25. Retrouvé∙es
Après avoir achevé un CV et une lettre de motivation, Regulus se laissa tomber par terre, soulagé. Il rêvait d'un nouveau livre dans lequel se plonger, mais il avait terminé le dernier qui lui restait, aucuns des livres de Remus ne lui faisait plus envie et, à cette heure tardive, les librairies étaient fermées. Il saisit alors son téléphone, à la recherche d'un texte libre de droit ou d'une fiction internet quelconque. Là-dessus il y avait toujours de quoi faire quand on cherchait à lire, mais Regulus comprenait ce que ressentait James : il était facile, avec tout ce choix, de se laisser entrainer dans le temple d'information virtuel et d'errer en regardant les portes plutôt que d'entrer dans une pièce. Il finit de fils en aiguille sur Instagram, d'une façon ou d'une autre, à rechercher un nom qu'il n'avait jamais eu le courage de rechercher jusque là.
Pandora Volant.
Il ne pensait pas l'y retrouver, l'imaginant toujours à la clinique sans droit à un téléphone, mais un profil s'afficha et Regulus fut immédiatement persuadé que c'était elle. Son avatar était un dessin mais le style était reconnaissable entre mille. Sa bio affichait PANDORA LOVEGOOD - il pensa qu'elle avait peut-être pris un pseudo ? Ses pronoms : she/her - ce qui fit sourire Regulus qui avait peur qu'elle ne réagisse mal à sa transidentité dans le futur alternatif où iels se reverraient, et des jeux de mots sans queues ni-têtes que le jeune homme apparenta à Lewis Carroll sans en être sûr, parce que Pandora était à ses yeux la réincarnation d'Alice, qu'elle soit au Pays des Merveilles ou de l'Autre coté du Miroir. C'était sans doute les cheveux magiques entre le blonds ou blanc, cette philosophie à la fois enfantine et profonde ou bien sa maladie, il fallait le dire, qui faisait cet effet. Il le ressentit d'autant plus en remarquant l'une des photos du compte.
Il y avait peu de photo d'elle, mais celle-ci résumait bien son aura : elle était dans une forêt, regardant vers le ciel, dans des vêtements qu'on aurait put croire avoir été hérité d'un gobelin. Sur une autre photo un homme apparaissait, très grand mais maladroit et discret comme si on l'avait forcé à être sur la photo, une alliance au doigt. Regulus fut alors comme frappé par la foudre : Pandora allait mieux. La photo datait du 29 février 2024. Pandora était donc sortie. Peut-être pas sortie pour toujours, elle pouvait encore être en observation, mais elle avait le droit d'aller dans la forêt, et, visiblement, elle s'était aussi mariée. Elle allait mieux. Elle vivait. Regulus était content pour elle, si content qu'il hésita de longues minutes avant de se décider à lui écrire, ayant peur de la tirer vers le bas.
Le ciel nocturne avait enveloppé l'hôpital et James craint d'être arrivé bien trop tard pour les visites. Il s'imaginait se déguiser en médecin pour entrer en douce, parce qu'il savait que c'était ce soir ou jamais. S'il abandonnait il ne reviendrait pas, il se contenterait de se tourner et se retourner au creux de son lit à se demander ce qui se serait passé s'il fait eut le courage. Si côtoyer Regulus lui avait appris quelque chose c'était bien ça : il faut se sauver soit-même, ou personne d'autre ne le ferait. Il aurait aimé que Regulus soit à ses cotés, d'ailleurs, ne se sentant pas le courage d'affronter tout ce qu'il avait à dire à Sirius. En quelque jours il avait vécu bien trop de conversations sérieuses et la légèreté lui manquait, même s'il savait aussi qu'elle ne reviendrait jamais avant qu'il ne se débarrasse de tout les démons qu'il portait sur le dos.
Il entra sans encombre dans le bâtiment puis dans le service, et se dirigea vers la chambre de Sirius en se fiant à sa mémoire. Même s'il l'avait voulu, il n'aurait pu adressé la parole à personne d'autre.
Sirius était assis sur son lit en train de dessiner quelque chose, sans perfusions et dans ses vêtements de ville. Il sortirait demain, avait-on entendu dire. Il était seul. Quand son meilleur ami débarqua il eut un pâle sourire, entre la gêne, l'amertume et la joie. Ils s'étaient manqués. Ils se manquaient toujours un peu quand ils n'étaient pas ensembles et pas sûrs de se retrouver. Ça faisait toujours un peu mal de se perdre de vue, comme de petits piques dans le coeur.
