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- Maman ! Je suis prêt !

- Oui, j'arrive !

Je sautille en tentant d'attacher la fermeture de ma botte. Bordel, je ne suis jamais en retard ! Jamais, jamais, jamais ! Il m'a suffi d'une seule nuit à espionner en traitre le profil de Nicolas et me voilà à me lever à la bourre. Fais chier ! J'attrape mon sac et rejoins Timéo devant la porte que j'ouvre en grand. Je pousse presque mon fils dans la voiture, et grogne quand je commence à sentir la pluie tomber sur mon dos. C'est pas croyable ! Même la météo a décidé que cette journée serait de la merde. Je me grouille d'attacher mon fils, m'engouffre dans ma bagnole avant de démarrer en trombe. Quand on arrive à l'école, je me gare aisément sur le parking. Ce n'est en rien étonnant puisqu'à cette heure-ci les parents ont déjà déserté les lieux. Sauf moi, bien entendu.

Je sors de ma voiture avec la chanson de pommes de reinettes et pomme d'api en tête, qui a été chantée au moins une trentaine de fois par Timéo. Non, non, je n'exagère pas. Mon fils est capable de chanter en boucle une chanson sans jamais s'en lasser. Je chantonne donc en marmonnant et l'amène dans sa classe.

*****

Quand je reprends ma voiture, je suis déjà au bout de ma vie. Et il est dix heures du mat'. Bordel. Je suis trempée par la pluie, du coup mes cheveux ne ressemblent strictement à rien mis à part qu'ils ont pris cette forme de casque horrible. Je m'enfonce dans mon siège, soupire longuement. Je ne sais pas quelle excuse je vais sortir à mon chef pour ce retard. Je n'ai jamais aimé mentir mais je me vois mal lui dire que j'ai fait une nuit blanche parce que je matais sans aucune gêne un gamin sur Facebook. Je prends mon téléphone, compose le numéro de Sophie qui décroche de suite.

- Allo ? Si vous êtes un homme riche et séduisant, veuillez rester en ligne, si vous êtes une vieille morue séchée, je vous prie d'appeler ma collègue au 078...

- T'es conne, pouffé-je.

- Mais tu m'aimes, ri-t'-elle.

- Ouai, estimes-toi chanceuse.

- Bon comment se fait-il que tu n'aies pas ton joli petit cul assis face au mien ?

- Je me suis réveillée à la bourre. Je viens juste de déposer le gamin et...

- Ecoute, reste chez toi. Emeric ne dira absolument rien je peux te l'assurer.

Je grimace en imaginant Sophie et mon boss ensemble. Pouah ! Mais bon, ils font ce qu'ils veulent de leurs fesses ces deux- là.

- Tu es sûre ? C'est vachement gênant que...

- Oh c'est bon bichette ! Vas dire bonjour à ton comparse de danse sexy !

Je rigole en tentant d'aplatir mes cheveux gonflés.

- Tu sais qu'on peut voir sa trique à vingt-mille kilomètre à la ronde ?

- Tu racontes n'importe quoi, pouffé-je.

- Je t'assure que non, affirme-t'-elle. J'ai fait un zoom et je l'ai vue ! Ca ne m'étonne pas que tu sois dingue de lui.

- Sophie je vais raccrocher, gloussé-je.

- Sarah aime les bébés, chante-t'-elle, Sarah aime les bébés, Sarah aime les bébés.

Je raccroche en rigolant. Elle est complètement folle je crois, mais je ne la voudrais pas autrement. Sophie est exactement le genre de personnes dont nous avons tous besoin. Elle est pétillante, drôle et dit ce qu'elle pense sans chipoter. J'adore mon amie même si j'avoue que des fois j'ai du mal à la suivre dans chacun de ses délires. Je suis quand même soulagée de ne pas me rendre au travail mais pour être honnête, je n'ai pas très envie de rester la journée chez mes parents. Je démarre la voiture, pousse le son de la musique et écoute la voix de Nate Ruess envahir l'habitacle. Je vais aller au centre commercial, au moins c'est couvert et je pourrais faire quelques emplettes.

*****

Je descends à peine de ma voiture, que je le vois. Il est avec deux garçons du même âge que lui. Je me fige un instant, juste assez pour le voir rire, installé comme si de rien était sur le capot d'une voiture. Je me dépêche de verrouiller mon véhicule et de me diriger vers les portes mais c'est trop tard.

- Sarah ?

Je tente de l'ignorer, accélère le pas mais je sais qu'il ne me laissera pas tranquille. Je le sens derrière moi avant même qu'il ne m'attrape par le bras et me retourne vers lui.

- Putain mais qu'est-ce que t'as ?

- Tu me fais mal, grogné-je en enlevant mon bras de sa poigne.

- Je ne sais pas ce que je t'ai fait ou encore ce que t'as mais faudrait qu'on en parle, tu ne crois pas ?

Putain Sarah arrête de regarder sa bouche se mouvoir à chacune de ses paroles et barres-toi. Je me remets en marche, Nicolas sur mes talons.

- On n'a rien à se dire Nicolas.

- Bien sûr que si, affirme-t-il.

Je soupire et entre dans la première boutique qui se présente à moi. Je rougis quand je me rends compte que je suis chez Hunkermöller. Comme par hasard ! Je feinte de regarder les soutifs devant moi, déstabilisée par Nicolas qui est entré avec moi. Son souffle caresse ma nuque, me donne des frissons.

- Tu ne croyais quand même pas que je n'oserais pas entrer ici ?

- Faut croire que si, dis-je en me décalant.

Il rit et je m'enfonce dans la boutique.

- Tu devrais prendre ce déshabillé noir, dit-il quand je regarde le rouge à côté.

