Pdv Hilda

Une nuit sans lune se lève sur Lorule. Au balcon du palais, je me penche sur mon royaume. Des nuages pourpres, toxiques et irrespirables, se profilent à l'horizon. Des traits de feu zèbrent les plaines rousses et asséchées. L'ombre du mont du Péril s'étend jusqu'au Lac Sans Nom.

Voici mon royaume, outragé et souillé. Mon royaume que j'aime malgré tout, plus que tout, pour lequel je suis prête à mourir. Mon royaume condamné, perdu parmi les Limbes de l'Envers.

Je baisse les yeux en direction de la citadelle. Une rumeur se propage entre ses murs, comme la peste. Des cris d'horreur s'échappent déjà de la ville. Ce matin encore, on a trouvé un Lorulien changé en monstre dans son propre lit, en proie à d'indescriptibles tourments. Ce sont là les effets des miasmes qui pullulent en Lorule. Chaque hurlement me lacère le cœur. Je me détourne, impuissante, et je me déteste pour cela.

- Votre majesté !
Mon cœur se serre lorsque la voix de mon chevalier servant retentit. Devant moi se tient Lavio, l'écharpe de travers et les cheveux en bataille.

Et toujours aussi insolemment beau malgré cela.

- J'arrive de Cocorico, votre Majesté. J'ai un rapport à vous faire, halète-t-il.

Il semble épuisé. Depuis combien de temps ne s'est-il pas reposé?

- Je t'écoute, acquiescé-je.

Sans discontinuer, il enchaîne sur les problèmes que rencontre Cocorico. Une horde de Gibdos  s'est introduite au sein du village. Il a réussi à évacuer une partie de la population, mais la majorité des villageois ont péri sous l'assaut de ces monstres. Je vois à son visage qu'il est désolé, qu'il se sent coupable de ne pas avoir secouru tout le monde. Je secoue la tête.

-  Tu n'as pas à t'en faire, Lavio, le rassuré-je. Tout s'arrangera. Lors de la cérémonie de l'Extraction, nous obtiendrons enfin la Triforce de la Sagesse, et le royaume retrouvera un peu de sa gloire d'antan. 

- Justement, répond-il soucieux, je voulais vous demander une faveur, au sujet de la princesse d'Hyrule.

Je sens mes sourcils se froncer malgré moi.

- Quel genre de faveur? Questionné-je, plus sèchement que je l'aurais voulu.

- Eh bien... en échange d'une rémunération plus ou moins généreuse, j'ai... disons... accepté de plaider en sa faveur. Sérieux, vous ne pourriez vraiment pas la faire sortir de prison?

Je secoue la tête, agacée. Je ne sais pas pourquoi, mais le fait qu'il ait passé un accord avec elle me hérisse.

- Lavio, cette princesse mérite sa peine. Aurais-tu oublié ce que la couronne Hylienne nous a fait subir? Elle nous a couverts d'opprobre, nous a banni ses pires criminels sur NOS territoires, comme on balance un déchet dans une fosse avant d'oublier complètement l'existence de l'Envers.

Oui, je crois que c'est ça. Je déteste voir l'un de mes meilleurs chevalier négocier avec les ennemis de Lorule. Rien d'autre.

- Votre majesté, soupire Lavio avec douceur. Je connais votre haine envers l'Endroit. Néanmoins, elle n'est pas responsable des crimes de ses ancêtres. Elle n'a que seize ans...

- J'en ai quinze et c'est moi qui suis à la tête du royaume, rétorqué-je avec froideur.

Je le vois se rembrunir, et un peu de culpabilité m'empreint.

- C'est d'accord, me radoucis-je. J'irai lui parler. Reste dans tes quartiers, tu dois te reposer.

À cet instant, je ne sais pas vraiment ce qui me passe par la tête. Je m'approche de lui, et je place l'une de ses mèches ébène derrière son oreille. Il s'en aperçoit, et se détourne.

Idiote. J'aurais dû me douter qu'il ne voudrait pas de moi, et que les sentiments désespérés que je nourris à son égard ne sont pas réciproques. En choisissant de me vouer corps et âme à la survie de mon royaume, j'ai fait le choix de me détourner de tous les sentiments propres aux adolescents de mon âge. Quelle frivolité. Mais savoir Lavio s'éloigner davantage chaque jour, et qui plus est fréquenter la princesse Zelda... Je ne puis le supporter.

