Chapitre 4 - Partie 3
Je descends nonchalamment de la voiture. Mes jambes vacillent doucement et sont engourdies. Je me sens anormalement fatiguée. Mes oreilles n'en peuvent plus ; j'ai écouté Vivi me raconter à quel point Ace était ceci, à quel point il était cela, que j'avais de la chance de vivre sous le même toit que lui. Si on peut dire ça. Elle m'a conté avec des détails affolants leur discussion rythmée par l'inlassable neutralité conviviale. Chaque petites choses comptent pour elle ; ses gestes, ses expression et son regard. Elle croit éperdument qu'il la dévorait des yeux. Je suis désolée pour elle, mais c'est moi qu'il fixait.
Après un temps d'adaptation, j'engage la marche et me dirige vers une salle majestueuse qui émane déjà une musique assourdissante. Je reconnais entre le mille le titre le plus populaire en ce moment venant d'Amérique. Les préjugés m'ennuient de plus en plus, alors je vais éviter d'en rajouter –surtout qu'ils se sont souvent avérés faux. Le rythme est entrainant, et ne demande pas trop de réflexion ; la musique en elle-même ne serre seulement qu'à mettre de l'ambiance. Je me surprends à retenir les pulsations de la batterie.
Vivi, qui est restée derrière moi depuis notre arrivée, se presse de me dépasser et d'accélérer le pas. Elle semble heureuse, c'est le principal –un sourire vient étendre mes lèvres. Elle trottine gaiement et m'attend lorsqu'elle sent qu'elle s'éloigne un peu trop. Nous arrivons devant la salle. La musique me vrille agréablement les tympans. Je laisse un léger sourire s'étirer sur mon visage. Vivi ouvre une porte et m'invite à entrer. Je ne me fais pas prier et pénètre dans la première pièce. La musique m'assaille. Le sons est quasiment égal à la puissance d'un concert. J'arrive à percevoir les vibrations sourdes frémir au creux de ma cage thoracique. Cette sensation est loin de me déplaire. Des lumières de toutes les couleurs virevoltent dans la salle.
J'observe Vivi se précipite sur deux filles. Elles possèdent toutes deux des cheveux roses ; une, ses cheveux sont entremêlés dans une longue natte longeant son dos, l'autre semble préférer les boucles imposantes. La première porte une magnifique robe teinte entre l'orange et le jaune. Elle forme des courbes succinctes et en encore avec le corps fin de la jeune fille. Des escarpins ont été méticuleusement enfilés. Ses yeux saumon fixent Vivi d'une gentillesse implacable. Son visage est fin, un sourire timide aux lèvres ; cette fille est indéniablement mignonne. La deuxième est habillée dans une longue robe à volants, colorés successivement par du noir, puis du blanc. Ses chevilles sont cachées par des bottes flashy rouges. Son style me fait penser au gothique. Ses yeux sont accentués de noir –en particulier les cils du bas. Elle se tient, main sur la hanche, le visage coincé dans une expression de princesse insatisfaite. Ce style lui va étrangement bien. J'observe Vivi les prendre dans ses bras, puis revenir sur ses pas, accompagnée.
- Je vous présente Ren, elle est dans ma classe, s'exprime Vivi, légèrement euphorique au ton que prend sa voix. Ren, voici Perona et Rebecca ; des amies que j'ai depuis... (elle semble réfléchir, et pose un doigt sur ses lèvres en fixant le plafond) depuis peut-être bien la primaire, oui, finit-elle par un sourire innocent.
- Enchantée, engage Rebecca.
- Heureusement que tu es là, sinon Vivi aurait été toute seule, dit l'autre fille, Perona.
On pourrait également dire la même chose de moi. Je me contente de rire bêtement et de répondre à leurs questions sans profondeur. Vivi nous entraîne devant les bars et commande des verres. Je l'entends prendre 4 verres d'un nom qui s'est noyé dans mes oreilles –sa prononciation était compliquée.
