Chapitre 13 : « Disparaître entre ses bras »

Gulf

C'est l'anniversaire de Poom, ce soir. Je lui ai suggéré un dîner en amoureux, simple et intimiste, mais elle tenait absolument à fêter ça en grande pompe entourée de ses amis, en boîte de nuit. Je ne peux pas le lui reprocher. Demain, je dois pourtant me lever aux aurores. Départ pour l'île de Samet avec une partie de l'équipe pour le tournage de l'épisode spécial. Je vais être épuisé, mais Poom n'en a pas vraiment tenu compte. Pourquoi le ferait-elle ? Elle m'a fait ses yeux suppliants, rendant tout refus impossible. Je suis sur un siège éjectable avec elle : au moindre faux pas de ma part, je sais qu'elle me le fera payer cher.

Entre ma petite amie dont je dois satisfaire les besoins, l'exigence du tournage et le comportement parfois imprévisible de Mew, je ne m'en sors pas !

Depuis quelque temps, mon partenaire est un brin "possessif" à mon égard. Ça me plaît, d'une certaine manière, d'être choyé et protégé par cet homme qui semble me désirer auprès de lui. Oui, ça me plaît, car je me sens spécial à ses yeux, mais parfois cette attitude ambiguë me questionne et me met mal à l'aise, flirtant dangereusement avec les limites de ma vie privée.

Il s'est aussi produit un évènement déroutant : Mew m'a embrassé. Non pas pour un atelier, ni même pour une scène. Ce n'était pas non plus un bisou affectueux sur la joue. C'était un vrai baiser, empreint de désir et d'attente. J'en ai été extrêmement troublé. Puis, quand il a annoncé regretter son geste, j'en ai été quelque peu déçu. Je crois que j'aime être désiré par lui. C'est peut-être purement narcissique, je n'arrive pas encore à le déterminer. Le souvenir de sa peau chaude, de sa bouche sur la mienne et de son excitation perceptible, pourtant, me fait encore frémir.

— Gulf, tu rêvasses encore ?! Tu peux aller commander pour moi ? me demande Poom en criant à travers la musique, les yeux en cœur.

Contre toute attente, le rôle du parfait petit ami est plus dur à incarner que celui de Type...

— Bien sûr. Tu veux quoi ?

— Un Siam Sunray s'il te plaît.

J'espère que j'arriverai à m'éclipser à temps pour sauver quelques heures de sommeil, sinon le voyage risque de s'avérer compliqué. Quand je reviens à notre table, Poom danse avec ses amis, euphorique, un téléphone à la main. Le mien, en l'occurrence.

— Poom, rends-moi mon téléphone !

— Désolée, je me suis trompée !

Je lui tends son verre et lui arrache l'appareil des mains, m'empressant de vérifier les témoins de cette story gênante. Parmi les spectateurs, j'aperçois Mew Suppasit. Zut ! Pourquoi est-il toujours si prompt à savoir ce que je fais ? Mew est tellement rigoureux, voire strict, je parie qu'il va me faire la morale, demain. Je le comprendrais, d'une certaine manière : si je suis dans un état de fatigue trop élevé, je serai moins efficace sur les prises, obligeant mon binôme à travailler deux fois plus pour compenser mes manquements. C'était bien le moment de sortir en boîte de nuit...

La soirée s'écoule dans une bonne humeur relative. J'essaye de faire bonne figure pour Poom mais le cœur n'y est pas. Sur les coups de deux heures du matin, je lui glisse à l'oreille que je dois rentrer. Elle fait la moue, mais me remercie d'avoir été là malgré les circonstances. J'attrape un taxi, impatient de me laisser choir dans mon lit. Sur le chemin, je fixe mon téléphone, hésitant à envoyer un message à mon coéquipier possessif. À cette heure-ci, il doit dormir... Un soupçon de culpabilité m'envahit.

~~

Le réveil est difficile. Un coup d'œil furtif dans le miroir suffit à me révéler une mine pitoyable. J'ai l'impression d'avoir été écrasé par un tank. Je reçois un message de mon père m'informant qu'il attend en bas de mon immeuble. Ma famille est surprotectrice, à tel point qu'ils ne peuvent même pas me laisser partir quelques jours sans chaperon. Ils sont désespérants. Je soupçonne aussi mon père de vouloir profiter de la destination. J'attrape mon baluchon et avise une dernière fois mon visage dans le miroir en grimaçant de dépit.

— Ouch, tu as une sale tête, Gulf.

— Bonjour à toi aussi, papa.

Mon père peut paraître sévère, mais il est surtout très franc et sage, à sa manière. Il esquisse un sourire amusé.

