Chapitre 14 : « If lost return to babe »

Mew

Suite à notre dispute à Samet, conséquence logique de ma mauvaise conduite - je l'admets - Gulf et moi nous sommes finalement réconciliés. Ce voyage ne s'est définitivement pas déroulé comme je l'imaginais...

Moi qui m'attendais à me détendre sur la plage au soleil couchant, un verre à la main, j'y ai presque frappé un odieux touriste. Je n'autoriserai personne à toucher Gulf sans son accord ni à le blesser. Personne, qu'on se le dise. Rien que d'y penser des frissons de rage me parcourent. 

Moi qui m'attendais à passer tout mon temps avec Gulf, tels deux amoureux en week-end sur une île paradisiaque (okay j'ai sans doute pris mes désirs pour la réalité, sur ce coup-là) je n'ai pu profiter de sa présence réellement que le dernier jour du séjour. 

Moi qui pensais garder la tête froide lors des scènes intimes, j'ai eu toute la peine du monde à ne pas faire une déclaration à Gulf, emporté par mes émotions. J'avais les mots au bord des lèvres, exalté par l'intensité de notre scène. Réalisant que Gulf n'était pas réceptif, je les ai heureusement ravalés au dernier instant. Je soupçonne que je vais devoir enterrer mes sentiments encore longtemps.

Pour la discrétion, on repassera, car après la scène je me suis mis à saigner du nez, telle une ridicule caricature d'otaku excité... J'ai même dû m'allonger pendant que Gulf jouait à l'infirmière, ne calmant qu'à moitié mes ardeurs.

Le jour de notre retour à Bangkok, nous étions inséparables. Je n'ai pu m'empêcher de l'asseoir sur mes genoux ou de serrer sa taille, plus tactile que jamais. Oui, il m'avait manqué ces dernières 48h. Ne pas lui parler alors qu'il était tout près et blessé par ma faute, c'était une vraie torture. 

Quant à Gulf, il n'a pas arrêté de bavarder tout le temps de la traversée en ferry. Un adorable bébé collant, pour une fois. Il est assez calme et réservé contrairement à ma nature volubile. Alors le voir si prompt à me livrer ses pensées et m'accorder autant d'attention, ça m'a vraiment comblé. Je me suis gorgé de ce moment, buvant ses paroles. J'avais envie de l'enlacer sur ce bateau, de le revendiquer comme mien, mais je me suis abstenu autant que possible par respect pour le père de Gulf. Je ne voudrais pas qu'il se pose des questions ni risquer de mettre Gulf mal à l'aise. J'ai donc gardé mes mains baladeuses pour moi autant que mes sentiments.

~~

Août, dernier mois de tournage

L'été a défilé à une vitesse phénoménale, ne nous laissant que peu de répit. Il fallait respecter des délais très serrés, nous avons donc dû mettre un sacré coup de collier sur la fin du tournage.

L'idée de quitter Tharn et Type me mine profondément.

Leur rupture a été suffisamment douloureuse à jouer comme ça. Au moment de cette séquence sensible, je me suis effondré dans les bras de Gulf, en quête de son réconfort, sa présence, sa chaleur. Je me suis totalement perdu dans le personnage, désemparé, à la limite d'un dangereux transfert. Et si c'est Gulf qui me quittait vraiment, et si je ne le revoyais jamais plus ? Des sanglots se sont formés dans ma gorge, me laissant misérable, plein d'un sentiment d'insécurité. 

Heureusement, Gulf était à mes cotés pour m'aider à traverser cette épreuve. Je l'ai serré contre moi comme s'il allait disparaître. J'ai bien senti que mon comportement n'était pas commun, surtout venant de moi qui parais si solide d'ordinaire.

Tout le monde était en alerte, très surpris et attentif à la situation. La maquilleuse ne cessait de me courir après pour appliquer des retouches, mais je ne pouvais me détacher de Gulf, le laissant me couver comme un enfant effrayé, inversant exceptionnellement les rôles. Grâce à ces émotions intenses, nous avons réussi à boucler la scène en une fois, lui conférant un supplément d'âme et de vérité. 

Même si Type a quitté Tharn, Gulf ne m'a pas quitté une seconde.

~~

Les tous derniers jours de tournage ont été consacrés aux séquences dans le bar, où Tharn se produit à la batterie avec son groupe. Je suis guitariste confirmé et pianiste à mes heures perdues, en revanche j'ai peu d'expérience avec les percussions. J'ai dû me former en quelques semaines pour être capable de rendre les scènes crédibles. J'ai adoré me tenir sur la scène, touchant du bout des doigts ce doux rêve qui m'anime depuis toujours.