« Salut. lâcha Sirius en refermant son carnet.
James resta debout, soupira. Il était épuisé et il se promis que dès que tout ça serait finit il irait dormir. Il n'avait pas le courage d'affronter le monde, mais savoir que ce serait fait et que bientôt ce serait un événement du passé l'encourageait à continuer.
Au contraire de ce qu'on prétendait dans les histoires, ce genre de conversations n'avait rien d'un bon moment. On ne s'y sentait pas libéré∙e d'un poids - du moins pas sur le moment - juste très gêné∙e, et quand quelqu'un révélait trop de secrets trop durs, on pouvait être envahi∙e d'une envie de ne plus jamais revoir cette personne pour ne pas avoir à tout porter, alors il fallait lutter, parce que c'était la pire chose à faire, quelque chose qui pousserait l'autre à se détester encore plus.
- Salut. Écoute. Il faut que je te parle.
- Oui. Je sais. Moi aussi. »
Ils se regardèrent un moment, James se laissant tomber sur la chaise qui bordait le lit, inondée d'affaires, les coudes sur les genoux et la tête dans les mains qu'il releva quand son ami l'invita à poursuivre :
« Toi d'abord.
- Ok. Bon. Il s'est passé beaucoup de trucs récemment dans ma vie et à ce qui parait je ne vais pas bien du tout, et, c'est sûr que j'ai pas été très heureux ces temps-ci. Je suis un peu paumé sur à peu près tout. Ces histoires d'être un harceleur ou pas, de vivre avec ou pas, et puis cette école de merde, le fait de t'avoir perdu... Tu as vu, à la fête de Dorcas et Marlène j'ai fait une crise d'angoisse donc, je crois que je suis en train d'étouffer et jusqu'à maintenant j'en avais pas vraiment conscience. Je sais pas comment je ne m'en suis pas rendu compte ni pourquoi ça s'est pas manifesté avant parce que l'année dernière j'allais encore bien mais...
- Tu aurais du m'en parler. Tu le faisais avant.
- Justement. Un truc à changé avec nous, t'as pas remarqué ? On se dispute, on parle moins. Tu t'es fermé, tu-
- C'est toi qui t'es fermé, James. Après la mort de Severus et ta rupture avec Lily tu as changé. Tu continuais de rire et tout mais il y avait toujours... un espèce de voile de tristesse au fond de tes yeux qui partait jamais, et tu ne me disais rien.
- Tu en as toujours eu un toi. Ça ne nous as jamais empêché d'être ami. contredit James.
Lors du premier jour où il avait vu Sirius, la première fois même qu'il avait croisé son regard dans le bus allant vers l'école, il avait comprit à quel point ce garçon cachait de lourds secret, à quelle point sa vision du monde était obscurcie par des ombres menaçantes trainant partout autour de lui. Les sourires charmeurs et les clins d'oeil ne valaient rien, n'importe qui sachant observer avec assez d'attention Sirius Black pouvait comprendre qu'il était malheureux.
- Qu'est-ce que tu veux savoir, alors ? demanda ce dernier, bien plus âgé. Il y avait des trucs que je ne pouvais pas te dire.
- J'aurais aimé que tu le fasses quand même. Je pouvais tout entendre. Pas les choses trop dures si elles te font mal à raconter mais... la drogue, Remus, ton homosexualité, les fois où tu séchais le lycée... on en as jamais parlé.
Sirius se laissa tomber contre le mur, soufflant un peu, faisant perdre ses yeux dans la chambre d'hôpital vide et impersonnelle.
