IV


Je reste clouée à mon siège alors que les passagers descendent de l'avion. Je n'ose pas. Je n'ose pas descendre parce que je sais que je vais le voir. Je le sens. Ça doit être ça le sixième sens des femmes dont on parle tant. J'ai même envie de supplier le pilote pour qu'il me ramène. Il s'arrête juste devant moi et me sourit.

- Mademoiselle vous pouvez descendre je pense.

- Hmm...Hmm... Vous êtes certain de ne pas repartir de suite?

- Non, ri-t'-il en tendant son bras, de manière à me faire comprendre que je dois vraiment y aller.

Je soupire longuement, détache ma ceinture et me lève.
Une fois que j'ai récupéré ma valise, je me précipite dans le petit café du coin où mon père m'attend.

Je le repère de suite, installé autour d'une table. Il est occupé à lire les nouvelles et sirote une bière en même temps.

- Hey l'alcoolo, souris-je, c'est comme ça qu'on m'accueuille?

Mon père bondit de sa chaise et nous tombons dans les bras de l'un l'autre.

- Ma petite Sarah, pleure-t'-il, comme tu m'as manquée!

- Tu m'as manqué aussi papa.

Je m'écarte de lui et essuie mes larmes. Il m'avait vraiment manqué.

- Assieds-toi chérie, me dit-il. Tu veux un p'tit remontant? T'es toute pâlotte.

Je m'installe sur la chaise à côté de la sienne, prends sa main.

- Non, pas d'alcool mais je veux bien un bon café par contre.

Il me sourit si sincérement que mon coeur regonfle un peu. Finalement, j'ai bien fait de venir, juste pour voir le sourire de mon père ça aurait été une excellente raison.

Nous discutons alors un peu de tout, de la France surtout et je lui dis quelques mots en français qu'il trouve adorables. Personnellement, je sais que je le parle comme une merde mais j'ai étudié la langue seule sur mon pc et mon boulot m'aide pas mal pour la pratique.

- Et maman? Demandé-je enfin.

Il soupire en croisant ses bras sur la table. L'air navré que je lis sur son visage me fait énormément de peine.

- Elle va mal. Elle refuse presque de me parler Sarah, alors je suis paumé, je ne sais plus quoi faire. Elle ne veut même pas prendre le traitement que le médecin lui a prescrit.

Mon coeur se serre quand je pense à ma mère dans cet état. Cependant, une question me brûle les lèvres.

- C'est de ma faute?

- Sarah...

Oui, c'est de ma faute. Je retiens mes larmes comme j'ai si bien appris à le faire.

- Tu lui manques, Timéo lui manque. Elle vous a vus durant des années pratiquement chaque jour alors comprends que...

- Je comprends, murmuré-je. J'ai demandé à Sébastien de venir vous voir. Je ne sais pas s'il le fera et ne le dis pas à maman pour ne pas lui donner de faux espoirs.

- D'accord ma chérie, sourit-il faiblement. Merci d'être venue.

- Ça fait longtemps que j'aurais dû...

******

Je prends un instant pour observer la maison qui se tient devant moi. Ces briques contiennent tous mes souvenirs d'enfance, tous ceux de mon adolescence. Que ce soit de bons comme de mauvais. J'ai toujours grandi ici, avec mes parents. Alors revoir cette maison aujourd'hui me fait pleurer. Je suis chez moi, enfin.
Je me dépêche de suivre mon père à l'intérieur. Je ne viens faire qu'un petit coucou aujourd'hui parce que je suis épuisée par le voyage.

- Coucou!

J'entre, me dirige dans la cuisine.

- Elle est sûrement au lit, grogne mon père.

Ah quand même? C'est qu'elle va encore plus mal que je ne le pensais puisque ce n'est pas du tout le genre de ma mère de rester dans son lit.

Je monte donc les marches, frappe doucement à la porte de la chambre parentale. Elle ne répond pas et j'entre sans faire de bruit. Elle dort. Elle a l'air si paisible que je souris à travers mes larmes. J'ai envie de la serrer dans mes bras mais je ne le ferais pas, elle a besoin de dormir.

******

- Tu es certaine que tu ne veux pas dormir à la maison?

Je regarde les paysages que je connais tant par la vitre de la voiture. C'est une sensation bizarre d'être ici. Celle d'être chez soi en ne l'étant plus vraiment.

- Oui, j'en suis sûre papa. Je louerai une voiture demain et je viendrais pour déjeuner, ça va?

Il hoche la tête tout en sifflotant tandis que mon regard traine sur l'immeuble où je vivais avant. Avec lui... Je le chasse de mes pensées avant que mon moral ne se fasse la malle. Mais c'est déjà trop tard. Mon esprit est déjà hanté par son souvenir.

Je devrais tellement être en colère contre lui et je le suis. Réellement. Mais je n'arrive pas à ne plus l'aimer. Je dois être folle je pense parce qu'il m'a plantée comme une conne, rompant toutes les promesses qu'il avait formulées. Connard.

Mon père s'arrête sur le parking du motel où j'ai réservé une chambre. Il n'est pas super classe mais c'est ce qui rentre le plus dans mes moyens. Et comme je suis ici pour un mois il me fallait quelque chose de pas trop cher. J'aurais pû dormir chez mes parents, je le sais. Mais je n'en ai pas eu envie. J'ai besoin de me retrouver seule le soir, j'ai besoin de pleurer durant des heures sans qu'on ne m'interrompe. Et je ne veux surtout pas les tracasser.

- T'as encore des nouvelles de Nicolas?

Je frémis en entendant la question de mon père. Il doit lire dans mes pensées. 

- Non.

Mon ton est un peu plus aggressif que je ne l'aurais voulu et j'en suis désolée.

