Chapitre 77
J'ouvre la porte de la chambre et Stella s'y engouffre en premier. Je la talonne, prenant soin de bien refermer la porte derrière nous. Cette fois-ci, rien ne nous empêchera d'avoir cette discussion que nous aurions dû avoir depuis longtemps.
Stella fait pivoter les roues de son fauteuil pour me faire face. Elle renifle doucement, avant de passer sa main sur ses joues humides. La tête baissée, elle croise les mains sur ses cuisses avant de relever son regard vers moi. Je lis beaucoup d'appréhension sur son visage, ainsi que de la peur dans ses yeux bleus. Positionnée à côté du lit, elle tire son plaid à étoiles vers elle et le triture légèrement en scrutant les motifs. Je reste debout en face d'elle.
- Mon frère m'a offert ce plaid quand j'étais à l'hôpital, juste après mon opération, m'apprend-elle, une pointe de nostalgie dans la voie. Il me répétait tout le temps que j'étais sa petite étoile. Ce que tu ne sais pas sur lui, c'est qu'il était mon entraineur pendant mes années de natation. Cette passion, on la partageait en famille. Lui aussi était un sportif de haut niveau, avant d'être blessé lors d'une soirée qui a dégénéré. Un mec bourré l'a balancé d'une mezzanine et, dans sa chute, il a atterri sur son épaule. Le verdict est tombé : il ne pouvait plus continuer les compétitions. Du coup, il s'est reconverti en coach et, quand j'ai moi-même été victime d'un accident qui m'a couté ma jambe, il a très mal vécu ce coup du sort. Peut-être même plus mal que moi.
Elle marque un temps d'arrêt avant de relever la tête vers moi. Son regard se fait insistant. Je m'aperçois soudain qu'elle ne m'a jamais révélé la cause de son amputation. Et, étrangement, j'ai peur de lui demander ce qui se cache derrière cette tragédie. Constatant que je garde le silence, elle continue son récit :
- Cela faisait des mois et ds mois que je m'entrainais tous les jours d'arrache-pied pour battre mes propres records et atteindre la première place d'un championnat qui se déroulait en ville. Je n'avais pas de vie sociale, je voyais très peu mes amies, tellement je passais de temps dans les bassins. La seule personne que je côtoyais, c'était mon coach. Un soir, la pression était trop forte et j'ai voulu décompresser en allant boire un verre avec mes amies. Nous avons passé une excellente soirée. J'ai peut-être un peu abusé de la boisson mais, pour la première fois depuis longtemps, j'étais une jeune fille profitant de la vie, s'éclatant en bonne compagnie, et non une nageuse qui devait sans arrêt faire un meilleur temps.
Stella s'interrompt de nouveau. Elle déglutit en prenant une profonde respiration.
- Mais la sportive en moi ne voulait pas abuser. Je savais que mon frère m'attendait au tournant donc, j'ai décidé de rentrer plus tôt que prévu, malgré l'insistance de mes amies. "Encore un verre", "c'est le dernier verre", qu'elles n'arrêtaient pas de répéter. J'ai réussi à résister et, en y repensant, j'aurais peut-être mieux fait de rester dans ce bar avec elles. Autrement, je n'aurais jamais traversé ce passage piéton... au moment où la voiture, qui arrivait en face de moi... n'a pas pris la peine de freiner et m'a...
Des larmes commencent à couler sur les joues de ma jolie blonde, mais elle ne décroche pas son regard du mien. Moi-même, je sens ma gorge se serrer et l'air me manquer. Mon cœur bat à tout rompre. Mes jambes flageolent sous mon poids. La tête commence à me tourner. Pourquoi continue-t-elle de me fixer ainsi ?
Je fais un pas en arrière et secoue doucement la tête, ayant peur de comprendre ce qu'elle insinue. Non, ce n'est pas possible. Elle n'est pas... elle ne peut pas être...
Indéniablement, je suis renvoyé à ce terrible samedi soir qui a bouleversé ma vie, pour le pire. Je me revois au volant de cette voiture, à circuler à toute berzingue dans les rues de Los Angeles. L'alcool et la drogue circulant à profusion dans mes veines, j'étais dans un autre monde, un univers parallèle où les notions de bien et de mal n'existaient pas, où seulement le plaisir et l'instant présent étaient rois.
- Te souviens-tu ? Te souviens-tu de cette nuit, Hero ? me demande Stella, des sanglots dans la voix.
