24. féminité fataliste

Tw : mention de sexisme, de tout ce qui s'en suit et de problèmes familiaux 

Le lendemain soir, James décida de retourner au bar. Il était épuisé de tourner en rond dans l'appartement, il avait besoin de changer d'air. 

Iels allaient toujours dans ce bar, parce que c'était la mère de Dorcas qui le tenait et qu'on était sûr∙es de trouver la jeune fille dans les parages. Marlène n'était jamais loin, les autres filles non plus. De façon générale, depuis la fin du lycée, c'était l'endroit où on devait aller pour retrouver de vielles connaissances. James avait passé les derniers mois à le fuir, ce soir il y fonçait tête baissée. Il avait besoin de voir Lily, qui avait toujours été de bons conseils, Dorcas qui savait lui changer les idées en lui parlant de cinéma ou Marlène dont le sourire savait illuminer une pièce.

Tant pis s'il tombait sur Peter. Il avait passé trop de temps à fuir ses peurs, il fallait qu'il s'y confronte. De toutes façons il doutait de le trouver là, Peter ne voulait plus les voir, après tout... son coeur se serra à cette pensée. 

Bien sûr, il aurait préféré parler à Sirius ou Remus, mais étant donné la situation, ce n'était pas envisageable. Il revoyait la déception parcourir les traits de son meilleur ami à chaque fois qu'il fermait les yeux. Et il serait incapable de regarder Remus plus d'une seconde - pire, de lui demander de l'aide - quand il avait embrassé son petit-ami même pas une semaine plus tôt. Et puis il aurait été difficile de se confier à Regulus qui était l'une de ses préoccupations. 

Vers seize heures, il laissa ce dernier qui s'attelait à une lettre de motivation sur le canapé du salon et pris le chemin du bar, les mains dans les poches mais le coeur battant. Il avait besoin de changer d'air et aussi de creuser. Regulus avait peut-être raison. Peut-être qu'une chose le torturait depuis tout ce temps sans qu'il ne s'en aperçoive. Il ne connaissait qu'une personne qui saurait l'aider. Il avait donné rendez-vous à Lily. 

Il le regretta au moment ou il entra, fixant la silhouette familière de la jeune fille depuis la porte de verre. Elle lui tournait le dos, ses longs cheveux roux relevés dans un chignon. Elle tapait frénétiquement sur son ordinateur tout en échangeant quelque mots avec Dorcas qui nettoyait une table. Lily avait toujours été une fille occupée. Elle ne pouvait pas passer une seconde à ne rien faire, au contraire de James n'arrivait jamais à se motiver. Ça la rendait folle du temps où iels étaient ensembles. 

Il cessa d'être anxieux au moment où elle se tourna pour lui sourire. 

« Salut ! Comment tu te sens ?

- Bien. Toi ? 

Il s'assit en face d'elle, un peu mal alaise en prenant conscience que ça ressemblait à un date, ce que ça n'était pas du tout. Il espérait que Lily le savait. 

- Je travaille sur mon idée de mémoire. Je n'en suis qu'au premier jet !

- Oh, c'est quoi ? demanda-t-il, curieux. 

Lily faisait des études de lettres et les quelques articles qu'il avait lu de sa plume était captivant. 

- C'est mon idée, en fait. coupa Dorcas, taquine, débarquant avec elleux à la table. Je me suis binge-watché tous les films avec des personnages principaux féminins de ses cents dernières années et j'ai dressé un bingo de la sad white girl

Dorcas était passionnée de cinéma depuis que James la connaissait. Si on voulait lui faire la conversation, il suffisait de la lancer sur un film et elle pouvait monologuer pendant des heures. C'était un point qu'elle partageait avec James, alors iels s'aimaient bien même s'iels avait très peut l'occasion de se parler. Avec elle il n'avait jamais eu peur d'être lui-même. 

- Tu as piqué l'idée d'une femme noire pour ton mémoire ? dit-il blagueur en se tournant vers Lily. Tu ne crois pas que les minorités sont assez spoliées comme ça ? 

- Je voulais pas... marmonna Lily, honteuse car l'ayant pris terriblement au sérieux.

- Je plaisante, Lily-Puce. Tu fais bien, cette fille ne sait saurait pas écrire un paragraphe. N'oublie juste pas de la citer. 

- Hé ! fit mine de se vexer Dorcas. J'ai écris le bingo ! Trente six points ! Trente six phrases !

