Chapitre 2 - Partie 3
Je me dirige sans tarder vers une femme d'âge mûr, aux cheveux blancs attachés en une queue de cheval. Ses poches sous les yeux ainsi que ses rides qui lui tracent son visage m'explique tout sur son âge. Elle est enfermée dans une sorte de pièce cubique ouverte sur l'extérieur, un ordinateur posé sur son bureau. Je me place dans l'encadrement de la pièce, et attend un signe d'affirmation pour que je puisse rentrer. Rien. Elle ne daigne relever les yeux de son écran. Je m'approche alors, gênée.
- Excusez-moi, je suis bien au bureau de l'accueil ?
- (ses yeux marron et blasés se pose sur moi et me dévisage de haut en bas, et je sens un frisson d'horreur me longer la colonne vertébrale) Oh, bonjours. Tu es la nouvelle, Ren ?
- Oui, c'est ça.
- Rapproche-toi, tu veux ? J'ai quelques papiers à te faire remplir, dit-elle, un sourire aux lèvres.
J'exécute l'ordre et me rapproche encore jusqu'à être devant son bureau. Je perçois ses doigts fins tapoté doucement sur les touches de son ordinateur, puis, elle relève les yeux vers moi. Un bruit sourd et grave modéré par des glissements convulsifs cache le silence.
- Ton inscription a bien été confirmée, cependant, il manque quelques informations.
- Lesquels ?
- Il te faut deux approfondissements qui vont te rapporter quelques points sur les moyennes des matières. Seulement, il ne reste que quelques places dans certaines, pas toutes. (elle me tend un papier avec un petite liste de trois ou quatre propositions). Philosophie, géographie, littérature et biologie.
Ma tête analyse les propositions et en élimine très vite deux. Je n'ai jamais apprécié les matières scientifiques, alors la biologie, je pense que je peux très vite écarter cette idée. Si ces deux sujets d'approfondissements sont là pour exploiter les choses que j'aime et faire remonter ma moyenne -et non la descendre, je préfère prendre les matières où je me sens à mon aise. La littérature, pour moi, est une évidence : j'aime lire et étudier les livres. J'aime lire chaque ligne, constater leur style d'écriture et m'imaginer toutes les scènes décrites, les faire prendre vie, en quelque sorte.
L'autre choix, la philosophie. D'une part, dans mon autre lycée, j'étais inscrite dans ce cours qui avait lieu souvent le soir (les choix de ce genre sont facultatifs là-bas, et prennent les heures du soir). Argumenter et exposer mes idées ne m'ont jamais dérangées en philosophie –alors que je suis d'un normal très discrète et peu bavarde, je ne participais jamais aux autres matières. Je pointe doucement un choix, puis l'autre.
- Philosophie et littérature, s'il vous plait.
- Parfait ! Ton emploi du temps te sera donné dans la journée (elle tapote à nouveau sur son ordinateur). Ta classe est la première 2 (ses pupilles me fixent), tu veux que je t'y accompagne ?
- S'il vous plait, dis-je, gênée.
Je l'observe se lever de sa chaise roulante et sortir de son petit espace de travail. Elle est plus petite que moi –déjà que je ne suis pas bien grande, la pauvre. Nous quittons à l'immédiat son bureau.
Je remarque, avec les grandes baies donnant une vue plongeante vers l'extérieur, que plus un seul élève n'est là. La cloche a sonné ? Pourtant, il ne me semble pas l'avoir entendu –j'étais, encore une fois, trop absorbée par mes pensées futiles. Je suis la dame de l'accueil, et monte trois étages consécutifs.
Nous arrivons alors dans un couloir sans fin. Je longe les murs, regardant autour de moi comme si j'étais une enfant capricieuse découvrant un lieu d'émerveillement. Des posters en tout genre sont accrochés aux murs pour éviter les teintes ternes, sombres et monotones. Le sol est impeccablement propre, tellement, que j'arriverais presque à voir mon reflet –pourquoi ces riches ont la manie de vouloir que tout soit propre ?
La madame de l'accueil se stoppe devant une porte intitulée trois cent seize. Une boule au ventre se forme lentement au creux de mon estomac. Une nouvelle maison, un nouvel environnement de vie, de nouvelles habitudes, un nouvel établissement, une nouvelle classe. Je n'étais pas prête. Elle ouvre la porte et se faufile à l'intérieur en se hâtant. Mes jambes tremblent, des sortes de convulsions régulières. Mon cerveau m'interdit d'avancer. Je ne veux pas avancer.
- Votre attention s'il vous plait ! Aujourd'hui, vous allez faire la connaissance d'une élève tout fraichement arrivée, sourit la dame (dont j'ignore toujours le nom) (elle se tourne vers moi) Entre, ne sois pas timide.
J'entends un brouhaha horriblement sourd et discret. Mes pieds s'avancent à l'ordre –je dois être très réceptive lorsqu'on m'en donne un. Et bientôt, me voilà devant toute la classe.
- Sur ce, je vous souhaite une agréable journée.
Elle me sourit, puis repart telle une voleuse. Je me redresse instinctivement, et mes yeux ne cherchent qu'à fuir en regardant le sol. Des murmures indescriptibles et inaudibles remplissent la pièce d'une tension étrange.
