BONUS : « Le baiser du serpent »

TW : Attention, ce bonus aborde la question du harcèlement sexuel. 

Le ton de cette histoire n'est pas aussi sombre normalement, j'espère que vous me pardonnerez, mais j'ai été inspirée par ce sujet et j'ai eu besoin de l'exorciser. 

~~

Gulf

Quelques années plus tard

Je suis un homme marié. Comblé, heureux. Je suis devenu l'homme que je rêvais d'être, sans le savoir. Mew et moi avons grandi ensemble, comme promis, main dans la main, attentifs à ne pas nous immiscer dans nos vies professionnelles respectives. Nous refusons de commettre les erreurs du passé ; brouiller les frontières entre la sphère privée et professionnelle. Cela a bien failli nous coûter notre relation, alors aujourd'hui nous traçons une ligne définie entre ces deux mondes.

Mew s'adonne à la musique, produit ses séries, tandis que je continue à explorer toutes les facettes du métier d'acteur. Je suis fier de lui, je soutiens ses projets sans réserve, et il me traite avec les mêmes égards. Ses encouragements sont plus précieux que tout. Il est une épaule, sans être une béquille. Il est celui que j'appelle à chaque nouvelle, bonne ou mauvaise. Le premier à savoir quand je signe un contrat, quand je gagne une récompense, quand je suis nominé quelque part, quand je pleure, ou quand je ris. Il est le premier de chaque instant. Mon partenaire, mon meilleur ami, mon indéfectible soutien. Il est mon tout. Il est mien et je suis sien.

Il y a pourtant une ombre au tableau... Une ombre qui grignote peu à peu la lumière de ce quotidien trop parfait. Une ombre qui plane au-dessus de moi et menace de m'engloutir.

Installé dans le jardin de notre maison, je lis le script de ma scène en prévision du tournage de demain. Je joue actuellement dans un film romantique et je donne la réplique à une jeune actrice, une amie de longue date. Tout se passe sans heurts, ou presque... Je chasse de mon esprit l'image du réalisateur penché sur mon cou, pour me concentrer sur mes lignes de dialogue. Un souffle chaud caresse ma peau, je sursaute violemment.

— Hé, tout va bien. Qu'est-ce qui t'arrive ? demande Mew, les sourcils froncés d'incompréhension.

— Excuse-moi, j'étais concentré...

Il me fixe, perplexe, peu convaincu par mon explication. Depuis quelques semaines, je suis tendu, nerveux. J'ai perdu du poids. Mew n'a rien manqué de mon humeur chaotique, mais je reste invariablement muet. Je ne veux pas l'inquiéter.

Il m'attire à lui. Son odeur m'enveloppe comme une vague de réconfort. Je me blottis dans sa tendresse. Il me caresse les cheveux, attentif à la moindre de mes respirations.

— Bébé... Tout va bien ?

Ce surnom me remue toujours autant le cœur ; onctueux réconfort d'un baume sur une blessure aiguë.

— Oui, je suis juste un peu fatigué.

— Hum... Tu m'inquiètes, ces derniers temps.

Je cache obstinément mon visage dans son cou. Sa chaleur me console, mais une insondable mélancolie me submerge. J'ai l'impression de trahir sa confiance depuis des semaines. Mes yeux se remplissent de larmes, bien malgré moi. Je les chasse d'un revers de main rageur et m'arrache à l'étreinte de Mew.

— J'ai du travail.

— Gulf, tranche la voix autoritaire de mon mari.

— Oui ?

— Quelque chose ne va pas.

— C'est faux.

— Tu es surmené. Je vais en parler à P'Best.

Une chose n'a pas changé : la surprotection de Mew. Il me laisse gérer ma vie, la plupart du temps, mais il ne peut s'empêcher de vouloir me protéger, parfois à mon corps défendant. Cette attitude est source de conflit, entre nous.

— Je te défends de faire ça. Tu as promis de ne pas t'immiscer dans mes affaires, lancé-je, irrité.

— P'Best est mon ami, je peux lui parler à ce titre.

— Si tu fais ça, je te jure que je dormirai dans le salon.

Cette menace a le mérite d'interrompre Mew dans sa folie protectrice. Il se mord la lèvre, partagé. Nous sommes toujours aussi fusionnels, alors passer une nuit loin l'un de l'autre n'est autre qu'une douloureuse perspective.

— Fais-moi confiance, lui dis-je d'un ton adouci. Tout va bien.

— Si tu travaillais avec moi, les choses seraient différentes...

Depuis des années, Mew insiste pour m'engager en tant qu'acteur dans les séries qu'il produit. J'ai toujours refusé, car je désire avancer seul. Hors de question que le public médise à mon sujet, qu'on pense que j'ai bénéficié d'un traitement de faveur. Je me suis fait seul, et je me construirai seul. Mew poursuit pourtant ce rêve fou de m'écrire un rôle. C'est la seule chose qu'il n'a pu obtenir de moi, car il a obtenu tout le reste...

— Je ne travaillerai pas avec toi, Mew. La question est réglée.

Son visage se fige, avant de se froisser et d'afficher une mine boudeuse, toute enfantine. Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire. L'image de l'homme protecteur cohabite avec une attitude immature. Adorable paradoxe.

