3- Toujours persévérer.



Caelin 


Mes pas claquent sur le parquet de ma maison et je retrouve Vincent assis devant le plan de travail de la cuisine, les yeux perdus sur son téléphone.

« Ah, pas trop tôt. Tu peux aller faire mon lit s'te plaît ?» Jette-t-il sans même un regard.

— Avant... Tu pourrais me dire pourquoi t'as pas voulu du bisou de Nael ?

Je triture les manches de mon blazer bleu marine, attendant sa raison qui n'excuse en rien son comportement avec mon enfant.

— Je voulais pas, c'est tout, lâche-t-il sèchement, posant ses pupilles sombres sur moi.

— Mais pourquoi ? Il ne t'a rien fait non ? C'est qu'un bisou.

— Le consentement tu connais ? J'en avais pas envie, point.

Le consentement... Toutes les fois où il n'a pas entendu mon refus. Toutes les fois où je n'avais pas le choix. C'est l'hôpital qui se fout de la charité.

— Breeef, passe-moi les kinders dans le meuble, reprend-t-il avec une voix plus apaisée.

— Non pas bref. Tu fais du mal à moi et à Nael. Tu ne te rends même pas compte de comment tu es froid. C'est ton fils tu le sais ça ?


J'ai débité ses paroles d'un coup, pris par le courage du bisou de mon petit amour. Mais quand il contracte sa mâchoire, quand il ferme ses poings, quand il pose son téléphone et me fixe sans un mot, je commence à regretter.

Il faut que ça change. Ça va le faire. Fais-lui entendre raison.

Je te demande pardon ?

— Tu ne fais aucun effort. Tu ne le regardes même pas, tu ne joues pas avec, et tu prononces à peine son prénom. Tu t'es entendu ? Tu as dit "dégage gamin" à un enfant de 5 ans ! Bordel Vincent, je t'aurais pas pensé comme ça ! Tu étais tout pour moi avant Nael, mais maintenant il n'y a que lui qui compte. Je ne sais pas qui tu es, mais pas le Vincent dont j'étais tombée amoureuse.


À bout de souffle, je crains sa réponse, mais demeure figé. Car il le faut. Je dois rester forte et gagner cette bataille.

« Tu t'entends parler ? Tu n'es rien sans moi. » Il se lève et me fait face de son imposante carrure. Plus que quelques mètres et je perdrais tous mes moyens.

— J'apporte l'argent, et lorsque je rentre épuisé du travail, je dois me coltiner un gosse qui ne fait que chouiner. J'essaie de te donner du temps, alors ne te plains pas lorsqu'on couche ensemble.

— Je n'ai jamais demandé qu'on baise.

Et c'est vrai. Depuis que je lui ai annoncé ma grossesse, je n'ai plus jamais voulu, ni demandé qu'on le fasse. Depuis ce jour-là, j'ai compris petit à petit que je n'étais devenue qu'un simple pantin où il pouvait se vider les couilles. Rien de plus. Bonne femme à tout faire est ce que je suis devenue. Avec l'espoir qu'il redevienne l'homme que j'aime. Que j'ai aimé.

Vincent s'approche de plus en plus, bien trop même, mais je reste de marbre. Mes pieds sont ancrés dans le sol et ils y resteront.

— Ne fais pas genre que tu n'aimes pas ça. Tu es énervé, mais ne me mens pas.

— Je te dis la vérité.

Un silence pesant s'installe.

Nous nous regardons dans le blanc des yeux. Lui, arbore une expression lasse. Mais je sais comme il aimerait lever la main sur moi. Peut-être voit-il mes yeux emplis de défis, de crainte, mais surtout de courage.

— Tu aimes ça quand je te touche. Je le sais à ton regard, à tes gémissements.

Je simule, Vincent. Tout ça pour ne pas froisser ton égo masculin et me prendre tes coups.


Mais ça, je ne le lui dis pas. Si j'avouais cet aveu, la seule chose qui le maintient ici ne sera que poussière. Ou bien on en aura pour toute la journée à baiser. Juste pour me prouver que j'aime me faire rabaisser, que j'aime perdre mes valeurs, que j'aime laisser un homme que je ne reconnais plus entrer en moi, que j'aime assouvir ses envies en échange des miennes.

Face à mon mutisme, il joint la parole au geste et approche sa main de moi. Doucement, comme pour donner une pointe de romantisme envolé depuis bien trop longtemps. Celle-ci se posa sur mon bras, qui, sous les tissus, commence à avoir la chair de poule.