Je ne peux pas y croire. Ça ne peut pas être réel. Je lui tourne le dos, incapable de lui faire face. Je presse ma main devant ma bouche pour réprimer la crise de larmes qui est sur le point de me submerger.
J'entends les roues du fauteuils crisser sur le sol en lino, le bruit s'approchant de moi. Quelques secondes plus tard, des bras encerclent lentement ma taille et je sens le corps de Stella se presser contre le mien. Elle a dû se lever de son fauteuil, à l'aide de sa prothèse toujours en place. Sa tête se pose sur mon dos. Je prends appui contre la porte, complètement anéanti. J'ai du mal à réaliser ce que j'ai fait subir à cette fille.
- Je suis... désolé, je sanglote, ma voix se fêlant sur le dernier mot.
Que puis-je lui dire à part ça ? Je n'aurais jamais cru me retrouver confronter à mes démons du passé. Plusieurs fois, je me suis demandé ce qu'était devenu cette jeune fille qui se trouvait au mauvais endroit, au mauvais moment. Quelles étaient les probabilités que je la recroise sur ma route, au moment où je décide de reprendre ma vie en main ?
Je me laisse doucement glisser jusqu'à ce que mes fesses touchent le sol, entrainant Stella dans ma chute. Elle se décale pour s'accrocher à mon bras. Mes yeux se posent inévitablement sur sa jambe artificiel.
- Lorsque j'ai émergé de mon opération, j'ai appris que tu étais le conducteur qui se trouvait derrière le volant. Je ne te connaissais pas du tout, mais je t'ai haï de toutes mes forces. Les jours qui ont suivi, je t'ai maudit, ne te souhaitant que du mal et, surtout, que tu paies pour cette atrocité dont j'ai injustement été victime.
Ses mots sont comme des poignards qui transpercent mon cœur. J'ose à peine imaginer le calvaire qu'elle a dû vivre par ma faute. Je ne lui en veux pas de m'avoir détesté. Je me dégoûtais aussi à l'époque.
- Et puis, j'ai fait des recherches sur toi, pendant ma convalescence. J'ai découvert que tu étais un acteur, et pas un inconnu. J'étais heureuse de constater le tollé que cette histoire avait provoqué dans ta vie. Tu avais échappé à la prison, mais tu a hérité d'un sort encore pire : renoncer à tout ce que tu aimais. Ironique, n'est-ce pas ?
Bien que je perçoive une grande émotion dans sa voix et aucune once de méchanceté, son attitude me perturbe. Je me dégage de son emprise et me relève, la laissant assise, par terre.
- Tout ce temps, tu savais... Tu savais qui j'étais et... tu as joué une putain de comédie. Pourquoi ne m'as-tu pas dit la vérité plus tôt ?
- Je ne suis pas la seule à avoir joué un rôle ici, "Brody", rétorque-t-elle avec aplomb. J'ai appris à te connaitre et j'ai réalisé que tu étais une personne complètement différente de l'image que j'avais de toi. Le soir où tu m'as amené me baigner, c'est là que je suis tombée amoureuse de toi. J'ai réalisé que tu ne méritais pas...
A ce moment-là, quelqu'un frappe à la porte. Putain, je jurerais qu'ils le font exprès !
- Une minute ! s'écrie Stella, tandis qu'elle essaie de se relever.
Je me penche vers elle et lui tends la main pour l'aider. Elle prend appui sur moi, le temps de trouver un équilibre avec sa nouvelle jambe. Une fois sur pied, elle autorise la personne à entrer. La porte s'ouvre et la tête d'une infirmière apparait dans l'encadrement.
- Mademoiselle Atkins, votre frère est là, nous apprend l'employée. Il insiste fermement pour voir voir, étant donné que vous lui avez interdit de vous voir lors de ses précédentes visites. Il a clairement stipulé qu'il ne bougerait pas tant qu'il ne vous aurait pas vu.
- Appelez la sécurité, faites quelque chose, mais je ne veux pas le voir, ordonne-t-elle de manière sèche, regagnant son fauteuil, dans lequel elle reprend place.
- Il sait que vous êtes dans votre chambre et m'a fait comprendre qu'il ne bougerait pas sans vous avoir parlé, insiste l'infirmière.
Stella soupire en fermant les yeux et finit par obtempérer. L'infirmière la gratifie d'un signe de tête, lui indiquant qu'elle va chercher son frère.
- Va dans la salle de bains, me commande-t-elle. Je ne veux pas qu'il te voie ici. On finira notre conversation après son départ.
