\Chapitre 10/
Ray ? Pourquoi m'appelle-t-il en plein cours ? Déjà qu'il n'utilise quasiment jamais son téléphone... C'est peut-être une urgence, il faut que je décroche. Je relève la tête vers mon professeur et quémande d'une petite voix :
- Excusez moi Monsieur, je crois que c'est quelque chose d'important... Puis je sortir dans le couloir pour répondre, s'il vous plaît ?
- Mais bien sûr, tout ce que vous voudrez mademoiselle !
Serait-ce du sarcasme ? Ce n'est pas le style du professeur, pourtant. J'hésite à agir à cause des petits ricanements derrière moi, mais Monsieur Laffargue achève de me convaincre :
- Non mais n'importe quoi, vraiment. Tu es sûrement la première à oser dire une telle bêtise ! Tu es au collège, Neila, pas à un cours de natation ! Donne moi ton téléphone, et estime toi heureuse que je ne te mette pas une remarque pour ton manque de respect.
Mince, je ne pensais pas qu'il réagirait comme ça. Je lui tend mon portable à contrecœur, essayant d'ignorer les regards moqueurs de mon frère. S'il savait qui m'appelait, il ne réagirait pas comme ça. Il a l'air de tenir à mon meilleur ami, cet idiot...
- Il est quelle heure ? je glisse à Clarisse, assise derrière moi.
J'espérais ne jamais avoir à poser cette question agaçante, moi qui me pleins toujours des demandes incessantes de Hidji sur le sujet. Celui-ci est d'ailleurs en train de lire un de ses fameux yuri au fond de la classe, souriant tout seul. J'ai testé un de ces livres, mais c'est beaucoup trop... fort. Je préfère les histoires romantiques, c'est beaucoup plus plaisant que ces mangas ne comportant que des scènes à censurer.
- Ça sonne dans une minute, m'indique ma meilleure amie. Encore une heure de cours avant la récré, c'est tellement long...
Dans une heure, j'essaierai d'appeler Ray ; comme le dit Clarisse, c'est beaucoup trop long. En fait, je pourrais peut-être l'appeler plus tôt, si je me glisse dans les toilettes à l'intercours... Cela vaut-il la peine d'avoir un retard ? Oui, il mérite bien ce sacrifice. J'espère pour lui qu'il a quelque chose d'intéressant à me dire, j'ai peur de ma réaction dans le cas contraire.
Alors que les élèves se dirigent vers leur cours, j'entre dans une cabine de toilettes pour appeler Ray... Juste avant de me souvenir que j'ai laissé mon portable au professeur ! Je retourne en classe pour le récupérer et redescends le plus vite possible, mais les surveillants ont déjà refermé les toilettes. Je me rend donc à mon prochain cours, dépitée. J'entre pile à la sonnerie, derrière mon frère qui se moque toujours de l'incident avec Monsieur Laffargue.
Lana s'installe à mes côtés pour le cours d'arts plastiques, en face de la chaise vide qu'occupe habituellement Ray. Clarisse, assise devant moi, se penche pour m'interroger :
- Qui est-ce qui t'a appelée, tout à l'heure ?
- Ma mère... je ments subitement. Elle a sûrement dû voir mes messages avec des inconnus sur l'ordinateur ! Je suis mal...
Pour l'instant, il vaut mieux ne pas inquiéter mes amies sur le cas de Ray. Je les tiendrai au courant quand j'aurai plus d'informations, en attendant on devrait se concentrer un minimum sur le cours. Dans le couloirs, des discussions résonnent et ma classe préfère les écouter elles plutôt que la professeur. Deux personnes semblent se disputer :
- Tu me dégoûtes... Et elle encore plus, avec sa tête de dépressive.
- C'est toi qui es dégoûtant ! Je t'interdis de la critiquer, tu ne la connais même pas !
- Depuis quand tu la défends ? Tu la critiquais tout le temps, l'année dernière...
- J'estime avoir changé, et heureusement. J'ai compris qu'elle me méritait bien plus que toi.
- Toutes les filles me veulent à part t...
- Et qu'est-ce qui te dis que certains garçons ne s'intéressent pas à toi ? Ou même des personnes non-binaires ?
- Ça existe même pas !
- Ferme la ! Iels existent, ce sont des humains, pas comme toi qui n'es rien de mieux qu'un chien ! Tu n'as...
Un bruit sourd retentit, suivi de quelques coups accompagnés de couinements. La professeur les ignore, tandis que les élèves commencent à se poser des questions. Je m'inquiète :
- La première voix, c'était celle d'Elias non ? Ce garçon de troisième qui m'a mis un faux râteau lors du action ou vérité...
- Et celle qui s'est énervée, c'est Isabelle ! affirme Clarisse. De qui parlaient-ils ?
