Livre troisième, Chapitre onzième


Le doux son de la clef pénétrant dans la serrure, puis le bruit qu'elle fait en étant tournée, et enfin, le déclic.

Un soulagement pour Alexandre, une angoisse pour Reiko.

Alexandre : Bonj...

Il se fige en voyant Reiko. Il a un mouvement de recul.

Alexandre : Qu'est-ce que tu fais dans cette position ?

Reiko : Je... je vous attendais...

L'esprit est toujours agenouillé dans l'entrée, comme le matin même. Il n'a pas bougé.

Il ajoute d'ailleurs :

Reiko (gêné) : En fait, je vous attends ici depuis ce matin.

Alexandre : Oh... ça doit être pour le moins inconfortable. Et puis tu n'étais pas obligé. Tu as le droit de t'occuper comme tu veux durant la journée.

Reiko (sourit) : Ne vous en faites pas. J'ai déjà attendu des siècles dans cette position, ce n'est pas dix pauvres heures qui vont me déranger.

Il reprend, effrayé, désolé.

Reiko : Je suis... désolé. Pour le chat. Je comprends que vous m'ayez enfermé. Vous allez... me punir ?

Alexandre : Hey ! Hey ! Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne vais pas te... « punir » ! Si tu étais enfermé, c'est simplement parce que les runes ne laissent rentrer ou sortir aucun être magique sans invitation explicite après lancement du sortilège. Et puis... Je ne voulais pas que tu sortes parce que tu étais blessé... Je suis désolé. Je ne voulais pas que tu le prennes comme ça. Et... pour le chat... tu peux m'expliquer ?

Reiko (soulagé puis sourit) : Oh... Je... désolé. J'ai été stupide. Pour le chat... C'est celui que j'avais le jour de notre rencontre. Je comptais le faire sortir mais... la porte était fermée. Je ne savais pas comment le faire sortir alors je l'ai caché. Je l'ai nourri et après j'ai découvert qu'il était totalement capable de passer par la fenêtre du deuxième étage. Du coup c'était bien. Mais le problème c'est que comme je l'avais nourri, il ne voulait plus partir. Et... et... et... voilà...

Alexandre se retient de rire.

Alexandre (sourit !) : Ce n'est pas grave. Il peut rester. Relève-toi, j'ai plein de questions à te poser.

L'animal concerné pointe d'ailleurs son nez hors de la chambre d'Alexandre.

Ce dernier tend la main à Reiko, pour l'aider à se relever.

En la prenant, l'autre n'a qu'un mot en tête : « Le destin !»

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Alexandre est assis en tailleur sur son matelas, face a Reiko, lui aussi sur l'édredon.

Reiko : Alors... par où commencer ?

Alexandre : déjà, qui était ce monstre qui me barrait le passage ?

Reiko : Ce n'est pas un monstre. C'est un esprit de classe démon. Je précise car la classe monstre existe aussi. Ce démon s'appelle Érénide, c'est une... ancienne amie. Elle voulait que je sois plus fort, que je laisse la colère prendre le dessus... Comme elle. Au final, elle voulait juste mon bien. Sauf qu'elle était prête à me blesser pour atteindre cet objectif. Je pense que c'est elle qui a saccagé votre appartement, avec un autre esprit.

Alexandre : Pourquoi tu étais tout le temps absent ?

Reiko : Vous... ça vous dérangeait ? Je ne pensais pas...

Alexandre : Ouais. Enfin. Pourquoi ?

Reiko : Je défendais mon territoire. Érénide voulait l'annexer au sien pour « mon bien », je pense.

Alexandre : Ton... « territoire » ?

« Je ne sais absolument pas de quoi il parle. Oma ne m'a jamais parlé de ce genre de choses. Je me demande si elle sait. »

Reiko : Hum... comment exprimer ça ?

En attendant la réponse de l'esprit, ses pensées voguent en direction de sa grand-mère.

Sa grand-mère qui a tant pris soin de lui.

Sa grand-mère qui pratique la magie.

Sa grand-mère malade qui est tombée.

Il bloque ces pensées.