— On a fait la fête avec sa petite copine, si je comprends bien.

— Peut-être.

— Tu dormiras dans le mini-van va, c'est pas bien grave.

— Hum...

Je ne garantis pas formellement de ne pas m'endormir debout sans attendre.

Le mini-van arrive enfin. La chaleur écrasante du jour, associée à la fatigue, ne me mettent pas dans les meilleurs dispositions pour affronter le long trajet qui nous attend jusqu'au port de Ban Phe Pier. À l'intérieur, toute la troupe est déjà installée. Run, muni d'une go pro, réalise son vlog. J'avais omis ce détail... Et me voilà qui débarque avec ma tête fatiguée et mon appareil dentaire, sans parler de ma coiffure approximative. Super... On n'a jamais d'intimité, en fait. Je pénètre dans le van, grognon, saluant tout le monde à la volée avant de rejoindre le fonds du véhicule pour une sieste de quatre bonnes heures. Mew et moi avons à peine échangé un regard. Je ne suis pas en état pour faire la conversation, de toute façon.

Première pause. Bien qu'à moitié endormi, une furieuse envie d'uriner me tenaille, alors je rassemble mes forces pour m'extirper de ma couchette improvisée. À mon retour, Run me choppe pour me faire apparaître dans son vlog. Mew est là. On se salue poliment et je tente de faire bonne figure pour la caméra, offrant mon meilleur sourire de circonstances.

Tandis que Run décide - enfin - d'aller embêter un autre acteur, Mew m'attrape par l'épaule pour m'attirer à l'écart.

— Ça va ? Tu as l'air crevé.

— Euh, ouai... J'ai connu mieux, disons.

Je piétine, mal à l'aise. Je sens que Mew me juge en silence.

— Tu as l'air de vouloir me dire quelque chose ? l'encouragé-je à cracher le morceau.

— Ce n'est pas mon rôle de te dire ça, mais je sais que tu as fait la fête, hier soir. Tu fais ce que tu veux, mais ton état aujourd'hui me confirme que ce n'était pas ta plus brillante idée.

— C'était l'anniversaire de Poom.

Son regard se voile. Au lieu de l'apaiser avec mon excuse, je le sens plus contrarié encore.

— Je vois...

— Quel est le problème, Mew ?

— C'est juste que je te sens moins investi, en ce moment. Tu sors le soir, tu ne réponds plus à mes appels.

— C'est arrivé de manière exceptionnelle. Tu es en train de remettre en question mon professionnalisme, là ?

— Non. Simplement, fais attention à tes priorités.

— Ma petite amie fait partie de mes priorités.

Mew blêmit, son visage se contracte. 

— Bien sûr ! J'imagine que Poom doit même passer avant le travail qui va peut-être faire décoller notre carrière, c'est évident.

— Mew, c'est quoi ton problème ?

— Mon problème ? Mon problème c'est que tu arrives complètement crevé pour un tournage qui va déjà être assez éprouvant comme ça, que tu ne prends plus la peine de m'appeler le soir, que tu t'éloignes de... Laisse tomber.

Mew semble fulminer, je ne l'avais jamais vu dans un tel état.

— Attends... est-ce que tu es... jaloux ?

— N'importe quoi !

— Alors quoi ? Qu'est-ce que tu me reproches à la fin ?

— Tu as intérêt à te remuer un peu, c'est tout. Tu ne peux pas toujours dormir innocemment en comptant sur moi pour rattraper tes conneries !

Mew commence à élever la voix, ce qui me déplaît fortement. S'il y a bien une chose que je déteste, c'est qu'on me crie dessus.

— Et toi tu as intérêt à ne plus me parler comme ça. Je ne veux plus discuter avec toi tant que tu ne te seras pas calmé, sifflé-je d'un ton acide.

— Gulf ! Attends...

Je m'éloigne, laissant Mew désemparé. Je ne me suis jamais senti aussi énervé contre lui depuis notre rencontre. Je retourne au véhicule, bien décidé à l'éviter autant que possible.

~~

Mon état d'épuisement est tel que je dors une bonne partie du trajet - ce que j'aurais probablement fait de toute façon. Mew me jette des regards courroucés de temps à autre, que j'ignore scrupuleusement. S'il croit que je vais me laisser faire.

Nous arrivons enfin au port, pour une traversée de 45 minutes en ferry. Run traîne toujours dans les parages caméra à l'épaule, ce qui m'agace au plus haut point. Comment lui en vouloir ? Il a ce projet en tête depuis des semaines, mais ce n'est vraiment pas le bon timing. Mew et moi nous tenons d'un bout à l'autre de la salle d'embarquement, bien décidés à ne pas nous adresser la parole. Je boude de mon côté, tandis qu'il fait comme si de rien n'était, amical avec tout le monde, un grand sourire jovial sur le visage. Quel numéro d'acteur !