- Il y a pas grand chose à dire. Pour Remus, ça a commencé à une fête ou un truc comme ça. Il s'en ai rendu compte d'abord mais c'est moi qui l'est embrassé en premier. Je ne savais pas que j'aimais les garçons avant ce soir là et ça m'a un peu retourné le cerveau. On devait être en troisième... J'ai grandi dans un milieu homophobe, comme tu t'en doutes, alors quand j'ai compris que ça me concernait, même si je détestais déjà mes parents, bien sûr, j'ai tout refoulé. Je m'en fichais pour les autres mais pour moi je ne pouvais pas l'accepter. J'ai été un vrai salaud avec Remus parce que... je jouais avec lui. Un jour je me promettais de ne pas craquer et je ne lui parlais plus, le lendemain je le coinçais dans un couloir pour l'embrasser parce que je ne pouvais pas me passer de lui. J'étais tellement amoureux... Je le suis toujours. Je le dis pas parce que c'est encore difficile pour moi et ça le sera toujours. J'ai l'impression que ma mère va surgir pour me tuer quand je le dis. Quand je suis parti ça s'est un peu arrangé au niveau de l'acceptation de moi-même disons, pour le meilleur et pour le pire. J'ai passé quelque jours dans la rue à cette époque, au début parce que je voulais mettre mes parents en rogne en séchant et à un moment parce que je ne voulais plus rentrer chez moi et que j'avais nul-part ou aller... Et quand on traine dans la rue on rencontre des sdf et on sympathise avec elleux, des drogué∙es aussi parce qu'iels vont très mal et que c'est le seul plaisir qui leurs reste, alors, de fils en aiguille je me suis retrouvé à en prendre. J'ai appris les contacts, les termes, les techniques... C'est la période où j'ai disparu le plus. J'avais un petit-copain junkie, rien avoir avec ce que je ressentais pour Remus mais avec la drogue ça passait et puis lui il avait pas peur de coucher avec moi. »
James ne put s'empêcher de grimacer. Il s'en voulait de ne pas avoir été là, il en voulait à Sirius en même temps et il le comprenait. Il s'en voulu à lui-même quand l'autre le remarqua.
«... Tu veux savoir, je te raconte. Quand je suis parti pour de bon de chez mes parents ça s'est arrangé et puis, j'aimais trop Remus pour lui faire ça mais j'étais devenu un addict alors... j'ai continué en cachette et j'ai trompé Remus avec l'autre, beaucoup. Le fait de me cacher ça m'empêchais d'aller trop loin en même temps, j'aurais préféré mourir plutôt que vous sachiez mais j'étais tellement défoncé que c'était impossible que vous vous en rendiez pas compte. Mais comprends moi, James. T'étais tellement à mille lieues de ça. Je savais que tu n'aurais pas compris. Je voulais pas te donner envie de me suivre et je voulais pas que tu arrêtes d'être mon ami alors je pouvais rien dire. T'avais l'air tellement innocent. À juste jouer à des jeux videos, chercher ton style de fringues et avoir des crush sur des filles comme un ado normal. Moi je me sentais juste comme un raté alors...
- Tu n'as jamais été un raté, tu allais mal, c'est tout.
- Je voulais pas être un poids je crois, et puis je réfléchissais pas. Chaque fois je me disais que c'était la dernière fois et avant que je m'en rende compte je replongeais. Jusqu'à ce soir là, tu sais lequel. Quand vous avez tout su, tous. T'as su pour moi et tu m'as pas jugé, je crois qu'on est redevenu très ami à ce moment là mais... pas comme avant. Parce que moi j'ai recommencé à te confier des trucs mais toi tu as arrêté.
- J'avais pas grand chose à dire, marmonna James sans ajouter qu'à cet époque, n'importe lequel de ses problèmes, lui aurait semblé dérisoire comparé à ceux de Sirius.
- Si. Tu as arrêté de te plaindre des matières dans lequel tu avais du mal, de tes parents, tu disais plus rien sur toi. Et après la mort de Severus quelque chose s'est cassé, tu t'es éloigné encore plus. J'ai compris maintenant, tu t'en voulais. »
Il avait crut à cette époque qu'il ne méritait plus d'amis, avait associé Sirius à son complice de crimes, s'en était voulu à crever, et puis il y avait eut sa rupture avec Lily, ouais, ça n'avait pas été facile.
«... Et cette année je t'ai senti tellement loin et triste, mais tu disais plus rien. C'est pour ça que je t'ai embrassé, je crois.
Sirius prit une pause, soufflant.
... Je sais pas ce qui m'a prit à ce moment là, pendant une seconde j'ai pensé que peut-être ça nous rapprocherai enfin. Notre amitié me manquait.
James hocha la tête, encore une fois, il pouvait le comprendre.
... Mais en faisant ça j'ai rendu les choses encore pires, j'ai cassé ce qui restait et j'ai cru t'avoir perdu alors, avec tout les autres trucs qui se passait, ça m'a fait replonger.