Reiko : Hah ! Hum... Eh bien... Chaque fois qu'un être pratique une quelconque activité physique, il perd de l'énergie. Mais où va cette énergie qu'il perd ? La réponse est suivante : nous possédons tous en nous, esprits, un réceptacle, qui nous permet d'accumuler et de se nourrir de l'énergie ambiante. Mais seulement dans un périmètre limité. Or, en copiant les signes de ce réceptacle n'importe où, il transmet l'énergie que les humains dépensent dans son périmètre à notre réceptacle principal. Plus un esprit a de réceptacles, plus il a d'énergie, plus il est puissant.

Alexandre (attentif) : Et donc ?

Reiko (triste) : Je ne sais pas comment procèdent les autres esprits dans le monde, je ne sors pas souvent. Mais il y a très longtemps, moi, Érénide et d'autres esprits du coin avons conclu un accord, nous avions chacun un terrain délimité pour graver nos réceptacles. Néanmoins, avec le temps, les esprits se sont mis à se battre les uns avec les autres pour avoir plus de territoires, plus de réceptacles, plus d'énergie. Érénide et moi ne faisons que défendre le nôtre, gardant en mémoire cette période de paix, pendant que les autres nous attaquent, effaçant nos réceptacles pour graver les leurs, dans une course à la supériorité.

Alexandre : Désolé...

Reiko (sourit tristement) : Ce n'est rien. Les gens changent. Surtout quand ils ont l'éternité.

Il sourit moins mélancoliquement.

Reiko : Vous avez d'autres questions ?

Alexandre : Oui. Encore deux et je te laisse.

Reiko : Je vous en prie.

Alexandre : Pourquoi j'arrive à voir d'autres esprits ? Je t'ai vu te battre à plusieurs reprises avec d'autres esprits, j'arrivais à les voir aussi.

Reiko (réfléchit) : Heu... je ne sais pas trop. Il ne faut pas dire « pourquoi » en magie, rien n'est logique, même formuler des hypothèses ne sert à rien. Le monde magique est un mystère infini... Enfin... si vous voulez une réponse, je pense qu'il y a eu une brèche, après que vous ayez pu me voir. Quelque chose s'est débloqué dans votre cerveau et vous pouvez désormais voir l'entièreté de notre espace.

Alexandre : Intéressant...

Reiko (mal à l'aise) : Vous aviez une autre question, je crois...

Alexandre : J'ai entendu le nom d'un sort, l'autre fois... « Psaume 46, le passeur a la langue coupée, je crois ». Qu'est-ce qu'un « psaume » en magie ? Tu peux m'en dire plus sur ce sort ?

Reiko : Un psaume... C'est une histoire. L'intégralité d'une personnalité, d'une aventure ou d'un évènement que l'on invoque. Charon, le passeur à la langue coupée, endure une éternité de souffrance muette. Ce sort met l'adversaire dans la peau de Charon, qui voit toutes les âmes passer devant lui pour finir enfermées aux enfers.

Alexandre : Le Hadès existe ?

Reiko : Oui. L'endroit où on se retrouve après la mort dépend de sous quel dieu ou croyance on se place de son vivant. On finit où on veut, en somme. C'est le dernier souhait.

Alexandre : Comment utiliser ce Psaume ?

Reiko (paniqué) : Je... je ne peux rien vous dire. Ce serait trop dangereux... Désolé...

Alexandre : Je comprends. C'est un choix juste. Enfin... j'ai encore tellement de questions... Mais je vais m'arrêter là.

Le garçon soupire.

Alexandre (se relève) : Merci d'avoir répondu à mes questions.

Reiko : Mais de rien ! C'est normal de vous poser ces questions. Je suis... vraiment désolé de vous avoir mêlé à tout ça.

Finit-il en baissant les yeux.

Il change de sujet.

Reiko : Au fait, j'ai vu que vous aviez mangé ce que je vous avais préparé, l'autre jour. Voulez-vous que je prépare le repas ?

Alexandre : Ne t'en fais pas, ce n'est pas de ta faute, c'est moi qui ai décidé de venir te chercher. Hum... Je ne préfère pas, mais merci. Je peux me débrouiller seul.

Reiko : Hum... Désolé... Si vous avez besoin de quoi que ce soit...

Alexandre esquisse un sourire.

Alexandre : Ne t'en fais pas, je n'hésiterais pas à te demander.


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