— Arrête de m'amadouer !

Mon homme se rapproche pour enserrer ma taille avec possessivité.

— Est-ce que ça fonctionne ? minaude-t-il en frottant son nez dans mon cou.

Je fonds. Irrésistiblement. Sa bouche se pose sous mon oreille, son souffle chaud me brûle de l'intérieur. Je deviens une torche humaine sous ses attentions. Voilà autre chose qui n'a guère changé. Je me consume pour lui.

— Tu veux que je te fasse l'amour, bébé ?

— Oui...

Inutile de me le demander deux fois... Je me retrouve collé à la baie vitrée, mon pantalon sur les chevilles, mon sexe avalé dans la soie humide de cette bouche que je désire comme au premier jour. Mew me dévore, une main pressée sur mes testicules et l'autre maintenant ma cuisse sur son épaule. Je suis à sa merci, tout à lui. Sa bouche me fait chavirer, loin de mes inquiétudes, de mes douleurs, de mes remords.

— Oui, P'Mew...

Mew me suce avec application et dévouement, il me prend jusqu'au fond de sa gorge. Je me soutiens à son crâne et guide sa main entre mes fesses. Ses longs doigts me préparent avec une infinie tendresse, mais je n'ai pas besoin de tant d'attention. J'ai besoin de sa force, de sa vigueur, j'ai besoin de disparaître sous ses coups de reins ; quitter la terre ferme et les tracas englués à ma peau, comme une pellicule poisseuse dont je ne parviens jamais à me départir. Bien vite, je me retrouve dos à lui, collé contre la vitre, écrasé sous son corps solide : une muraille, un rempart inébranlable contre ce qui me ronge. Quand je jouis, j'ai l'impression qu'un poison s'écoule de moi, l'espace d'un instant.

Mais le poison est toujours là.

***

Deuxième mois de tournage

Lorsque j'arrive sur le plateau ce matin, je m'efforce de rester concentré sur mes lignes de dialogue. Enchaîner les contrats comme je le fais implique d'éliminer toute sensiblerie. Chaque journée requiert une attention complète, sans faille. Je me tue à la tâche pour atteindre la perfection ; la vulnérabilité n'a pas lieu d'être. J'ai appris depuis longtemps à m'effacer derrière un masque de professionnalisme, à me noyer dans le travail. Il est loin, le temps où Gulf tremblait avant une scène et perdait ses moyens.

Bow, installée au maquillage, me salue d'un gracieux signe de la main. Son sourire me réchauffe le cœur, comme un petit soleil. Nous avons débuté ensemble dans la même agence, des jumeaux ne seraient pas plus fusionnels. Je m'apprête à la rejoindre, quand l'assistant réalisateur m'interpelle, réduisant à néant mes espoirs de matinée paisible :

— Hé, Gulf, le réalisateur veut te voir.

— Je dois passer au maquillage. Tu sais comment est Tania si on bouscule son planning, plaidé-je.

J'essaye de battre en retraite, mais je sais d'avance que c'est inutile. Le réalisateur, Lee, est psychorigide. Quand il a décidé d'une chose, on ne peut aller contre sa volonté. L'assistant hausse les épaules d'impuissance, son expression est désolée mais sans appel. Je souffle en le suivant malgré tout. Bow me lance un petit sourire contrit, compatissante. Ça fait des mois qu'on supporte les sautes d'humeur de Lee et qu'on se soutient mutuellement.

J'arrive dans le vestiaire, le ventre noué d'appréhension. Lee fait défiler les tenues du dressing d'un mouvement rageur, sous le regard penaud du costumier.

— Ces matières... Ça ne va pas du tout ! éructe-t-il en faisant glisser entre ses doigts un ensemble d'étoffes soyeuses serties de paillettes et de sequins.

Dans ce nouveau film, je joue un danseur de salon et Lee tient à ce que chaque scène soit l'occasion d'exhiber des costumes grandiloquents et des chorégraphies spectaculaires. Je m'entraîne comme un fou pour atteindre le niveau d'excellence requis.

— Ce sont les costumes que vous avez choisi, monsieur... se justifie le costumier, Dean.

— Eh bien, j'ai changé d'avis. Ou je ne m'attendais pas à ça, peu importe. Je veux quelque chose de clinquant, pas cette fadeur désolante. C'est à crever d'ennui. On tourne dans une heure, ça ne va pas du tout.

Dean effectue une sorte de courbette servile, puis se rend dans les réserves avant de revenir les bras chargés de tissus.

Lee fait mine de réfléchir quelques instants.

— Déshabille-toi.

Cette phrase m'arrache de ma torpeur.

— P-pardon ?

— J'ai dit, déshabille-toi. Je veux que tu essayes cette tenue, là. Peut-être qu'on peut tirer quelque chose de cette soie bleue.

Dean fuit mon regard, embarrassé. Je m'empare du costume de scène et m'apprête à rejoindre ma loge pour m'habiller, mais Lee me retient par l'épaule.

— Ici, m'ordonne-t-il.

— Monsieur, je... Il est d'usage de se changer dans les loges, tenté-je piteusement.