Une fois mon chevalier servant congédié, je me dirige vers les cachots. Ils grouillent de créatures diverses, Moblins, Lézalfos, Bokoblins, Effrois, tous des Loruliens métamorphosés. Les enfermer est un crève-cœur, mais quoi? Que faudrait-il faire? Les tuer?

Je n'en suis pas capable. Jamais je ne le permettrai.

Dans une cellule isolée, recroquevillée, les yeux clos, se tient la princesse d'Hyrule. Malgré son aspect misérable, elle n'a rien perdu de l'élégance qui la caractérise.
- Lève-toi, ordonné-je.

Elle se redresse, et entreprend d'épousseter sa robe. Elle a maigri, son visage est livide et ses grands yeux cernés. Ses cheveux blonds, en revanche, n'ont pas perdu de leur éclat.

- Vous vouliez me voir, votre Majesté?

- Lavio m'a imploré de te sortir de prison, claqué-je. Donne moi une seule bonne raison de le faire.

Je m'exprime en ces termes afin de la tester. Il est évident qu'elle possède l'insolence et l'arrogance propre aux Hyliens, et je veux voir jusqu'où cela peut-il aller. Pourtant, au lieu de me cracher une réplique cinglante, elle se contente de secouer la tête avec un petit sourire:

- Lavio a donc bien tenu sa promesse, je l'avais mal jugé. Je croyais qu'il m'avais arnaquée...

Je plisse les yeux, sceptique. Est-elle véritablement différente de ce que j'imaginais?

- Que lui as-tu donné en échange de sa parole?

Elle hausse les épaules.
- Une paire de boucles d'oreilles en or. Je n'y tenais pas beaucoup.

- Cela est bien peu cher payé en comparaison de ce que je m'apprête à t'offrir. Suis-moi, et tâche de ne pas te faire remarquer.

Elle sursaute lorsque j'ouvre la porte de sa cellule et lui jette un capuchon bleu foncé sur la tête, qu'elle enfile à la volée. Elle se précipite à ma suite, trop stupéfaite pour parler. Moi-même, j'ai du mal à croire que je suis en train de lui porter secours. Elle est mon ennemie. Mais au fond de moi, je sais bien que je ne puis la laisser seule et livrée à elle-même. Un sentiment étrange m'attire vers elle, comme si... comme si la princesse Zelda était ma sœur.

Peut-être est-ce la présence de la Triforce de la Sagesse en elle qui me motive à lui accorder une partie de ma confiance. Parce qu'elle semble différer des autres hyliens, de leur cupidité, et des préoccupations dérisoires des habitants de l'Endroit.

Nous progressons en silence dans les autres ailes du château. Elle marche derrière moi, tête baissée, sous les murmures des conseillers et des gardes. Elle ne passe pas inaperçu, c'est certain. Nous nous engageons au détour de plusieurs couloirs, et nous nous arrêtons près de la cour intérieure, qui communique avec la salle du trône.

Quelques fleurs déjà flétries poussent au pied des rambardes de pierre, presque entièrement recouvertes de mousses. Les rares arbres sont dépouillée de leurs feuilles, et leurs branches sont érigées vers le bas. Le gigantesque piédestal, quant à lui, subit inlassablement la morsure de la rouille et de la poussière. Le trésor qu'il supporte, autrefois synonyme d'espérance et de vitalité chez mon peuple, complètement dépouillé de sa lumière, ressemble à un morceau de charbon au fond d'un foyer éteint.

- Voici, ô princesse de l'Endroit, l'héritage qui m'est promis depuis des siècles. Un vain cadeau des dieux, un royaume à l'agonie et un trône laissé vacant depuis l'assassinat de mes chers parents par le mage noir Aganhim, il y a deux ans. Cette Triforce que tu vois, expliqué-je, a été dépouillée de son pouvoir divin il y a des siècles. Ce sont mes propres aïeux qui ont prié la Divinité Interdite, violant ainsi toutes nos lois, afin qu'il scelle son éclat d'or. Voici la différence entre toi et moi. Tu as grandi dans un royaume où l'air est sain, où la le soleil caressant inonde ta chambre chaque matin. La Triforce d'Hyrule est éparpillée, mais peu importe les mains qui la touchent, elle continue de veiller sur ton royaume.

