Chapitre 14.1 : « Les couleurs de l'espérance »
Mew
3 octobre 2019, cérémonie de remise de diplôme
Je l'ai fait !
Je suis diplômé d'un master d'ingénieur ! Ces dernières années d'étude ont été éprouvantes et difficiles à concilier avec les balbutiements de ma carrière d'acteur, mais j'ai finalement franchi la ligne d'arrivée sans perdre trop de plumes en chemin. Aujourd'hui, j'assiste donc à la cérémonie de remise de diplôme tant espérée, consécration ultime de mon travail acharné. Je me destine toujours à être acteur et, dans mes rêves les plus fous, artiste musical, mais il est hautement souhaitable d'avoir un bagage universitaire en poche quoi qu'il arrive.
Je suis excité par cette journée qui s'annonce, pour deux raisons : j'ai atteint l'un des objectifs les plus importants de ma vie d'étudiant, et je vais revoir Gulf pour la première fois depuis la soirée au bar de la semaine dernière. Toute la bande sera de la partie. Je suis chanceux d'être si bien entouré.
Après ma première série, tout s'était effondré. L'espoir, surtout. Aujourd'hui, je pose de nouvelles fondations, mieux accompagné que jamais. Je ne pourrais être plus heureux, même si l'idée de retrouver Gulf après ce qui s'est produit entre nous me rend nerveux.
Depuis ma confession faite dans des toilettes publiques, saoul qui plus est (on aura certainement connu mieux comme cadre romantique pour une déclaration...) nous avons gardé nos distances. À peine quelques messages échangés. Une décision tacite entre nous. Gulf a besoin de temps pour digérer la situation. De plus, s'il doit prendre une décision quelconque, cela nécessite de mûrement y réfléchir. Je peux absolument le concevoir.
Ce brusque silence entre nous n'était guère facile à vivre, mais néanmoins inévitable. Quand je lui ai proposé d'assister à ma remise de diplôme, notre conversation Line était vide depuis des jours. Un constat qui m'a serré le cœur. Gulf a pourtant accepté l'invitation sans l'ombre d'une hésitation, me remplissant d'une indicible joie.
~~
La journée est radieuse, d'une chaleur pesante. J'ai revêtu mon uniforme, sur lequel je passe une longue blouse blanche ornée de liserés dorés, la tenue traditionnelle de remise de diplôme. Je m'examine dans le miroir. Des cheveux de jais, une mâchoire acérée et des yeux profonds que j'ai toujours trouvé trop grands, presque inquiétants, me font face. Je me demande si Gulf apprécie mon apparence... Bien bâti, je suppose qu'on peut me qualifier de viril. Je ne ressemble sûrement pas à une jolie et gracieuse jeune fille. Je soupire en ajustant ma tenue. Ma mère apparaît dans le reflet du miroir, un sourire fier aux lèvres. Ses mains se posent affectueusement sur mes épaules contractées.
— Tu es prêt, mon chéri ?
J'acquiesce, nerveux.
— Tout va bien se passer, me berce-t-elle en me massant les épaules. Dis-moi... N'Gulf sera là ?
— Oui, il sera là, assuré-je avec plus d'enthousiasme que je ne le voudrais.
— Bien... Alors, en route ?
Un discret sourire orne ses lèvres.
Une fois sur le campus, je salue mes camarades de l'université, avant de chercher du regard ma bande favorite. J'aperçois Mild me faire de grands signes avec enthousiasme. Les autres sont là, eux aussi. Mon sourire s'affaisse en constatant que Gulf manque à l'appel. Je m'approche du groupe. Les félicitations fusent et tout le monde m'offre de chaleureuses accolades. Je trouve enfin le courage de demander à Mild si Gulf est dans les parages.
— Il arrive, Poom le dépose, déclare-t-il d'un air désolé.
Mon cœur manque un battement. Est-ce qu'il a prévu de venir avec elle ?! Je tourne la tête vers le parking du campus, guidé par un mauvais pressentiment. À ce moment précis, j'aperçois Gulf sortir d'une voiture accompagné d'une jeune fille à la longue chevelure brune, moulée dans un mini-short. Oui, elle est vraiment là. Ma pression artérielle s'accélère à mesure qu'ils approchent. Pourquoi est-elle venue ? Je ne l'ai certainement pas invitée. Les papillons qui dansaient dans mon estomac deux minutes auparavant coagulent en une sorte de boule d'anxiété.
Le couple arrive enfin à notre niveau, saluant le groupe avec entrain.
— P'Mew ! Félicitations ! s'exclame Gulf en me tapotant l'épaule amicalement d'une manière qui ne lui ressemble pas, presque... artificielle, forcée.
Je le remercie, quelque peu crispé, m'efforçant toutefois de ne pas sembler trop froid.