C'était donc bien cela qui avait conduit à la rechute. James se tassa sur lui-même. Comme toujours il se sentait coupable.
- Je suis désolé-
- Arrête. J'ai été un connard ces derniers temps, pas toi. Me disputer avec toi pour rien, t'embrasser, ne pas t'accepter. (Sirius se redressa, jouant avec un morceau de drap) Je m'en fiche si tu es avec Reg'. C'est un peu bizarre mais, je m'y ferais. J'aurais juste bien aimé être au courant.
- Crois moi, t'aurais pas aimé, rit James. Tu m'aurais tué.
- Peut-être, mais c'est bon, c'est accepté.
James se passa une main dans les cheveux, incapable de savoir s'il venait de se débarrasser de sa nervosité ou si elle avait empirée.
- T'es sûr ?
- Tu dois me promettre deux ou trois trucs, avant.
James rit, s'assis à coté de son ami qui laissa le drap tranquille pour ajuster son sweat-shirt et planter son regard dans celui de son ami.
- Je t'écoutes.
- Tu l'aimes ?
- Oui, reconnu James qui s'en senti un peu gêné, parce qu'il ne croyait pas l'avoir déjà dit à voix haute à qui que ce soit, même pas à l'objet de ses sentiments lui-même.
- Tu ne lui brisera pas le coeur ?
- J'espère pas.
- Même si vous vous séparez, tu le respectera ? C'est mon frère mais toi, tu es aussi un peu comme mon frère. J'ai besoin de vous deux dans ma vie. C'est peut-être égoïste mais si vous vous entendiez plus je devrais choisir et... je ne veux pas.
- Je te promets que je ferais mon maximum pour toujours m'entendre avec lui, même si on est plus ensemble.
James s'imaginait de toutes façon difficilement une réalité où Regulus et lui ne s'entendrait pas. Aucun d'eux n'était du genre à cracher sur les autres, du moins plus maintenant.
... Mais, Sirius ?
- Mm ?
- J'ai peur de le blesser, sans faire exprès. avoua James. J'ai fait tellement de mal à Peter, à Severus - Laisse-moi finir, pour la dernière fois. J'ai une partie de moi qui aime se moquer des gens et je ne la contrôle pas, j'ai l'impression que quand je suis trop heureux je ne peux plus la contrôler et elle prend le dessus et d'un coup je me permet de dire des choses qui peuvent blesser les autres. Je ne veux pas faire ça à Regulus. Je ne veux pas lui faire de mal.
- Ça n'arrivera pas ! interrompit Sirius.
- Ça m'arrive tout le temps ! Et j'ai beau lutter contre, ça revient. C'est comme un monstre qui arrive à se libérer et...
Et déjà il se sentait angoissé, repenser à ce qu'il avait laissé dire ou faire, à ce qu'il s'était autorisé. Il avait honte.
- On dit tous des conneries, James. Tous. On fait tous des erreurs. On a tous déjà blessé quelqu'un.
Mais toi plus que les autres.
- Mais moi plus que les autres !
- Non. James, tu as juste du mal à accepter tes erreurs. Tu es une personne formidable qui ne juge quasiment jamais les autres alors même si tu laisses ton esprit parler, même si tu "te moques" de nous, je suis certain que ce ne sera pas aussi terrible que tu le pense. On s'en remettra. Je suis un gay alcoolique et drogué, ton petit copain est trans et l'un de tes meilleurs potes à le VIH, tu n'as jamais rien fait de déplacé par rapport à rien de tout ça, pourtant tu es toi-même avec nous et crois moi j'en ai entendu des conneries homophobes ou au sujet de l'alcoolisme dans ma vie. Tu as le droit de parler. Tu t'en ai assez voulu, tu ne peux pas revenir en arrière de toute façon et si tu veux que ça change ce n'est pas en t'empêchant de parler que ça ira mieux, c'est en t'entrainant. Si tu as peur de faire du mal à Reg' au lieu de le quitter - ne fais pas cette tête, je sais que tu y as pensé - préviens-le et demande lui de te reprendre. Apprends seulement à demander pardon et à te pardonner à toi-même et ça ira. Ça va aller.
Sirius sourit, James soupira et se laissa entrainer dans un câlin encore un peu maladroit, parce que ça faisait longtemps.
Tout ira bien, répéta Sirius. Et pour la première fois du peu de fois où on lui avait dit cette phrase, James y crut.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top