Chapitre 1
Proverbe 2. « En fuyant la pluie, on rencontre la grêle. »
14 août 2023
Je regarde autour de moi, gênée. La salle est bondée. Une masse compacte de gens se trémoussent sur du rap moderne. Dans les coins, les adolescents se collent, s'embrassent, s'enivrent. La plupart ont bu, peut-être même fumé dehors, en petits groupes. Et aucun visage ne me semble familier depuis que Lucie a disparu dans la foule.
Un blond d'une vingtaine d'années se rapproche de moi et commence à me parler en me caressant le bras. Sa bouche s'articule et pourtant je n'en comprends aucun son. Son toucher me dégoûte ; j'enlève brusquement sa main.
Qu'est-ce que je fais là ? Je ne me sens pas à ma place, entre toutes ces personnes inconnues qui boivent jusqu'à en oublier leur prénom, juste pour "s'amuser". Une boule s'installe dans mon ventre, je me sens coincée, à l'étroit dans cette salle immense. Trop de monde, trop de bruit, trop de tout.
Je me colle au mur et entreprend de sortir dehors un petit moment, juste pour me ressaisir. Une fois la porte-fenêtre refermée derrière moi, j'inspire un grand coup. Que m'arrive-t-il ? Pourquoi suis-je claustrophobe tout à coup ?
Un frisson me parcoure. La froideur d'une soirée d'été m'entoure tandis que je frictionne mes bras nus. Ma veste est accrochée dans le vestibule, mais je n'ai pas envie de traverser toute la salle juste pour ça. Flemme. Et puis même si j'ai froid, ici au moins je respire.
- Tu as du feu ? - me demande une voix inconnue, derrière moi.
Je me retourne, surprise. Devant moi se tient un garçon plus ou moins de mon âge, les cheveux bruns en bataille, une cigarette coincée entre ses lèvres. Encore un qui a cru que porter un cuir et fumer donnait un air sexy de bad boy...
- Non. Fumer c'est mauvais pour la santé. - je réponds en levant les yeux au ciel.
Le brun rigole. Je ne dois pas être la première à lui dire. Je me demande ce que je penserais de ce type de réplique si j'étais moi-même addicte à la nicotine... même si ça n'a pas grande importance : c'est impossible que cela m'arrive.
- Vivre aussi tue. – réplique-t-il, en rangeant sa cigarette dans sa poche.
Il se retourne vers la baie vitrée, la main sur la poignée, prêt à se fondre dans la cohue s'agitant sur le dernier morceau de Naps.
- Moins vite. – je ne peux m'empêcher de murmurer, juste pour le plaisir de répliquer.
Surpris, sa main redescend, et il se retourne vers moi. Alors qu'il se rapproche d'un pas, la lumière du perron s'allume automatiquement, repérant son mouvement. L'éclat de la lampe nous fait sursauter tous les deux.
- Je ne t'ai jamais croisée auparavant.
Si la tournure de sa phrase n'attend aucune réponse, je sens l'interrogation dans l'intonation de sa voix. Ses yeux me dévisagent de la tête aux pieds, cherchant la confirmation de ses propos. Mais il a raison, il ne m'a jamais croisée auparavant.
- Pourtant, je connais tout le monde ici. - encore une affirmation qui résonne comme une question.
- Apparemment non. – je souris.
- Tout le monde sauf toi. – riposte l'inconnu. – Cela me semblait suffisamment logique pour avoir besoin d'être dit.
La soirée prend soudain une tournure intéressante. Rares sont les personnes qui osent me rembourser mes piques, de peur de me relancer de plus belle. Mais lui a l'air d'être prêt à affronter mon mauvais caractère, et cela me rend d'autant plus joueuse. Tester les limites a toujours été une passion : détestable selon ma mère, amusante d'après mon père.
Je profite de la lumière pour l'observer plus attentivement, sans discrétion. Moi non plus, je ne le connais pas. Ses cheveux sont courts, rebelles, d'un brun tirant sur le noir, comme ses yeux. Du haut de mes talons, il me dépasse tout de même de quelques centimètres, et me surpasse d'au moins une vingtaine en largeur, sa structure étant carrée. Le tout d'une stature imposante, presque effrayante, si j'avais été un peu plus timide, plutôt attirante, au vu de mon penchant téméraire.
L'éclairage s'éteint brusquement, pile au moment où ce dernier feint un sourire moqueur. L'obscurité rend le silence présent oppressant.
- Tu connais vraiment tout le monde ici ? – je demande pour briser le mutisme ambiant.
- C'est une soirée réservée aux élèves de terminale de Sainte-Rose. Tout le monde ici se connaît.
- Sauf moi.
- Sauf toi.
Je soupire. Ces deux mots semblent faire ressortir une vérité que j'ai essayé d'éviter pendant toute la soirée : je ne suis pas à ma place ici. Et soudain, tout me semble absurde. Cette musique assourdissante. Cette personne en train de rire trop fort quelques mètres plus loin. Cet essai pathétique de sociabiliser avec ma future classe. Cette robe que Lucie a insisté pour que je porte.
Je ne suis pas à ma place et je n'ai plus envie d'être ici.
Comme par automatisme, je me dirige vers l'autre côté du jardin pour contourner la maison. Je me retrouve nez à nez à un grillage. Me sentant un peu idiote, je repars dans l'autre sens, me rendant compte que je vais être obligée de traverser la salle pour pouvoir rentrer chez moi. Et par conséquent devant le garçon que je viens de laisser en plan sans explication.
- Déjà de retour ? – rigole-t-il en me voyant revenir penaude.
- Je cherchais une sortie qui puisse m'épargner de traverser... ça. – je réponds, en désignant l'intérieur du salon.
- Tu rentres déjà ? Je suis de si mauvaise compagnie ?
- Tu l'as sous-entendu toi-même : je n'ai rien à faire ici.
Je regrette immédiatement ma confession. C'est comme si je me rendais compte d'un seul coup à quel point j'avais enfoui en moi la douleur d'avoir tout abandonné : mes amis, mes habitudes, mon lycée. Le contrecoup d'avoir fait semblant de ne rien regretter face à mes parents depuis des semaines s'abat sur moi. Je retiens mes larmes en me mordant l'intérieur de mes joues.
- Tu veux qu'on aille autre part ? – me propose-t-il.
Si sa question me surprend, ma réponse d'autant plus.
- Oui.
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