Au moment de faire la queue pour monter dans le ferry, mon père me rejoint.

— Où étais-tu passé ?

— Je faisais la conversation avec tes charmants collègues. Je suis un animal social moi, tu sais, contrairement à toi, me reproche mon paternel avec humour.

— Hum. Juste fatigué.

— Allez, viens.

En plein milieu de l'escalier conduisant au ferry, j'entends quelqu'un crier à travers la bourrasque.

— Hé tee-shirt blanc, ça va ?

Je hoche la tête, avant de lui tourner le dos. Alors comme ça, Mew s'inquiète pour moi, maintenant ? « Tee-shirt blanc ». Plus de « yai nong » ni de « bébé », donc ? Mon père, qui a assisté à toute la scène, ricane dans sa barbe.

— Vous filez le parfait amour à ce que je vois ! s'amuse-t-il, sarcastique.

— Humph.

— Rien de trop grave, j'espère ?

— Tout va parfaitement bien, grogné-je entre mes dents.

Nous nous installons à l'extérieur pour profiter de la vue dégagée et de l'air marin.

— Tu sais que ta mère est très curieuse de Mew ? Elle aimerait le rencontrer. Elle était si déçue de ne pas pouvoir t'accompagner aujourd'hui.

— Elle ne rate rien, comme tu vois. Tu comptes lui raconter quoi ?

— Qu'il est très bel homme, et que même quand vous êtes en froid, il s'inquiète pour toi, de toute évidence.

— Qu'est-ce qui te fait croire ça ?

— Simple observation, me dit-il avec un clin d'œil.

Je me demande si mon père n'est pas omniscient, quelques fois.

La traversée n'est pas de tout repos car la mer est férocement agitée aujourd'hui, à l'image de la relation tumultueuse qu'entretiennent les deux acteurs principaux d'une certaine série en cours de production...

L'équipe commence à s'inquiéter car si le temps n'est pas au beau fixe, certaines scènes vont être difficiles à tourner. Ils devraient peut-être s'inquiéter de tout autre chose : étant donné notre état de tension, je ne sais pas comment Mew et moi allons pouvoir jouer ensemble. Je bouillonne, curieusement attristé. Je n'aurais jamais pensé que me disputer avec mon partenaire me plongerait dans un tel état de nerf. Mon père se lance dans un laïus sur les différentes espèces d'oiseaux et l'histoire de l'Île. Je le soupçonne d'essayer de me distraire, sans succès. 

À l'arrivée, tout le monde est soulagé d'enfin rallier la terre ferme. Il faut dire qu'en tant que purs citadins, personne parmi nous n'a le pied marin. Groggy, je suis l'équipe à la découverte des chambres qui nous ont été attribuées pour ces quelques jours, charmantes petites paillotes tenues par des locaux. Je traîne les pieds, en petite forme, espérant éviter la caméra tête chercheuse de mon ami Run. Quand j'arrive aux abords des chambres, Mew fait le beau devant la caméra. Agacé mais néanmoins curieux, je m'approche avec discrétion. 

 — Mew dort-il tout seul, ce soir ? Moi je suis seul, si quelqu'un veut me rejoindre dans ma chambre, qu'il n'hésite pas... minaude un des coiffeurs.

Un chœur de rires s'élève parmi l'équipe. Je devine que Mew est flatté. Ce n'est pas la première fois qu'il se fait draguer par un autre homme. Tout le monde semble céder à son charme. Pas étonnant qu'il se croie irrésistible ! J'aimerais quand même qu'il arrête de sourire à ce foutu dragueur et qu'il vienne se réconcilier avec moi, à la place. Est-ce que c'est trop demander ? Je rumine, quand Run m'attrape et m'entraîne avec lui dans la chambre de Mew pour faire le tour du propriétaire.

Mince, je n'étais pas censé me trouver là ! Agir normalement. Agir normalement. Pendant que Run et Mew décryptent la décoration de la chambre pour les internautes, j'essaye de me comporter le plus naturellement du monde. Fixons ce magnifique coquillage sur la table de chevet, tiens. Si je m'éclipse maintenant, ça risque de paraître suspect. Run se tourne vers moi, sa foutue caméra au poing :

— Comment tu trouves la chambre, N'Gulf ?

— Euh... ouai...

Je me retourne, fuyant la caméra.

— Bon, N'Gulf semble fatigué par le voyage, on va le laisser tranquille.