Si c'est sa seule condition, très bien. Je m'exécute et m'enferme dans la pièce qu'elle m'a indiqué et attends. Quelques secondes plus tard, la voix grave de Steven parvient à mes oreilles.
- Stella ! Enfin... Qu'est-ce qui te prend de faire ça ? lui demande-t-il.
- Je pensais avoir été claire la dernière fois, rétorque la blonde. Je ne veux plus que toi, ni personne n'interfère dans ma vie. J'ai décidé de reprendre mon indépendance, et je vais me tenir à ce choix. J'en ai assez de dépendre des autres.
J'entends très bien, malgré l'épaisseur de la porte. Mon oreille collée contre le bois, je perçois des bruits de pas.
- Tu parles d'une indépendance ! se moque-t-il, faisant monter ma colère sous-jacente d'un cran. Devine qui a reçu un devis faramineux pour une prothèse ? Si tu veux vraiment être débarrassée de nous, mais je t'en prie ! J'espère que tu as les moyens de payer ta liberté.
Quel connard ! Si Stella ne veut plus rien à voir affaire avec Steve, ou les autres membres de sa famille, je paierais volontiers pour sa prothèse.
- C'est l'autre qui t'a bourré le crâne d'idées à la con ? demande-t-il sur un ton méprisant.
Pourquoi j'ai le sentiment d'être cet "autre" ? S'il continue sur sa lancée, la porte ne séparera pas longtemps mes mains de sa gorge.
- Laisse Hero tranquille, me défend-elle. Il n'a rien à voir dans cette histoire. D'ailleurs, je ne pensais dire à ça un jour, mais il est la personne la plus décente de nous tous.
Steve se met à ricaner.
- Laisse-moi deviner... Il a fait le joli cœur avec toi et, quoi ? T'es amoureuse de lui ? Vous allez vivre heureux jusqu'à la fin des temps ? pouffe-t-il d'un rire mauvais. C'est un acteur, bon sang ! Il peut te faire croire ce qu'il veut ! T'es vraiment naïve, sœurette !
Stella ne répond pas pendant plusieurs secondes. Putain, ça me tue de ne pas voir ce qui se passe.
- Il est sincère, réplique-t-elle. Tu ne le connais pas comme je le connais. Il a montré des remords quant à l'accident et...
- Et quoi ? Tu crois qu'il t'aime ? Il peut avoir n'importe quelle nana de la Terre, alors pourquoi il choisirait une fille en fauteuil ? Tu t'imagines sur les tapis rouges à ses côtés, lui en train de te pousser... C'est vraiment glamour, tout ça !
Mais quel enfoiré ! Comment ose-t-il parler à sa propre sœur de cette manière ? Jamais je ne me permettrait de parler à Mercy de cette façon.
- Ah ! Mais je comprends mieux ta lubie de la prothèse. C'est pour ne plus être un boulet à ses yeux ! Stella, Stella, Stella... Tu es encore plus pathétique que je le pensais...
Je suis vraiment à deux doigts d'enfoncer cette porte, mais je me retiens. L'envie de savoir la vérité est plus forte que tout, et je sais que Stella est capable de se défendre contre lui.
- Comment crois-tu qu'il va réagir quand il connaitra la vérité ? lui demande-t-il sur un ton mesquin. Tu crois qu'il va te pardonner ?
- Il est déjà au courant pour l'accident, lui répond-elle d'un ton calme. Et il est resté.
Euh... ouais, parce que je n'ai pas eu le choix ! Si l'autre boulet ne s'était pas pointé, il y aurait eu de grandes chances que je prenne mes jambes à mon cou. Bien que je l'aime, en écoutant les propos de son frère, je suis de plus en plus convaincue qu'il y a plus dans ce mystère que cette histoire d'accident.
- Vraiment ? s'étonne le blond. Comment crois-tu que Mac va prendre la nouvelle ?
- Il n'osera jamais me faire de mal, ajoute Stella d'une voix très sûre. Il en veut à Ben d'avoir risqué ma vie, alors...
Putain, mais c'est qui encore, celui là ?
- Ben... je n'étais pas d'accord pour qu'il te rejoigne à GBH. Je n'ai jamais pu me le supporter. Cette manière qu'il avait de toujours de te bouffer des yeux, ça me rendait malade ! Mais Mac a insisté. Je pense qu'il doit s'en mordre les doigts, maintenant. Il avait une simple tâche : garder un œil sur toi. Cet incapable n'a même pas pu réussir ça ! D'ailleurs, pourquoi tu t'es jetée dans cette eau gelée ?
