Chapitre 12 : « Nuages à l'horizon »
Mew
Je ne peux détacher mes yeux de son visage. Ses jolis yeux de biche, ses traits fins, ce nez légèrement aquilin, digne d'un prince arrogant, ses pommettes hautes et bien dessinées, mais surtout, surtout, cette bouche pulpeuse, dont j'ai envie de goûter l'entêtante douceur encore et encore...
Depuis des jours, je dois me faire violence pour ne pas sauter sur mon jeune compagnon, beaucoup trop mignon et sexy pour le repos de mon âme. Je crois que j'ai perdu la lutte contre le désir le jour où j'ai découvert ses longues jambes dorées, effilées et surtout ses cuisses à se damner. Elles me hantent.
Gulf est vraiment... vraiment un beau jeune homme. Il pourrait être mannequin. Mais ce qui le rend d'autant plus attirant, c'est qu'il n'en a pas conscience. Il ne parade jamais dans des vêtements trop chics, préférant la simplicité d'un jean accompagné d'un tee-shirt. Discret et simple, deux adjectifs qui le caractérisent si bien. Sous cette attitude humble et nonchalante, pourtant, couve un feu ravageur qui ne demande qu'à enflammer les cœurs, et surtout le mien. Un ange au charme diabolique.
Ses lèvres sont toutes proches, gonflées des baisers que nous avons partagés à l'instant pour la scène. J'ai envie de les mordre. C'est une très très mauvaise idée, car ici et maintenant... Nous n'aurions aucune excuse pour ce geste inconsidéré. Le souffle chaud et précipité de Gulf caresse mes lèvres. Avide des siennes, je ne peux en détacher les yeux.
— Gulf...
Seul mon murmure brise l'épais silence qui règne dans la pièce.
J'écrase enfin cette bouche qui me hante depuis les premiers jours, avant de la mordiller. Gulf gémit. Sa lèvre inférieure, si charnue, me rend fou. Je l'attaque en douceur, en savourant la soie et la moelleuse texture. Je l'étreins fermement, perdu dans un baiser de plus en plus demandeur.
Gulf entrouvre les lèvres, m'invitant à le goûter. Je ne me fais pas prier et passe mes bras autour de sa taille fine. Mon jeune compagnon, lui, palpe mes bras musclés, appréciateur. Son geste flatte ma virilité et déclenche en moi un intense élan possessif. Nos langues s'entremêlent avec une passion renouvelée. Fou de désir, je suce sa chair humide, avalant en même temps son gémissement de surprise. Cette caresse sensuelle m'envoie un éclair d'excitation tout droit dans le bas ventre. Alerte rouge. Alerte rouge. Ce signal éveille ma conscience à la folie de la situation... Je me recule, à bout de souffle. Qu'est-on en train de faire ?!
Avisant le visage défait de Gulf, ses yeux ourlés de désir, je prends peur... J'ai mal interprété cette expression une fois par le passé, et ça a failli me coûter ma carrière, mon honneur. La panique me gagne. Je me lève précipitamment, avec maladresse, m'élance vers la porte. Gulf semble pétrifié par ma fuite, mais je suis beaucoup trop troublé pour me soucier de lui à ce moment précis.
D'une étreinte embrasée à la douche froide, en quelques secondes.
Je marche à grandes enjambées jusqu'à la cour extérieure du campus, désireux de me rafraîchir les idées.
— P'Mew ? Tu vas bien ?
J'entends à peine Mild m'interpeller dans le couloir, je fugue sans un regard en arrière. Une fois dehors, je respire à pleins poumons. Dans ma tête, c'est le chaos. Merde. À quoi je pensais ? Gulf doit être complètement déboussolé. Je n'aurais jamais dû lui sauter dessus ainsi. Je n'ai aucune excuse pour mon geste. Je tente de reprendre mes esprits, avant de rejoindre l'équipe de tournage à quelques pas de là. À mon arrivée, Gulf est déjà en place pour tourner la scène suivante. Je reste en retrait, l'observant de loin. Je le sens déconcentré.
— N'Gulf, tout va bien ? Tu t'es encore trompé dans ton texte, fait remarquer Tee.
— Ça va... J'ai juste... besoin d'une pause, lance-t-il après m'avoir aperçu.
Il quitte le plateau sous l'œil interloqué de l'équipe. Le jour commençant à décliner, je suppose que la scène va devoir être reportée à demain. Gulf disparaît derrière les buissons, à l'abri des regards.
