Chapitre 2

Proverbe 3. « Rester en colère, c'est comme saisir un charbon ardent avec l'intention de le jeter sur quelqu'un ; c'est vous qui vous brûlez. »


15 janvier 2024

Les talons de mes bottes martèlent le sol des couloirs du premier étage du lycée de Sainte-Rose. Mes écouteurs enfoncés dans mes oreilles, j'écoute ma chanson préférée de Girl In Red, coupée du monde qui m'entoure. Tous les élèves se pressent et accélèrent le pas pour se rejoindre en petits groupes et profiter de notre courte récréation de dix minutes. Dix minutes de répit avant d'être à nouveau enfermée avec Marie-Thérèse pendant deux heures.

Je descends les escaliers et franchis la porte qui mène à la cour. La brise glacée me sort de mes pensées d'un seul coup, laissant s'échapper des mèches rousses de mon chignon par la même occasion. Je sens le bout de mon nez devenir tout froid et chacune de mes expirations se transforme en un petit nuage blanc.

Dehors le soleil commence déjà à se fondre avec l'horizon. Le ciel a le même teint gris clair déprimant depuis deux mois, et la tombée de la nuit à dix-sept heures tous les soirs n'aide en rien. Chaque journée semble plus lente que la précédente et je rêve à nouveau de pouvoir être loin d'ici, à ne plus perdre mon temps.

- Ecouter de la musique est interdit au sein du bâtiment scolaire, Mademoiselle Chevalier. – la voix aigrie de notre surveillante, Mme Mercier, me rappelle à l'ordre en tirant sur le fil de mes écouteurs.

Je m'excuse en rangeant le tout dans ma poche, avec un sourire, puis m'éloigne en râlant intérieurement. Lorsque je suis arrivée en septembre dans ce lycée, j'ai découvert tout un tas de règles stupides à respecter à la lettre près, et je continue d'en apprendre de nouvelles tous les jours. Dont l'interdiction de se mettre dans sa bulle apparemment.

Heureusement, assise sur le banc tout au fond du patio, Lucie me fait de grands gestes pour que je la rejoigne. Je m'installe à ses côtés, frottant mes mains gelées l'une contre l'autre en quête de chaleur. En face de moi, Charly et Lana semblent en pleine discussion venimeuse, comme tous les lundis après-midi. Encore une histoire de messages et de manque de confiance, pour ne pas changer. Pendant plusieurs semaines, Lucie a essayé de tempérer leurs disputes en jouant les médiateurs, mais elle a vite abandonné.

Tout en les ignorant, ma cousine commence à me raconter l'ordre du jour : les dernières rumeurs et nouvelles que se transmettent en murmurant les étudiants. Je l'écoute d'une oreille distraite, scrutant les mouvements de la foule.

J'ai toujours été fascinée par les habitudes et les réflexes sociaux des humains de 16 à 18 ans. Chaque groupe a son propre fonctionnement, sa propre homogénéité. Ils se regroupent entre semblables : mêmes idées préconçues sur la vie, mêmes attitudes et expressions, mêmes inter-conflits.

Mes yeux s'arrêtent sur eux, un par un. Jusqu'à ce que mon regard se retrouve happé par un autre, comme d'habitude. Deux yeux marrons, avec une pointe de vert autour de la pupille indistinguable d'ici.

Je fulmine. Nos yeux ne se lâchent pas, jouant à qui cédera en premier, tandis qu'une colère brûlante monte en moi. Je m'imagine déjà lui pourrir l'existence, de toutes les façons possibles. Rien d'autre autour ne nous atteint. Il n'y a que moi, que lui, que cet air de défi sur nos visages.

Puis un sourire en coin, et il se détourne, se reconcentrant sur la brune tirant sur sa manche de veste. Celle-ci fait la moue, avant de lancer une œillade générale pour chercher ce qui a bien pu retenir l'attention de son bien-aimé. Jusqu'à tomber sur moi. Son attitude change du tout au tout, devenant hostile. Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel : ses démonstrations exubérantes de haine à mon égard ne me font plus d'effet depuis longtemps.

Je me recentre à mon tour sur Lucie, encore démangée par la sensation désagréable de son attention sur moi. Mais celle-ci ne dit plus rien, comme d'habitude, son air désapprobateur lui faisant froncer le nez.

- Je suis désolée de ne pas t'avoir écoutée. Je me suis perdue dans mes pensées. – j'anticipe ses reproches.

- Tu ne m'avais pas l'air perdue du tout. C'était même plutôt le contraire. – la brune commence à me faire la morale. – Quand est-ce que tu vas passer à autre chose ?

Jamais, je me murmure intérieurement.

- Je suis déjà passée à autre chose. Ce n'est pas censé être mon problème de toute façon, je n'aurais même pas dû m'en soucier au départ. – je réplique, balayant le sujet de la main, sachant pertinemment qu'elle ne me lâchera pas si facilement.

- Menteuse. Si c'était le cas tu ne serais pas devenue toute rouge d'agacement à l'instant. – je m'empresse de cacher mes joues de mes mains, sentant la chaleur de mon rougissement. – Il est peut-être temps que tu laisses tout ça derrière toi, non ? Je m'inquiète. Cela faisait un moment que tu n'étais plus... comme ça.

Ses paroles résonnent comme un gifle à mes oreilles. Lucie vise juste, à chaque fois. Mais elle ne peut pas comprendre à quel point cette histoire me rend malade, à quel point la colère me sert les tripes à chaque fois que je le vois. C'est plus fort que moi. Sa présence me ramène des années en arrière sans que je ne puisse rien y faire.

Mais je suis épuisée d'entendre Lucie me rabâcher les mêmes choses sans cesse tout en sachant pertinemment qu'elle a raison. Je serais la première des idiotes si je ne m'avouais pas à moi-même que cette haine est disproportionnée, qu'il n'est en rien responsable pour Anastasia. Peut-être ai-je juste besoin de détester quelqu'un pour aller mieux et qu'il est plus simple de le détester lui ?

« Il y a des événements qui nous marquent à jamais », m'avait dit Anastasia un jour, et j'aurais alors souhaité que cela soit faux. Cependant, je sais aussi que j'ai le pouvoir de choisir ma façon de voir les choses.

Il suffit juste de décider d'en avoir la force.

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