En voilà une merveilleuse idée ! Je ne suis vraiment pas doué pour dissimuler ma contrariété, donc mettons ça sur le compte de la fatigue. Parfait. J'ignore royalement Mew, ne sachant même pas s'il regarde dans ma direction. Ma mauvaise humeur démasquée me donne au moins une excuse pour fuir. Dehors, les larmes me montent aux yeux.

~~

Le lendemain, nous devons nous lever à l'aube - encore - pour tourner une scène sur la plage, avec le lever du soleil en toile de fond. Les maquilleurs ont dû déployer des trésors d'ingéniosité pour couvrir nos cernes sombres. Après les évènements de la veille, j'ai à peine fermé l'œil. Hier soir, j'ai aussi été obligé de rejoindre Mew dans sa chambre pour étudier le script. Pour une fois, je ne remercierai jamais assez Run d'avoir été présent. En jouant les intermédiaires, il a permis de pacifier une situation tendue, du moins temporairement. Nous nous sommes quittés dans un froid polaire. 

Mew et moi jouons de manière mécanique devant la caméra, livrant néanmoins le meilleur de nous-mêmes au regard des circonstances. Aussitôt la scène terminée, nous voilà murés à nouveau dans un silence obstiné. La journée s'écoule ainsi, avec le minimum syndical d'interactions pour ne pas trop entacher le tournage déjà perturbé par le mauvais temps.

Après le dîner, qui aurait pu être un superbe moment convivial à déguster du poisson grillé sous le clair de lune - j'étais au lieu de ça beaucoup trop contrarié pour en profiter - me voilà à faire les cents pas dans ma chambre.

— Tu veux bien arrêter ? Va lui parler, à la fin.

— De quoi tu parles ?

— Toi et Mew vous êtes disputés, c'est évident. J'ai même entendu l'équipe jaser à ce sujet. Quel est le problème ?

— Je n'ai pas envie de t'en parler, papa.

— Alors n'en parle pas avec moi. Va lui parler à lui ! Sa paillote est à deux pas d'ici.

Je m'obstine dans ma bouderie. 

— Je vais te mettre dehors car tu m'agaces à gigoter comme ça, de toute façon. Tu n'auras pas d'autres choix que de te réfugier chez lui.

— Pfff...

— Allez, houste.

Je décide d'aller me promener pour éviter mon paternel inquisiteur, résolu toutefois à ne pas céder le premier à mon partenaire colérique. C'est à lui de revenir vers moi, même si je n'exclus pas la possibilité d'errer du côté de sa chambre après mon escapade... Mes pieds me portent d'instinct vers la mer. Respirer l'air du soir me fera le plus grand bien. Quelques jeunes ont allumé un feu et boivent au clair de lune. Le fond de l'air est frais. Cela fait un bien fou comparé aux températures infernales qui accablent la capitale.

Je m'installe à même le sable, appréciant sa douceur tiède sur ma peau, y enfonçant mes pieds et mes jambes nues. J'entends le ressac des vagues et les rires sonores du groupe de jeunes à quelques mètres de là. Avec un soupçon d'imagination, je pourrais me rêver en vacances. Après un temps, j'éprouve l'envie de me tremper les pieds dans l'océan. Au loin, le groupe m'observe avec insistance. Je n'aurais peut-être pas dû sortir seul, en fin de compte. Je me mets en route pour le départ, quand l'un des jeunes m'interpelle. Je m'aperçois qu'ils ne sont clairement pas d'ici. Des occidentaux.

— Hé, toi, tu viens d'où ? me demande l'un deux, en anglais.

— Heu... Bangkok.

— Viens boire un verre !

— Désolé, je ne peux pas.

— Oh allez, quoi. Je pensais les Thaïlandais plus fêtards que ça !

Je me crispe. Fortement alcoolisés, ils me scrutent tous avec des yeux moqueurs. J'ai envie de déguerpir, mais en même temps je n'ose pas leur tourner le dos, au sens littéral. 

Un blond prend la parole :

— Ne fais pas attention à lui, c'est une plaie. Je t'offre un verre, juste pour discuter. On aimerait vraiment en apprendre plus sur la culture thaïlandaise. Juste dix minutes. S'il te plaît.

— Euh... bon... Ok...

Je me maudis intérieurement de ne pas savoir dire non aux gens trop insistants. Aussi, je me dis que dix minutes de ma vie sont bien peu de chose, si cela me permet d'éviter des problèmes autrement plus importants en refusant.

J'approche d'un pas prudent, peu convaincu par ma propre décision.

— Viens là...

Le blond tapote le sable à côté de lui, un grand sourire aux lèvres.