— Mew, tu veux bien aller voir ce qui ne va pas ? m'incite fortement Mame.
Je n'ai pas vraiment le choix si je ne veux pas paraître suspect...
Je m'élance à la suite de Gulf alors que la nuit tombe. J'aperçois enfin une forme se découper dans l'obscurité. Je m'approche avec prudence. Je ne veux pas lui faire peur, alors je l'appelle tout bas. Il se retourne, surpris de ma présence.
— Tout va bien, yai nong ?
Il hoche la tête, silencieux. Je m'avance de quelques pas sans l'envahir, précautionneux.
— Je... je suis désolé.
— Désolé de quoi ? demande-t-il d'un ton dur.
— Désolé pour ce qui s'est passé. Ça n'aurait jamais dû arriver. J'ai fait une erreur, pardonne-moi.
— Tu es désolé pour ce qui s'est passé ? Ça n'aurait jamais dû arriver ?
— Oui. Pardonne-moi, bébé. Ça ne se reproduira pas.
— Je vois...
— Tu me pardonnes ?
Je réduis la distance entre nous et attrape ses mains dans les miennes, cherchant à saisir l'expression de son visage.
— C'était juste un moment d'égarement, tout à l'heure. Je te le promets.
Il a l'air tellement perturbé, le pauvre... Embrasser un homme dans le cadre d'un tournage, ce n'est définitivement pas la même chose que de se faire embrasser par surprise dans la vraie vie. J'ai l'impression d'avoir outrepassé mes droits.
— C'est bon, ce n'est rien... bredouille-t-il, les yeux baissés, la mine défaite.
Je devine à peine ses yeux brillants dans la pénombre.
— Je n'aurais pas dû dépasser la limite.
— C'est bon, je te dis. Tout va bien. On a qu'à y retourner, et ne plus en parler, ok ?
Malgré ses mots, son intonation ne semble pas celle d'une personne encline à pardonner. Il doit être encore en colère contre moi, voire même me mépriser. Sans attendre ma réponse, Gulf se dégage de mon emprise et passe devant moi pour rejoindre le groupe. J'attrape son poignet, désemparé.
— Gulf je... je tiens à toi, tu sais ? Je ne veux pas te faire de mal.
— C'est bon, P'Mew, je t'assure... se radoucit-il.
Il finit par m'offrir un petit sourire contrit.
— N'en parlons plus, d'accord ?
Je serre sa main dans la mienne, un peu plus longtemps que je ne le devrais. Il la retire brutalement avant de s'enfuir, me laissant seul avec mes pensées et mes doutes. Chacun son tour... Je n'ai que ce que je mérite.
~~
Après l'incident, les choses sont progressivement revenues à la normale. Quelques moments de gêne ont fait barrage pendant quelques jours, mais le rythme intense du tournage ne nous a pas laissé l'opportunité de traiter ces informations parasites. Nous les avons juste remises à plus tard.
Je suis une boule de nerfs, alerte et douloureusement attentif à mon partenaire. « Douloureusement » car il hante mon esprit du matin au soir et du soir au matin. Je m'endors et me réveille en pensant à lui, d'une manière purement platonique... la plupart du temps.
J'ai appris à faire refluer mes sentiments indésirables dans la mesure du possible, même si je dois avouer que j'échoue parfois misérablement. Quand le désir se fait trop brut, je n'ai d'autre choix que de me soulager en pensant à lui. Je n'ai pas trouvé d'autres solutions si je veux garder les idées claires sur le tournage. Cette lutte constante pour ne pas laisser mes sentiments déborder est épuisante. Toutefois, j'essaye d'agir comme si de rien n'était.
En dehors du tournage, nous voilà aussi en studio pour enregistrer le générique de la série. J'adore le morceau qui a été composé pour l'occasion, et me fais une joie de prêter ma voix en tant qu'interprète. Ce jour-là, Gulf et moi sommes ridiculement collants, car nous n'avons pu nous voir depuis près d'une semaine. Ignorant le monde qui nous entoure, nous nous abandonnons à une intense affection...
« Il n'y a que khun phi qui peut m'appeler yai nong... » minaude Gulf, adorable entre mes bras, à la fois timide et heureux. Je murmure son surnom dans son cou, encore et encore, jusqu'à le faire frissonner.