— Je m'en contrefiche. Dean, je veux que tu ailles en urgence chez Duo Style. Ils ont peut-être réceptionné quelques nouvelles parures.

Dean s'incline avec révérence, avant de quitter les lieux à la hâte. Je me retrouve seul avec Monsieur Lee. Réalisateur de génie dont la réputation le précède : tyrannique, mais génial. Il brise les acteurs avec son exigence, mais puisque ses films reçoivent des prix, se plaindre n'est pas en option. Je pensais être capable d'encaisser.

Je ne pensais pas pouvoir me briser si facilement sous les doigts d'un homme de pouvoir, comme une fragile poupée de porcelaine.

Sous son regard autoritaire, affûté comme un couteau, je commence à me dévêtir. Je me tourne et m'efforce d'ignorer la brûlure vicieuse de son examen minutieux. J'enfile la tenue, nerveux. Chaque seconde devient minutes, et chaque minute paraît durer éternellement. Bientôt, je le sens respirer dans mon cou. Ses mains épaisses se posent sur mes épaules dénudées.

— Que tu es beau, Gulf... Je ne regrette pas mon choix. Enfin, jusqu'à présent...

— Que voulez-vous dire ? expiré-je, mal à l'aise.

Ce n'est pas la première fois que Monsieur Lee m'accule de la sorte. Il se débrouille toujours pour être seul avec moi, mais je suis plutôt doué pour trouver une parade, en général. Je reste aux aguets, comme le petit gibier suspend tout mouvement pour ne pas faire craquer la branche qui révélerait sa présence. Je mesure chacun de mes mots, chacun de mes gestes, chacun de mes souffles. Tel un équilibriste, je me tiens sur la pointe des pieds. Et sous moi, il y a le vide, le vide ou le loup. Le vertige ou le massacre. Une nausée m'envahit.

La main caleuse du réalisateur effleure ma peau.

— Gulf... Tu sais, les acteurs pensent qu'ils sont engagés pour leur talent. Comme c'est drôle. Vous êtes si naïfs.

Je me crispe à ses mots.

— Vous autres, les acteurs, êtes engagés pour votre malléabilité, pour votre belle gueule, et aussi...

Son souffle m'écorche la nuque. Mes poils se hérissent. Je suis paralysé, je n'ose même pas me retourner.

La voix de P'Best me revient en mémoire.

« Ce rôle est un parfait choix stratégique pour ta carrière. Monsieur Lee jouit d'une incroyable popularité internationale, notamment auprès des cinéphiles pointus. Ça va être génial. »

Je repense aux paroles de ma mère.

« Tu vas jouer dans un film de Monsieur Lee ? Mais c'est incroyable ! Je pourrais le rencontrer, tu m'obtiendras un autographe ? »

Je songe aussi à toute l'équipe de tournage, à quel point ce film compte pour eux, à quel point personne ne ménage ses efforts.

Alors je serre les dents. Je ne peux pas être la cause d'un scandale qui éclabousserait tant de gens innocents. Alors je serre les dents.

— ... Pour votre...

Mon cœur bat si fort qu'il bloque ma respiration. Je me tétanise.

— Monsieur Lee ! Monsieur Lee ! Il y a un problème sur le plateau 23.

La porte s'ouvre sur une assistante dans tous ses états. Elle me surprend à demi nu, Monsieur Lee penché sur moi, mais elle détourne les yeux, aveugle. Il y a des choses plus graves, manifestement.

— Qu'est-ce qui se passe encore ? vocifère le réalisateur.

— L'installation s'est effondrée, monsieur...

— Mais c'est pas possible, qui m'a foutu une bande d'incapables pareils ! J'arrive !

L'assistante disparaît aussi vite qu'elle est arrivée. Bénis-sois-tu, décor mal installé.

— Bon, une urgence m'appelle. Je pense que ce costume t'ira à ravir. Maintenant, si tu peux mettre un peu d'émotion dans ton texte et être un peu moins raide dans tes pas, ce serait pas mal, mon petit.

Monsieur Lee me plante un baiser humide sur la joue, puis s'éclipse dans un rire gras. Je me retrouve seul, à moitié dévêtu, le cœur battant à tout rompre. Je ne me suis jamais senti aussi seul, piégé dans mon propre mutisme, mon propre secret. Piégé dans un bonheur de surface.

***

Un air tiède, chargé d'odeurs suaves, embaume mes narines. C'est le printemps, les fenêtres de la maison sont grandes ouvertes. Je somnole, je transpire. Les draps sont humides, poisseux. J'ai de la fièvre. Ou alors, ce n'est qu'un rêve. Je délire.

J'entends une voix, lointaine. J'essaye de la rejoindre, mais je demeure immobile. Mon corps refuse de se mouvoir. J'essaye de crier, mais aucun son ne sort de ma gorge, aride comme le désert. Le visage de monsieur Lee. Les mains de monsieur Lee. Le souffle de monsieur Lee. Je crois me noyer. Je sombre.

Non. Quelqu'un me tire à la surface. Je remonte des abysses. Je respire enfin !

— Gulf, Gulf ! Ça ne va pas ?

J'ouvre les yeux. Mew est penché sur moi, les traits plissés d'angoisse.

