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Nicolas.

"Je t'en supplie... Tu dois revenir pour moi bébé"

Je voudrais tant lui dire que je l'entends, que je suis là mais aucun son ne veut sortir de ma bouche. Je me sens repartir loin... Très loin.

"Et mon pote...T'as intérêt à ramener ton p'tit cul parmi nous où c'est moi qui m'occuperait de ta femme...

Allez Nico... Tu dois être fort"

C'est Dean, je reconnais sa voix. J'ai envie de lui foutre une baffe pour avoir pensé à me taxer ma femme mais je ne peux même pas bouger. Je m'endors.

"Je voudrais que tu viennes vivre avec moi... J'ai toujours voulu te le demander mais j'ai eu peur..."

"Nicolas... J'ai peur... Peur que tout soit différent maintenant... Je t'aime tellement... Je suis si désolée."

Ce ne sont que des bribes de phrases que j'entends mais ça me fait du bien à chaque fois. Ces mots me soulagent, me rappellent que je ne suis pas seul. Ou mort.

L'envie de leur dire que je suis là est bien présente mais je n'y parviens pas. Mon putain de corps ne répond pas à ce que mon cerveau veut.

Sarah... Ma honey...
Je crois qu'elle est là h vingt-quatre mais je n'en suis pas sûr.

Je l'entends pleurer. Encore et encore. Je n'entends pratiquement que ça. Ses pleurs et ses prières. Je n'ai jamais prié. Je n'ai jamais cru en dieu mais elle, oui. Je le sais seulement depuis que je suis bloqué dans ce brouillard. Elle prie, elle supplie le Seigneur de me donner les forces dont j'ai besoin.

*****

J'ai mal. J'ai envie de pleurer tellement mon dos me fait souffrir. Je voudrais crier tant ça me brûle. L'impression que la chaire est à vif ne me quitte pas.

"-Tamponez doucement. Voilà comme ça.

-Je ne lui fais pas mal? "

Si putain que oui j'ai mal! Je veux qu'on arrête de me toucher! Je veux qu'on me laisse tranquil!

"On va lui enlever les tuyaux et le laisser se réveiller..."

Je revois les flammes grimper sur le corps de mon père. Mes cris quand il s'est redressé tel une torche humaine. Puis c'est le trou noir. Encore.

*****

J'ouvre doucement les yeux, les referme de suite, aveuglé par la lumière provenant de je ne sais où. Mon coeur s'emballe rapidement quand je parviens à bouger les doigts, la main. Je cligne des yeux, m'habitue enfin à la clareté émanant de la lampe dans le coin de la pièce. Et je la vois. Sarah. Elle est recroquevillée dans un fauteuil. Je reconnais mon pull sur elle, celui que j'avais laissé chez elle. J'hésite à la réveiller. Elle a l'air si fatiguée que je m'en veux presque de le faire.

- Honey?

Je ne reconnais même plus ma propre voix. Elle est... étrange. Je voudrais bouger mais la douleur dans mon dos est tellement forte que je n'ose pas.

- Sarah? Honey?

Elle sursaute en ouvrant ses grands yeux. Son regard trouve directement le mien tandis qu'elle reste figée. Sa bouche s'ouvre doucement avant qu'elle n'éclate en sanglots.

- Oh mon dieu!

Elle se lève rapidement, se penche par-dessus mon visage collé au matelas et me dépose une tonne de baisers dessus.

- Je vais appeler une infirmière, attends-moi.

Je prends sa main dans la mienne.

- Attends...

Elle cesse de gigoter et pose sa tête à côté de la mienne. Ses larmes font briller ses yeux.

- Putain qu'est-ce que tu m'as manqué.

Elle rit et je tends difficilement la main pour essuyer ses joues humides.

- Tu m'as manqué aussi.

Elle met son front contre le mien et je soupire en fermant les yeux. J'ai tellement de choses à lui dire mais là, je ne sais plus ce que c'était.

- J'ai mal dans le dos...

- Je sais, pleure-t'-elle. Je vais appeler quelqu'un.

- Non...

Je n'ai pas la force de lui dire que je veux encore être avec elle. Rien que nous deux. La fatigue me gagne alors qu'elle caresse doucement ma barbe.

- Reste avec moi bébé...

- Je ne pars pas honey...

Et je me rendors.

*****

- Monsieur Paige?

- ...

Putain mais laissez-moi. Je suis crevé.

- Monsieur Paige.

J'ouvre les yeux et mon regard croise celui d'une femme blonde. Une infirmière.

- Votre petite-amie nous a dit que vous vous êtes réveillé cette nuit.

Elle lance un regard noir à Sarah qui baisse les yeux, gênée.

- C'est moi qui lui ai dit de ne pas vous appeler.

Elle ne dit rien, mécontente. Elle vérifie mes constantes, ma tension avant de me tendre un verre d'eau.

- Que des petites gorgées. Le docteur va arriver.

Je ne lui réponds pas, bien trop occupé à regarder Sarah. Elle a le regard triste et je lui fais un signe de tête pour qu'elle vienne près de moi.