Gulf a l'air de vivre la situation avec une sérénité déconcertante ; il n'a jamais reparlé de l'incident ni ne semble se débattre avec certains démons de luxure, contrairement à moi.
Combien de temps encore vais-je pouvoir me contenter des fragments de lui qu'il me donne ?
~~
Première dispute
Chaque soir, Gulf et moi discutons en visio. Sans exception, ou presque. Et ce, même pour nous souhaiter un simple bonne nuit. Nous ne manquons jamais ce rendez-vous. C'est devenu une habitude réconfortante. Un rituel.
Comme tous les soirs, je compose le numéro de Gulf, secrètement enthousiaste à l'idée d'entendre sa voix. La sonnerie s'éternise, résonnant dans le vide. Bon, je suppose qu'il me rappellera quand il découvrira mon appel en absence. Il n'est pas encore si tard. Pour m'occuper en attendant, je décide de reprendre la lecture de mon livre de chevet, l'œil rivé en réalité sur mon portable. Trente minutes se sont déjà écoulées, et toujours rien. Je lui envoie un message sur Line, le priant de me rappeler.
Après quelques tentatives de lecture infructueuses, je décide de m'emparer de ma guitare, mais mon esprit est toujours ailleurs. Pourquoi Gulf ne me rappelle-t-il pas ? C'est la première fois qu'il me fait ce coup là... Il doit être occupé, je ne suis pas le centre de son monde. Il est peut-être avec Poom. Poom. Poompoompoom. Je ne souhaite pas être mesquin, mais le peu que j'ai entraperçu d'elle ne m'a guère enchanté. Ce n'est pas comme si j'avais mon mot à dire, mais je la trouve... comment dire... un peu pimbêche ? Elle ne s'accorde pas avec mon yai nong. S'il est heureux cependant, que puis-je dire ? Rien ne m'autorise à mettre mon nez dans ses affaires.
Le temps s'égraine lentement, je dirais même désespérément : je suis toujours sans nouvelles de Gulf.
Vaincu, je décide d'aller me coucher. Ce n'est pas un drame, il n'a aucun compte à me rendre. En dépit du bon sens, je m'endors toutefois contrarié...
Après une bonne nuit de sommeil... Eh bien... Je suis toujours contrarié. Une certaine mauvaise humeur m'imprègne. Dès le réveil, je me jette sur mon téléphone, espérant y découvrir un message tant attendu. Au lieu de ça, des messages ennuyeux de ma mère et ma sœur.
D'accord. Donc Gulf m'a simplement et purement ignoré. C'est puéril de ma part, mais je me sens vexé.
~~
— Oh, on a une petite mine, ce matin... déplore le maquilleur.
Aujourd'hui, nous tournons une scène d'achat de draps - que Tharn et Type ont un peu trop souillés de leurs ébats - au Siam Center, immense centre commercial de Bangkok.
— Désolé... dis-je, penaud.
— Ne t'excuse pas, mon chou, on a tous des jours avec et des jours sans. C'est justement mon boulot de camoufler tout ça, me rassure-t-il avec un clin d'œil.
Je me laisse pomponner, reconnaissant. Les maquilleurs travaillent dans l'ombre, contribuent à faire briller les autres. Ils font partie de cet univers caché, coulisses des monts étoilés ; des "petites mains" pourtant indispensables au succès d'une production artistique. Des doigts de fées.
Au delà de leur talent affilié au monde du spectacle, ils possèdent aussi cette chaleur humaine, cet altruisme... Toujours un mot pour soigner notre estime de soi. C'est un métier à double casquette, psychologue. Je pourrais me confier à eux, je le pressens. Sous mes dehors avenants et extravertis, pourtant, je ne suis guère du genre à me livrer. Dans ce monde de strass et de paillettes, il faut rester sur ses gardes, car tout s'ébruite si vite. Les personnes de confiance se font rares.
Alors que je bougonne intérieurement, Gulf se montre enfin. Il est en retard... Ce qui ne fait qu'accentuer ma contrariété. Le maquilleur le salue, chaleureux, tandis que je l'ignore ostensiblement.
— Bonjour Phi ! me lance-t-il, joyeux.
En plus, il ose être de bonne humeur.
— 'jour, marmonné-je à peine, sans le regarder.
Pour la première fois depuis notre rencontre, l'ambiance se glace. Gulf a sans aucun doute senti que ce n'était pas le moment de me parler. Il n'est pas du genre à insister, de toute façon, d'une nature simple et patiente. Il m'énerve à être si bienveillant. J'ai envie qu'il... qu'il me cherche un peu, qu'il vienne me confronter.