Elle paie, et donne un verre à chacune d'entre nous. Sa façon d'agir me prouve qu'elle cherche à ce que je me rapproche d'une façon ou d'une autre de ses amies. Cette attention me touche. Je m'impressionne à sourire pour une raison aussi futile que celle-là. Je la remercie joyeusement, sans cacher une certaine satisfaction. La boisson est colorée d'un rose bonbon qui se dégrade d'une couleur délicieusement rouge. Des petites fantaisies sont placées au bord du verre, comme une cuillère fine. Sans attendre, je plonge mes lèvres à l'intérieur. Un léger goût de framboise se faufile sur mon palais, puis ce goût se transforme en fraise. Ma langue se retrouve engourdie quelques secondes ; de l'alcool. Je soupire légèrement, comme comprenant les intentions préméditées de cette soirée.
- Vivi, excuse-moi, mais je ne bois pas, fis-je, gênée. Enfin, je n'en ai pas l'envie et je ne pense pas que ce soit une si bonne i-...
- Ren, ma petite Ren, sourit-elle, insistant d'une façon déplaisante sur mon prénom. Nous sommes ici pour nous amuser pas vrai ?
- Oui, continué-je. Tu as sûrement raison.
Quand quelqu'un a une idée en tête, même si l'argument est bon, pertinent et irréfutable, rien ne peut le faire changer d'avis. Alors je préfère me retirer, et sourire naïvement. Je les entends discuter sur des sujets de mode hors de prix, les tendances actuelles niveau maquillage, les musiques du moment. Au fur et à mesure des conversations, j'avais beau vouloir m'y intéresser, il faut dire que je ne suis pas vraiment expérimentée dans le domaine.
Plus les conversations valses et s'enchainent, plus je me sens mal à l'aise. Leur façon de dire les choses me dérangent. Elles critiquent, jaugent, ne cherchent pas plus loin que ce qu'elles voient. Je ne m'étais encore jamais interrogée de la sorte vis-à-vis de Vivi ; depuis que je la connais, elle n'avait pas réellement agit comme cela ; à parler, agir et faire de façon très superficielle, comme les autres filles. Elle m'avait donné une image d'elle... Semblable à celle que j'attendais.
Très vite, toutes les trois se sont mises à discuter d'un sujet qui m'est totalement inconnu ; les garçons. D'après mes relations catastrophiques vécues, j'en ai conclu que je suis aussi attirante que du plastique qui essayerait d'attirer un aimant. Ouais, en gros... Pas du tout. Enfin je suppose que c'est plus compliqué que ça. Mes lèvres sifflotent lentement la boisson, pendant que je lape fébrilement le contenu.
Je m'efface ; c'est la meilleure chose que je sache faire, de toute façon. Je bois petites gorgées par petites gorgées. Le goût est bon, l'alcool reste, ce qui n'est pas pour me déplaire ; seulement, certains de mes principes idiots se refusent ce plaisir. Je prends la petite cuillère, et la tourne doucement, un air ennuyé ancré sur le visage. Les deux liquides unicolores se mélangent pour ne former qu'un seul homogène.
Je regarde les spots éclairé le sol et clignoté successivement. D'autres envoient des lumières vertes et dansent en fonction du rythme de la musique. Plein d'élèves dansent, se déhanchent. Je ne me sens pas dans mon élément. Je me sens à part, différente, comprimée, enfermée. Je n'arrive plus à respirer. Ma tête tourne. Il faut que j'aille prendre l'air. Tout de suite. Que je m'éloigne de tout ce monde.
Je perçois faiblement Vivi me demander où je vais, mais mes forces m'abandonnent, je ne trouve pas la force de lui répondre. Mes jambes déambulent ridiculement en direction de la sortie. Je pousse avec une difficulté renversante la porte, et me précipite dans un dernier élan dehors. Elle se referme. Mes épaules se détendent, mon cou redevient mou et flexible. Ma poitrine se libère d'un poids énorme, libérant mes poumons. Une sensation de liberté, en quelque sorte, m'imprègne. Je viens me caler contre le mur, profitant de ces quelques minutes de repos qui s'offrent à moi. Je n'ai pas spécialement envie d'y retourner. Au plus profond de moi, je le savais ; ces soirées ne me correspondent pas, aussi bien mentalement que physiquement. Je verse mon verre, que j'ai réussi à tenir jusque-là, sur le sol. J'observe cette couleur bonbon s'écraser par terre, créant ainsi une boue aromatisée qui semble s'en délecter –plus que moi, en tout cas.
- Oh, salut, Ren ! Tu es toute seule ?