— Moi c'est Peter, lui c'est Hank, Colin et Mark. Je suis le plus gentil de cette bande d'idiots.

Je ris par politesse, mal à l'aise.

— Tu t'appelles comment ?

— Gulf.

— Enchanté, Gulf.

Le dénommé Peter pose sa main sur mon épaule, tout sourire.

— Tiens.

Il me tend une bière après l'avoir décapsulée.

— Merci.

— Tu es ici en vacances ?

— Pour le travail.

— Oh, ça craint.

— Tu bosses dans quoi ? demande Hank, ou bien Mark.

J'ai l'impression de voir double.

— Je suis acteur. Pour une série.

— Non, vraiment ? Waouh ! s'exclament-ils, impressionnés.

La conversation se poursuit et je finis par me détendre peu à peu. Ce ne sont pas de mauvais bougres, ils manquent simplement d'un peu de manières. Au bout d'une demi-heure, je décide qu'il est plus que temps de rentrer. N'allons pas me mettre dans le même état que l'avant-veille, n'est-ce pas ? « Ce n'était pas ta plus brillante idée. »

Le groupe parti se baigner, je me retrouve seul avec Peter.

— Je vais y aller.

— Tu sais que ton accent est vraiment adorable, me complimente-t-il.

— Ah... Vraiment ?

— Oui, tu as une voix si douce, et j'adore ton accent quand tu parles anglais, dit-il en posant sa main sur ma cuisse, fixant effrontément mes lèvres.

— Eh bien, euh... merci.

— Tu as quelqu'un ? se lance-t-il.

Est-ce que je comprends bien où il veut en venir ?!

— Oui.

— Oh... c'est dommage. Tu étais à mon goût.

Je pique un fard. En général c'est Mew qui se fait draguer par tout ce qui bouge, certainement pas moi.

— Je vais y aller.

— Tu sais, je ne suis pas jaloux. Tant que cette personne ne sait rien, on peut s'amuser tous les deux...

— Non merci, vraiment, répété-je d'un ton plus ferme en tentant de me relever.

Peter agrippe ma cuisse et mon épaule, empêchant toute retraite possible. J'ai un mal fou à m'extirper de sa poigne de footballeur américain.

— Hé, tout doux, mon cœur... Tu es vraiment mignon. J'ai très envie de te faire des choses. Tu as une bouche incroyable.

— Laisse-moi ! haussé-je cette fois la voix, mordant son pouce alors qu'il tente de me caresser les lèvres avec ses sales pattes.

— Et sauvage, avec ça, j'adore.

Peter tente de m'allonger de force sur le sable. La panique commence à me gagner. Où ai-je foutu les pieds ? J'ai multiplié les sorties dans des tonnes de bars et de boîtes de nuit, et autres lieux peu recommandables, mais voilà que je me retrouve dans cette horrible situation sur une paisible plage d'une île paradisiaque ?! Je me débats comme je peux, dégoûté par le souffle alcoolisé de l'homme sur ma gorge et ses mains calleuses qui remontent dans l'intérieur de mes cuisses nues.

— Lâche-le, sale connard !

Je me sens enfin libéré du poids de mon agresseur. Debout devant moi, se tient un Mew enragé. Ses yeux lancent des éclairs, la veine de son front semble près d'éclater.

— Du calme, mon pote ! T'es son mec, c'est ça ?

— Je t'interdis de le toucher, casse-toi !

Mew est en furie. Je ne l'avais jamais entendu jurer auparavant. Sa main accrochée fermement à l'épaule de l'homme, son poing prêt à attaquer : il semble disposé à en découdre si la situation l'exige. Je suis un peu inquiet, car même si Mew est bien bâti, le type ressemble quand même à une armoire à glace...

— Je comprends que tu ne veuilles pas partager cette jolie créature, mais tu pourrais quand même être plus généreux...

— Dégage de là, sinon je te mets mon poing dans la gueule et j'appelle les flics.

Je soupçonne l'étranger de vouloir continuer son séjour sans passer par la case prison. Il lance un regard haineux à Mew avant de tirer sa révérence. Alors que mon agresseur s'éloigne, Mew sort son téléphone et compose un numéro avec nervosité.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— J'appelle les flics pour signaler ce type.

— Non ! Je t'en prie ! Je ne veux pas être mêlé à ça, s'il te plaît.

— Il pourrait recommencer avec quelqu'un d'autre.

— Je... S'il te plaît. Juste, rentrons.

— D'accord, si c'est vraiment ce que tu veux...