« Considère Nael comme ton fils à part entière », chuchoté-je, à bout de force de toujours devoir me battre. Comme si on ne méritait pas un peu de tendresse, mon trésor et moi...

— C'est déjà le cas.

— Si ton père t'avait traité de la même façon, tu ne le considérerais plus co-

Je n'avais pas vu venir sa gifle, me faisant remonter de la bile dans la bouche. Celle-ci me coupa le souffle, et ma phrase avec.

Déboussolée, je reste malgré tout ancrée dans le plancher, comme je me l'étais dit. Le regard perdu sur le sol en bois où quelques jeux reposent dessus.

Ça va aller.

Je ne cesse de me répéter ces mots.

Les larmes, elles, ne veulent rester immobiles, coincées dans le creux de mes yeux.

Plus libres que moi, elles dévalent mes joues et finissent sur ma veste.

Même si j'essaie de rester courageuse, de tout faire pour que ça aille mieux, mon cœur ne cesse de battre toujours plus fort par le danger qui persiste. J'ai beau persévérer, rien ne s'améliore.

— Je t'avais dit que je ne voulais pas de lui. Tu l'as gardé, c'est à toi d'assumer, s'écrit-il amèrement.


Désespérée, mes larmes continuent leur chemin sans jamais s'arrêter, et avec, des hoquetements. De douleur, de chagrin, de furiosité. De toutes les émotions négatives restées cachées dans mon cœur. J'aimerais le pousser, le chasser, le blesser autant qu'il me blesse. Lui faire entendre raison et qu'enfin, nous vivions un avenir heureux. Mais je n'y arrive pas. Rien de ce que je fais ne pourrait faire revenir le doux Vincent qui m'avait tant aidé, tant aimé alors que j'étais au plus bas. Peut-être que, finalement, il m'avait aimé car je n'allais pas bien. Qu'il aimait voir la peine dans mon regard. Sentir mon cœur anéanti ne battre désormais que pour lui.

Ne pense pas ça...

Pourtant, c'est la seule raison qui me vient.

Et pour fuir la seule vérité expliquant tout ce qui m'arrive, je m'enfuis à travers le long couloir, je prends à droite et atterris dans la petite bibliothèque. J'attrape mon tote bag où mes livres de cours et de lecture logent déjà, et entreprends de partir de la maison.

Lorsque je passe près de Vincent, il est retourné à son visionnage de TikTok. Mais ses sourcils froncés prouvent bien la haine qu'il ressent toujours malgré la claque qui soulagerait n'importe qui de sa colère.



*



L'ambiance de la bibliothèque me détend et j'essaie de ne pas penser à ce qu'il s'est passé. Mais il n'y a que ça qui occupe ma tête. Je n'arrive pas à enlever tous les problèmes qui me collent à la peau et les souvenirs de nos premiers instants ensemble s'y mêlent. Comme pour me rappeler le bonheur qui m'habitait en étant avec lui, et que je devrais garder un peu d'espoir : car nous pourrions vivre de nouveaux moments que je chérirai.

J'essaie tant bien que mal de me concentrer à lire les normes sur la sécurité incendie quand Nathan vient s'assoir en face de moi. On s'échange un regard, un léger sourire, et enfin je ne pense plus à la même chose. Mon cœur devient léger par notre échange silencieux et j'en viens à culpabiliser. Même si Vincent me traite mal, je me dois de lui être fidèle et je n'ai pas à m'intéresser à quelqu'un d'autre que lui.

S'il m'avait vu sourire à son meilleur ami, je serais sérieusement dans la merde. Ne le regarde plus maintenant.

Pourtant, j'en viens à admirer timidement ses cheveux bruns qui lui tombent presque sur les yeux, dépassant maintenant ses oreilles, celles-ci accessoirisées d'anneaux. J'admire ses iris me rappelant la couleur du café qui se promènent sur les pages d'un recueil de poésie. Malgré mon blazer et mon pull noir en dessous, j'ai du mal à me réchauffer, alors qu'il porte des vêtements amples et légers. Si Nael me faisait un calin, j'aurais tout de suite chaud. Quand il me prend dans ses bras, plus aucun vent ne peut m'atteindre. Mais là, je voudrais qu'il m'étreigne comme il l'a déjà fait. Comme je rêverais que Vincent le fasse.

À quoi tu penses, Caelin ? Ce doit être l'émotion de ce qui s'est passé.

Ne pense plus à lui et lis.