- Dis-moi ce que tu as...

- On parlera après bébé...

Je ferme les yeux sous la caresse de sa paume. Ses mains chaudes sur mon visage me réconfortent, m'apaisent.

- Qu'est-ce que j'ai dans le dos?

Mes larmes jaillissent. La douleur est telle que je ne peux pas les retenir.

- Tu te rappelles de ce qu'il s'est passé?

Sa voix douce me berce alors que j'essaie de rassembler mes pensées en une seule, pour comprendre.

Le feu, la suie. La maison saisie et mon père qui pète les plombs. Lui... debout alors que les flammes étaient en train de le tuer.

Mon coeur se met à tambouriner. J'ai peur de ce qu'elle va me dire, peur d'être défiguré à tout jamais.

- Il est mort c'est ça?

Elle hoche tristement la tête en pleurant. Un sanglot s'échappe de ma gorge. Mon père est mort. Je n'ai plus personne. Je suis seul. Mon père est mort. J'ai perdu mon pilier. Je n'ai plus de famille. Mon père est mort.

Sarah pleure, sa tête posée par-dessus la mienne. Ma joue se trempe de nos larmes mélangées et je n'entends même pas le médecin entrer. Sarah se redresse et je me laisse ausculter sans rien dire. Je ne réponds pas à ses questions. Je ne veux rien savoir et je m'en fous de leur dire que mon dos me fait mal parce que là, la plus grande de mes souffrances vient de l'intérieur. Le seul endroit où ils ne sauront rien faire.

******

Sarah

Ça fait maintenant une semaine que Nicolas est réveillé. Il sort de l'hôpital aujourd'hui et je suis assez stressée du comment vont se passer les soins. Au pire, si je n'y arrive pas, je ferais appel à une infirmère. Les médecins disent de lui qu'il a de la chance, que la peau n'est pas trop amochée. Moi je la trouve très abimée et malgré l'entrainement que j'ai eu, j'ai toujours le coeur au bord des lèvres quand je le vois mordre son poing lors des pansements. Nicolas ne parle presque plus. Il se mure dans le silence et je n'aime pas le voir comme ça. Je voudrais lui prendre toute sa peine et le revoir aussi souriant qu'avant. Même Dean et Franck n'ont pas réussi à le faire sourire lors de leurs visites.

J'ouvre la portière de la voiture et l'aide à s'asseoir. Il grimace quand son dos heurte le dossier avant de reprendre son masque neutre. Il soupire quand je l'aide à attacher sa ceinture et même s'il est de mauvaise humeur, je dépose un léger baiser sur sa joue puisqu'il détourne son visage.
Je souffre parce que je sens qu'il me rejette, qu'il évite de croiser mon regard mais je me rassure en me disant que c'est normal. Il doit faire son deuil et digérer tout ce qu'il vient de lui arriver. Même la psychologue de l'hôpital n'a pas réussi à le faire parler.
Je referme la portière et ravale mes larmes. Je ne dois pas craquer devant lui, je ne veux pas qu'il sache à quel point je suis malheureuse. Je prends une longue goulée d'air et contourne la voiture avant de grimper derrière le volant. Son visage est à présent tourné vers la vitre et ses poings serrés sur ses cuisses.

- Prêt?

Il ne me répond pas, comme d'habitude. Mon coeur se serre un peu plus encore. Ces jours-ci, j'ai l'impression qu'il est dans un étau et que ce dernier le broie un peu plus à chaque fois. Je sais qu'il ne m'en veut pas, il n'a pas de raison de le faire d'ailleurs mais son mutisme à mon égard me blesse.

Je démarre la voiture, m'engage dans la circulation. Je ne sais pas trop quoi lui dire pour rompre ce silence que je hais alors j'allume la radio et la mets au minimum. C'est justement un morceau de R. Kelly qui passe et je souris parce qu'il adore cet artiste. D'un geste rapide, il coupe le son avant de se retourner encore une fois vers la vitre.

- Désolée, murmuré-je, je croyais que tu aimais bien.

Il hausse ses épaules et comme il ne me regarde pas, je laisse échapper quelques larmes en me forçant à garder les yeux ouverts. Quand je me gare dans le parking sous terrain, je coupe le moteur et m'enfonce dans mon siège. La voiture de Sophie est là et je devine qu'elle vient d'arriver avec Timéo.

- Je suis là si tu as besoin de parler.

Comme il ne me répond toujours pas, je sors de la voiture et vais l'aider à sortir. J'ai mal à sa place quand je le vois grimacer à chaque mouvement. Une fois qu'il est debout, je referme la portière. Il me retient par le bras ce qui me fait frissonner. Des larmes bordent déjà mes iris quand il m'attire dans ses bras.

- Je sais que tu es là Sarah. Merci...

Je m'aggripe sur le devant de son t-shirt pour qu'il ne me lâche pas. Ça fait une éternité qu'il ne m'a pas serrée dans ses bras et ces simples mots de sa part me font craquer. Je l'aime. Inconditionnelement et son bras enroulé autour de mon épaule alors que je pleure contre son torse est la meilleure source de réconfort. J'avais besoin de ça, d'un petit geste qui me dise qu'il m'aime encore un peu. Il dépose un baiser appuyé sur le sommet de ma tête et enlève son bras.