Gulf et moi n'avons pas à être présents l'un pour l'autre sur nos scènes solo, pourtant nous restons toujours sur le plateau pour nous soutenir. Notre connexion est souveraine, même à distance. Pendant la répétition, je jette de temps à autre des regards à Gulf qui me fixe de ses yeux intenses.

Il est un homme de peu de mots, mais de beaucoup de regards. Dans ses silences vibrent mille émotions.

Ses coups d'œil me picotent l'estomac. À quoi songe-t-il ? Perdu dans mes pensées, une baguette m'échappe.

— Merde, juré-je.

— On reste concentré, monsieur le tombeur, me charrie Kaownah.

Je ne réponds même plus, privé de toute répartie face aux taquineries constantes de nos amis. Gulf rougit et détourne le regard, toujours mal l'aise d'être percé à jour ainsi.

Après cette énième journée de tournage éprouvante, je propose à Gulf de le ramener chez lui.

Nous montons en voiture, direction le quartier de Thonburi où il réside.

— Repose-toi bien, yai nong, lui dis-je affectueusement au moment de nous quitter. 

— Est-ce que... tu veux monter un moment, pour boire un verre ?

En plusieurs mois, c'est la première fois qu'il me le propose.

— Oui, avec plaisir.

Gulf m'offre un grand sourire, l'air soulagé.

Je grince des dents en découvrant sa petite chambre étudiante toute en bazar. Je suis un peu maniaque, il faut me comprendre.

— Désolé, c'est le bordel.

Des chaussettes trainent sur le sol, un reste de vaisselle sale baigne dans l'évier. Le lit n'est pas fait.

— Je t'ai proposé de monter sur un coup de tête, alors j'avais complètement oublié que ma chambre n'était pas prête pour t'accueillir...

— Ne t'en fais pas. Moi non plus je ne suis pas en sucre, je vais survivre, le rassuré-je en reprenant ses termes. Comment se fait-il que tu ne me proposes que maintenant de découvrir ton antre, d'ailleurs, après toutes les fois où je t'ai ramené ? Que me vaut l'honneur ?

— Tu sais... commence Gulf en s'asseyant sur le lit, je ne suis pas quelqu'un de très sociable. Enfin, pas au premier abord, en tous cas. J'ai besoin de temps pour me lier avec les gens et me sentir en confiance. Pendant longtemps, je ne voulais te voir que comme... un collègue.

Il déglutit, embarrassé par ce semblant de confession.

— Aujourd'hui... tu es bien plus.... souffle-t-il, les yeux baissés.

Mon cœur se met à tonner dans ma poitrine. Je reste debout, figé, ne sachant comment réagir. Je ne suis pas accoutumé au Gulf se livrant ainsi, bien que notre dispute à Samet, ainsi que la douloureuse scène de rupture, nous aient sensiblement rapprochés lui et moi. Je sais parfaitement que nous sommes plus que des collègues, sans parvenir à décrire le lien qui nous unit, impossible à étiqueter. En revanche, c'est la première fois qu'il l'exprime en ces mots. Le silence s'éternise. Gulf lève les yeux vers moi, surpris de me laisser sans voix.

— Phi ? Tout va bien ?

— Oui. Je suis juste... heureux que tu m'ouvres de plus en plus les portes de ton univers. C'est un grand honneur !

— Oh ça va, n'en fais pas trop non plus.

Je souris avec malice, les yeux brillants, exagérant mon expression émue pour mettre Gulf mal à l'aise. Il me jette un oreiller.

— Phi ! Arrête de me regarder comme ça. Le temps des confessions est terminé. Rideau. Bon, une bière ?

— Avec plaisir, car je suis plus qu'un collègue, n'est-ce pas ?

Il me lance un regard noir.

— Je te taquine.

Je m'approche de lui, pose ma tête sur son épaule par habitude, pendant qu'il trifouille dans son frigo à la recherche des précieuses bières. Nous nous asseyons en tailleur sur le tapis, autour de sa petite table basse, prêts à profiter de cette pause bien méritée.

— Alors, tu es à l'aise à la batterie maintenant ? me demande-t-il.

— Bof. Je suis mauvais, mais ça suffira pour faire illusion, dis-je en haussant les épaules.

