2- Vite.



Caelin



Mon petit ange revient de sa chambre tout habillé. Ne manque plus que les chaussures, son manteau et son petit cartable Spider-Man. C'est son super-héros préféré. Depuis qu'on a vu le film tous les deux sur le canapé, il ne parle plus que de Peter Parker et Miles Morales, la nouvelle version de l'homme-araignée. Vincent aurait préféré que ce soit lui, la personne admirée, mais Nael le voit plus comme le bouffon vert. Effrayant et sûr de lui. Comme si contrôler le monde lui reviendrait de droit.

Quand on parle du loup... Celui-ci arrive me donner en main propre son assiette et sa tasse que je range aussitôt dans le lave-vaisselle. Puis je vais chercher nos manteaux à tous les deux, car cette semaine n'a pas été propice au bon temps. Inutile d'attraper un rhume le jour de la rentrée. Ça le déprimerait de ne pas aller à l'école. Surtout s'il a l'air de plus s'amuser là-bas, loin des cris et des pleures.

Mon attention se reporte sur mon amour, à la limite de pleurer parce qu'il n'arrive pas à lacer sa paire de chaussures. Il geint et demande mon aide, alors je m'exécute. Je lui remontre comment il faut faire, et il se calme aussitôt, reprenant méthodiquement les gestes à faire. Il sait qu'il vaut mieux être calme pour entreprendre quoi que ce soit. Maladroit qu'il est, ça ne lui servira à rien de bouger dans tous les sens par la colère. Je trouve qu'il arrive à bien gérer ses émotions ; pour un enfant.

Une fois tous les deux prêts, bien couverts et munis de nos deux parapluies – on ne sait jamais si une averse aurait envie de s'écraser sur notre petite ville –, on s'apprête à franchir le pas de la porte, main dans la main. Juste avant, Nael me fixe, refusant de bouger.

Je l'interroge du regard, attendant de savoir ce qui le préoccupe au point de ne pas gambader dehors pour vite revoir ses camarades de l'école.

« J'ai pas dit au revoir à papa. »

Et c'est après cette petite phrase prononcée, presque imperceptiblement, qu'il lâche ma main et part dans la maison trouver son père. Je devine au son de la porte qui vient d'être ouverte et aux voix qui s'élèvent qu'il l'a trouvé dans sa chambre.

Lorsque je suis ses pas pour vérifier que tout se passe sans encombre, je remarque Nael tentant d'embrasser son père. Pourtant, Vincent ne se laisse pas faire et essaye de le tenir à distance. Mon petit ange ne voit pas ça en mal, mais malgré tout, c'est bien une scène d'un père refusant d'avoir un bisou de son fils. Pour éviter que ça ne dégénère, j'attrape dans mes bras mon enfant et pars en direction de l'entrée de la maison.

« A ce soiiiir !! Crie à plein poumon Nael, espérant avoir une réponse qui lui donnera du baume au cœur.

— Oui oui au revoir ! Maintenant dégage, gamin ! Va à l'école !

— Chéri, laisse papa, okay ? » soufflé-je à l'oreille pour essayer de faire en sorte que Nael laisse son père. Tachant de cacher aussi les mots prononcés par ce dernier.

Des mots qui ne devraient pas être adressés à un enfant de 5 ans.



*



Sur le chemin, il ne semble pas affecté par ce que lui a dit son père, comme si la phrase avait glissé sur lui sans le pénétrer. Il est jeune encore, peut-être trop pour savoir ce qu'est vraiment l'amour d'une famille. Mais si ça continue, il comprendra.


Il comprendra qu'il mérite mieux qu'un géniteur comme ça.

Il comprendra que ses actes maladroits et empreints d'amour ne justifient pas la haine.

Il comprendra qu'il vaudrait mieux ne plus le considérer comme sa famille.

Mais en attendant, il ne comprend pas.

Je suppose.


Alors que la brise marine s'abat sur mon visage, je capte les effluves des pins et des différentes fleurs blanches. Si je me trouvais ici, sans mini-monstre qui chante à tue-tête "Quand la musique est bonne", peut-être entendrais-je les flots s'échouer tout près des œufs de raie ou des algues vertes.

Sur cette dernière pensée, je me note dans un coin de la tête d'emmener Nael revoir l'océan et ses immenses navires bientôt, sans Vincent pour qu'il ne gâche notre moment à tous les deux. Enfin loin de ses remarques et de ses scènes.