Mew attrape mon épaule et nous marchons en silence jusqu'à notre lieu de résidence, encore hébétés. Une fois devant la paillote de Mew, celui-ci se tourne vers moi, se mordant la lèvre avec nervosité.

— Tu rentres un moment ?

Je le suis à l'intérieur, étrangement intimidé. Je suppose qu'une grosse dispute, puis une journée de mutisme et d'ignorance mutuelle et enfin ce sauvetage impromptu, c'est beaucoup trop d'informations à traiter en si peu de temps. Je me sens un peu... idiot, sans savoir par où commencer. Nous nous asseyons sur le lit, côte à côte.

C'est Mew qui brise le silence en premier.

— Il ne t'a rien fait, rassure-moi... ?

— Tu es arrivé à temps. Je ne sais pas ce qui m'a pris de sortir ce soir. Je voulais me rafraîchir les idées et puis ce groupe a insisté pour que je les rejoigne et...

— Hé, hé... Ne te justifie pas, okay ? Tu n'as rien à te reprocher. Dis-moi... tu voulais vraiment juste faire une balade ? Pour être honnête, je suis passé te voir dans ta chambre, ce soir, et ton père pensait que tu étais allé me trouver... Alors j'ai décidé de faire un tour pour te chercher, rougit Mew en expliquant la situation.

— Et tu as réussi à me trouver, en bien mauvaise posture... Heureusement que tu étais là.

— Est-ce que... tu comptais venir me voir ?

— Je... Oui, je pense que je me donnais seulement un peu de courage avant de venir me réconcilier avec toi. Je n'aime vraiment pas comment les choses ont tourné.

— Moi non plus, et je tiens à te dire que je suis désolé. J'ai complètement déraillé. Je n'aurais absolument pas dû te dire toutes ces choses hier, j'ai incontestablement franchi une ligne.

Les yeux baissés, la mine déconfite, Mew est vraiment attendrissant. J'ai toujours eu beaucoup de respect pour les gens capables de reconnaître leurs erreurs. Nos mains, posées côte à côte sur le matelas, semblent particulièrement conscientes l'une de l'autre, aimantées. 

— Je suis désolé d'avoir mis en péril le tournage en me comportant de manière inconsidérée, je n'aurais pas dû...

— Hé, non, ne dis pas ça. C'était l'anniversaire de ta petite amie, c'est normal que tu le fêtes avec elle. Je n'ai rien à dire. C'est à toi de gérer les choses. J'ai confiance en ton jugement.

— Merci, P'Mew... Même si ce soir, j'ai fait n'importe quoi...

Mew soulève mon menton, pour planter ses yeux droit dans les miens :

— Je te le répète, tu n'as rien fait de mal. Le seul à blâmer, c'est ce sale type qui a osé poser les mains sur toi. Je suis tellement en colère. J'aurai dû le tabasser.

— Je suis heureux que tu ne l'ai pas fait. Ça aurait affecté le tournage, et je ne veux pas que tu sois blessé...

— Viens là.

Mew attrape alors mes épaules pour me serrer dans ses bras. Je sens son souffle dans mon cou et son cœur battre contre le mien. Ses bras m'étreignent avec force, comme si j'allais disparaître.

— Je ne supporterais pas qu'il t'arrive quelque chose, bébé.

Nous restons dans cette position de longues minutes, nous rechargeant au contact l'un de l'autre. Mew respire dans mon cou, au bord des sanglots. Notre étreinte se desserre, moins urgente, plus tendre. Nous finissons allongés dans les bras l'un de l'autre. Mew, dans mon dos, me berce et me caresse les cheveux. Je sombre dans le sommeil.

— Je veille sur toi, yai nong.

— Hum... marmonné-je, somnolant.

Soudain, je prends conscience de la situation et me redresse en sursaut.

— Je dois rentrer, P'Mew ! Je ne peux pas m'endormir ici ! Que vont penser les autres, et mon père ?

— On s'en fiche. Reste... On dira que tu t'es endormi après notre répétition du script, c'est tout.

— Rappelle-toi la scène qui nous attend demain, ce serait la pire excuse qui soit.

— Pas faux... Mais j'aurais aimé que tu restes, murmure-t-il contre ma nuque, ce qui fait naître une myriade de frissons sur ma peau.

— J'y vais, Phi.

— Laisse-moi te raccompagner.

— Pas la peine, je suis à trente mètres.

— Alors je te regarderai partir pour être certain que tu rejoignes ta paillote sain et sauf.

— Si tu y tiens.

Mew serre ma main dans la sienne, avant de me libérer de son étreinte.

— À demain, P'Mew.

— À demain, bébé.

~~

— Prêts pour la scène du jour ? demande Tee, un peu nerveux.