— Je trouve... que tu t'en sors bien.

— Tu n'y connais rien en musique, comment peux-tu dire ça ?

— Eh bien... Tu as fière allure, disons.

D'accord... Mon Gulf est-il plus audacieux ce soir, ou je rêve ?

— Tu as prévu d'autres compliments pour la soirée ? Que je me prépare psychologiquement.

— Qu'est-ce que tu racontes ?

— Tu ne me fais jamais de compliments, je ne suis pas habitué.

Gulf semble tout à coup véritablement gêné. Je me sens mal d'avoir mis le doigt sur cette réalité.

— Pardon, je suis lourd, parfois.

— Non, tu as raison, je suis mauvais en compliment.

— Ce n'est rien, chacun sa personnalité.

— Mais... Si tu veux tout savoir, je trouve que tu ne manques pas de qualités...

Une phrase innocente qui sonne comme un aveu dans sa bouche. 

Je n'ai pas le temps de réagir, qu'il se racle la gorge avant d'embrayer sur un autre sujet. La soirée s'écoule agréablement. Nous discutons de choses et d'autres, complices. Après un certain temps, il se lève.

— Je vais me mettre à l'aise. Je ne suis jamais en jean à la maison, je ne supporte pas.

Il se rend dans la salle de bain, avant de reparaître habillé d'un tee-shirt ample et d'un short de nuit. Mignon, me dis-je.

— Phi... Je sais qu'on n'est pas censé travailler, mais j'aimerais avoir ton aide sur une scène qui me tracasse, si ça ne te dérange pas ?

— Bien sûr. Montre-moi. 

Gulf attrape le script posé sur sa table de nuit, qu'il feuillette avant de m'indiquer la page du doigt. Je lis la scène. C'est une scène... de baiser, dans le lit de Tharn et Type. Type montre son désir à Tharn pour la première fois, en prenant le dessus. Je déglutis.

— Tu es sûr que tu veux travailler cette scène précisément, ici ?

— Oui, pourquoi pas ?

— Je ne sais pas, d'habitude nous sommes dans le cadre du travail. Je ne sais pas si c'est une bonne idée.

— Ok, c'est pas grave, laisse tomber.

Gulf me reprend le script des mains avec véhémence, vexé.

— Hé bébé, je dis ça pour toi. Ça ne me dérange absolument pas. Ok alors, si tu y tiens.

— Vraiment ?

— Oui.

Gulf s'adosse à la tête du lit, le script à la main. Je m'installe à ses côtés, plus intimidé que jamais. Il se mord la lèvre, concentré. Mon regard dérive sur ses cuisses nues, dorées et toutes lisses, me donnant envie de les toucher. Non, cette séance de pratique n'est définitivement pas une bonne idée, me hurle ma raison.

Nous commençons à travailler la scène. Au moment du baiser, nos visages se rapprochent subtilement. Gulf réduit la menue distance qui nous sépare et pose ses lèvres sur les miennes, mais je me recule.

— Qu'est-ce que tu fais ? On n'a pas à s'embrasser pour de vrai ici...

— Oh, désolé, Phi.

Un silence gênant s'installe. Oui, nous avons effleuré la limite de nombreuses fois, parfois de l'initiative de Gulf, parfois de la mienne. Toujours est-il que nous ne pouvons pas nous embrasser chez lui. Une ultime frontière serait franchie, et je ne sais pas si je pourrais y survivre. J'étudie son visage. Il a l'air vexé, à nouveau.

— Tu as vraiment besoin de pratique pour cette scène ? demandé-je de but en blanc.

Gulf rougit.

— Eh bien... oui, je pense. Je ne sais pas comment prendre le dessus sur un homme.

— Que fait Poom, ce soir ?

— Comment ça ? Que vient faire Poom là-dedans ?

— Je me demande si elle est d'accord avec ça, c'est tout.

Gulf me regarde avec perplexité, il prend son temps pour répondre.

— Oui, elle sait que j'ai besoin de pratiquer ce genre de scène. Il n'y a aucun problème, me dit-il droit dans les yeux, d'un ton acéré. 

Toujours cet air de défi qui le rend extrêmement attirant. Nous nous toisons quelques secondes.

— OK. Alors allonge-toi, lancé-je d'une voix rauque et tranchante que je ne reconnais pas. 

Les oreilles de Gulf deviennent rouges, mais il ne cille pas et s'allonge sans me quitter des yeux. J'ai le script en tête. Nous rejouons la scène, dans les vraies conditions, cette fois.