— Que se passe-t-il ? articulé-je, la voix pâteuse. Tu es rentré ?

— C'est à toi de me le dire ! Tu n'as pas donné de nouvelles depuis des jours. Kali dit que tu n'as pas touché aux plats qu'elle a préparés pour toi et que tu l'as congédiée ce matin. C'est quoi, cette histoire ?

— Je suis juste fatigué. J'ai la migraine.

Mew soupire. Il essaye d'être compréhensif, mais je devine qu'il n'est pas dupe. Mes dérobades s'accumulent. Il se passe une main dans les cheveux avec nervosité, cherche ses mots, lutte contre le découragement, mais c'est la résignation qui l'emporte. Ça ne lui ressemble pas. Est-ce qu'il a déjà épuisé toutes ses ressources, à cause de moi ? Serais-je un cas perdu ?

— Gulf... Arrête.

— Arrêter quoi ?

— De me mentir, peut-être ?

Je me redresse dans le lit. La tête me tourne. J'ai pris trop de médicaments.

— Best et May m'ont dit que ça n'allait pas fort. Apparemment, ce tournage t'éprouve beaucoup ?

Un faible soulagement me traverse, assorti de honte.

— Oui, c'est épuisant. Entre les exercices physiques et l'exigence de Monsieur Lee... Je suis à bout de fatigue, c'est tout. Quand tout sera terminé, je prendrai six mois de vacances. On pourra partir en Europe, tu en rêves.

Le visage de Mew se détend légèrement. Il me sourit. Sa main caresse mes cheveux.

— Oui, j'adorerais ça.

Une inquiétude rémanente voile malgré tout ses prunelles.

— Tu es sûr qu'il n'y a rien d'autre ? insiste-t-il d'une voix soucieuse.

— Promis.

— Tu me le dirais, hein ?

Je déglutis.

— Oui, bien sûr.

Son regard me sonde. Et au delà de la douleur, la culpabilité contamine mes cellules, se répand dans mon sang ; se repaissant, tel un monstre vorace, de mes derniers lambeaux de sérénité. Dans ma tête, mes entrailles, les monstres se nourrissent. Et ma force vitale s'amenuise de jour en jour. Pourtant, je reste concentré. Je danse, je donne la réplique à Bow, je danse. Je fais des cauchemars, je mens à Mew. Et je laisse Monsieur Lee poser ses mains sales sur moi.

***

Quatrième mois de tournage

Bow est magnifique dans cette parure éblouissante. Elle a appris à danser le tango en un rien de temps. Contrairement à moi qui suis affublé de deux pieds gauches. Elle est vraiment douée. L'équipe est suspendue à la scène. Ma main sur sa taille fine, je la bascule en arrière. Elle est si cambrée que c'en est surnaturel. Puis, le baiser tant attendu.

J'en ai fait du chemin depuis toutes ces années. Entre le premier baiser de Tharntype, si maladroit et électrique, et tous les autres... beaucoup plus... mécaniques, encadrés. Ternes, aussi. J'en ai embrassé des femmes et des hommes, mais ça n'a jamais atteint l'alchimie souveraine qui crépitait naturellement entre Mew et moi. Quand tu as l'impression que le monde est sur le point de se fracturer, de s'ouvrir en deux, et que seul un baiser t'ancre quelque part, un baiser aussi intense que la gravité elle-même.

J'embrasse Bow. C'est comme embrasser sa joue. Un contact privé de tout caractère charnel. Et c'est normal, nous sommes amis. Lors des ateliers, la première tentative de baiser s'est soldée par un ricanement d'inconfort, puis par un fou rire démentiel. Bow et moi ? Allons-donc, elle est comme ma sœur.

Peu importe, je l'embrasse. Je mets autant de feu que possible dans cette étreinte à la sensualité factice.

— Coupez ! Coupez !

Je me fige.

Lee quitte son poste près de l'écran de contrôle. À grandes enjambées colériques, il pénètre sur le plateau, le visage transfiguré. Ce n'est pas la première fois qu'il échoue à maîtriser ses émotions de la sorte et nous crache son mécontentement à la figure.

— À quoi je viens d'assister, là ? C'est une blague ? C'est comme ça que vous embrassez votre partenaire dans la vraie vie ? Il n'y a ni passion, ni investissement. C'est nul. Nul. Je vais vous le dire crûment : votre baiser ne me fait pas bander le moins du monde, et c'est un problème.

Bow baisse la tête, dépitée et mal à l'aise. Moi, je me mords l'intérieur de la joue. Je serre les poings, tentant de contenir la rage, la frustration et le mal-être qui m'envahissent. Je baisse les yeux, aussi, pour fuir le courroux de Lee. Je suis lâche, mais je ne peux que fuir, me cacher et cesser de respirer, en espérant que le prédateur trouvera une autre proie.

Sauf que Lee a jeté son dévolu sur moi depuis le début. Et il n'y a aucune issue.

Il saisit mon épaule. J'ai à peine le temps de lever les yeux qu'il m'empoigne le visage et m'embrasse, là, devant tout le monde, plongeant sa langue visqueuse dans ma bouche. Ce contact me révulse. Je ferme les yeux, quelques larmes débordent de mes paupières closes.

