8. dysphorie

tw : (bah devinez !), manque d'estime de soi, anxiété

Je peux pas.

Pourquoi ? 

(Parce que j'ai peur que tu me vois et que ça te déçoive. Que tu comprennes que tu n'avais rien à faire avec quelqu'un qui est à ce point différent. Bizarre. Bizarre en mal. Tu m'aimes bien quand tu penses que mes propos décalés sont des blagues, mais quand tu comprendras qu'il y a juste beaucoup de choses que je ne comprends pas, que c'est parce que je ne vais pas bien, parce que je suis seul jusqu'au fond de mes os, que je ne sais pas m'adapter, là, tu ne voudras plus me parler. Et tout ça, tu le saura la première fois que tu essayeras de me regarder dans les yeux et que tu n'y arrivera pas. 

On a parlé que quelque heures mais c'est plus que la plupart de mes échanges, je me suis déjà attaché à toi. 

Et puis tu me reconnaitrais. 

Je ne crois pas que je pourrais vivre après avoir réussit à me débarrasser de ma solitude si je la sens me regagner, quand tu seras parti. Je m'accroche à pas grand chose. 

Je crois pas que tu peux comprendre à quel point c'est difficile pour moi d'aimer ma vie alors que je ne m'aime pas et que je n'ai rien à aimer. J'ai été très malade, tu sais. Et j'ai peur que ça recommence. J'en ai assez de ne pas savoir vivre, de vivre à travers les histoires des autres et pourtant de ne pas comprendre comment vivre la mienne. Moi aussi je veux être quelqu'un. Je veux être Regulus, celui que j'ai toujours été au fond de moi. Cette fois je veux que ça marche. 

Je tiens à toi, James. Une illusion me berce : celle que tu m'aimes bien et que si je te suis ma vie deviendra meilleure. Que tu me donnera envie de progresser. J'ai envie que cette illusion existe. J'ai envie de rêver encore un peu et j'ai pas envie que tu m'abandonnes maintenant. J'ai envie que tu m'aimes pendant une seconde et je sais que je suis trop dur à aimer sans masque. Que, face à face, je finirais par te décevoir. Je n'ai pas envie de te décevoir. Laisse-moi au moins le temps de rêvasser à notre histoire encore un peu avant qu'elle ne se brise. 

Laisse moi te faire croire que je suis un vrai garçon, encore un peu, avant que tu découvre que je suis bien trop féminin. Je veux pas que tu saches que je ne suis pas l'idéal que tu t'es figuré. Parce que c'est forcement ça. Si tu es venu me parler, c'est que tu as cru que j'étais une sorte de figure idéale et forte qui n'existe que dans l'imagination. Un joli mystère. Ma vraie vie n'a rien d'un mystère, mon cerveau est une spirale infernale au fond duquel il y a un gouffre dans lequel je sombre à chaque fois. J'ai peur de sombrer encore. J'ai envie de briser le cycle. Je veux que tu me rattrape mais je ne veux pas placer toute cette responsabilité sur tes épaules. Je ne veux pas que tu vois toutes mes imperfections. Je veux te plaire, je n'ai pas de quoi plaire à qui que ce soit. 

S'il te plait, James, ne me demande pas ça maintenant. Laisse moi rêver encore un tout petit peu.)


J'ai des devoirs

🙄

Intello

Cancre

Et fier de l'être !

une prochaine fois alors :)

♠︎

Regulus écrivait. Voilà ce qu'il avait toujours aimé et toujours fait. Il avait commencé pour surmonter les heures de solitude du collège, pour s'échapper dans des histoires qui n'étaient pas les siennes puis avait appris à apprécier le rythme des mots et la multitude de sens qu'on pouvait leurs trouver. Il ne faisait rien lire à personne car il ne se trouvait jamais assez bon, bien trop admiratif des écrits des autres. 

Au lycée il avait glissé l'un de ses poèmes dans le casier du directeur du journal pour qu'il le publie, en anonyme. Il n'avait jamais su si qui que ce soit l'avait lu mais il aimait s'imaginer que c'était le cas. Qu'un soir quelqu'un∙e qui lui ressemblait s'était reconnu∙e dans ses mots et s'était senti∙e un peu moins seul∙e. Cette rêverie le faisait se sentir un peu moins seul. 

Mais de son point de vue, il apprenait encore et apprendrait toujours. Les auteur∙ices qu'il admiraient étaient celleux qui savaient mettre des mots sur des sentiments qu'il croyait être le seul à ressentir, c'était ce qu'il voulait transmettre dans ses textes. Pour cette raison, il ne se considérait pas comme un auteur et ne souhaitait pas par dessus tout en devenir un. Ce qu'il aurait aimé, c'était les étudier. Partir en fac de lettre, faire un mémoire sur Antoine de St Exupéry ou Emily Dickinson. Il aimait la simplicité, la poésie, la justesse et l'évasion. 

Mais une révolte à la fois, avait-on dit. Il devait encore faire mine de suivre ses parents. 

Ces derniers n'appréciaient qu'une facette élitiste de la littérature. Il fallait de longues phrases compliquées, quitte à ce qu'elles ne veulent rien dire, tant qu'elles avaient l'air pertinentes. Ce qu'iels aimaient ce n'était pas les mots, ce n'était pas la réflexion, c'était faire mine d'être cultivé∙es. Iels aimaient les dogmes. Dans ce sens leurs penseur∙euses préféré∙es aspiraient à la conservation des traditions, de la langue et des idées d'un autre temps. Il n'y avait pas de place pour le progressisme, pas vraiment pour le rêve non plus. Il n'y avait que des règles à respecter, des listes de boites dans lesquelles rentrer. La littérature qu'iels aimaient était le parfait reflet de qui iels étaient et comment iels avait pensé l'éducation de leurs enfants. Mais on ne peut pas contrôler son enfant pour toujours. 