— Tu es sexy quand tu joues de la batterie, Tharn.

Il prononce cette réplique avec un ton troublant de vérité. Je m'allonge sur lui, conscient de chaque fibre de son corps chaud sous le mien. Heureusement que je porte un jean épais pour parer à toute gêne éventuelle. Mes lèvres s'approchent des siennes, geste que je suspends, hésitant. Je contemple sa bouche entrouverte, tendue dans l'anticipation d'un baiser. Bordel, son expression est tellement sensuelle. Une tension monte en moi.

— Embrasse-moi, P'Mew. Vas-y.

Mes lèvres se posent enfin sur les siennes, tout doucement. Puis, après quelques bisous timides, j'accentue la pression du baiser, recueillant son gémissement. 

Mes mains se posent sur sa taille fine, tandis qu'il s'accroche à mes épaules. 

— Ouvre la bouche, ordonné-je avant de pousser ma langue contre ses lèvres moelleuses qui s'ouvrent enfin pour me permettre de le goûter.

Très vite, je lui dévore la bouche. Je sais que j'embrasse bien et j'ai envie de le lui montrer ce soir, encore plus que d'habitude, comme pour lui prouver quelque chose. 

Je m'agrippe fermement à sa taille d'une main, tout en tirant sa tête en arrière de l'autre pour avoir un meilleur accès à sa bouche. Nos salives et nos langues se mélangent dans d'impudiques bruits humides. J'en oublierais presque la scène : Gulf est censé me dominer et non le contraire. Mais tout ce qui se passe à présent, c'est moi l'écrasant de mon désir accablant. Ma virilité commence à se réveiller. Gulf gémit entre mes bras, dépassé par le baiser torride que je lui offre. S'il ne m'arrête pas maintenant, je ne réponds plus de rien. 

Voyant qu'il se laisse faire, l'air de plus qu'apprécier la caresse, je me détache de lui à regret et au prix d'un immense effort, avant de risquer de commettre l'irréparable... Ses lèvres mouillées ne font qu'amplifier mon désir que je réprime. Il reprend son souffle, les yeux mi-clos. Je déglutis, luttant contre ma propre volonté pour essayer de ramener un semblant de professionnalisme dans ce moment beaucoup trop ambigu.

— Je crois que tu as oublié tes répliques, murmuré-je d'une voix éraillée.

Gulf ouvre les yeux d'un coup, comme tiré de sa transe.

— Oh, pardon. 

Ses pupilles sont magnifiquement dilatées. 

Un sourire narquois se dessine sur mes lèvres. Il me cherche en fait, c'est ça ?

— À quoi tu joues ?

— Quoi... qu'est-ce que tu veux dire ?

Je me tiens sur mes avant bras, son corps est recouvert du mien. Il pince les lèvres, piégé par mon regard pénétrant. Je lève un sourcil.

— C'est quoi, ce plan ? Tu as vraiment besoin de travailler cette scène ?

— Oui, bien sûr ! Qu'est-ce que tu insinues ?! me balance-t-il avec un air de reproche, les sourcils froncés.

Oups, je l'ai vexé, on dirait. Il finit par me repousser en appuyant ses mains sur mon torse. Je ne cède pas d'un pouce, tel un imperturbable rocher.

Nous nous fixons avec défi. 

— Oublions ça, je ne veux plus travailler maintenant, je suis fatigué, reprend-il, contrarié. 

Son expression renfrognée est si mignonne ; un chaton énervé. Je décide de ne pas le malmener plus longtemps et m'écarte de lui, frustré.

— Tu avais raison, ce n'était pas une bonne idée de pratiquer ici. 

Je le regarde, perplexe, cherchant à déceler le fond de sa pensée. S'il était plutôt transparent pour moi il y a quelques secondes, un mur de pierre s'est maintenant dressé autour de lui.

~~

La fin du tournage est finalement arrivée plus tôt que je ne l'aurais cru.

Nous étions en juin, puis le lendemain nous étions le 31 août.

Une ambiance à la fois légère et nostalgique régnait sur le plateau en cette dernière journée de tournage. Hugo, notre ingénieur son, n'a cessé de faire le pitre toute la journée, sans doute une manière de cacher sa mélancolie... Notre Kulap, toujours enthousiaste et hyperactive, était soudainement abattue, déprimée à l'idée de se réveiller le lendemain sans avoir à prendre soin de chacun d'entre nous.