- Aucune idée, j'avoue. En tout cas, c'est clairement l'exemple parfait d'un débat entre une personne dotée d'un cerveau et un gorille.
- Exactement ! pouffe mon amie. En plus d'être homophobe, ce débile est coincé dans son délire de "deux genres seulement".
- Je crois... je crois qu'ils parlaient de Roxanne, au début, hésite Lana. D'après ce qu'on a tous entendu, Isabelle l'aime, donc ça tombe sous le sens. Par contre, j'ignore si Elias est lié à cette histoire ou s'il veut juste exposer son homophobie devant tout le monde.
- Je pencherais plus pour la deuxième option, assure Hidji en approchant son tabouret de notre table.
- Ça ne m'étonne même pas de lui, avec sa tête, grogne mon frère en nous rejoignant à son tour.
- Il faut avouer que tu lui ressembles... marmonne Lana.
Nous lui lançons tous un regard surpris, auquel elle répond par un visage écarlate.
- J'ai l'air homophobe, moi ? s'étonne Paolo. Si tu savais !
- De quoi ?
Désormais, toute l'attention est reportée sur mon jumeau qui perd rapidement son sourire. Il semble réfléchir quelques secondes avant de bafouiller :
- Avec Hidji, impossible de ne pas soutenir les personnes homosexuelles, haha ! Lui qui me parle toujours de ses yuris...
Personne n'accepte son excuse, mais on préfère ne pas l'embêter avec ça. Dire que je suis la seule à savoir, j'espère qu'un jour mon frère saura se libérer du regard des autres et s'approcher d'un garçon sans gêne. À part Hidji qui est son meilleur ami, il est incapable d'esquisser le moindre geste pour ne serait-ce qu'effleurer un garçon. Le jugement de ses "ami-es" ne cessera jamais de l'accaparer.
À la sonnerie, je me précipite dans les toilettes avant tout le monde pour éviter l'envahissement habituel. Je m'enferme seule et me dépêche d'appeler Ray. Mon portable vibre longtemps, pourtant aucune réponse. Je renouvelle mon action plusieurs fois, toujours rien. Je commence à paniquer, ma respiration s'emballe, mes jambes se mettent à trembler, je vacille sans m'en rendre compte. Et si quelqu'un le gardait détenu, et que son dernier appel était réellement le tout dernier ? Et si il était toujours au Nuage, bloqué quelque part ? Et s'il voulait juste me dire au revoir avant d'en finir ?
- Neila ?
Je parviens à débloquer la porte du bout des doigts, mon corps entier complètement instable. C'est Clarisse qui se tient face à moi. Elle entre avec moi dans la cabine et ferme à nouveau la porte, avant de me prendre dans ses bras et de me serrer contre sa poitrine. Je tente de calmer mes tremblements, mais rien à faire ; autant patienter jusqu'à ce que ça me passe. Je vais essayer de me concentrer sur la chaleur corporelle de Clarisse pour me réconforter. J'aurais préféré être dans les bras de Lana... Mais elle n'aurait pas réagi de la même manière, elle n'a pas cet instinct maternel que possède Clarisse.
Une dizaine de minutes plus tard, je prête enfin attention aux bruits extérieurs. À vrai dire, c'est très silencieux, seule une petite rumeur m'arrive... Je me dégage de l'étreinte de Clarisse et la remercie d'un baiser sur la joue avant de quitter la cabine et de rejoindre la cour de récréation, mon amie sur les talons. La moitié des élèves sont regroupés autour de je ne sais quoi, que je m'empresse d'approcher. Je reconnais Elias, retenu par une bande de garçons, et Isabelle, seule. Sa joue est gonflée, et les larmes perlent au coin de son œil, mais elle ne perd pas contenance :
- Si tu es juste là pour me critiquer, tu peux partir ! Si tu crois que ton avis m'importe, réveille toi, tout le monde s'en fiche de tes insultes et tes critiques ! Tu n'es qu'un animal, tu ne connais que la violence pour régler tes problèmes ! Tu as vu ce que tu m'as fait ?
Elias tremble de rage, se débattant des trois personnes nécessaires pour le garder loin de la belle blonde. Une personne sort alors de la foule d'élèves pour rejoindre non Elias, mais son adversaire.
- Isa, ça va ?! Que s'est-il passé ? Qui t'a frappé ?
- Roxanne, pars s'il te plait, ordonne l'intéressée en poussant la jeune fille qui vient de la rejoindre. Ne reste pas ici, c'est...
- Pourquoi devrait elle partir ? ricane soudain Elias. As-tu honte d'elle ? De sortir avec une fille ? D'être une pédale ?
Isabelle se tourne vers Roxanne, qui paraît d'un coup vexée. La blonde prend alors le visage de la jeune fille et appuie ses lèvres roses contre les siennes, devant tous les élèves autour d'eux.
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