- Je ne compte pas acheter quoique ce soit tant que tu es dans les parages, je réponds froidement. Ne le regarde pas ma fille, tu vas flancher. Il est trop sexy avec son pull noir...

Il prend ma main dans la sienne et son contact m'électrise. Il le sait puisqu'il sourit en coin. Il se rapproche de moi et presse nos mains jointes sur son érection.

- J'aime bien quand tu joues à la femme fâchée Sarah.

Je suis bouche bée et je me grouille d'enlever ma main de la sienne et de sa trique.

- Tu es malade ou quoi ? m'énervé-je. Il y a des gens qui peuvent nous voir.

- Donc c'est ça qui te dérange ? Qu'on te voit avec moi ? Parce que laisse-moi deviner, je n'ai que dix-huit ans ? (Je ne dis rien, soutenant son regard) Tu es pathétique Sarah.

Il secoue tristement la tête, fais demi-tour et sort de la boutique. A cet instant précis, je me sens conne parce qu'il est bien là le problème et qu'il m'a cernée : Le regard des gens. Je ne supporte pas me sentir jugée. Je n'aime pas qu'on me colle une étiquette. Je relâche mon souffle, ferme les yeux. Je ne peux pas. C'est nul de ma part de ne pas réagir mais je ne peux pas. Je ne peux pas lui dire que non, ce n'est pas ça parce que si, il a raison. Je finis par prendre le déshabillé noir que je ne mettrais probablement jamais et vais à la caisse, essayant de paraitre sereine.

*****

La déprime. Carrément. Je suis hantée de ce sentiment depuis mercredi. Même l'humour déjanté de Sophie ne me rend pas le sourire, pourtant elle met le paquet. Mais depuis ma dispute avec Nicolas, je ne pense qu'à lui alors que j'essaye vraiment de l'oublier. Mais à quoi je m'attendais ? Un mec me baise dans une boite, on remet le couvert une deuxième fois et voilà que je déprime comme une ado énamourée. Pour vraiment arrêter de penser à lui, je me plonge encore plus dans mon boulot. Je lis, je corrige, je lis, je corrige, je lis, mise en page, je lis... Puis je passe mes soirées avec mes parents et mon fils, je ne m'enferme plus dans ma chambre pour avoir une certaine tranquillité. Je les écoute me raconter des souvenirs répétés une centaine de fois environ, mais ça passe le temps et je souris. C'est déjà ça.

Je remonte mes lunettes sur mon nez, touille mon café en lisant un mail d'Emeric quand Timéo me saute dessus. La scène se déroule au ralenti sous mes yeux quand je vois mon café se déverser sur mon clavier. Bon, autant le dire tout de suite : Je n'ai aucun réflexe. Même quand il y a cinq ans, Timéo avait dévalé les marches sous mon nez, je n'avais réagi que par après. Une fois l'atterrissage fait en somme. Alors là, je suis en mode poisson rouge activé : Bouche ouverte, yeux écarquillés, les mains posées sur mon crâne.

- Bordel ! Merde ! Merde ! Merde ! Putain fait chier !

Je me lève seulement une fois le drame fait et soulève mon ordinateur dégoulinant.

- Timéo bordel ! Tu sais le prix de ces trucs-là ?

Mon fils secoue la tête par la négative mais là, je suis trop énervée pour le consoler. Putain moi aussi je chialerais bien là ! Tous mes dossiers, manuscrits, photos étaient là-dedans !

Ma mère arrive dans la cuisine, prend mon fils dans ses bras alors que j'éponge le plus gros du café. Quand l'écran se fige et qu'il s'éteint, je suis sûre que je vais mourir dans les deux minutes à venir.

- Sarah, calmes-toi. Le p'tit pleure.

- Mon pc 'man. Là c'est ça qui ne va pas ! Je vais faire comment moi pour bouloter ? Anhhh merde !

Je referme l'ordinateur d'un coup sec, essuie furtivement mes larmes tandis que ma mère part avec Timéo dans le living. Je sais que je ne suis pas sympa avec mon fils mais pour le coup, je suis vraiment dans la merde pour bosser ce week-end. Mon père entre à son tour dans la pièce et contemple le désastre. Il ouvre l'ordinateur, essaie de l'allumer. En vain. Mon père est adorable et je ne veux pas le brusquer lui aussi. Il est actuellement en convalescence et je ne peux pas lui infliger ma mauvaise humeur du moment.

- Tu devrais l'amener chez les Paige, me dit-il doucement. Je crois que leur fils fait des études sur ces machines-là.

J'ouvre la bouche et la referme sans piper mot. C'est une blague où mon père vient de...

- Tu connais les Paige ? demandé-je, étonnée.

- Bien sûr, sourit-il. Ils habitent depuis plus de dix ans dans la rue.

Je fronce les sourcils. Donc c'est ça que voulait me dire Nicolas en disant « on est presque voisins » ? Ben merde alors...

- Je ne pense pas qu'il sera faire grand-chose de toute façon, dis-je en prenant le rouleau de Scottex.

Je ne peux pas me pointer chez lui avec mon ordinateur comme si rien ne s'était passé. Il va me jeter comme une vieille merde et je n'en ai pas vraiment envie, même s'il a ses raisons de le faire.

- On ne sait jamais ma puce, dit mon père.

C'est alors un vrai combat intérieur qui se déroule dans le plus profond de mon être. On est vendredi, il est dix-huit heures trente. Soit je range ma fierté, mon désir et tout le reste dans un coin de ma tête et vais chez lui pour le supplier de m'aider, ou soit je perds tous mes dossiers et récupère mes manuscrits seulement lundi au bureau... Avec tout le boulot à refaire. Je suis dégoutée de devoir aller le voir, malgré ma détermination à l'oublier mais je n'ai guère le choix.

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