Je n'aurais jamais pensé que l'aventure arriverait à son terme si vite, ni que je m'attacherais aussi profondément à mon jeune partenaire. Je sais que nous n'allons pas nous quitter du jour au lendemain non plus. La période de promotion va commencer dans quelques mois et promet d'être intense, mais c'est assurément une page qui se tourne.

Certaines choses me manqueront. Sa proximité. Notre complicité. Sa peau. L'impression trompeuse de ne l'avoir que pour moi...

Après notre rapprochement impromptu dans son appartement, nous avons plongé la tête dans le sable à nouveau, notre spécialité. J'ai bien envoyé de nombreux signaux à Gulf pour tenter de lui tirer les vers du nez sur son attitude équivoque, mais il les a tous ignorés. Une vague gêne a persisté entre nous quelques jours, avant que notre complicité ne se restaure.

Un jeu du chat et de la souris infernal, qui me convient néanmoins : tant que nous ne franchissons pas réellement la ligne, tout est encore possible, rien ne peut être irrémédiablement entaché. Un monde de fantasme perpétuel dans lequel je me complais, et qui me préserve d'une éventuelle déception sentimentale.

Au moment des aux revoir en ce dernier jour de Tharntype, je l'ai serré, fort, à l'en étouffer, tentant d'absorber le souvenir de cette étreinte chaleureuse avant le sevrage inévitable.

— P'Mew... Je suis là... Tu sais que tu peux m'appeler quand tu veux. On peut se voir, aussi. Ce n'est pas un au revoir, me murmure-t-il dans l'oreille en me frottant le dos.

— Je sais... Laisse-moi juste te serrer contre moi encore un peu.

~~

Point de vacances sous les tropiques pour moi cette année : je me suis reposé chez mes parents pour faire mon deuil du tournage. Tout le monde avait visiblement besoin de se ressourcer après ces mois intenses. De mon côté, j'ai également besoin de prendre mes distances vis à vis de Tharn, qui m'a en quelque sorte vampirisé, jusqu'à me faire ressentir un simulacre d'amour pour mon co-acteur. C'est en tous cas ce dont j'essaye de me persuader, en vain.

Gulf occupe toutes mes pensées. Ne plus avoir l'occasion de le toucher, cela me dévore de l'intérieur. J'ai sérieusement besoin de me trouver quelqu'un, car mon désir pour lui tourne à l'obsession. On m'avait rarement fait cet effet là auparavant.

Je repense sans cesse à notre scène d'amour de l'épisode spécial, chérissant ce souvenir comme s'il nous appartenait véritablement. Je me souviens de la sensation de sa nuque sous mes lèvres et de son corps vulnérable coincé sous le mien, notre proximité infernale, mon érection à ce moment là, et la sienne... Oui, lui aussi était troublé. Était-ce une simple réaction physique ? Non, je ne le crois pas. Ce n'était pas uniquement ça. Je repense aussi au baiser partagé dans l'intimité de son lit. À sa manière détournée de chercher mon contact. Je me rends compte que ce n'est pas la première fois qu'il tente ce genre de manœuvres. Que ressent-il vraiment ?

Malgré ces tourments intérieurs, je ne laisse rien paraître. La vie suit son cours. Point positif, j'ai pu commencer à travailler sur un projet personnel qui me tient à cœur depuis longtemps : envisager de créer ma propre société de production. 

Quant à Gulf, plusieurs opportunités lui ont été offertes, dont un fanmeet à Manille où il s'est envolé il y a de ça quelques jours. Sa communauté de fans commence à s'agrandir, j'en suis heureux.

Il a consacré le reste de son temps à Poom et à ses amis de l'université. Curieux, je guette régulièrement ses réseaux sociaux en quête d'informations. Je me fais l'effet d'un stalkeur, parfois... En toute honnêteté, sa petite amie est canon. Je ne semble décidément pas être le genre de Gulf, au sens littéral du terme. Comme dérivatif à mes sombres pensées, j'ai choisi de me noyer dans la musique, remède imparable aux chagrins d'amour, parait-il.

Mensonges.

Découverte du premier épisode, 28 septembre

Depuis le retour de Gulf de Manille, il nous est arrivé de passer du temps ensemble, tous les deux ou avec notre groupe d'amis. En public, je garde mes distances, car nous n'avons plus de raisons d'être proches comme nous l'étions. C'est une torture de l'avoir à mes côtés sans pouvoir le toucher. J'ai toujours été trop tactile. Sans compter que Gulf est plus beau chaque jour... Une ambiguïté résiduelle flotte entre nous.