Le baiser du serpent.

Quand il me relâche, tous les regards me fixent, pleins d'une silencieuse compassion mêlée de dégoût. Mais pas une voix ne s'élève, si ce n'est celle de Monsieur Lee.

— Voilà comment on s'embrasse quand on désir quelqu'un. Je veux de la passion, de la salive ! Bon, je suis quelqu'un de compréhensif, prenez donc une pause.

Monsieur Lee tape dans ses mains pour sonner la fin du supplice, un sourire hypocrite étire le coin de ses lèvres. Il me lance un regard qui me pétrifie, dans lequel ondulent les flammes de l'envie et du vice.

***

Le tournage touche à sa fin. Il ne reste plus qu'un mois à tenir, à supporter les brimades du réalisateur, ses attouchements lubriques, ses remarques humiliantes. Mew sait que j'en bave, mais il ne se doute pas de ce qui me ronge réellement. L'impression de n'être qu'une chose, un objet, une poupée malléable à la merci d'une créature nocive.

On est dimanche, et pour une fois Mew et moi sommes tous deux de repos. Je m'étire paresseusement entre les draps, profitant de cette grasse matinée rare, tant désirée. La chaleur de ma moitié m'enveloppe. Ses baisers m'éveillent en douceur, honorant ma nuque, mes épaules, le bas de mon dos, mes fesses... Un incendie embrase mes reins. Je gémis, encore immergé dans le coton du sommeil.

— Bébé... Tu m'as tellement manqué... ahane Mew contre ma nuque.

Enfin, il me retourne délicatement. Sa bouche se promène sur mon torse, mes tétons, mon aine. Délicieuse caresse, soyeuse et humide.

— Je vais te faire du bien...

Depuis tant d'années, Mew n'a jamais cessé de vocaliser ses désirs, et ça m'allume comme au premier jour.

Inconsciemment, je me cambre. Le drap glisse sur mes jambes nues. Et une chaleur humide engloutit mon sexe. Mew ne me fait pas languir, il me prend immédiatement au fond de sa gorge. Mon membre retrouve son cocon, sa parfaite place, choyé par cette bouche aux mille délices, si appliquée. Mes mains se cramponnent à sa nuque. Je glisse dans les limbes du plaisir, tandis que ma queue s'enfonce dans la gorge de Mew. Sa main malaxe mes testicules, son souffle brûlant me consume.

— Ah...

Mes genoux, d'instinct, se relèvent, désireux d'éprouver une toute autre caresse... Mon anus, naturellement, se dilate. Je veux Mew, au creux de mon corps. Je veux sa langue, ses doigts, sa queue.

— Mon ange... Tu es si beau...

« Tu es si beau. »

Je chasse ces paroles prononcées par la bouche d'un autre. Il n'a pas le droit de me hanter jusque dans mon intimité, de s'immiscer dans mon refuge. De voler mes derniers résidus de bonheur. Je ne le laisserai pas.

— Mew, viens, s'il te plaît, baise-moi.

Mon impatience lui tire un léger rire amusé.

— Mon ange... Tu es si pressé que ça ? Ça fait longtemps, laisse-moi profiter de toi...

J'aimerais prendre mon temps, mais le serpent guette, prêt à me gober entièrement et à ne recracher que mes os.

— Mew... Justement, ça fait longtemps. J'en peux plus. Je veux te sentir en moi. Prends-moi, s'il te plaît.

Mew quitte mon ventre qu'il chatouillait de ses baisers aériens. Son front se pose sur le mien. Il caresse ma tête avec tant de tendresse que j'ai envie de pleurer.

— Bébé... Comment je pourrais te résister quand tu me parles comme ça ?

En effet, je sens son membre dur palpiter contre ma hanche.

— Laisse-moi te préparer quand même... chuchote-t-il à mon oreille.

Je frissonne d'anticipation. Mais j'ai aussi l'impression d'être la proie d'une urgence tenace. Il doit me prendre maintenant, avant que le loup ne me trouve, avant que les démons n'envahissent ma caboche.

— Vite, je t'en prie...

Un baiser dans mon cou, puis trois longs doigts, à peine imbibés de sa salive, entrent en moi. Je hoquette à cette intrusion brutale et délicieuse.

— C'est ça que tu veux hein, que je te comble, que je te remplisse, mon petit bébé...

— Oui, P'Mew, baise-moi, je t'en prie.

— Oui mon bébé, je vais bien te baiser, me promet-il avec une indicible douceur.

Et enfin, la brûlure de son sexe. Enfin, je suis rempli de lui, de sa protection, de son amour, de son désir absolu, sans vice, sans salissure.

Il m'agrippe les hanches, me mord le cou. Mes jambes trouvent leur place sur ses épaules, et la danse de l'amour commence. Une danse guerrière, intense, frénétique. Mew me pilonne avec une ardeur sans précédent. Son sexe me paraît plus dur que jamais, il me lime divinement. J'ai besoin de lui, dans mes entrailles. Je suis à lui. Et quand je suis à lui, je suis de nouveau moi.

— Je suis à toi... à toi...

Mew baigne mon visage de baisers. Sa langue me conquiert avec avidité, mais me rappelle aussi à moi-même.