La matinée se déroule sans que nous échangions le moindre mot. Je joue l'indifférent, tout en observant Gulf à la dérobée. Il semble perplexe et intimidé, comme s'il n'osait pas m'interroger sur mon étrange attitude. Nous nous fuyons cordialement.
Avant le début de tournage, Mame vient à ma rencontre.
— Quel est votre problème ?
— Quel problème ?
— Oh, ne joue pas à ça avec moi, s'il te plaît. Tout le monde voit bien que vous êtes en froid. La scène commence dans quinze minutes et vous ne vous êtes pas adressés la parole une seule fois. J'ai peur de ce que ça va donner. On est déjà en retard sur le planning en plus...
Je souffle, ennuyé.
— Je le boude, oui, mais il n'a pas l'air de le réaliser. Il n'a même pas essayé de savoir pourquoi.
— Vraiment, Mew ? C'est si puéril, comme attitude ! Tu ne peux pas simplement lui dire ce qui ne va pas, crever l'abcès, et on est reparti comme en 40 ?
— Tu as quel âge, en vrai ? « On est reparti comme en 40 » la charrié-je.
Mame me donne un petit coup dans l'épaule.
— Je vais fortement suggérer à Gulf de venir te parler, mais ensuite, vous vous débrouillez. On n'a vraiment pas le temps pour vos simagrées.
— « Simagrées ? » me moqué-je à nouveau, avec un sourire coin.
— Mew... commence-t-elle d'un ton menaçant.
— Okay, okay, promis. Si tu me donnes ce coup de pouce, je ferai de mon mieux pour arranger les choses.
— Je te remercie.
Elle me tapote la cuisse avant de se diriger vers Gulf, de l'autre côté du plateau. Celui-ci se trouve en pleine discussion avec Mild. Ils sont devenus très proches tous les deux. Cela me rassure qu'en dépit de sa nature timide, Gulf soit capable de nouer des relations solides et sincères, mais je ne peux m'empêcher de me sentir un peu jaloux de leur complicité, parfois. Mild passe un bras autour de ses épaules, un geste anodin qui fait pourtant naître en moi une sensation désagréable...
Gulf trottine enfin vers moi après avoir parlé à Mame, l'air gêné et un peu attristé. Je ne peux m'empêcher de m'en sentir coupable.
— Phi... je n'arrive pas à réviser mon script sans toi, lâche-t-il, boudeur.
— Humph.
— Tu vas me dire ce qui te contrarie, à la fin ?
— Pourquoi tu m'as lâché, hier soir ?
Gulf fronce les sourcils d'incompréhension.
— Tu ne m'as jamais répondu. Je me suis inquiété.
— Oh...
Il s'assoit à côté de moi, à la recherche de mon regard.
— Phi... je suis désolé, je n'avais pas les moyens de répondre à mon téléphone hier. Je ne pensais pas que c'était une affaire d'état.
— Non, ce n'est pas grave en soi, mais j'aurais apprécié un petit mot de ta part pour m'expliquer.
— Je ne pouvais pas répondre, puis je me suis endormi, et ce matin j'étais en retard. Honnêtement, je n'ai pas eu le temps. Pourquoi ne pas me laisser le bénéfice du doute ?
Je soupire, ramené à la raison par l'argumentaire de Gulf. Je suis vraiment un crétin possessif quand je m'y mets.
— Tu as raison... C'est juste que je me suis senti délaissé.
— Je croyais que tu t'étais inquiété ?
— Oui, aussi.
Il sourit malicieusement.
— Je t'ai manqué, c'est ça ?
— N'importe quoi. Je voulais juste parler du script, comme d'habitude, tu sais.
— Oh oui, tu es si professionnel, khun phi.
— Est ce que tu te moques de moi, là ?
— Peut-être.
Le sourire de Gulf adoucit mon humeur. Vaincu, je l'attrape par les épaules, heureux de le retrouver.
— Dis-moi, pourquoi ne pouvais-tu pas répondre hier, alors ? Si ce n'est pas indiscret.
— Oh, eh bien... Poom m'avait préparé... une surprise, en quelque sorte.
Poompoompoom. Je m'en doutais...
— Quel genre de surprise ?
— Heu... Laisse tomber.
Le rouge lui monte aux joues, me donnant quelques indices sur la nature de la surprise. Une boule de jalousie se forme au creux de mon estomac.
