4- Jalouse.
Caelin.
Sur le chemin, tout se mélange dans ma tête. Les rires de Nael, les coups de Vincent, et mon envie de me perdre dans les bras de Nathan et d'y pleurer dès lors que je le croise.
J'aurais voulu finir plusieurs chapitres du bouquin, mais tout ce que je remarquais, c'était les sourires timides que lançait Nathan lorsqu'il appréciait un poème, ou les hochements de tête comme s'il était d'accord avec ce qu'avait écrit l'auteur.
Je ne veux me l'avouer, mais je le regardais. Sans même lever les yeux sur lui, je captais dans mon champ de vision le moindre de ses gestes et c'est aussi pour ça que je n'ai pu avancer dans ma lecture.
Pense à Nael et ne tombe pas dans ce jeu là. Tout va aller mieux, arrête de te focaliser sur Nathan à chaque fois que tu le vois. Quel fada tu fais, m'insulte-je moi-même dans ma tête alors que je longe la plage.
Pour savoir si je devrais rentrer préparer le repas, je reprends mon téléphone et le déverrouille. L'heure en haut de l'écran affiche presque 11 heures, et si je veux que Vincent se calme devant un bon plat, je dois me dépêcher de rentrer. Je commence alors à accélérer ma course, faisant claquer les mocassins sur les chemins en bois longeant le sable des côtes. Entre deux pas, je me mets à admirer mon fond d'écran d'accueil.
Moi et Vincent.
Avant Nael.
Deux amoureux en train de s'embrasser, ses mains sur mes hanches et les miennes perdues dans ses cheveux. Le bonheur se lisait sur nos sourires malgré notre baiser. À ce moment-là, rien ne m'aurait préparé à un changement si brutal de Vincent. C'est aussi à cause de photos comme celle-ci, que j'en viens à espérer. Je devrais les supprimer, comme pour faire une croix petit à petit sur un amour perdu depuis presque 6 ans, mais tout m'en empêche. L'amour, la perspective d'un avenir meilleur pour tous les trois, le sourire de Nael qui me fait tant penser à celui de Vincent. Sincère, enfantin, rempli de joies et qui a le pouvoir de me rassurer.
Je range mon téléphone et tente de penser au repas que je vais faire avec le temps qu'il me reste et les aliments à ma disposition.
Il ne me faut pas moins d'une dizaine de minutes pour rentrer à la maison, ôter mes chaussures et déposer ma veste sur le porte-manteau mural derrière la porte. Une chose de faite, je guette maintenant sa présence, mais il n'a pas l'air d'être dans une des pièces de vie.
Son téléphone est posé sur le plan de travail, l'écran faisant face au plafond. Signe qu'il n'est pas parti. Le jet de la douche se fait entendre. Je me disais bien que c'était étrange de n'avoir aucun message lorsque pendant que j'étais dehors... Je ne m'inquiète plus d'où il se trouve, bien contente qu'il soit occupé à laver son corps crasseux de potentiels péchés au lieu de me briser encore et encore le cœur.
Je cherche du regard mon casque Philips et le trouve rapidement sur la petite table basse. Je m'empresse de le connecter à mon smartphone pour enfin m'enjayer sur la musique, loin des mouvements bruyants que pourrait faire Vincent, tels que ses pas lourds semblables à ceux d'un éléphant – comme dirait Nael–, ou ses soupirs. Je recherche ma playlist et la lance, mettant au hasard une musique. Je défile à l'aveugle les chansons, avant d'appuyer sur celle de Bigflo et Oli : Salope. Pas trop de possibilités de danser là-dessus, mais je m'en contente et sors les ustensiles et les ingrédients pour le bouillon.
Alors que je découpe les oignons, tout s'enchaine ; Elle pleut de Nekfeu et Nemir, I'm Tired de Zendaya et Labrinth, Every Breath You Take de The Police, ou bien Stay de The Kid Laroi et Justin Bieber.
Tant de chansons qui me parlent, qui me bercent dans la situation que je vis – et vivrai pour toujours– .
Et tout à coup, je ne sais pas si ça vient de ce que je ressens ou de l'oignon, mais un sanglot s'échappe de ma gorge et des centaines de larmes ne tardent pas à glisser. Je les laisse continuer leur route, soulagés de ne pas avoir à les retenir. Durant toute la préparation du plat, je suis prise de soubresauts tant je pleure et je manque à plusieurs reprises de m'écorcher un doigt. Mais ce n'est que lorsque j'entends, en fond, la porte de la salle de bain coulisser, que je me reprends. J'essuie mon visage en m'avisant de ne laisser aucune trace de goutte, me mouche le nez anciennement rempli de morve, m'évertue à respirer pour ne plus craquer de nouveau et insère les vermicelles dans le bol rempli de bouillon.
Je me retourne pour faire face à mon partenaire, une serviette enroulée par-dessus sa taille, quand nous voyons qu'il reçoit un appel. Je me rapproche d'un pas et découvre le prénom affiché : " Léa", et le regardes de nouveau, perplexe.
Sa vie privée ne me regarde pas et ses connaissances non plus, pourtant, je craque et pose la question qui me brûle les lèvres à chaque fois que je vois un prénom féminin affiché.
« C'est qui ? Demandé-je tout bas pour ne pas qu'il pense que je le prends de haut.