Petit, la gouvernante de Regulus lui avait lu des histoires. Il était certain que cela avait influencé son goût pour celles-ci. Quand il avait grandit et que la gouvernante était partie, il avait passé quelque années sans la trace d'une fiction, à se plier à l'éducation de ses géniteur∙ices. Il se demandait encore en retrospective comment il avait survécu, même si, à y réfléchir, il ne l'avait pas vraiment fait. Ça avait été l'une des périodes les plus difficiles. 

Au collège, il avait recommencé à lire, il avait le CDI pour lui et il faisait même parfois des détours secrets vers la librairie du coin. Avec les boites à livres et les bibliothèques il se sentait comme le plus heureux des hommes. La solitude lui pesait beaucoup, oui, surtout avec les autres difficultés de l'adolescence mais il était toujours heureux d'avoir quelque chose sur lequel s'appuyer. 

Petit à petit il avait reconstruit son éducation au travers des livres. Il avait beaucoup à apprendre, mais il lisait beaucoup aussi. Toutes les valeurs inculquées par ses parents en avaient été retournées. 

Il avait d'abord appris ce qu'était le rêve, la créativité. Anne de Green Gables, en particulier, lui avait fait embrasser les personnalités atypiques. Il se reconnaissait comme jamais en elle et se sentait virevolter quand il pensait, à l'opposé de ce qu'on lui avait inculqué : la différence, c'est la force de l'humanité. Pas une tare. Il avait découvert les fonctionnements des autres, les histoires d'amour. Entre un homme et une femme, d'abord, puis entre deux femmes et deux hommes. Il avait appris à ne plus être homophobe en lisant un livre. Il avait compris qu'il était un garçon en lisant un livre. Il apprenait encore aujourd'hui à ne plus être raciste, misogyne, validiste, en lisant des livres. Il avait envie de tout lire et de tout comprendre, d'explorer toutes les visions pour trouver la sienne et il n'avait même pas la sensation que le chemin était long tant il était captivant à parcourir. Il aspirait à être une personne sage. "La connaissance, c'est le pouvoir", disait-on. Il avait envie de toujours plus de connaissance. C'était ce qui donnait un sens à sa vie, ce qui le poussait à avancer, ce qui le faisait tenir. À l'hôpital, il n'avait fait que lire et croyait encore que c'était tout ce qui l'avait aidé. Dans cette école, il passait ses inter-cours à s'installer par terre et à lire ou à faire ses devoirs à toutes vitesses pour pouvoir rentrer chez lui et lire à nouveau. 


Cependant, depuis peu, il y avait Alice. Il avait bien plus accroché avec elle qu'avec Frank, sans doute parce qu'iels avaient le même âge et des cours en commun, sans doute aussi parce qu'il accrochait plus avec les filles en matière d'amitié. Les filles, surtout dans cette école où on s'appliquait à marquer la différence entre les genres étaient plus douces, plus tolérantes, plus gentilles et plus hautes en couleur (bien que regulus soit certain que de nombreux garçons possédaient aussi toutes ses qualités sans osez les revendiquer). Il aurait aimé avoir des amis garçon pour se sentir plus en confiance dans sa masculinité mais il devait se rendre à l'évidence, il était une fille aux yeux de la plupart des personnes et il n'allait pas retourner la vision bien encrée et bien binaire du genre chez ses camarades de classe : aux yeux de presque tout le monde, les filles étaient destinée à faire des trucs de filles et à trainer ensemble en dehors des amourettes qu'elles n'avaient pour le coup pas le droit de partager. Inversement pour les garçons. Et au yeux de tout le monde sauf de lui-même, Regulus était une fille. 

Même Frank et Alice qui respectaient son identité avaient deviné qu'on l'avait assigné fille, en témoignait la façon iels le traitaient malgré elleux : Alice lui demandant parfois s'il n'avait pas une protection périodique, Frank ne l'incluant pas instinctivement dans les conversations sur des sujets considérés comme typiquement masculins, sans doute aussi et surtout parce qu'il ne passait pas tout son temps avec elleux et qu'il était très timide. Son caractère ne l'aidait en rien à être perçu comme un garçon. Il n'en voulait pas à Frank et Alice et il essayait de ne pas s'en vouloir non plus à lui-même mais, parfois, c'était pesant. 

 C'était un garçon trans qui n'avait fait aucune transition médicale : pas de chirurgies, pas d'hormones. Il ne se permettait aucune fantaisies dans la façon dont il s'habillait alors il passait assez bien pour un garçon mais il ne fallait pas se leurrer, il savait bien que ça se voyait. Au mieux il avait l'air d'un petit garçon, au pire on s'adressait spontanément à lui avec des pronoms féminins quoi qu'avec un petit doute au fond de la voix. Il laissait faire, il pardonnait. Il supposait que lui aussi se tromperait. En général, il faisait comme si de rien était, même si la personne se corrigeait il disait que ça n'avait pas d'importance, qu'il comprenait. Et c'était vrai. 

C'était vrai, mais cela ne l'empêchait pas de se sentir mal face aux miroirs, face aux discours transphobes, face à ses propres pensés qui lui disait qu'il n'aurait jamais sa place parce que son corps n'était pas considéré comme celui d'un garçon et qu'il ne le serait sans doute jamais. Il n'était pas assez confiant pour tenir comme ça. Il la sentait toujours, la frontière entre lui et les autres garçons. Et ça lui faisait très mal. 

Parfois ça partait, parfois ça revenait, et le pire, c'était James. Qu'allait-il penser quand il comprendrait ? Et Sirius ? 

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