— Mon ange, bien sûr que tu es à moi. Je t'aime tant.

À ces mots d'amour absolu, je me déchire. Les larmes coulent pendant que je jouis intensément, sans même m'être touché.

— Putain... jure Mew en sentant mon cul compresser son membre.

Il éjacule sans attendre, inondant mes profondeurs de son essence chaude. Je me sens à nouveau à lui, à nouveau chez moi. Je me sens à nouveau moi.

Mais pour combien de temps ?

***

Dernier jour de tournage

— Et... coupez !

J'ai l'impression que tout l'air vicié que je respirais depuis six mois s'échappe de mes poumons. Nous venons de tourner la dernière scène. C'est fini. Fini. Je suis libre. Dans le regard de Bow, je lis un soulagement indescriptible, semblable au mien. Je l'étreins. Toute l'équipe applaudit, exaltée.

Je rejoins ma loge, le cœur léger. Best et May viennent me féliciter. Ils connaissent le tempérament rugueux de Lee, mais n'ont aucune idée de ses actions problématiques. Je n'ai jamais osé leur en parler, et sur le plateau, tout le monde garde le silence sur ses agissements. 

La peur comme muselière...

Mes managers m'enlacent une dernière fois.

— On se retrouve à la soirée tout à l'heure ? Hâte de fêter ça ! s'enthousiasme May.

— Oui, bien sûr.

— Mew sera là ? questionne B'Best.

— Oui, il a réussi à se libérer. Il nous rejoindra en fin de soirée.

— Parfait, à tout à l'heure mon chéri.

May me claque un baiser sonore sur les joues, puis elle et Best quittent ma loge, ignorant tout de mes tourments.

Seul, je me fais une joie de me délester enfin de mon costume à paillettes. Cette matière synthétique irrite ma peau, il n'y a rien de mieux que le confort d'un jean et d'un tee-shirt en coton. Alors que je suis en boxer, la porte s'ouvre brusquement.

Le serpent.

Je me couvre maladroitement avec mon tee-shirt.

— Gulf... Ne sois pas pudique, comme ça.

Lee s'approche, je ne desserre pas les dents.

— Bah alors, mon cœur, pourquoi tu fais cette tête ?

— Pour rien.

— Tu as été formidable aujourd'hui, bravo.

— Merci, dis-je froidement.

Lee pose une main sur mon épaule, cherche mon regard. Pour la première fois, je soutiens le sien, l'air féroce. Mais ça ne fait qu'amuser le réalisateur.

— Pourquoi ce regard, mon petit ? Je sais que je t'en ai fait baver, mais c'était pour ton bien.

Sa main se presse sur ma nuque, presque paternelle.

— Tu ne m'as pas déçu, au final. Je t'ai poussé dans tes retranchements, et ça a valu le coup. Tu ne trouves pas ?

— Si vous le dites.

— Je ne te sens guère convaincu... Je t'assure que tu as excellé, sur ce tournage. Et tu as su égayer les fantasmes d'un homme solitaire tel que moi...

Mon cœur s'arrête avant de repartir violemment. Le serpent visqueux ne s'est pas évanoui avec la fin du tournage... Comment ai-je pu croire que la liberté était si facile à reconquérir ? Je tente de me dérober, mais son emprise se raffermit.

— Hé, tout doux... Tu sais très bien que tu ne peux rien faire. Tu ne vas pas risquer d'entacher la promotion du film, de décevoir tout le monde ? Ce genre de grande production ne saurait souffrir d'un scandale...

— C'est vous l'instigateur du scandale.

Un rire franc, grotesque, éclate dans la loge. Un rire de clown sinistre.

— Tu es si naïf, mon petit Gulf. Monsieur Lee ne risquera jamais rien. Tu sais à quel point la Thaïlande rayonne culturellement à l'étranger grâce à moi ? Je suis un mastodonte du monde du cinéma. Ce n'est pas une jolie poupée comme toi qui va faire vaciller un monstre sacré comme moi. Des Gulf, il y en a une flopée par décennie. Mais des Monsieur Lee...

J'écoute son discours avec horreur. Je sais qu'il a raison. Les fers se referment sur mes poignets. Ma libération fut de courte durée.

Le baiser du serpent. Une nouvelle fois.

Une nouvelle fois, je me sens dépossédé de moi-même.

Ma voix meurt dans ma gorge.

Et ma volonté n'est plus que poussière.

***

La soirée bat son plein. Même si l'enthousiasme est de mise, la fin d'un tournage est toujours teintée de mélancolie.  Tout est décuplé ; les joies, les peines. Mais ce tournage a été le plus éprouvant de tous. J'en ai connu, des réalisateurs exigeants, acariâtres, parfois aux mains baladeuses. Mais ça restait, dans une certaine mesure, innocent. Lee... Lee n'est pas brutal, ni violent. Lee est perfide, insidieux. Au début, je faisais tout pour me faire apprécier de lui, pour mériter un mot gentil de sa part, un encouragement, un compliment, une caresse dans les cheveux.

Rien que d'y penser, je me répugne. Je me répugne et j'ai honte.

Honte de mon attitude servile, honte d'avoir cherché à lui plaire, ne serait-ce qu'une putain de minute.