Elle dégaina son téléphone et présenta le fameux bingo à James qui se pencha pour lire, amusé. Il fit glisser ses yeux sur les points au hasard riant face à certains, grimaçant face à d'autres : la protagoniste n'aura aucune interaction positive avec une autre femme, est blanche et mince avec de longs cheveux lisses, a une relation avec un homme qui a deux fois son âge où est son supérieur hiérarchique, se coupe les cheveux ou change de style quand elle est triste, se masturbe d'une façon absurde et pas réaliste, a une phase lesbienne de dix secondes... La liste était longue. 

- La moralité c'est que selon ces oeuvres, être une fille c'est vraiment nul. La féminité là-dedans c'est une malédiction. Rien qui donne espoir aux femmes. éclaircit Lily. 

- Les films sont pas toujours fait pour transmettre des morales, répondit James, un peu perplexe songeant que certains des meilleurs films de monde remplissaient le bingo à la perfection. 

- C'est pas pour blâmer les films, mais la façon dont la féminité est perçue. Notre construction du monde ça passe aussi par les oeuvres que l'on regarde ! s'exclama Lily. Il faut que je le note ça, c'est pas mal pour mon intro. 

- Black Swan et Thirteen cochent presque toutes les cases. expliqua Dorcas. Orange Mécanique et Donnie Darko, par contre, avec des personnages masculins et qui sont un peu du même genre, n'en cochent qu'une petite dizaine. Même si Joker est autour des quatorze points, je ne sait pas quoi en faire. Ce sont parmi mes films préférés, hein, c'est pas pour dire qu'il sont nuls, seulement que ça participe à une image de la femme vachement pessimiste. 

- Il faut remettre en question la façon dont on écrit les personnages féminins, approuva Lily, ça a fait souffrir beaucoup d'entre nous. Rien que de ne voir que des filles magnifiques qui se détestent dans le miroir, ça nous as toutes rendues très mal à un moment. À les entendre c'est normal de détester nos corps, ça fait parti de la vie de femme. J'aimerais bien voir une fille qui sourit à son reflet, de temps en temps. 

- J'ai trois films avec Kristen Stewart qui se déteste dans le miroir ! Même si je n'aime pas blâmer mes soeurs lesbiennes. souligna Dorcas. Speak, Spencer et, évidement, Twilight. Quand c'est pas elle c'est Natalie Portman. 

James, qui n'avait pas passé autant de temps à regarder des films sur les vies féminines commençait à être un peu perdu. 

- Peut-être que c'est surtout parce que ça fait parti de l'expérience de la vie féminine, non ? tenta-t-il. La plupart des filles que je connais ont des problèmes d'apparence ou d'estime d'elles-mêmes. 

- Oui mais est-ce que c'est pas parce qu'on leurs a appris à penser comme ça ? J'aimais bien mon corps avant qu'on me persuade que j'étais grosse. souligna Lily. 

Du temps où iels étaient ensembles, James avait vu Lily faire tout les régimes du monde à s'en affamer. C'était une femme magnifique avec des formes qu'il avait toujours trouvés harmonieuses et douce mais qu'elle ne voyait que comme des tas de graisses répugnants. Elle lui avait souvent fait peur à refuser de se faire plaisir, encore plus quand elle lui disait que c'était pour lui plaire - alors que lui n'en avait pas grand chose à faire de son poids à elle. « Je comprends pas pourquoi vous vous donnez autant de mal, avait-il un jour dit. Les garçons préfèrent même pas particulièrement les filles maigres. » « Tu sais que les filles préfèrent même pas particulièrement les mecs musclés, non plus ? » avait-elle répondu et il avait trouvé l'argument faible. Il manqua de lui répéter encore une fois, mais ce fut le souvenir de Regulus qui l'interrompit. 

Regulus qui s'était détesté lui aussi, qui le lui avait raconté, qui cochait malgré lui de trop nombreux points du fameux bingo. Regulus qui en était tombé malade et qui vivait d'ailleurs cette "féminité" comme un véritable poison. Peut-être parce qu'il y était coincé par une assignation, peut-être parce que n'importe qui y serait coincé. 

- Vous pensez pas que c'est plutôt dans le genre qu'il y a un problème ? À se convaincre qu'il faut du masculin et du féminin, et à traiter l'un et l'autre différemment ça fera toujours des dérives avec la "masculinité toxique" par exemple. Ça marche aussi pour la féminité. Est-ce qu'il faudrait pas tout simplement abolir le genre ? Il y a un fatalisme dans la masculinité, dans la féminité, dans l'hétérosexualité, alors est-ce qu'on ferait pas mieux d'abolir ces notions ? Tout le monde se sentirait bien mieux. 