- Très bien, tout le monde, je vous présente Ren, votre nouvelle camarade à partir de maintenant. Je vous demande de faire de votre mieux pour l'intégrer le plus vite possible et de ne pas la laisser sans réponse. Maintenant, Ren (la professeur tourne son regard sur moi) Va t'asseoir au fond, à la place vide, me sourit-elle timidement.
J'articule un petit « oui » incertain et me dépêche de rejoindre la place dans le fond. Même les enseignants sont beaux et élégants ici. Cette femme possède des cheveux noirs aux reflets aiguayés de bleus. Son visage est fin et ses traits font jeunes. De magnifiques yeux en amandes turquoises viennent lui donner un air adulte. Ses formes sont généreuses, mais ne sont pas pour autant vulgaires ; elle sait se mettre en valeur, sans en faire trop. Je m'assois rapidement, essayant de déranger un minimum les autres élèves, me scrutant avec leurs yeux livides et compréhensibles.
- En ce qui me concerne, Ren, je suis Mademoiselle Nico, ton professeur de sciences sociales mais aussi ton professeur titulaire (elle marque une pause pour s'assurer que je suis à l'écoute). Peux-tu nous dire d'où tu viens ?
Un courant électrique me traverse le corps. Une fille de classe moyenne voir médiocre arrivée dans un lycée de personnes friqués comme ce n'est pas permis ? Qui va y croire. Je réfléchis en vitesse, toutes sortes d'idées fusent dans ma tête, mais aucune ne ressort du lot. Mes lèvres s'entrouvrent, les mots franchissent ma bouche.
- De l'autre côté de Tokyo, j'ai déménagé tout près d'ici et mon ancien lycée était trop loin.
D'autres murmures.
- (elle me sourit doucement) J'espère que tu te plairas, ici. Quoi qu'il en soit, je compte sur toi pour t'occuper des listes et des cours à rattraper, mais je suppose que ton ancien lycée suivait les mêmes cursus et programmes ?
- Oui, plus ou moins, menti-je.
- Parfait (elle sort d'un tiroir une feuille et vient me la déposer sur le bureau) C'est une liste des matériaux à avoir pour la suite. Procures-toi les au plus vite, pour éviter de te ralentir dans ton apprentissage, sourit-elle.
J'acquiesce d'un long mouvement de tête et lui prend la fiche des doigts. Mes yeux lisent en diagonale et aperçoivent certaines choses que je possède déjà, et d'autres non.
Je la range dans une pochette que j'avais sagement mise dans mon sac. Les chuchotements tortueux se sont stoppés, tout le monde semble écouter le cours de mademoiselle Nico, qui est très vite passée à autre chose –tant mieux. Je sors une feuille et un crayon, attendant patiemment les prises de notes que le professeur marque sur le tableau.
Il faudrait que je me mette au courant de tout ce qu'ils ont vu depuis le début de l'année. Oh, je n'imagine même pas tous les cours que je vais devoir rattraper. Rien que d'y songer, j'en suis déjà épuisée. J'ai toujours été d'un naturelle rapide en compréhension et à l'écrit, alors je ne m'inquiète pas pour la suite.
Mes doigts magnent habillement mon stylo, lui faisant faire des rotations imprécises. Ce sentiment de malaise persiste encore, de plus en plus.
- Tu t'ennuis ? parle une voix féminine à ma droite.
Je trésaille doucement. Mon stylo m'échappe pour s'écraser sur mon bureau. Mes yeux se tournent vers l'interlocutrice.
De longs cheveux bleus ciel enfilés dans une queue de cheval tombent gracieusement sur de petites épaules. Un visage fin et des joues légèrement rougies et rebondies. Des traits bien proportionnés qui finissent sur un menton arrondi. Ses yeux gris foncés sont mis en valeur par du mascara qui, il faut bien l'avouer, lui va à merveille. Ses paupières sont maquillées d'un blanc ocre et discret, parsemé de petite paillette. Ses lèvres, rosées naturellement, affichent un sourire sincère et amusé. Ses yeux me détaillent, doucement ; elle ne cherchait en aucun cas à m'effrayer.
Je sens ma gorge se serrer, mes joues s'empourprer et mon corps se crisper.
- Je... Non. J'ai juste du mal à suivre.
- Si tu viens d'arriver, c'est logique, sourit-elle.
Mes doigts se tordent délicatement entre eux. Ma timidité est un problème. J'ai toujours eu du mal à communiquer, aussi loin que je m'en souvienne. Mes yeux regardent nerveusement mes mains et mes lèvres se pincent doucement.
- Si tu veux, je te passerais tous mes cours.
- (mes yeux clignotent) Sérieusement ? Tu peux ?
- Si je te le dis ! sourit-elle, comme si c'était une évidence. Sinon, je ne te l'aurais pas proposé (elle place une main sur sa joue, me scrutant).
Je lui affiche un de mes sourires les plus sincères et la remercie joyeusement. Je ne sais expliquer l'euphorie émergente en moi à cet instant ; plus de crampes incontrôlées au ventre, plus de malaise en mon être, ma gorge s'est enfin ouverte après ce long moment compressée.
Juste une sensation de légèreté. La sensation d'être rassurée. Je m'intéresse d'un peu plus près au cours que mademoiselle Nico fait. Il faudrait que je réfléchisse plusieurs fois à ces préjugés inutiles et absurdes.
Peut-être que tous ces élèves ne sont pas aussi ignorants, intolérants et stupides que je le croyais, non, c'est même sûr.
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