Certaines choses, en revanche, n'ont pas changé : je me surprends toujours à observer les lèvres de Gulf plus longtemps que je ne le devrais, hanté par notre dernier baiser dans sa chambre. Un baiser à la saveur particulière car hors tournage. Qui sait ce qu'il se serait passé si j'avais eu le courage de continuer sans me poser de questions...?

Avant la diffusion publique de la série, toute l'équipe est invitée à découvrir l'épisode pilote en avant-première dans un bar privatisé pour l'occasion. Les boissons sont offertes et l'alcool coule à flot. Mild a déjà les joues bien colorées, fortement éméché. Installé au bar, je commence à siroter ma bière, impatient de voir Gulf illuminer mon champ de vision. 

— Alors, toi et Gulf, ça va... ? se renseigne Mild, avec espièglerie, désinhibé par sa boisson.

— Oui, pourquoi ça n'irait pas ?

— Pourquoi ça va si bien, surtout ?

Je lève un sourcil, perplexe.

— Oh, ne fait pas l'innocent... Tout le monde sait que vous vous plaisez.

— Mild ! N'importe quoi. On est Phi Nong.*

Menteur.

— Ahah, à d'autres !

— Et tu fais quoi de Poom ?

Mild reste silencieux quelques secondes. Il sirote son cocktail, semblant peser sa réponse. 

— Parfois, les gens ont besoin de temps pour comprendre certaines choses.

Il me lance un clin d'œil, avant de serrer mon épaule avec réconfort et encouragement. Je détourne le regard, préférant contempler le liquide ambré de ma bière, pensif.

— En parlant du loup...

Je me redresse, avisant l'entrée du bar. Dans l'embrasure de la porte, se tient le garçon le plus beau que je n'ai jamais vu. Ses cheveux ondulés et souples encadrent un visage angélique dans lequel percent deux yeux de biche brillants. Sa bouche vermeille attire irrémédiablement mon regard. Ce soir, il porte un tee-shirt noir près du corps, une veste en cuir et un jean noir moulant qui sublime ses incroyables longues jambes. Il est beau comme l'enfer. Il semble chercher du regard un visage connu dans la foule, légèrement hagard. Il est... adorable. Mon cœur virevolte.

— Par ici ! le hèle Mild en lui faisant signe de la main.

Gulf sourit en nous apercevant. Je ne peux détacher mes yeux de sa démarche chaloupée.

— Salut, P'Mew, lance-t-il avec séduction, un sourire en coin.

— Hé ! Encore et toujours, vous m'abandonnez à mon triste sort.

— Oh, pardon Mild, glousse Gulf en s'excusant. Content de te voir aussi.

— T'en fais pas va, je ne suis pas aussi sexy que Daddy Mew*, que veux-tu.

Depuis le tournage, mon aura quelque peu paternelle et dominante a conduit les fans qui suivent déjà nos aventures sur les réseaux à m'affubler de ce surnom. Les autres me taquinent constamment avec ça, à présent. Derrière le rire de Gulf, je crois déceler de la gêne. Nos regards se croisent. Dans ses prunelles, dansent des étincelles.

— Je vais me chercher à boire, bafouille-t-il avant de se diriger vers le barman. 

— Tu vois, lance Mild, fier de lui, après le départ de Gulf.

— Je vois quoi ?

— Oh, P'Mew ! Ouvre les yeux, enfin.

Je me racle la gorge, embarrassé. C'est la première fois que Mild aborde ce sujet avec moi aussi ouvertement.

— Je... Je ne peux rien faire, Mild. Gulf est hétéro, dis-je en baissant la voix.

— Tout ce que je sais, c'est qu'il ressent quelque chose pour toi.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Ça crève juste les yeux. Je suis avec toi, mec, si t'as besoin d'aide pour le conquérir, marmonne-t-il complètement saoul en s'affalant sur le bar.

— Merci pour ton soutien, Mild, mais je crois que je vais me débrouiller tout seul. Tu devrais boire un peu d'eau, mon pote.

— Vous parlez de quoi, les gars ?

— Rien.

— Rien.

Gulf nous regarde tour à tour, perplexe.

— P'Mild, comment se fait-il que tu sois déjà bourré alors que la soirée vient à peine de commencer ?