Je peux déceler de la moquerie ainsi que du dégoût dans sa voix. Étrangement, je suis d'accord avec lui sur un point. Imaginer Ben faire les yeux doux à Stella me retourne l'estomac. Mais je veux connaitre la réponse à cette question. J'ai eu plusieurs fois envie de la lui poser, mais je ne trouvais jamais le bon moment pour aborder le sujet.
- Ce n'est pas très clair dans ma tête. Tout ce dont je me souviens, c'est que la sensation de l'eau me manquait, avoue-t-elle. Je me suis allongée à la surface, mais je ne suis pas arrivée à regagner le bord, à cause du courant. J'ai essayé de nager, mais... Je ne voulais pas mourir, mais en voyant les minutes défiler, je me suis résignée à l'idée de...
Mon cœur se serre en entendant ses paroles. Je la revois encore flotter dans cette eau sombre et, je ne peux m'empêcher de penser que si je ne l'avais pas trouvée...
- Mais Hero m'a sauvé, renchérit-elle. Ça montre à quel point il n'est plus la personne irresponsable et égoïste qu'il a pu être à une époque. Les gens changent, Steve.
J'entends le blond siffler entre ses dents. Je l'imagine bien en train de lever les yeux au ciel en secouant la tête.
- Mac ne laissera pas tomber, tu le sais, lui rappelle gentiment son frère.
- Je m'occuperai de lui, d'accord ?
Pas de réponse vocale de la part de Steve. Soudain, je sens mon portable vibrer et le dégaine rapidement. Gibbs m'a envoyé un message, me demandant de revenir le plus vite possible à l'institut. Putain ! Ça ne pouvait pas plus mal tomber.
- Je vais quand même essayer de le raisonner, lui assure son frère. D'ailleurs, je vais y aller.
Quelques secondes plus tard, j'entends la porte s'ouvrir puis se refermer. Je décide de sortir de ma cachette et trouve Stella, au milieu de la pièce, en train de me regarder. Je décèle énormément de crainte dans ses yeux.
- Tu dois avoir beaucoup de questions, murmure-t-elle.
A vrai dire, j'en ai encore plus qu'au début de ses révélations. Je ne sais pas du tout quoi penser de tout ça. Je me sens à la fois trahi et soulagé qu'elle m'ait dit la vérité sur son identité. Qui est ce Mac ? Dans quel but Stella m'a-t-elle caché la vérité par rapport à l'accident ? Je me rappelle de Freddie qui avait surpris Stella, Ben et son frère en train de "comploter". Je n'avais pas voulu le croire à ce moment-là, mais je crois que son instinct ne l'a pas trompé.
- Tellement, que je ne sais pas par où commencer...
- Je t'écoute, je t'ai dit que je te dirais tout, donc...
Au moment où je m'apprête à l'interroger, mon portable refait des siennes et, cette fois-ci, un appel de Gibbs s'affiche sur mon écran. Connaissant le caractère soupe-au-lait du scénariste, je préfère décrocher.
- Gibbs, tu tombes mal, là...
- Oui, je sais, mais je voulais t'annoncer une bonne nouvelle ! Étant donné que tu n'es pas là, je vais devoir le faire par téléphone : tu quittes GBH ce soir ! Le tournage du film commence demain !
Je suis abasourdi par la nouvelle. Il me restait encore une semaine à tirer à l'institut. Peut-être que ce n'est pas plus mal, après tout.
- Euh... c'est super ! je m'exclame, manquant cruellement d'enthousiasme.
- Je vous attends, toi et Jade, demain, à huit heures pétantes pour commencer cette nouvelle aventure ensemble ! s'emballe Gibbs.
Il raccroche et, encore sous le choc, je range mon téléphone et me dirige vers la porte avant d'être interpelé par Stella. Je me retourne vers elle et un immense désespoir se lit sur son visage, les larmes apparaissant au bord de ses yeux bleus.
- Tu n'as plus à t'en faire pour moi, et je me fiche de savoir dans quel combine ou quel complot tu trempes avec ton frère et ce... Mac. Parce que je quitte GBH ce soir !
- Hero, tu dois faire attention, parce que...
Sans lui laisser le temps de finir sa phrase, j'ouvre la porte et m'engouffre dans le couloir, malgré la voix de Stella m'appelant jusqu'à ce qu'elle devienne un murmure...
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