Ce n'était qu'une opinion a laquelle il n'avait pas bien réfléchit. C'était la première fois qu'il parlait de ce genre de trucs à voix haute. Il en savait un peu sur le genre parce qu'il trainait parfois sur des pages Instagram LGBTQIA+ au beau milieu d'une insomnie ou d'un cours trop ennuyeux, mais il n'en parlait jamais. Il ne s'était jamais sentit assez légitime. 

Les filles le regardèrent avec des yeux ronds. 

- James Potter, comptes-tu nous faire un coming-out non-binaire ? s'écria Dorcas, radicalement surprise. Où as-tu appris à être un allié LGBT ?

- Pour la millième fois, je suis bisexuel, s'agaça James de la facilité que les gens avait à l'oublier. Ou pan, un truc comme ça. Et je côtoie un certain nombre de personnes concernées, au cas ou tu n'aurais pas remarqué. 

- C'est vrai que t'avais l'air vachement proches de Regulus, se souvint à voix haute Lily, sans sous-entendu, se qui n'empêcha pas les joues de James se chauffer et son expression de le trahir.

- MAIS NON ? s'exclama Dorcas, comprenant aussitôt. Je connais ce regard ! 

- Tu sors avec lui ? s'écria Lily. 

- On... peut dire ça. Ouais.

- Oh ! C'est trop mignon ! s'écria-t-elle, vous êtes trop choux tout les deux !

- La fétichisation, Lils', rabroua-t-il a moitié en levant les yeux au ciel. On est des mecs en couple  pas des chatons. 

- Désolée, désolée, dit-elle sans être désolée le moins du monde. C'est pour ça que tu voulais me voir ?

- Pas exactement. »


Et il lui raconta tout. 


Il éclipsa les quelques choses qu'il n'avait pas le droit de dire telle que l'histoire de Regulus ou le baiser avec Sirius qu'il préférait garder pour lui, mais il balança ses peines d'une voix froide et de plus en plus brisée, partageant aussi les hypothèses de son petit-ami sur quelque chose d'enfoui très loin à l'intérieur. 

La nuit eut le temps de tomber qu'iels étaient encore à cette table, Lily s'improvisant thérapeute et Marlène là pour commenter. James s'en voulait un peu de leur faire subir ça mais il en avait besoin. Le lourd poids qui pesait sur son coeur commençait à peine à s'alléger.  

Plus il le faisait plus il peinait à le croire, mais il le faisait. Il disait ce qu'il avait gardé secret, même si ce n'était pas grand chose. À une heure tardive de la nuit, à ses amies, dans le silence d'un bar déserté. Pourtant iels ne trouvèrent rien. 

« Tu devrais voir un psy. conseilla Lily. C'est exactement à ça que ça sert. 

- Pour qu'il me dise que c'est parce que je suis amoureux de ma mère et que je prévois de tuer mon père ? Merci bien. ironisa James.

- T'as pas eu de problèmes avec tes parents ? s'empressa d'interroger Dorcas qui cherchait des pistes partout depuis le début comme si elle jouait à un jeu policier. 

- Jamais, on s'entends super bien. Iels sont adorables. 

- Même pendant ton adolescence ? s'étonna Lily qui avait commencé à détester son père à cette période. 

- Iels ont bien pris ton coming-out ? s'étonna Dorcas en même temps. 

- Oh, iels ne sont pas au courant.

- Pourquoi ? Si vous vous entendez bien... demanda-t-elle, étonnée. 

- Je peux pas leurs dire ce genre de truc. J'ai passé des années à faire en sorte de leurs plaire, c'est pas pour ri...

Il s'interrompit, considérant les regards des deux autres. 

... Oh arrêtez de jouer les psys, merde ! N'importe qui qui s'entends bien avec ses parents fait quelques sacrifices pour leurs faire plaisir !

Elles échangèrent de nouveau un regard soucieux qui déplus beaucoup à James. 

- Qu'est-ce que tu as sacrifié ?

- Rien ! s'écria James, agacé qu'on accuse soudain ses parents. 