— Je ne tiens pas l'alcool, hoquete-t-il.

— Votre attention s'il vous plaît ! La séance va commencer ! annonce Mame.

À ses côtés, se tiennent Tee et d'autres membres de l'équipe, ainsi que Best, May et Boss, l'air fiers. Les lumières s'éteignent et l'épisode 1 se lance sous une pluie d'applaudissements. Ma main ne quitte pas celle de Gulf, légèrement moite, tout le long de la projection. Il est nerveux et impatient à la fois de découvrir le fruit de notre labeur. Tout comme moi. Sa tête se pose sur mon épaule.

Profondément émus par cet épisode, nous ne nous quittons pas de la soirée. Chaque personne présente salue notre alchimie à l'écran, prédisant le succès de Tharntype. L'adrénaline grimpe en moi. L'alcool me désinhibe. Je ressens un mélange d'euphorie et de mélancolie profondes.

Gulf se détache de mes bras pour discuter avec d'autres membres de l'équipe. Je l'observe de loin, peu discret. Ses superbes formes, son doux visage, sa charmante timidité, son charisme inconscient : tout m'attire en lui. Alors qu'ils se dirige vers les WC, je le suis, guidé par une force impérieuse – certainement enhardi par l'alcool et ma conversation avec Mild.

En attendant qu'il sorte, je m'observe dans le miroir : je porte une chemise sombre, retroussée aux avant bras, et un pantalon de cuir noir à la texture mat. Je me suis parfumé et coiffé. J'ai voulu me faire beau pour l'événement de ce soir, et peut-être un peu pour Gulf. J'entends le battement de la cabine se refermer, laissant apparaitre celui que je cherche. Il semble surpris de me voir et sursaute. « Tu m'as fait peur, Phi ! » s'exclame-t-il en se lavant les mains, alors que je ne le quitte pas des yeux.

Un silence s'installe, pesant. Puis, je m'approche avec lenteur, tel un prédateur fondant sur sa proie, l'attrape par les épaules et le fait reculer jusqu'à le coller au mur, dans un coin de la pièce.

— Ça va, phi ? Qu'est-ce que tu fais ? balbutie Gulf.

Sans réfléchir, je passe mes bras autour de sa taille et niche ma tête dans son cou, enivré par son odeur. Toujours ce shampoing de bébé, associé à une fragrance plus virile.

— J'ai besoin de toi, bébé.

— Je suis là, tu vois, me réconforte-t-il en me caressant la tête.

— J'ai vraiment, vraiment, besoin de toi. Ne me quitte pas.

— Hé... C'est l'alcool qui parle et la fin de... tout ça, tu sais. Tu ressens de la mélancolie, c'est normal. Moi aussi, j'ai un petit coup de blues.

— Ah oui ?

— Oui... Il y a plein de choses qui me manqueront. Mais nous voilà aux portes d'une nouvelle aventure, c'est excitant, non ?

— Il n'y a pas que ça qui m'excite...

Une confession douteuse qui m'échappe tandis que j'embrasse son cou. Gulf se tend d'abord de surprise, puis, sa respiration s'alourdit, appréciateur. Mon dieu, je voudrais le manger sur place. Alors que je continue à dévorer son cou, Gulf commence par me repousser, confus.

— P'Mew... qu'est-ce qui te prend ? articule-t-il difficilement, le souffle court et les yeux embués.

— Arrête de faire comme si tu ne le ressentais pas non plus, bon sang...

Encore lors de notre dernier rapprochement, alors qu'il semblait pourtant si près de me livrer son désir pour moi, il s'est refermé comme une huître, incapable de verbaliser ses sentiments, ni de me confronter.

Il laisse échapper un soupir de bien-être, fondant entre mes bras, alors que je continue à picorer sa peau. Je déplace ma bouche pour embrasser sa joue, son oreille. Gulf soupire de plus belle, frissonnant. Je serre sa taille plus étroitement, le presse contre moi pour lui faire sentir l'étendu de mon désir qui s'éveille déjà pour lui.

Nous en oublions que n'importe qui pourrait arriver à tout moment et nous surprendre.

Sa bouche est entrouverte, ses yeux clos, il halète entre mes bras. Sa bouche ronde et pleine m'attire comme une source d'eau fraîche dans un désert ardent. Je veux m'abreuver à lui. Ma main droite se pose dans son cou, mes doigts effleurent sa mâchoire fine. Mon souffle caresse ses lèvres divines.