— Tu veux bien répéter le script avec moi, s'il te plaît ?
Ses yeux suppliants et sa moue boudeuse me font fondre en un instant. Comment pourrais-je lui en vouloir plus longtemps ? *
Après ce léger accrochage, nous passons la journée dans les bras l'un de l'autre, appréciant ces retrouvailles régénératrices.
— On dirait que les amoureux se sont réconciliés, raille Run.
— Les gars, ils vous attendent sur le plateau. Je suis désolé de devoir vous annoncer cette triste nouvelle, mais il va falloir vous décolleeeer, ajoute Mild en prétendant réunir toute sa force pour nous séparer, avec un grondement digne de Hulk.
Et si je ne voulais jamais me décoller de lui, hein Mild, qu'est-ce que tu vas faire ? Oubliez ça, c'est bien trop fleur bleue.
Mais que voulez vous... Je suis fou de son odeur, de sa taille fine qui se perd entre mes grandes mains. Mon nez caresse sa nuque, ses cheveux me chatouillent. J'aimerais l'emmener ailleurs, laisser tomber Tharn et Type rien qu'un instant, nous autoriser à être simplement Mew et Gulf pour une fois.
~~
Dans quelques jours, départ pour l'île paradisiaque de Samet, où nous allons déjà tourner l'épisode spécial. Je suis vraiment excité et impatient de découvrir de nouveaux horizons en compagnie de notre fine et joyeuse équipe. Ce ne sont certes pas des vacances qui nous attendent, mais le cadre est si beau, je pense que l'on pourra bien s'autoriser quelques baignades...
D'ici là, le tournage est interrompu, ce qui me permet de me consacrer à des projets annexes et de prendre du temps pour moi. « Du temps pour moi », un concept qui ne m'est plus familier depuis trop longtemps. Pas que je me plaigne, ceci dit, ce tournage est plus souvent récréatif que contraignant. Passer du temps en compagnie de Gulf est un plaisir sans pareil, bien qu'inavouable...
Aujourd'hui, je suis programmé sur un shooting photo individuel. Quant à Gulf, il est parti quelques jours en vacances avec sa famille. J'espère qu'il s'amuse. Il m'a envoyé un selfie devant les magnifiques temples de la ville d'Ayutthaya. Sur la photo, il porte son appareil dentaire. Il le met de temps en temps, hors apparitions publiques, pour maintenir ses dents bien alignées. Il le porte aussi lors de nos visio nocturnes. Cela peut paraître étonnant, mais je trouve que ça le rend charmant. Je dois avouer que le voir sans maquillage, dans un tee-shirt trop large pour simple accoutrement, avec son appareil dentaire... C'est finalement sa facette la plus séduisante : j'ai l'impression de grappiller ainsi un peu de son intimité et je me sens comme privilégié, spécial. Je suis l'un des seuls à le voir tel qu'il est vraiment, et il est encore plus beau sans fard, dans sa pleine authenticité.
Sur mon temps de pause, alors que je me relaxe dans la loge, Boom, mon meilleur ami, me fait le plaisir de me rendre visite. Issu d'une famille très aisée, tout comme moi, il fait un peu de mannequinat à ses heures perdues et gère des affaires, pour autant que je sache. Il est assez secret, mais c'est ce qui fait son charme. C'est un très bel homme, un peu tombeur, totalement dandy. Il est le seul à connaître la recette secrète pour me faire rire en toutes circonstances. Je pense qu'il pourrait m'arracher un fou rire à un enterrement. « Ne jamais rien prendre au sérieux » semble être sa philosophie de vie.
— Mewmew, je m'évanouis devant ta beauté aujourd'hui, même si je reste quand même le plus beau ! fanfaronne-t-il en guise de bonjour alors que je mords négligemment dans un sandwich sans saveur.
— Qui te surpasserait ? Je suis sûr que même la reine mère rêve de toi chaque nuit.
— Je sors justement de chez elle, c'est dire...
— Ahah ton niveau de prétention est abyssal !
Boom me fait un clin d'œil et m'offre une accolade amicale, avant de s'asseoir à mes côtés.
— Je suis honoré que votre grâce m'accorde quelques minutes de son précieux temps aujourd'hui.
— Désolé, Boom... C'était compliqué ces temps-ci. Regarde, j'en suis à devoir convier mes amis pendant mes pauses. C'est critique. Mais on peut dîner ensemble cette semaine, je suis libre comme l'air pour une fois.