Perdu dans mes pensées, aussi sombres et poisseuses que de la boue, j'aperçois à peine Mew arriver. Il me salue de loin, avant de se faire entraîner par un cortège d'admiratrices. Il lève les épaules et grimace en signe d'excuse. Je lui envoie un sourire amusé et compréhensif. Après tout, je l'aurai pour moi seul toute la nuit. Pour l'heure, je me noie dans mon verre, tachant de faire bonne figure. Mais je me sens nauséeux, malade et... lointain.

Ce monde de joie semble recouvert d'un dôme de verre ; paroi infranchissable. Je vous vois rire, mais je ne vous entends pas. Je suis derrière le dôme, emmuré. Avec mon geôlier.

— Alors, Gulf, tu déprimes ?

Cette voix me fait sursauter. La voix de Lee. Mi-doucereuse, mi-vénimeuse.

— Tu es triste de me quitter, mon cœur, c'est pour ça ?

— Certainement pas, craché-je à voix basse.

Sous la table, sa main caresse ma cuisse. Mes muscles se contractent. J'ai envie de hurler, mais je ne peux pas. Alors je hurle en moi-même, et ça fait si mal que j'ai l'impression que je vais exploser de l'intérieur. Je finis par me lever, au supplice. Je traverse la salle de réception jusqu'aux toilettes, où je m'enferme dans une cabine le temps de retrouver mes esprits. Je pensais être libre, mais Lee est encore là, trop près, telle une ombre qui ne cesse de me poursuivre. Je finis par me décider à quitter ce pitoyable refuge. Je ne peux pas m'absenter toute la fête sans risquer d'alerter les autres. Quand j'ouvre la porte, mon cœur s'arrête. Lee se tient devant moi, un sourire sans joie sillonne sa figure malsaine, comme une cicatrice. Un sourire à la satisfaction cruelle.

— C'est donc là que tu te cachais...

Le geôlier est devenu mon ombre, capable de se faufiler partout, jusque dans les infimes brèches de mon esprit.

Lee n'est pas très grand, il est même plutôt gras et petit, mais il détient une force étonnante. D'une poussée, il m'accule dans la cabine, et d'un baiser répugnant, il me contraint au silence.

Une chose inattendue se produit alors. J'entends la voix de Mew résonner dans ma tête. Je vois son beau visage, une lumière traversant les profondeurs des eaux sombres où je suis engloutis. J'entends son appel.

« Je serai toujours là pour toi. »

« On surmontera les épreuves ensemble. »

« Je t'aime tant. »

Une pulsion de vie qui m'encourage à me battre. Qu'importe le scandale si Mew est à mes côtés ? Alors qu'un bras indésirable se glisse sous mon tee-shirt, je mords la main de Monsieur Lee. Je profite de sa surprise pour lui asséner un coup de genou dans les côtes et m'extraire de la cabine.

— Gulf, que se passe-t-il ?

Mew.

Son regard ombrageux porte une profonde inquiétude, celle de me perdre, de me voir souffrir, en témoin impuissant. Son pire cauchemar se réalise sous ses yeux. La terreur doit se lire sur mes traits, car il m'attire à lui pour m'enlacer aussi fort que si j'allais disparaître. Son odeur me bouleverse, me ramenant dans un cocon de sécurité. Il aperçoit alors Monsieur Lee, terré dans la cabine. Un grondement s'élève. Oh, non, ça va mal finir...

— Vous, que faisiez-vous ? prononce Mew d'une voix coupante comme du verre, le visage et les poings contractés.

— Mais voyons, rien du tout, mon cher, louvoie Serpent Lee. On passait un peu de bon temps, vous savez comment sont les acteurs, ils feraient tout pour un rôle.

— Comment osez-vous dire ça ? éclaté-je. Vous êtes répugnant. Vous devriez avoir honte de votre attitude.

Mew tremble contre moi. Il me détache doucement de son étreinte et s'avance vers Monsieur Lee, aussi menaçant qu'un guerrier sur le champ de bataille, prêt à réduire en miettes son ennemi. Il attrape Monsieur Lee par le col de sa ridicule chemise hawaïenne.

— Sale monstre, je te jure que si tu reposes encore tes sales pattes sur lui, je te détruirai.

Mew sait être convainquant, quand la situation l'exige... Lee se ratatine sur lui-même. Destitué de son aura de pouvoir, il n'est plus qu'un ver de terre visqueux, un insecte rampant. La main de Mew vient serrer sa gorge, juste assez pour terrifier Monsieur Lee, mais sans le blesser.

— Dis que tu as compris, misérable connard.

Monsieur Lee couine un oui étouffé. Dans sa colère, Mew l'a soulevé du sol. Quelques hommes entrent dans les toilettes, mais ils repartent aussitôt en découvrant la scène. Le parfum du scandale se diffuse déjà... Et j'ai envie de m'enfuir.

— Sache que tu ne t'en sortiras pas comme ça. Ta popularité ne te protégera pas, menace Mew avec aplomb.

Puis, il empoigne mon épaule et nous quittons les lieux ensemble, sous le regard médusé de mes collègues, de Bow, de mes managers.

Je ne suis pas coupable, et pourtant j'ai l'impression d'avoir tout gâché...

