précise. Mon cœur s'emballe. Je clique sur la petite bulle rose, l'excitation à son comble. Sous une photo tirée d'une scène coupée - un baiser - Mew m'a destiné un message. « Joyeux anniversaire yai nong. Je te souhaite d'être heureux et de faire ce que tu aimes. Je te souhaite de rencontrer de bonnes personnes. Je suis si heureux que nous nous soyons rencontrés cette année. Si ça devient plus dur à partir de maintenant, ne t'inquiète pas car je serai toujours près de toi. Restons ensemble pendant longtemps. »
Mon cœur cogne douloureusement dans ma poitrine et dans mes tempes. J'ai quitté la terre ferme. Je me sens au delà des nuages.
Quand je relève la tête, tout le monde me fixe, interrogateur.
— C'est juste P'Mew qui me souhaite un joyeux anniversaire, bredouillé-je pour justifier mon moment d'absence.
Ma mère sourit, attendrie. Poom m'observe avec curiosité. Elle sait. Je devine sans mal le sujet de ses pensées. Elle se demande certainement depuis quand j'ai une inclination pour les hommes. Je me le demande aussi. Est-ce possible que ce soit juste Mew ? Il est le seul à m'avoir jamais fait cet effet là. Mon téléphone pope à nouveau, me signalant l'arrivée d'un message sur Line cette fois.
« Encore joyeux anniversaire bébé, je suis désolé de t'avoir fait attendre, je voulais être la dernière personne à te souhaiter ton anniversaire... Être le dernier pour toi. »
J'esquisse un sourire, la poitrine gonflée de bonheur.
~~
8 décembre 2019, Big Gulf Day
L'agence et la production ont conjointement organisé un concert en l'honneur de mon anniversaire. Ils ont loué une salle de spectacle pour accueillir tous mes fans. J'ai le trac, car je n'ai pas l'habitude de me trouver ainsi sous le feu des projecteurs. Je suis plus à l'aise grâce à Mew qui m'a aidé à sortir de ma coquille, mais aujourd'hui c'est différent: tous les fans sont là uniquement pour moi, pour célébrer quelque chose de personnel... Est-ce que je mérite vraiment ce déferlement d'amour ?
Je suis excité, impatient, mais aussi un peu déçu car Mew ne pourra pas être présent ce soir. Il participe à un autre évènement hors de la capitale. Je n'ai toujours pas trouvé le bon moment pour lui faire l'annonce de mon célibat récent. Il me tarde de voir sa réaction !
Le show commence et la pression monte. Les chansons s'enchaînent, les fans hurlent. J'en ai la tête qui tourne. Ma famille au premier rang me couve d'un regard ému et bienveillant, me transmettant leurs encouragements. Mild et Kaownah sont là pour me soutenir et participer au show. Est-ce j'aurais jamais pensé en arriver là ? Fêter mes vingt deux ans devant une salle comble, telle une star de K-pop en devenir ?
Le spectacle est déjà bien entamé et j'ai interprété tous mes morceaux. Essoufflé, je pars me changer avant de retourner sur scène pour la suite des réjouissances. Les animateurs chauffent la salle. Je m'avance, ébloui par les lumières, étourdi par cette démesure. Soudain, l'écran sur scène s'allume et le visage de Mew apparaît. En m'abimant dans ce beau visage projeté sur grand écran, je réalise qu'il me manque vraiment... Il commence à parler sous les cris des fans déchaînés, s'excusant de son absence et me souhaitant un joyeux anniversaire.
Même si d'autres obligations le retiennent loin de moi ce soir, il a pensé à me faire cette vidéo. Cette attention me touche. C'est alors que j'entends une voix familière fredonner Be Mine, le titre d'ouverture de Tharntype. Sans doute un enregistrement.
Puis, la voix reprend, plus assurée, créant l'illusion de sa présence. Mon cœur se met à battre plus vite. Je regarde autour de moi, hagard. La musique se lance et un projecteur éclaire une partie du public. Au fond de la salle, j'aperçois Mew qui marche lentement, tel ce félin au premier jour du casting. Il rayonne, un micro à la main. L'émotion me submerge et je sens des larmes perler au coin de mes yeux.
Il est vraiment là !
Mew chante en s'avançant dans ma direction, un grand sourire aux lèvres, charmeur. Je suis envouté par sa voix douce. Quand il arrive sur scène, je me sens tellement intimidé devant cette foule de regards indiscrets. Je ne sais plus où me mettre. Mew me rejoint et nous terminons de chanter ensemble, même si l'émotion me coupe tellement le souffle que j'arrive à peine à formuler une note.
À la fin de la chanson, Mew me prend dans ses bras. C'est un câlin tout en retenu devant le public et surtout ma famille qui se tient dans l'assistance. J'ai tellement hâte que l'on puisse se retrouver seuls dans l'intimité, sans barrière, sans spectacle. Juste nous deux.
— Surprise, me glisse Mew à l'oreille.
Son odeur musquée, masculine, envahit mes narines, ensorcelante.
— Moi aussi j'ai une surprise pour toi P'Mew... lui murmuré-je, la voix tremblante d'enthousiasme et d'anticipation.
~~
Voilà un chapitre qui brasse de nombreux évènements ! (Et encore, j'ai dû pas mal dégraisser). Gulf avait besoin de traiter certaines données (😝), avant de pouvoir accepter pleinement ses sentiments, donc désolée pour le déballage un peu auto centré de tourments intérieurs. Mais c'était une étape vraiment nécessaire. Il n'allait pas quitter Poom pour un homme comme on change de chemise...
Gulf et Poom, c'est enfin de l'histoire ancienne ! Au final, j'ai fait le choix d'une rupture relativement pacifique. Mew et Gulf ont a priori le champ libre pour batifoler pleinement maintenant... Voyons voir ça au prochain épisode ? ☺️
À bientôt ! :)
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