Apparemment, l'équipe de tournage jase depuis deux jours au sujet de notre dispute, très concernée par la situation. Aujourd'hui, nous tournons la scène d'amour principale, alors Tee ressent une pression certaine, surtout si ses deux acteurs principaux se boudent, j'imagine. Mew et moi lui sourions alors pour le rassurer, main dans la main, à présent réconciliés. Nous sommes installés en terrasse pour avaler un morceau avant les scènes de l'après-midi.

Nous acquiesçons en silence, un léger sourire au coin des lèvres, dans notre bulle.

Notre complicité menacée les jours précédents est de retour avec encore plus d'intensité aujourd'hui. Je n'entends même pas Tee me parler, happé par les belles mains de Mew nouées aux miennes.

J'appréhende autant que je la désire la scène d'amour qui nous attend.

~~

Tee nous montre le parcours à exécuter dans la chambre. Le stress monte.

— Tu veux qu'on la joue comment, P'Tee ? s'enquiert Mew.

— Eh bien... J'ai réfléchi à quelque chose. Si ça vous dit, vous pouvez essayer d'improviser ? Je vous laisse carte blanche, et on voit ce que ça donne ? J'ai confiance en votre alchimie.

Mew et moi nous crispons. Je crois entendre nos cœurs battre à l'unisson. Je n'ose même pas le regarder. Avec tout ce qu'on a traversé, je me sens extrêmement sensible. Mew m'attrape la main et me tire à l'écart pour en discuter. Il relève mon menton pour capturer mon regard.

— J'ai envie de relever le défi, pas toi... ?

S'embrasser et se cajoler en suivant les directives du réalisateur, ce n'est définitivement pas la même chose que s'autoriser, devant témoins, à être simplement nous-mêmes. C'est autrement plus intimidant, et un peu excitant aussi, il faut bien le reconnaître. Une montée d'adrénaline irrigue ma poitrine.

— Oui, P'Mew. J'en ai envie. De relever le défi, je veux dire.

Le sourire de Mew. J'ai envie de le mettre sous verre. De le garder avec moi toujours.

Mew me tapote le crâne avec douceur pour me rassurer. Mon cœur bat si fort qu'il pourrait sortir de ma poitrine. Je fixe ses lèvres avec incertitude et une envie non dissimulée. Tous mes gestes seront associés à Type, alors personne ne me jugera. Je n'ai qu'à m'abandonner dans les bras de Me... Tharn. Dans les bras de Tharn.

Nous nous mettons en place pour la scène.

« Et... action ! »

Mew s'approche de moi par derrière, embrasse ma nuque, mon dos. Je sens sa chaleur, son parfum, qui me laisse déjà étourdi. Je me retourne. Il m'enlace avec une douceur infinie, baisant mon front, mes paupières, mon cou... Je ne m'attendais pas à une telle tendresse. Dans les gestes de Tharn, je ne ressens que Mew. Son inquiétude à mon égard, après les évènements de la veille, son chagrin après notre dispute, sa détresse d'avoir cru me perdre. Sous les gestes tendres, couve également une ardente passion douloureusement contenue. Je le sens à sa respiration profonde. Je me laisse envelopper dans ses bras protecteurs, appréciant ces attouchements si doux qui, j'en suis intimement persuadé, n'appartiennent qu'à nous. Je retire la chemise de Mew, la fais glisser sur ses larges épaules nues que dévoile un débardeur sexy.

Nos lèvres se rencontrent, le plus naturellement du monde, comme deux parties d'un tout enfin reconnectées. Nos bouches se cherchent, s'aiment, se reconnaissent, s'entre-dévorent. Mew me porte pour me déplacer. C'est bon d'être blotti dans ses bras. Je suis accro à cette sensation de vulnérabilité mais aussi de protection incomparables. Nous continuons à nous embrasser, oubliant l'équipe de tournage qui semble retenir son souffle. Mew me soulève pour nous diriger vers le lit où il m'assoit sur ses cuisses. Ses mains passent sous mon tee-shirt, dans mon dos... Je gémis tout bas, surpris, mais surtout comblé par cette sensation nouvelle. Pour la première fois, je sens Mew partout. Mes cheveux, mon dos, mes paupières, mon nez, mon cou, chaque parcelle de ma peau est bénie par le toucher de cet homme magnétique. Je m'allonge sur lui, me souvenant à la dernière minute de mon texte :

« Et si on échangeait les rôles ? » suggère Type, malicieux.