Je redresse la tête en entendant mon nom. J'ai beau me concentrer pour détailler son visage, l'identifier, je ne le connais pas.
- Tu es bien Ren, n'est-ce pas ? sourit-il visiblement gêné.
- Oui, c'est ça, enchainé-je un sourire faux accordant mes lèvres. Et tu es ?
- Sanji. On se croise, le matin, nos casiers sont tout près. Je traîne avec ton frère (j'ai cru déceler une source d'hésitation à la prononciation du mot frère).
Ah bon.
Je me contente de sourire bêtement à ses dires et à faire semblant de comprendre. Ce genre de conversation ne m'intéresse pas, pas maintenant. Il enchaine les monologues interminables. Je ne l'écoute pas. Ma tête hoche régulièrement, ce qui semble le ravir. Il n'a pas l'air d'un garçon méchant, au contraire.
Sa façon de parler est plutôt rassurante, j'en viens même à penser que je suis désolée que cette humeur de chien lui ruine une partie de la soirée. Je sais pertinemment que c'est un comportement que je déteste lorsque les autres agissent de cette façon avec moi. Cependant, il est arrivé au mauvais endroit, et surtout au mauvais moment. Il ne doit pas s'en rendre compte, mais il parle à un mur. Un mur impénétrable.
- Je t'accompagne à l'intérieur ? propose-t-il gentiment.
Sa main se pose à l'arrière de mon épaule gauche. Je le sens me pousser lentement ; il cherche à me faire bouger. Je ne réfléchis pas, et obéit à ses paroles silencieuses. Ses doigts se referment sur mon épaule, comme s'il a peur que je tombe, m'envole, ou quelque chose comme ça. Mais, sans pouvoir en déduire la cause, je me retrouve basculée en arrière. Les doigts de ce Sanji se détachent. Je pousse un petit cri, surprise. Ma tête se cogne contre quelque chose, et ma main est fermement enveloppée.
- Désolé, je dois te l'emprunter. Je lui avais promis de lui faire visiter la salle, n'est-ce pas, petite sœur ?
Cette voix, cette façon de parler aussi indiscrète et pourvue de doubles sens, ce souffle régulier et presque ironique, cette force dans la main. Ace. Ses doigts se referment dans ma paume, m'intimant de ne plus bouger. Mon corps se fige, incapable de déclencher un seul mouvement. Sanji me fixe, sans l'air de comprendre. Ses yeux passent d'Ace à moi dans des successions de regards saccadés. Je le vois sourire, puis prendre congé dans la salle qui dégage une musique encore plus forte que précédemment.
Sans aucun geste, aucune parole, aucun regard, nous restons comme ça. Lui à m'étreindre la main, moi dos à lui. Je fixe le sol, complètement soumise à ces battements irréguliers qui cognent contre ma poitrine ; mes battements. Je le sens tirer, je me retourne, face à lui. Dans la précipitation, je lâche un petit cri. Très vite, je me retrouve contre le mur, coincée et prise au piège. Il me tient, encore une fois.
- Qu'est-ce que tu fous ? arrivé-je à articuler entre deux battements irréguliers.
Je n'eus comme réponse qu'un souffle qui chatouille le creux de mon cou. Une tension électrique s'empare de moi. Je me crispe sans savoir. Comme dans un second état, ma raison est incapable de réagir. Je place mes mains sur son torse, le poussant faiblement. Tout se réitère : J'observe son visage s'approcher, dans l'incapacité de bouger, submergé par des sentiments puérils. Nos lèvres se rencontrent une nouvelle fois. J'y décerne une certaine douceur, en total opposé avec la fois précédente.
Mon corps se sent comme happé, mes muscles se détendent instinctivement. Sa langue caresse ma lèvre supérieure, quémandant l'accès. Mon corps lui obéit. Nos langues se touchent. Elles se découvrent. Elles démarrent ensuite une danse téméraire et sensuelle à la fois. Je crois presque perdre la tête. Cette sensation m'envahie, vraiment.
Par manque d'air, nous nous séparons, plantant notre regard dans celui de l'autre. Mon visage brûle, me fait délicieusement mal. Je n'aime pas les tournures que prennent les choses.
- Va te faire foutre, bégayé-je dans un ultime effort précédant une marche effrénée en direction de la salle.
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