— Ça me va ! Je t'emmènerai dans un restaurant français, tu m'en diras des nouvelles.
— Vendu.
— Ensuite, c'est le départ pour Samet ?
— C'est ça.
— Tu vas adorer ! Tu auras le temps de faire du tourisme ?
— Hum, pas sûr, non. J'imagine que ça dépendra de notre efficacité sur le tournage.
— Allez, raconte-moi tout !
— Que veux-tu savoir ?
— Tous les potins ! Les infos croustillantes, quoi.
J'arque un sourcil.
— Je plaisante, ne me fait pas cet air moralisateur. Enfin, si tu as des histoires croustillantes, je ne dis pas non.
— Quel plaisir tu retires à entendre des histoires croustillantes sur des inconnus ?
— À quoi sert la vie si on ne peut même pas se divertir du petit théâtre des apparences que nous offrent nos semblables ?
— C'est bon, tu as fini, Dorian Gray ?
Boom me fait un clin d'œil, fier de son petit numéro désabusé.
— Dis-moi, sincèrement, est-ce que ça se passe bien ? me demande-t-il cette fois avec considération, sa main sur mon épaule.
J'ai toujours admiré la capacité de Boom à passer de la bouffonnerie la plus totale à la sincère sollicitude en un rien de temps.
— Oui, c'est vraiment une chance pour moi ce tournage, tu sais...
Il hoche la tête, compréhensif.
— Oui, je peux imaginer... Je suis tellement heureux pour toi. Tu vois, il y a toujours de l'espoir. Je le savais. Quand je pense que tu as failli renoncer à ce casting.
— Il faut croire que le destin m'a filé un coup de pouce... Enfin, ne parlons pas trop vite, je ne sais pas encore ce que l'avenir me réserve.
— D'un point de vue extérieur, la série est très très attendue. Les fans seront au rendez-vous.
— Être au rendez-vous ne signifie pas ne pas s'enfuir avant la fin, si la rencontre ne tient pas ses promesses.
— Tu sais c'est quoi ton problème ? Tu t'inquiètes trop.
— Et pourtant, je dois toujours me montrer confiant devant tout le monde. Ceux qui voient ma vulnérabilité se comptent sur les doigts d'une main...
— Je sais... Je serai toujours là pour toi, mon frère.
Quelques secondes de silence s'écoulent.
— Oh, et sinon, il est mignon le petit Gulf. J'ai vu quelques photos, j'en ferai bien mon quatre heure, reprend Boom avec malice.
Je suppose que l'ambiance devenait un peu trop émotive pour mon ami, qui s'est senti obligé de revêtir son costume de bouffon. Cependant, je n'aime pas beaucoup sa blague, qui m'amuserait pourtant en temps normal. Boom est hétéro, mais c'est aussi et surtout un charmeur invétéré, pas totalement indifférent aux hommes, bien qu'il n'ait jamais passé le cap à ma connaissance. Je suppose qu'il n'est pas insensible à la beauté légèrement androgyne et mystérieuse de Gulf. Je me sens échauffé par sa remarque, mais j'essaye de ne rien laisser paraître. Enfin, c'est ce que je croyais...
— Mew ? Pourquoi tes yeux me lancent des éclairs, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
— Quoi ? Non, rien. Oui, Gulf est joli garçon.
— J'imagine que ça aide, tu sais... pour les scènes chaudes.
Je me mets à rougir. Ce n'est vraiment pas le genre de Boom de tourner autour du pot.
— Oh ! Mais tu rougis ! Quoi, tu veux dire qu'il te plait ?
— Boom ! Tu pourrais avoir du tact, parfois ?
— Du tact ? C'est quoi, déjà ? Pas dans mon vocabulaire.
— Tu m'en diras tant...
— N'évite pas le sujet, mon petit Mew.
— Je préférerais, si ça ne t'ennuie pas.
Le regard de Boom se fait grave, il comprend que je n'ai pas le cœur à rire.
— Ah, merde, je vois. C'est plus sérieux que je ne l'imaginais.
— Laisse tomber.
— Je ne te forcerai pas si tu ne veux pas en parler, mais je suis là, si jamais.
— Merci, mon pote.
— Est-ce que... c'est la même chose, qu'avec... tu sais...