Elle s'approche de moi, une lueur déterminée empreignant ses grands yeux bleu-vert, et s'adresse à moi d'une voix claire, articulant chaque syllabe:

- Vous avez l'air de croire, votre majesté, que je n'ai jamais rien subi, et que ma vie est parfaite. c'est faux. Certes, j'ai vécu dans un monde où je  n'avais pas à craindre de trouver mes amis, mes camarades métamorphosés en monstres tous les matins. Certes, je respirais un air pur et sain. Certes, j'ai toujours mangé à ma faim, j'ai grandi dans la soie et dans les rubis. Je vous concède tout cela. Mais suis-je heureuse?
Après la mort de ma mère, j'ai grandi toute ma vie auprès d'un père froid et distant, qui ne m'aimait pas. J'ai lutté avec acharnement contre le retour de Ganon, le Roi-Démon. J'ai vu des dizaines de mes camarades tomber sous mes yeux. On m'a capturée et éloignée de mes seuls amis. Et le responsable de tous mes malheurs n'est autre qu'Astor. Astor, le meurtrier de tous ceux auprès de qui j'ai combattu.

Je détourne le regard. Évidemment... elle se place comme une victime afin de m'attendrir et de me manipuler. Ainsi sont les êtres de l'Endroit. Dire que je me suis montrée assez sotte pour faire preuve de compassion envers elle... dois-je annuler ma promesse?

Non. Car cette promesse, ce n'est pas à la princesse que je l'ai faite. C'est à Lavio.

-Astor est mon invité, combien de fois vais-je devoir le répéter? Quant à toi, tu es sa prisonnière. En temps normal, ton sort lui appartient. Il a choisi de te faire exécuter après la cérémonie de l'Extraction, mais...

Je soupire à nouveau.

- Je n'en ferai rien. Tant que je serai souveraine, nul ne sera condamné à pareille sentence. Je ne veux pas ta mort, Zelda Hyrule, même si j'ignore pourquoi. Suis-moi.

Nous quittons la cour intérieure, et je la conduis jusque dans la partie inférieure du château. Là, j'ouvre une petite porte de bois. Elle donne sur une petite pièce circulaire, pourvue d'une fenêtre, assez médiocrement meublée: un lit une place où reposent deux couvertures, une armoire en noyer, une petite commode, une chaise branlante et un grand miroir. Une porte attentante donne sur une salle de bains.
La chambre à coucher, ayant appartenu dans le temps à une bonne, est relativement propre et confortable, bien que très étroite. Cette précieuse, accoutumée au luxe, ne s'y sentira probablement pas à sa place, mais elle y sera mieux qu'au cachot.

- Installe-toi là, ordonné-je. On viendra t'apporter des vêtements de rechange et des produits de soin.

Elle hoche la tête et me remercie. La gratitude se lit dans son visage pâle et triste. Je referme la porte derrière moi. Plus le temps passe, plus je la trouve différente de l'image que je me fais des habitants de l'Endroit. Preuve qu'elle est peut-être habile parleuse et qu'elle fera tout pour faire de Lorule sien. Ai-je tort de lui faire confiance?

- Votre Majesté...

Je fais volte-face. Yuga s'incline en une révérence parfaite. Son teint est encore plus cireux qu'à l'accoutumée, jurant avec ses cheveux flamboyants.

- J'ai entendu votre échange avec Zelda Hyrule. Sauf votre respect, majesté, je vous trouve trop prompte à lui faire confiance. Il va de soit qu'elle s'apprête à nous trahir. Après tout, peut-on se fier  aux gens de l'Endroit?

Je fronce les sourcils.

- Insinues-tu, Yuga, que je sois une créature naïve et facilement corruptible?

- Loin de moi cette idée, majesté, assure-t-il précipitamment. Cependant, cette Hylienne est sournoise, cela se lit dans ses yeux. Elle guette la moindre faiblesse de notre part pour sauter sur l'occasion et nous pousser à la ruine. Je vous recommande la plus grande méfiance. 

- Que crois-tu que je fasse? répondis-je. Je suis d'avis de lui laisser sa chance. Tâchons au mieux de la cerner. A la moindre déception... eh bien... je suis d'avis de laisser Sire Astor décider de son sort. 


Heeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeey mes têtes de claquettes!

Je suis désolée d'avoir mis tant de temps à écrire, mes devoirs m'ont un peu ralentie, mais j'essayerai de retrouver un rythme de publications régulier!

Pour ceux qui sont déçus d'avoir eu un chapitre sans trop d'action, je vous promets qu'il y en aura au prochain chapitre, avec le retour du quatuor infernal (aka Link, Saria, Revali et Médolie!) 

Que pensez-vous du point de vue d'Hilda? 

Bonne journée à tous, prenez soin de vous

~Goldilocks, la retardataire

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