Et durant plusieurs heures, j'ai réussi à me construire un mur et à y rester sans me déconcentrer avec des sentiments cachés, des regrets, et la peur.

Ma matinée se résuma à lire les normes et à les noter sur un petit carnet que j'ai apporté. Après avoir inscrit les dernières phrases que je jugeais utiles de mémoriser et de comprendre, je referme et range le livre.


« Tu l'as déjà fini ? commence-t-il d'une voix qui se veut joviale.

Surpris qu'il me parle, j'hoche seulement la tête, pas certaine de ce que je pourrais dire – ou aurais le droit de dire –.

— C'était rapide. Tu as mis quoi ? 1 heure ou deux grand max.

— Il y avait beaucoup de schémas explicatifs, argumenté-je pour qu'il arrête de vanter un mérite qui n'a pas lieu d'être.

— Ça parlait de quoi ?

Bon sang, il ne va pas me lâcher, je le sens.

— C'était sur la sécurité incendie dans les bâtiments, répondis-je poliment.


Il parait captivé, et même si j'apprécie qu'on s'intéresse à moi, mieux vaut arrêter la discussion.

Vincent pourrait aussi s'en prendre à lui. À moins que ça ne retombe uniquement sur moi... pensé-je tout en reprenant un petit livre au fond de mon sac.

Avant qu'il ne recommence à me parler, je me dépêche d'ouvrir Jamais plus de Colleen Hoover et me mets à continuer ma lecture. Mais rien n'arrête ses bavardages :

— Tu n'avais pas arrêté tes études d'architecture ?


Quel fouineur...

Je plante mes yeux dans les siens et j'ai bien peur de m'y noyer si je le regarde plus longtemps, alors je contemple les nombreuses étagères où mille et un livres reposent. Observant aussi les quelques personnes venues s'abriter dans ce bâtiment rempli de savoir et d'histoires. En même temps que je regarde un vieil homme chercher sa prochaine lecture, je lui réponds à peine audiblement :

— Si. Quand j'ai appris être enceinte de Nael.


Il fredonne un "je vois" et se remet dans son roman des plus mondiaux : Harry Potter à l'école des sorciers.

Deux trois minutes s'écoulèrent durant lesquelles je sentis quelques coups d'œil sur moi, mais je ne lui en rendis aucun.

Et comme il ne sait pas arrêter de discuter, le revoilà parti, lui et ses questions prêtes à sortir de ses lèvres alors qu'il me regarde de nouveau.


— Alors pourquoi tu le lis si tu as arrêté tes études ? À moins que tu travailles ? Tu vas reprendre tes études ?

Qu'est-ce que je disais ?

Je ne sais pas pourquoi, dis-je d'une voix hésitante, sans cesser d'observer les mots de mon livre.


Et c'est vrai. J'ai arrêté mes études à la demande de Vincent. Depuis, je suis devenue mère au foyer. Et même si j'aime m'occuper de Nael le mercredi, le week-end et les vacances, je ne peux me dire que je serai toujours dans cette bibliothèque où je passe mes journées, car je n'ai aucun travail. Et puis, mon petit amour va bien finir par grandir et partir de la maison, me laissant seule avec Vincent...

Secrètement, et involontairement, je continue d'étudier différents sujets qui touchent à l'architecture. Avec l'espoir qu'un jour, je puisse en faire mon métier. Avec mon bac professionnel, je peux déjà entrer dans le monde du travail, mais il est trop tôt encore pour que Vincent me laisse exercer. Alors me voilà à mettre toutes les chances de mon côté, attendant le jour propice pour lui faire ma demande d'être libre, – ou presque–.

Voilà pourquoi je lis toutes sortes de livres avec comme thème la construction de bâtiments. Mais inutile de lui en parler.

Inutile d'en parler à qui que ce soit...


Pour reprendre un peu de contenance et stopper cette attention à laquelle je ne suis pas habituée et le rythme de mon cœur toujours plus rapide lorsqu'il me parle –malgré que je tente de ne pas y faire attention–, je décide de m'en aller.


— Désolée, je te laisse, bafoullé-je difficilement entre toutes les contradictions qui dansent dans ma tête : partir ou rester.


Je range à la va-vite ma trousse utilisée pour mes notes, et le roman, puis détale de la grande bibliothèque avant même qu'il me salue.

C'est bien trop dur de rester en présence de quelqu'un qui pourrait, d'un simple contact, foutre mes sentiments et ma vie en l'air. Même si ça pourrait s'avérer un avenir joyeux.




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