Une fois dans la voiture, je refuse de pleurer. Les sanglots me brûlent la gorge, mais je suis en état de sidération. J'entends Mew me ceinturer, mettre le contact. Je l'entends me parler tout bas, de sa voix mélodieuse et vibrante. Mais je suis encore prisonnier derrière le dôme, avec Monsieur Lee.

***

Plusieurs mois se sont écoulés. Monsieur Lee n'a jamais été inquiété par la justice. Best et May ont réalisé un travail formidable en recueillant le témoignage d'autres victimes, puisque la police a décidé de fermer les yeux, mais le chemin sera long pour faire entendre notre voix. La promotion du film a été entachée par le scandale, mais, étonnament - ou pas - le film, lui, a cartonné en salles. À l'origine de cet engouement, certainement la curiosité malsaine qui anime toujours le public. Plus c'est sordide, plus c'est vendeur.

Quant à moi, je me reconstruis doucement, pas à pas.

Mew et moi voyageons à Paris. Je lui avais promis qu'on s'envolerait en Europe après le tournage, c'est chose faite. Après des mois de dépression, je commence tout juste à respirer à nouveau, à ne plus avoir peur des ombres. Ce matin, je paresse tranquillement au lit, dans le sublime hôtel particulier que nous louons pour ces quelques jours. À côté de moi, la place est chaude, mais vide. Je me redresse, anxieux.

Je suis rassuré quand mon homme passe la porte, un sac de viennoiserie toutes chaudes dans les bras.

— Bonjour, mon amour.

Pendant des mois, Mew s'est occupé de moi avec dévotion, comme on veille un malade à l'agonie. Il ne m'a jamais reproché de ne pas m'être confié à lui, il ne m'a jamais fait peser le poids de mon propre secret.

Une fois l'épine du mal retirée, il a embrassé la plaie que j'étais, il a bu le poison qui me meurtrissait. Et je l'aime encore plus que jamais pour cette délicatesse, cette compréhension sans faille, cette empathie absolue.

Les viennoiseries posées sur la table, j'attire Mew dans mes bras.

— Merci...

— Ce ne sont que quelques viennoiseries.

— Non, je veux dire... Merci d'être là, de m'avoir soutenu.

Mew et son visage tendre, amoureux. Je l'aime si fort que ça me fait mal, juste sous la poitrine.

— Mon ange... Je te l'ai dit. Je te protégerai. À chaque instant de notre vie. Je m'en veux déjà tellement de ne pas avoir été là plus tôt, de ne pas avoir pu te protéger quand tu en avais le plus besoin...

Mew et moi avons traversé une période difficile, minée de culpabilité. La sienne répondait à la mienne, en un interminable écho.

— Et le combat est loin d'être terminé, tant que ce serpent n'aura pas payé pour ses actes, poursuit-il, inflexible.

— Chut, ne parlons pas de ça aujourd'hui. Fais-moi un câlin, gazouillé-je.

Mew se glisse sous les couvertures et m'enferme dans la forteresse de ses bras, la seule captivité que j'accepte sans réticence. 

— Excuse-moi. Je vais te câliner.

Je souris, amusé par l'invariable nature protectrice de mon partenaire.

— Mew... j'ai envie d'autre chose, ce matin...

— Hum, quoi donc ? demande-t-il en parsemant ma gorge de baisers. Tu veux aller au spa ? Te balader dans le jardin du Luxembourg ? Aller au cinéma ? Dis-moi, et je te servirai ce que tu veux sur un plateau.

— Hum, c'est tentant, très tentant... Mais en fait... J'aimerais que tu me fasses l'amour.

Mew se redresse, surpris. Son regard brille d'émotion. Cela fait des mois que nous n'avons pas été intimes. Je ne pouvais plus. J'étais brisé. Et ça a pris un certain temps de rafistoler les morceaux de moi-même, un à un.

— Tu es sûr ? Il n'y a aucune...

— Chh... Mew, je suis sûr. J'ai besoin de toi... Aime-moi, s'il te plaît.

Je trace le dessin de ses abdominaux, doux et fermes sous mes doigts. Mew saisit ma main, qu'il embrasse avec révérence.

— J'ai besoin d'être à toi, pour être de nouveau moi-même.

C'est la seule explication que j'ai. Pour me réapproprier mon corps, j'ai besoin qu'il me possède.

Les bruits de la ville s'éteignent. Les viennoiseries refroidissent sur la table. Monsieur Lee est oublié dans les décombres de mon esprit.

Seule compte la bouche aimante de Mew qui lave mon corps de toute souillure, comme un bain purificateur.

Seuls comptent ses lèvres de soie sur ma cheville, mon aine, entre mes fesses. Seule compte la tendresse de ses doigts dans mes cheveux, sous mes genoux, entre mes chairs. Seul compte son sexe chaud et puissant sur ma langue, dans ma paume, au creux de mon corps offert.

Seuls comptent ses baisers salvateurs, enivrants, réparateurs.

La cloche d'une église sonne au loin, notre orgasme éclate, et l'esquisse du bonheur semble à nouveau miroiter à l'horizon. Je peux presque le toucher du bout des doigts.

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