Le temps se suspend.

— Fais-le, me supplie Gulf, le visage en extase.

Quand je pose enfin mes lèvres sur celles tant convoitées, c'est comme si mon âme quittait brusquement mon corps. Cela me fait l'effet d'un premier baiser. Enfin, un premier baiser somme toute très torride. Je goûte ses lèvres, les embrasse avec passion, mordillant, suçant, appréciant leur texture de soie, parfumées au cocktail alcoolisé que Gulf a bu ce soir. Sans se faire prier, il ouvre déjà la bouche, demandeur. La pointe de ma langue vient d'abord timidement à la rencontre de la sienne, avant de lui ravager la bouche avec ardeur. Délicieux.

Gulf, immobile jusqu'à présent, referme ses bras autour de mon cou, resserre notre étreinte. Mon corps s'embrase. Je gémis contre sa bouche, enivré.

— Tu me fais tourner la tête, confessé-je enfin.

Gulf ouvre des yeux larmoyants, perdu dans un monde d'intime. Je ne lui avais jamais vu cet air abandonné, même pour nos scènes les plus chaudes.

— Est-ce que... je te plais ? 

— Phi... Je...

Il détourne le regard, confus. Ses joues et ses oreilles sont brûlantes. Ma question le trouble. J'aurais simplement dû continuer à l'embrasser à lui faire perdre haleine au lieu de chercher à sonder ses sentiments. Gulf n'est pas du genre à se confier...

Il se retourne, cachant son visage contre le mur, embarrassé, troublé, le souffle court. J'en profite pour embrasser sa nuque, me délecter de la douceur de sa peau et de son odeur. De sa main, il caresse mon cou pour m'encourager. N'est-ce pas là une réponse muette à ma question ?

J'ai envie de le mordre. Inconsciemment, je me presse contre lui, ses fesses rondes contre mon membre tendu me foudroient. Je gémis de plaisir, avant de me reculer aussitôt, effaré par mon propre comportement. Merde. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Dans des toilettes, en plus ? C'est beaucoup trop imprudent et surtout entreprenant. J'ai perdu le contrôle.

— Mon dieu, je suis désolé Gulf, je ne sais pas ce qui me prend, J'ai perdu la tête.

Il se retourne, l'air essoufflé, se passe la main dans les cheveux.

— Ce, ce n'est rien... C'est l'alcool. Je ne suis pas très frais non plus.

Nous aurions pu aller encore plus loin - inconscients du risque d'être surpris dans un lieu public - mais avec l'alcool, notre jugement n'est pas éclairé. De mon côté, je sais ce que je veux à présent, mais lui... J'en doute. Je ne veux pas le brusquer alors qu'il est confus et sous l'influence de l'alcool.

— Ce n'est pas l'alcool, Gulf. Pas pour moi. Tu me plais.

Nos regards s'accrochent pendant de longues secondes. Gulf semble réfléchir à sa réponse.

— P'Mew je... je mentirais si je disais que je ne ressens rien. Mais je ne sais pas. Je suis confus. Je suis en couple et... je suis perdu. Tu veux bien me laisser... du temps ?

Cette réponse, même si ce n'est pas celle que j'attendais, fait battre mon cœur, instillant une infime pointe d'espoir dans mes entrailles. Je pose ma main sur sa joue, puis j'embrasse chastement sa mâchoire et murmure à son oreille, souriant :

— Prends ton temps, je t'attendrai.

~~ 

* On peut le traduire par "frères" ou une relation d'aîné à plus jeune.

* C'est un des surnoms de Mew car il a cette aura sexy et protectrice de "papa". Gulf a déclaré qu'il aimait ce surnom et l'a appelé de cette manière à plusieurs reprises.

~~ 

Enfin, le nouveau chapitre ! Honnêtement il m'a donné du fil à retordre celui-ci, allez savoir pourquoi... Les choses se déroulent lentement car je pense sincèrement qu'ils se sont livrés à un jeu de chat et de la souris pendant longtemps, entre confusion des sentiments et éveil des sens... Sans compter le fait que Gulf était encore en couple à cette époque, il y a donc pas mal d'obstacles à surmonter avant d'espérer quoi que ce soit. Ceci dit, on a quand même franchi une petite étape dans ce chapitre ! 

(Pour le titre, si certains se posaient la question, c'est une référence à l'inscription sur le tee-shirt de Gulf lors de la scène de rupture.)

À bientôt !

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