- On devrait y aller, souffle-t'-il. 

- Oui.

J'essuie mes larmes, ouvre le coffre de la voiture et prends les quelques sacs que j'ai. Il n'y a pas grand chose, juste les affaires personnelles de Nicolas et les miennes. Ma mère venait chaque jour pour rendre visite à Nicolas et repartait avec mon linge.

Quand la porte de l'appartement s'ouvre, Timéo me saute dessus.

- Maman!

Je le soulève dans mes bras, le serre contre mon coeur. Mon fils m'avait terriblement manqué.

Il gesticule pour que je le lâche quand il aperçoit Nicolas, derrière moi.

- Nico!

- Hey le nain.

Nicolas  ébouriffe les cheveux de mon fils avant de saluer Sophie.

- J'arrive, dis-je, reste avec Sophie.

J'entre dans la chambre, emportant une valise avec moi et souris quand je vois que ma mère a changé les draps. Ca sent le frais, le propre et je ne remercierais jamais assez mes parents et mes amis pour m'avoir autant aidée. J'écarte les draps, les replis en deux. Nicolas referme la porte derrière lui et soupire.

Il enlève ses chaussures d'un léger coup de pied avant d'enlever son t-shirt. Je ne peux m'empêcher de balader mes yeux sur son torse. Il est beau même s'il a récupéré sa moue boudeuse. J'ouvre la valise pendant qu'il se couche sur le ventre. Je sais que c'est une pénitence pour lui et rien qu'à l'idée de la souffrance que je lui inflige quand je le soigne, mon coeur saigne. Je prends ce dont j'ai besoin et pose le tout sur la table de chevet. Je me désinfecte les main avec du gel et déballe le matériel.

- T'es prêt?

- Oui.

D'une main tremblante, je décolle le pansement. La brulûre est impressionnante. Elle commence sous l'épaule et se finit un peu au-dessus de ses hanches. Des morceaux de peau se décollent, ce qui est très bon signe pour les médecins.

Je prends ensuite une pince à épiler en plastique, attrape avec celle-ci des compresses imbibées de bétadine et les passe délicatement sur son dos.

Nicolas tremble, il resserre ses bras autour de l'oreiller.

- Pause, grogne-t'-il.

Je m'immobilise, retenant mes larmes. Son buste se soulève au gré de sa respiration. Je m'en veux de devoir le faire souffrir de la sorte. C'est terrible à vivre ces soins.

- Tu peux y aller.

Il retient son souffle quand je recommence. Ses cris de douleur étouffés dans le coussin me déchirent. Mes larmes affluent tandis que je continue mon soin. Je l'enduis ensuite d'une crème apaisante qui ne semble pas vraiment faire d'effet.

- Ne remets pas le pansement. S'il te plait.

- D'accord, soufflé-je.

J'essuie mes yeux en vitesse, ramasse mes déchets. Il a déjà fermé les yeux et je devine alors qu'il souhaite être seul. Comme souvent ces jours-ci. Je sors de la chambre et esquisse un pâle sourire à Sophie en allant jeter mes crasses.

- T'as une sale gueule ma biche.

Je ris doucement, et m'appuie sur le plan de travail.

- Je sais... Je t'avoue que je suis épuisée et...

Et je craque. Encore. Mes larmes ne cessent de couler depuis l'incendie. Je voudrais lui dire que je suis perdue, que je souffre de voir Nicolas si éloigné de moi alors que tout cela n'est pas de ma faute, que j'ai l'impression d'être pire qu'une merde mais je ne dis rien. Je n'ai pas le droit de me plaindre alors que lui souffre le martyr dans la pièce d'à côté, alors qu'il a perdu son père.

Sophie me prend dans ses bras et je l'enlace à mon tour.

- Tu vas devoir être forte ma chérie mais tu n'es pas toute seule. On est tous là pour toi. Okay?

- Je sais So mais c'est dur.

*****

Timéo vient de s'endormir dans le canapé, je le porte jusqu'à son lit, le borde avant de sortir de sa chambre sans faire de bruit. Je m'arrête devant ma chambre, hésite d'y entrer. J'ai envie de le voir, de lui demander s'il a besoin de quelque chose mais je n'ose pas. J'ai bien trop peur qu'il m'ignore encore, qu'il refuse de me parler. J'entre doucement. La chambre est plongée dans le noir et aucun bruit ne se fait entendre. Pourtant, je sais qu'il ne dort pas, je le sens.

- Tu veux quelque chose?

Je me mords fort la lèvre en attendant sa réponse. En vain. Je ferme les yeux et soupire doucement. Pourquoi est-ce qu'il m'en veut? Je ressors de la chambre, vais prendre une douche et me faufile dans le lit de mon fils. Ses cheveux bouclés accueilliront encore mes larmes, comme au bon vieux temps. 

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