— Les gars, voici Poom. Comme elle m'a déposé, j'ai pensé en profiter pour vous la présenter. Poom, voici Mild, Kaownah, Tong, Run et... Mew.
Les yeux de Gulf se posent brièvement sur moi au moment des présentations, avec une intensité toute particulière. Je reste happé l'espace d'une seconde par son regard pénétrant bordé de longs cils, avant de me concentrer sur ma rivale, l'ennemie publique numéro 1 de mon royaume intérieur.
Poom et moi nous dévisageons avec insistance, féroces, comme dans un duel de western. Le temps semble se dilater... Lequel d'entre nous deux osera lancer les hostilités le premier ? J'entendrais presque résonner l'iconique musique des films de Sergio Léone pour accompagner cette scène à la tension vibrante.
— Enchantée d'enfin faire ta connaissance, déclare Poom, doucereuse, avec un grand sourire tout ce qu'il y a de plus hypocrite.
— Plaisir partagé, balancé-je du bout des lèvres, tout aussi hypocrite.
Notre contact visuel est à couper au couteau.
Le groupe discute joyeusement, excité tel un essaim d'abeilles bourdonnant autour de la demoiselle. Ce n'est pas mon cas. Mild m'adresse discrètement quelques regards de connivence, solidaire, sans se départir de son amabilité avec la nouvelle venue. C'est bien pour ça que je l'aime d'ailleurs, sa bienveillance est à toute épreuve.
Je n'ai rien contre la petite amie de Gulf, mais je suis contrarié qu'elle me vole la vedette et surtout celui qui occupe toutes mes pensées depuis des mois. En parlant de lui... Il fuit mon regard obstinément depuis son arrivée. Quelques conversations enjouées plus tard, Poom annonce qu'elle doit nous quitter.
— Ravie de tous vous avoir rencontré... Je compte sur vous pour prendre soin de Gulf, surtout toi, P'Mew, ajoute-elle d'un ton aigre, presque menaçant.
Je délire, probablement, encore perdu dans la divagation d'un duel romanesque.
Oh, compte bien là-dessus.
— Bien sûr... Merci d'être passée.
Bon débarras. Je ne devrais pas être si mesquin, je n'en suis pas fier. Un peu refroidi par cette rencontre imprévue, je me mets à l'écart de mes compagnons.
Maussade, j'admire la vue imprenable sur Bangkok, appuyé à la rambarde du belvédère du campus. Après ce rapprochement entre Gulf et moi, je ne m'attendais certainement pas à rencontrer sa petite amie en cette journée spéciale. Gulf finit par me rejoindre.
— Hé, ça va, phi ? me demande-t-il avec considération, ses jolis yeux inquiets.
Je me tourne vers lui, me détachant du paysage urbain.
— Oui, ça va...
— Ton sourire semble triste...
Gulf pose sa main sur mon bras en une caresse maladroite mais réconfortante. Ce n'est pas dans ses habitudes d'avoir ce genre de doux geste, alors cela me touche. N'écoutant que mon instinct, j'attrape sa main que je sers entre mes doigts, je caresse sa paume doucement.
— Ce n'est pas ça... juste un peu de mélancolie. Tu m'as manqué.
Gulf se met à rougir à mes mots non équivoques. Il baisse les yeux, timides.
— Toi aussi, Phi, chuchote-t-il.
— C'est vrai ? lui demandé-je à voix basse, avec le plus grand sérieux.
— Oui... souffle-t-il si bas que je l'entends à peine.
Je sais pertinemment que je ne dois pas trop lui en demander, alors je me contente de cette réponse laconique.
— Je suis désolé pour Poom, lâche-t-il brusquement, penaud.
Je ne comptais pas lui demander de se justifier, n'ayant aucune intention de lui mettre la pression, mais j'apprécie qu'il prenne l'initiative de m'en parler. Cela prouve qu'il s'inquiète de mes sentiments.
— Elle ne devait pas être là, poursuit-il, et ce n'est même pas comme si nous filions le parfait amour, mais je n'ai pas trouvé d'excuses pour lui dire non. Elle a tellement insisté pour vous rencontrer tous... Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, je suis désolé.
— Ce n'est rien.
Je lui souris sans rien ajouter, même si des centaines de questions me traversent l'esprit. Ce n'est ni l'heure, ni l'endroit.
Je sens entre nous des vibrations subtilement différentes ; une timidité, une attente, une vague gêne teintée de séduction flotte dans l'air. Nous parlons de choses futiles, pour le simple plaisir d'être ensemble, profitant de cette candide harmonie avant que des complications inévitables ne viennent entacher la grâce de l'instant.