— Non. Rien à voir. Avec Art, j'étais un peu confus, mais avec Gulf... Ne va rien imaginer, d'accord ? Ce n'est pas une confession ou quoi que ce soit. C'est un collègue, c'est tout. Mais j'éprouve pour lui... une forme de tendresse. Voilà tout. Il éveille mon instinct de protection.
Pas que de la tendresse, certes, mais il n'a pas besoin de tout savoir.
— Tu tiens à lui ?
— Oui, bien sûr. Je ne vais pas te mentir là-dessus. Il est plus jeune, il est novice. Je ressens le besoin de le prendre sous mon aile. Je ne suis pas transi d'amour pour autant, rassure-toi !
— Menteur.
— Je ne mens pas.
— Le temps révélera ses secrets...
— Si tu le dis...
~~
La veille du départ pour l'île de Samet, je me sens à la fois nerveux et excité. J'empaquette mes affaires avec le sourire. Crème solaire, chapeau et maillot de bain au cas où, si le temps et le climat le permettent. Rien ne semble pouvoir entacher ma bonne humeur. J'ai l'impression de partir en colonie de vacances.
Après avoir tout préparé, je m'allonge dans mon lit. D'un geste distrait, je fais défiler l'actualité de mes réseaux sociaux sur mon téléphone. Le départ est aux aurores, demain, donc je ne vais pas veiller trop tard. Peut-être appeler Gulf, ou simplement lui envoyer un petit message d'encouragement et de bonne nuit.
Depuis notre dispute, nous avons décidé de lever le pied et de nous laisser respirer. Ce n'est pas sain de faire de nos interactions une obligation journalière. Je pense que ça met beaucoup de pression inutile sur nos épaules. Nos échanges doivent garder leur légèreté.
En parcourant Instagram, je vois que Gulf a ajouté une nouvelle story réservée aux amis proches, dont je fais partie. Curieux, je clique sur la bulle. Une scène imprécise de chahut plongée dans l'ombre apparaît sur mon écran. J'entends une musique à forte décibels, puis des visages surgissent dans le cadre. Gulf semble être en compagnie d'amis, ainsi que d'une belle jeune femme. Poom. Ils boivent des verres dans une boîte de nuit. Mon sang ne fait qu'un tour. On est censé être levé à cinq heures, a-t-il oublié ?
« Poom, tu fais quoi ? Rends-moi mon téléphone ! » La story se coupe. Je me sens... contrarié. Ce n'est vraiment pas professionnel de la part de Gulf d'agir ainsi. Qu'est-ce qui lui est passé par la tête, enfin ?
Je bouillonne, tiraillé entre plusieurs émotions. Colère, jalousie, contrariété, possessivité. Ces sentiments nourrissent la boule dans mon estomac qui ne fait que grandir depuis quelques semaines déjà, à laquelle s'ajoute l'impression d'agir comme un sacré connard.
Il faut vraiment que j'apprenne à tempérer mon sale caractère : qu'est-ce que ça peut me faire que Gulf s'éclate en boîte de nuit ? Il n'est pas obligé de toujours suivre mon exemple... Je me couche, préoccupé. Toute bonne humeur a déserté. Mon comportement erratique vis à vis de Gulf commence à sérieusement m'inquiéter. Je peux être euphorique et l'instant suivant me voilà à me morfondre tel un amant éconduit.
Je règle mon réveil avant de me rouler en boule sous les draps. Que va nous réserver ces quelques jours ? Vais-je réussir à ignorer ces sentiments négatifs qui me tenaillent ? Il faut impérativement que je me reprenne avant de commettre l'irréparable.
~~
* Personne ne connait la raison de leur dispute, mais ça s'est réellement passé de cette manière. Tout est expliqué dans la vidéo que j'ai posté dans le chapitre, qui documente le mois au cours duquel s'est produit la dispute.
~~
Ça ne s'arrange pas pour "Mewmew", en plein chaos intérieur. On pourrait penser que c'est l'homme parfait, mais il a aussi quelques défauts. Il est humain, après tout.
Le prochain chapitre va être assez mouvementé, pour ceux qui connaissent déjà l'histoire de l'épisode spécial...
Edit : Désolée que le titre de mon chapitre vous ai tant inquiété ! Je pense qu'il est un peu alarmiste, alors que les choses ne sont pas si dramatiques... Alors oui on n'est pas sur un long fleuve tranquille, mais je ne prévois pas de vous faire tomber en dépression non plus, promis, d'accord ? :)
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