— Quelqu'un.
Crois pas que tu vas t'en sortir facilement. Toutes les fois où tu as forcé... C'est à mon tour maintenant !
Il envoie sur le répondeur la fameuse Léa et me fixe froidement. Ce qui n'empêche en rien ma seconde tentative de confrontation, car malgré tout, je ne mérite pas ça ;
— C'est quoi ton lien avec elle ?» Lancé-je impassiblement pour cacher les tremblements de ma voix pas encore remise de mes sanglots.
« Caelin...», commence-t-il fermement. Mon prénom sortant de sa bouche me compresse la poitrine, mais je ne faillis pas. « J'ai fait un effort pour te laisser dans ton petit cocon, alors me soûle pas avec ta jalousie maladive. Si sortir te met dans des états pareils, tu ne partiras plus. »
"Jalousie maladive"...?
"Ne partira plus"... ? Mais...Nael, je fais comment...?
J'ai perdu la bataille à la pensée même que je ne pourrais pas récupérer mon trésor et nous balader.
Qu'on ait un enfant à aller récupérer ne lui importe peu, il pourrait le laisser crever de faim. Alors je bats en retraite.
« Excuse-moi chéri » Le surnom sonne faux lorsque je le prononce, mais j'en ignore la cause. Car je veux continuer à y croire...
« Laisse-moi ressortir, juste pour Nael, s'il te plait...» Tout sonne comme une supplication, mais je ne m'arrête pas. Il en faut plus.
« J'ai mal réagi, ça ne me regarde pas tu as raison. Regarde, je t'ai préparé un bouillon, mange avant que ça refroidisse.» Je tente de changer de sujet pour désamorcer la bombe prête à exploser, mais à ses lèvres pincées et ses sourcils toujours froncés, quelque chose d'autre le contrarie encore. Il m'attrape le bras et approche sa tête de mon oreille.
— Ne me donne pas d'ordre, s'exclaffe-t-il comme si j'avais insulté tout son arbre généalogique.
Un ordre ? Je ne lui en ai pas donné, si...? Quand je lui ai dit de manger ? Sérieusement ?
Il me repousse avant même que j'aie le temps de répliquer. Je me prends le bord du plan de travail dans le bas de mon dos et ça m'arrache une plainte qu'il ignore. Puis il me dépasse pour arriver dans mon dos, là où le potage repose. Je me retourne pour l'affronter, mais surtout lui demander pardon. Car je sais comme il lui serait facile de me garder enfermé ici. Peut-être irait-il chercher Nael, mais pas de la meilleure des façons...
Après avoir cueilli le plat dans le creux de ses mains, il se dirige vers la grande table blanche et s'empresse de déguster. Je me caresse l'endroit où je me suis pris le coup pour constater si j'aurais un bleu, et pars ensuite le rejoindre sur une des quatre chaises.
J'attends là, à fixer la petite bougie gourmande au centre de la table. Plusieurs minutes s'écoulent durant lesquelles je regrette de ne pas m'être acheté un sandwich avant d'arriver ici, même si ça fait un moment maintenant que je tente d'arrêter les repas du midi. Mais rien n'y fait, je suis toujours attiré par la nourriture que Vincent mange sous mes yeux, comme s'il souhaitait me punir de ma perte de poids impossible en m'obligeant à être présente à table.
Il s'efforce d'attraper les derniers vermicelles et, une fois fini, je rapporte la vaisselle dans le lavabo.
Toujours assis, il me dévisage, jouant à faire tourner la bague autour de son doigt.
« Vinz, je ne recommencerai plus. Tu as le droit de parler à qui tu veux, vraiment. » J'aimerais vomir ses paroles, parce que moi, je n'ai le droit de discuter avec personne. C'est comme ça que j'ai perdu ma meilleure amie, ma sœur de cœur.
— J'irais le chercher moi-même, le ton de sa phrase montre que la discussion est à présent terminée.
Oh non...
Ce que je redoute va sans doute arriver.
Tous mes efforts pour que Nael voie son père d'un bon œil, et inversement.
Tout ça partira encore une fois aux oubliettes, comme si je n'avais jamais fait en sorte que ça se passe pour le mieux.
La guerre perdue, je subis en plein fouet la montée de larmes et l'épuisement. Dans un dernier effort, je plonge dans le divan, observe une dernière fois le lieu ; la télévision LED géante accrochée au mur, achetée avant l'anniversaire de Nael, ce qui m'a empêché de lui offrir plus de 2 babioles ; le tapis couleur neige sur lequel j'aime baigner mes orteils dans la douce fourrure ; les cadres de notre couple mélangés à ceux où pose Nael, eux aussi fixés aux murs.
C'est en admirant les photos qui peuplent la tapisserie que je tombe dans un profond sommeil, me faisant fuir mes pensées obscures et les débuts de gargouillement insistant de mon ventre.
Jusqu'à ce qu'il vienne s'installer près de moi, à même le sol. Pour fuir la dureté de son regard, je me tourne et fais face au dossier du sofa. Il me caresse mes longs cheveux plats, doucement.
Celle-ci me glace le sang, pourtant, d'un certain côté, j'aimerais qu'il continue. Car, même si ces attentions sont mensongères, c'est tout ce qu'il me reste et pour lequel je me battrai.
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