« Je t'attendrai. »
Gulf et moi décidons de rejoindre les autres. La nuit pourrait tomber que l'on ne s'en apercevrait pas. Mon beau compagnon me précède et je lui emboîte le pas, en profitant pour détailler sa tenue.
Il porte une chemise blanche et un jean moulant bleu clair. Il est habillé simplement, mais avec goût. Je le trouve élégant et... sexy. Son jean met en valeur ses longues jambes fuselées et épouse outrageusement la courbe de ses superbes fesses rondes. Mon esprit dérive dans des contrées interdites. Pas bon du tout. En levant les yeux, je suis tout aussi attiré par le creux de ses reins où mon bras a l'habitude de se nicher. Au tout début, je voyais Gulf comme un garçon mignon, certes, mais rien de plus.
Aujourd'hui, je remarque tous les détails qui font de lui une créature vraiment désirable. Il se retourne, comme s'il avait senti la brûlure de mon regard.
— Ça va, P'Mew ? Tu suis ?
— Oui, j'étais juste dans mes pensées. Allons-y.
Avec Gulf à mes côtés, je n'aurais pu rêver meilleure journée de remise de diplôme. Lui et moi flirtons éhontément, collés l'un à l'autre comme jamais. J'en oublierais presque, parfois, que nous ne sommes pas un couple tant nous sommes proches. J'en oublierais presque que Poom fait encore partie du tableau.
Ma mère nous rejoint enfin, après avoir discuté avec mes professeurs et mes camarades d'université. Elle est tellement sociable qu'à chaque fois que nous allons quelque part ensemble, je la perds de vue et la retrouve à lier amitié avec tout être vivant peuplant les lieux.
— Maman, je te présente mes amis du tournage. Mild, Kaownah, Run, Tong et... Gulf.
Le regard de ma mère se pose immédiatement sur mon jeune ami avec un intérêt non dissimulé. Je la connais bien : elle le jauge. Sans prêter attention, ou presque, au reste de la bande, elle se précipite pour emprisonner Gulf dans ses bras chaleureux.
— Heureuse de te rencontrer enfin !
— Bonjour, madame, répond Gulf d'une petite voix timide, étouffé par l'enthousiasme maternel.
— Appelle-moi Mae Suporn, enfin ! Tu es vraiment adorable.
— Ah, euh merci.
— Maman ! Arrête de l'embêter comme ça. Ce n'est pas Chopper non plus.
— Désolée, glousse-t-elle. Je suis heureuse de vous rencontrer tous. Merci de soutenir Phi Mew. J'espère vous revoir souvent à ses côtés, poursuit-elle en lançant un regard appuyé à Gulf.
Qu'est-ce qui lui prend à la fin ? Elle me mettait en garde il y a quelques mois et maintenant elle se comporte comme si elle rencontrait son gendre. Je ne la comprendrai jamais.
Le reste de la journée se déroule dans une bonne humeur collective, Gulf sur mes talons. Je me sens choyé, aimé et soutenu. C'est un bonheur sans précédent. En général, Gulf a tendance à se laisser cajoler, me confiant la prise en charge des gestes d'affection. Aujourd'hui, il ne cesse de prendre soin de moi. J'aime découvrir cette nouvelle facette de sa personnalité, attentif, généreux, protecteur.
Enfin, j'assiste à la solennelle cérémonie de remise de diplôme, actant officiellement mon passage dans le monde d'après. Je prévois de poursuivre avec le doctorat, mais c'est une première étape de franchie. Une page de ma vie qui se tourne.
Heureux et excité, j'attrape Gulf par la taille, le chahute, le soulève même du sol pour le porter contre moi. Je me perds dans son regard. Il me sourit. Son expression... elle contient le monde entier.
Je sais que les choses ne seront pas simples à partir d'aujourd'hui ; que derrière le sourire de Gulf, la confusion règne, que derrière notre complicité, les doutes, la peur et une sourde inquiétude grignotent nos esprits troublés. Je n'ai aucune idée de la manière dont notre relation évoluera, ni même si Gulf sera capable de me laisser entrer dans son univers à ce point, mais aujourd'hui, sous ce soleil battant, entouré des rires chaleureux de mes amis, de la fierté de ma mère et des bras réconfortants de Gulf, je sens les prémices d'un nouveau voyage aux couleurs de l'espérance se dessiner.
~~
Petite surprise avec ce bonus inter-chapitre ! Cette partie était initialement prévue dans le chapitre précédent, mais ça faisait vraiment trop long... La voici donc sous la forme d'un petit bonus pour patienter avant le prochain "vrai" chapitre du point de vue de Gulf cette fois. Ca fait longtemps qu'on n'a pas eu son regard sur les évènements !
En tous cas, Poom et Mew se sont enfin rencontrés officiellement et il y a eu comme de l'orage dans l'air ! Outch...
À très vite !
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