Nael se met à sauter dans tous les sens, bien trop excité de retourner à l'école après avoir passé les vacances à la maison. Quand il aperçoit au loin un copain à lui, je vois dans son regard, qu'il pose désormais sur moi, qu'il aimerait le rejoindre. Et attend patiemment – ou presque –, mon autorisation.

Comme ils sont sur le même chemin terreux que nous, j'accepte qu'il aille rejoindre son ami en gambadant aussi vite qu'il le peut. La mère de l'enfant l'accueille à bras ouverts tandis que je me dépêche de marcher les 50 mètres qui nous séparent.

Je salue la vieille femme aux cheveux grisonnants mais au sourire rayonnant. Son enfant lui ressemble beaucoup par son nez retroussé, ses yeux d'ambre et son visage allongé. Le teint de la même couleur que le désert semble accueillir des milliers de paillettes ; celui de Nael aussi. Mais le mien, en revanche, n'a aucune étincelle qui illumine mon corps. Envolé par le temps, ou bien caché au creux de mon cœur. Petites étincelles persistant l'espoir en moi. L'espoir que ça aille mieux. La dame commence à me faire la conversation et je réponds poliment. Néanmoins craintive qu'il m'ait suivie et qu'il me voie.

Eux ont visité la capitale de France pour l'anniversaire de leur fils : Hugo. Ils sont montés au plus haut de la tour Eiffel, ont admiré les statues de gladiateurs au Louvre, et ont découvert le château de la Belle au Bois Dormant à Disneyland Paris.

Nael, Vincent et moi sommes restés ici, à Saint-Nazaire. Notre maison était notre lieu de vacances, les colères de mon partenaire étaient notre mélodie remplaçant celle des bouchons de Paris, et nos repas étaient de sous-marque, car ces mois-ci, pas de chance, Vincent n'a pas eu de prime.

Mais lorsqu'elle me demande ce que nous avons fait durant les grandes vacances, je réponds que nous avons vu la côte à bord d'un bâteau de croisière. Pas totalement faux, puisque mon copain m'a obligé à venir avec Nael sur sa barque en bois malgré ma talassophobie. Tout ça pour gagner l'émerveillement de mon petit ange lorsqu'il aura sorti quelques carpes ou que sais-je encore. Exaltation qu'il n'a pas reçue, puisque mon bébé avait lui aussi peur. Quel beau voyage sur l'océan Atlantique...

L'échange s'arrête puisque l'heure, elle, continue de tourner. Nous faisons le chemin ensemble, et, presque arrivés à l'école, mon téléphone vibre dans ma poche arrière.

J'ai reçu un message de lui.

Je n'ai personne d'autre dans mon répertoire à part ma mère, mon père, et ma grande sœur. Tous en voyage à Nairobi, où il fait déjà presque minuit comparé à l'heure qu'il est en France. Alors ça ne peut être que lui.

Je sors comme je peux mon smartphone et l'allume. Je découvre sur WhatsApp son message :

« Dépêche-toi chérie. »

Surnom futile, inutile désormais. Sa petite attention, qui a dû lui faire serrer des dents, glisse sur moi sans m'atteindre. Quand je rentrerai, je n'aurai droit à aucun traitement qu'on réserve normalement à sa « chérie ».

Je recherche Nael du regard et lui prends la main. Je salue la femme et son fils et nous commençons à marcher plus vite qu'avant. Il se met même à trottiner pour me rattraper. Puis enfin, nous arrivons à l'école. Elle a reçu un rafraichissement depuis. Entre la végétation, la cour Oasis, les bardages en bois et le renouvellement des façades et des ouvertures, ça change, et le résultat est impressionnant.

J'aurais pu être l'architecte de ses travaux...


Pensées qui me ramènent à mes erreurs passées.

Pensées que je me force à oublier, pour me ramener à la réalité.


Je dépose Nael à l'école, lui rends son cartable, le recoiffe après ses nombreux bonds et ses sprints. Je m'accroupis dans le hall de l'établissement, et l'embrasse partout sur ses joues. Il essaie de me repousser doucement, mais on sait tous les deux qu'il aime quand je remplis son visage de bisous.

Lui aussi m'offre un tendre baiser, mais sur le front. Ça me donne toujours le courage d'affronter cette journée.

Alors qu'il pose son manteau sur le porte-manteau et parle à sa nouvelle maîtresse, je m'éclipse sans un au revoir, car nous deux détestons ça.



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