Tharn sourit, bien décidé à ne pas céder, et me retourne pour me plaquer sous lui. Mon cœur se met à accélérer. Jamais Mew et moi n'avons connu une telle intimité. Qui est-il ? Tharn ? Mew ? Est-ce Mew qui me plaque ainsi sur le lit avec ce désir presque brutal ? Des frissons me parcourent et je devine ma peau se couvrir de tâches rouges. Plus préoccupant encore, mon sexe se dresse dans mon short de plage. Je ne peux pas le contrôler, la situation est bien trop excitante.

« Je serai ton mari, ce soir. »

Cette phrase de Tharn, prononcée par la voix de Mew, m'envoie une salve de désir dans les reins, éveillant en moi des fantasmes insoupçonnés. Mon membre se met à pulser plus fort, et je n'ai même plus la force de me ressaisir. L'abandon est total. Il se redresse pour retirer son haut, provoquant en moi une sensation de manque. J'en ai la respiration coupée. Mew reprend ses caresses, me dévore les lèvres avec attention, le souffle court. Je me dissous entre ses bras, perdu dans un monde de plaisir inédit. Nos corps sont soudés l'un à l'autre. Je sens le buste de Mew, son ventre, ses jambes puissantes autour et entre les miennes.

Je le sens partout, sur moi et autour de moi.

Il me conquiert entièrement, et je ne souhaite rien d'autre que disparaître entre ses bras, noyé et emporté dans cette vague de désir sans précédent. Sur ma cuisse, je sens soudain quelque chose de dur. Très dur, même.

Oh mon dieu.

Je ne rêve pas.

Mew me désire. Il me désire vraiment.

Sa main se pose fermement sur ma hanche, tandis que je le sens se frotter inconsciemment contre moi, sans doute pour tenter de soulager ce désir quelque peu encombrant. Je dirais même, très encombrant...

Ma raison s'envole. N'existe plus que Mew, ses lèvres, son corps, sa respiration, son désir manifeste pour moi. J'ai l'impression de brûler.

« Et... coupez ! »

Que-quoi ?

Mew se tend, cachant son visage dans mon cou pour reprendre son souffle. Je reste interdit, profondément gêné.

— On la garde, c'était... époustouflant. On va vous laisser vous remettre de vos émotions, je crois.

J'entends l'équipe se faufiler à la hâte, tout aussi gênée que nous.

— Est-ce que ça va ? me chuchote Mew, comme pour préserver encore un peu notre bulle d'intimité.

Je hoche la tête, trop ébranlé pour parler. Il embrasse mon crâne, caresse mon visage du bout des doigts. Je ne réagis pas. Il se détache enfin de moi et s'assoit tout en fuyant mon regard. La chaleur de son corps me manque déjà.

— Je suis... désolé.

— Phi ? De quoi es-tu désolé ?

— Je... Je me suis un peu emporté, je crois.

— Oh... Ce n'est rien. Ça arrive, je suppose. Moi aussi, je crois... marmonné-je, rougissant.

— Gulf je...

— Oui ?

— Je...

Il lève des yeux brillants vers moi.

— C'est quelque chose, de jouer avec toi, tu sais ça ? C'est... étourdissant.

Je reste pétrifié, noyé d'émotions contraires. 

— Je me perds, avec toi. Merde.

Mew se frotte le front, confus. Je me liquéfie à ces mots.

— Oui, c'est plutôt intense quand on joue ensemble.

— Je t'aime vraiment beaucoup, Gulf, tu sais...

Mew me serre la main, ses yeux ancrés aux miens, comme s'il attendait quelque chose de ma part. Je lui souris, sans savoir où me mettre.

— J'aime beaucoup jouer avec toi aussi, P'Mew. Notre duo fonctionne bien, c'est indéniable.

Son sourire retombe, bien qu'il s'efforce de ne rien laisser paraître. Il caresse ma tête avec affection, puis me tapote la cuisse amicalement avant de se lever.

— Bon... Allons-y, yai nong ?

Il me tourne le dos et quitte la pièce, me laissant avec la tête peuplée de doutes et les lèvres encore cruellement imprégnées du goût de ses baisers.

~~

Ces deux là vont nous rendre chèvres à la fin ! ( Quoi ? je n'ai rien fais, c'est eux d'abord ! 😈) Gulf boude beaucoup dans ce chapitre, tel un chaton grognon et Mew sort les griffes, certes impulsif mais toujours prêt à tout pour le protéger.

Ce chapitre est assez "proche" de ce qui s'est réellement passé, bien que personne ne connaisse la raison de leur dispute que j'ai donc inventée de toute pièce (à ma connaissance, il n'existe pas de story compromettante), et bien sûr toute la partie "mauvaise rencontre" est également fictive.

À bientôt !

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