Il se disait souvent qu'il avait de la chance de les avoir, ce n'était pas pour leurs cracher dans la main. Il savait ce qu'était des mauvais parents d'après les récits de Sirius et Regulus et ses parents n'avaient rien en commun avec ceux-là, il n'aimait pas qu'on les mette dans la même case. 

... Je ne leurs ai juste pas dit que j'aimais aussi les hommes. La question ne se posait pas de toutes façons, vu que je n'étais jamais sorti avec un mec. Et puis je suis allé dans cette école... Mais je suis sûr qu'iels m'auraient laissé allé ailleurs, j'avais juste pas d'autre idée que de reprendre le flambeau. 

- Tu n'aimes pas ton école ? Tu ne l'as dit à personne. Je croyais que ça se passait super bien. 

- Oh, tu parles ! J'ai pas d'avenir là-dedans, n'importe qui s'en rendrait compte. Je me sens nul dans chaque cours, j'ai l'impression de piétiner mon temps de vie et de le jeter à la poubelle à chaque fois que je franchis la grille, ça fait deux semaines que les cours ont repris et que j'y vais plus de toutes façons. 

- Quoi ? Mais... James. 

- Oui, Miss Lily-Parfaite, je sais qu'il ne faudrait pas sécher les cours mais-

- James !

- Ton corps t'envoie des signaux. Il faut que tu changes d'école ! 

- Et que tu apprennes à décevoir tes parents ! Comment tu peux venir nous dire que tu n'as aucune idée de ce qui ne va pas et nous expliquer d'un même coup que tu te rends malade de tristesse pour satisfaire tes parents ?

- Pas "pour mes parents"... Je suis adulte, je suis perdu, je ne  savais pas où aller mais il y avait cette école. Ça allait, j'exagère, la plupart du temps je m'y sent pas si mal... C'est juste que quand j'y pense je me demande un peu ce que je fais là et j'aimerais être ailleurs. Mais c'est un peu tard, je suis déjà ré-inscrit pour l'année prochaine et-

- James, Stop. Tu es en train de te retourner le cerveau pour rien ! 

- Mais arrêtez de me dire tous ça ! s'emporta James, laissant la colère gagner et se levant d'un bond, les mains sur la table. Vous êtes pas dans ma tête, merde ! Je ferais quoi moi ? Si j'étais pas dans cette école ? J'irais où ? Je ferai quoi de ma vie ? Je ne sais rien faire ! Quand est-ce que vous aller comprendre ça ? 

- Tu peux faire tout ce que tu veux ! s'exclama Dorcas, Tes parents sont riches, non, maintenant ? Tu peux te payer n'importe quoi !

- Et qui fera la richesse de la famille si je change de voie ? T'as pas la moindre idée de la peine que ça me ferait de voir de la déception dans leurs yeux !

- On est plus au dix-neuvième siècle, James. Ils trouveront un associé à qui refiler le travail ! Écoutes-nous. Arrête ça. Arrête de vivre pour plaire aux autres. On s'en fout de tout ça ! C'est ta vie, et quoi que tu fasses tu décevras des gens. C'est ça grandir ! C'est accepter de voir de la déception dans les yeux de nos parents. Même s'iels sont super, même si ce sont de bons parents, il faut que tu acceptes leurs défauts et que tu les déçoives. Parce que si tu te déçois toi-même tu finiras par te détester et ça, pour le coup, ça, ça t'empêchera de vivre. 

- La ferme ! S'écria James, en saisissant son sac. J'ai pas besoin de vos discours à deux balles. Vous voulez changez le monde mais vous savez pas ce que c'est. Vous êtes pas dans ma situation ! »

Cette conversation était loin de ce qu'il était venu chercher et elle lui faisait très mal. Ces filles ne comprenaient rien, elles n'avaient pas les mêmes problèmes. Elles vivaient dans leurs études de rêves, avec une situation familiale quasi-idéale. Que savait-elle de l'état de James ? Il se demanda même pourquoi il leurs avait fait à ce point confiance et à quoi ça avait pu servir. Elles croyaient pouvoir tout régler avec le pouvoir de l'amour ou un truc du genre et il trouvait ça stupide. 

Il s'éloigna, fulminant. 

C'était à Sirius qu'il aurait voulu parlé. Sirius qui avait eut des parents terribles et qui connaissait bien les siens. Sirius à qui il avait pu tout dire il fut un temps. Sirius qui lui manquait tellement. Au lieu de se diriger vers l'appartement il changea d'un coup de direction, allant vers le bus qui menait à l'hôpital. 

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