- Et toi? Dis-je en me maitrisant le plus possible.

Mon père ouvre le coffre de la voiture et je le suis avant de me charger de mes sacs.

- Non, répond t'il en secouant la tête. Allez ma chérie, repose-toi bien.

J'embrasse mon père et lui fais signe quand il repart. Et s'il lui était arrivé quelque chose? Je n'ai jamais pensé à cela. Ses amis me l'auraient dit non? Enfin je ne sais pas... Je n'ai même pas leurs numéros comme j'ai dû me prendre un autre.

Je m'en veux de ne jamais avoir pensé à ça. Et s'il était mort tout simplement? Non. Pas lui... Mes larmes ruissélent en masse sur mes joues et j'essaie de me raisonner. Il n'est pas mort Sarah. Il ne t'aime plus, c'est tout. Je prends ma valise et me dirige vers l'accueil où m'attendent les clés de ma chambre.

- Sarah? C'est bien toi? 

Je me retourne ébahie d'entendre cette voix que je connais. 

******

Nicolas.

Je vide la dernière bouteille que j'ai chez moi. J'attrape le goulot, pose mes lèvres autour et penche la tête en arrière, pour  essayer d'avoir la dernière goutte. Putain fait chier. J'ai pas envie de descendre jusqu'à chez Mossen, le seul qui veut bien me vendre de l'alcool. Je balance la bouteille contre le mur, ivre. Le verre se répand sur le sol mais j'en ai rien à cirer. J'ai la tête dans le cul, mes yeux sont hyper lourds et ça me ravit. Je vais enfin dormir. Personne ne sait ce que j'endure. Personne. Tout le monde croit que je fais n'importe quoi depuis qu'elle est partie mais ça va plus loin que ça encore.

Depuis qu'elle... Rien, rien. Je ne dois pas penser à ce jour-là sinon je vais gerber, vraiment. Alors je ferme les yeux, imagine encore Sarah.
Putain honey... Elle me manque trop mais je ne peux pas lui faire ça. Elle ne me pardonnera jamais, j'en suis certain.

Je m'allume un joint, tire une longue latte dessus avant de recracher la fumée. J'ai la tête qui tourne et ça me va. Ça fait du bien de ne plus rien ressentir. De ne presque plus avoir mal.

"Tu es la première que j'ai aimé Sarah".

******

- Putain mec!

Je sursaute quand Dean entre chez moi. Je me retourne face au dossier du canapé et referme les yeux. Putain mais  laissez-moi pieuter merde!

- Nico bordel faut que t'écoutes ça mec!

- Ta gueule Dean.

Mes yeux sont lourds de sommeil. Je suis crevé. J'ai vraiment besoin de dormir encore pendant cinq minutes minimum.

- J'ai vu ta meuf mon frère, ri-t'-il.

J'ouvre brusquement les yeux, me retourne vers Dean.

Il a l'air d'un con avec sa casquette sur le côté mais je ne dis rien, attendant qu'il développe.

- Tu te rappelles de Sarah? Et ben je l'ai vue.

Je vais vomir. J'ai juste le temps de me lever et de courir jusqu'aux chiottes pour remettre tout ce que j'ai sur le ventre. De l'alcool. Si je me rappelle d'elle? Je n'arrive pas à l'oublier alors comment peut-il me demander une chose aussi débile. Quand j'ai finis, je me relève, tire la chasse et lance un regard inquiet à Dean dans le reflet du miroir brisé de la salle de bain.

- Elle n'est pas ici, grogné-je.

- Oh que si, sourit-il. Elle dort au motel en face du garage où je travaille mon frère.

J'ouvre la bouche, la referme. Je prends appui de mes deux bras sur les rebords du lavabo. Qu'est-ce qu'elle fait ici? Elle me l'aurait dit non? Bien sûr que non puisqu'on ne se parle plus.

- Putain t'es sûr que c'était elle?

Il hoche la tête, un sourire de vainqueur sur les lèvres.
Je suis dans la merde. Jusqu'au bout. Mon ventre se tord à l'idée de la voir. Putain qu'est-ce que j'aimerais la serrer dans mes bras. Mais je ne peux pas. Pour elles.

- Je lui ai même parlé, ajoute-t'-il.

Je relève subitement la tête, la trouille au ventre.

- Tu lui as dit?

- T'es con ou quoi? S'indigne-'t-il. Une promesse mec, tu te rappelles?

Je soupire, soulagé. Il ne m'a pas balancé et c'est tant mieux. Je ne veux pas qu'elle sache, je ne veux pas encore plus la blesser qu'elle ne doit l'être.

- Tu lui as parlé de moi?

Bordel j'espère que non.

- J'ai juste dit que tu allais bien. Elle n'a rien demandé d'autre.

- Rien? Même pas ce que je devenais?

- Nic, tu l'as planté comme une débile quand tu devais aller la rejoindre. Pourquoi est-ce qu'elle demanderait ce que tu deviens?

Ouai, il a raison. Je crois que je réagirais pareil qu'elle si elle m'avait fait le coup.

- Elle est comment?

Dean éclate de rire et je m'énerve. J'attrape ma brosse à dent, l'enduit de dentifrice avant de me la fourrer dans la bouche. Il n'y a rien de drôle à ma question. Les gens changent, tous. Même moi je ne suis plus le même. 

- Elle est toujours aussi bandante si tu veux savoir.

Je me crispe. Je n'aime pas qu'il parle d'elle comme ça. Il n'y a que moi qui lui dit ces choses-là. Qui lui disait. 

- T'as plus intérêt de l'approcher, caché-je. Elle ne t'appartient pas.

Et à moi non plus. Plus maintenant. 

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