Chapitre 71

Freddie est toujours dans mes bras, sanglotant. Je le tiens fermement pour qu'il évite de tomber. Ses jambes tremblent sous son poids et j'ai peur qu'il ne s'effondre complètement, si je le lâche. Il s'agrippe fortement à la manche de mon tee-shirt. Les cris qui sortent de sa bouche traduisent tout le désespoir qui l'habite. Je ne sais pas quoi faire. J'ignore si je dois dire quelque chose ou le laisser pleurer jusqu'à ce qu'il s'arrête de lui-même.

- Je... l'ai perdue, sanglote-t-il.

Ses mots sont très énigmatiques. Je n'ai aucune idée de ce à quoi il fait référence. Mais cette confession semble plus douloureuse que la réalité à laquelle il est en train de faire face. Elle doit se concrétiser dans son esprit.

- De quoi parles-tu ? je lui demande calmement.

Il se redresse péniblement pour me faire face. Ses yeux rougis et ses joues zébrées par les larmes lui donnent un air encore plus vulnérable qu'à l'accoutumée.

- K... Kayla, balbutie-t-il en reniflant. Elle est venue me voir... et... et...

Il n'arrive pas terminer sa phrase et se lève pour se diriger vers la baie vitrée. Son regard sombre est perdu dans l'obscurité de la nuit. Il encercle ses bras avec ses mains et laisse échapper ce qui ressemble à un frisson.

- Elle a refait sa vie. Elle est fiancée, même ! s'écrie-t-il.

Le calme apparent dont son corps fait preuve est en complète contradiction avec le ton qu'il emploie. Son menton tremble, prévenant d'une autre crise de larmes. Une de ses mains quitte son coude pour aller se nicher dans ses cheveux, qu'il tire vigoureusement. Son attitude est de plus en plus inquiétante. Je fais un pas dans sa direction mais, à ma grande surprise, il me fusille du regard, m'intimant de ne pas m'approcher.

- Freddie, écoute, si tu veux, on peut en parler... je lui propose, sans être sûr de mon coup, ignorant qu'elle va être sa réaction.

- Tu veux parler de quoi ? Du connard qui se tape la femme que j'aime et que je n'ai jamais cessé d'aimer et qui ne m'aime pas ! Et ouais, elle me l'a clairement dit ! KAYLA-NE-M'AIME-PAS !

Il prend soin de décortiquer chaque mot de la phrase, avant de se mettre à rire, d'un rire mauvais, avant que des larmes ne se mettent de nouveau à rouler sur ses joues. Contre toute attente, il se met à hurler avant de se donner des coups de poings dans la tête. Je me précipite vers lui et le ceinture pour l'empêcher de se blesser. Il est plus résistant que je le croyais et j'ai beaucoup de mal à le contenir. Il se débat comme un félin en cage.

- Lâche-moi ! Lâche-moi, putain ! s'égosille mon ami.

- Calme-toi, merde ! je proteste, tout en essayant de le maitriser.

Nous finissons par tomber à terre, et j'arrive à le coincer sous mon poids. Il continue de lutter, et j'ignore combien de temps je vais tenir. Il parvient, à mon grand étonnement à se relever, donc à me soulever et à se soustraire à mon emprise. Son regard est mauvais et ses iris sont plus noires que la nuit.

- Tu veux te défouler ? Vas-y, défoule-toi sur moi !

J'ouvre les bras en grand, comme une invitation à venir me boxer. Freddie écarquille les yeux, surpris par ma proposition mais, étant donné qu'il m'en veut, autant qu'il déverse toute cette colère et cette rage sur une cible appropriée. Il me toise, ne sachant s'il doit me prendre au sérieux.

- Tu... tu veux que je te frappe ? me demande-t-il, en fronçant les sourcils et en penchant la tête sur le côté, interloqué.

- Ne me dis pas que t'as pas rêvé de me refaire le portrait depuis que tu connais la vérité sur moi, je lui dis, sur un ton provocateur. Alors, vas-y, fais-toi plaisir ! Je ne riposterai pas.

Je laisse tomber mes bras le long de mon corps et attends la réaction de Freddie. Il reste interdit pendant quelques secondes. Je pense qu'il doit peser le pour et le contre dans sa tête. Puis, il s'approche tranquillement de moi. Son expression est neutre. Impossible de savoir s'il va me coller une baigne ou me donner une accolade.

- Je ne veux pas te faire de mal, même si tu m'en as beaucoup fait, déclare-t-il, après quelques secondes de silence. Tu mériterais un bon uppercut dans la mâchoire, mais ça ne serait pas très vendeur pour ton film...

Je pense rêver, mais je crois apercevoir une ombre de sourire sur son visage. Freddie serait-il en train de me sourire après une petite pique humoristique ? Je n'en crois tout simplement pas mes yeux et mes oreilles !

Par contre, sans que je m'y attende, il me file un coup de poing dans l'épaule, qui m'arrache une grimace de douleur. Je me frotte vigoureusement l'endroit de l'impact, en le regardant, choqué. Je n'aurais jamais soupçonné qu'il ait autant de force. Mon ami se met alors à rire, avant de m'asséner un second coup au même endroit, alors que je venais d'arrêter de le frictionner. Ses rires redoublent et je ne peux que me joindre à lui. A ce moment-là, nous sommes deux idiots en train de nous esclaffer tous seuls dans la chambre d'un asile psychiatrique. Les gens nous prendraient vraiment pour des fous, mais je m'en fiche royalement. Les larmes de mon ami ont fait place à des éclats de rire. Le plus important, c'est que Freddie ne pense plus -- momentanément -- à Kayla.

Quelques instants plus tard, nous retrouvons notre sérieux, malgré ma douleur lancinante à l'épaule. Il ne m'a vraiment pas raté ! Je le regarde, en tentant de reprendre mon souffle, une main posé sur mes abdominaux. Lui aussi, haletant, prend appui avec ses mains sur ses genoux, comme s'il venait de courir un marathon. Lorsque notre respiration se fait plus régulière, je me redresse et lui tends la main en guise de paix. Ses yeux marrons se posent directement sur mes doigts tendus dans sa direction. Il la scrute pendant quelques instants, avant de reporter son attention sur mon visage. Il se redresse à son tour, sans me quitter du regard.

- Qu'est-ce qui me garantit que tu ne me feras pas encore un tour de con ? me demande-t-il, le plus sérieusement du monde.

C'est à ce moment-là que le génie de Jade entre en action. Sur le lit, j'attrape mon petit cahier noir et le lui tends. Il regarde l'objet avec circonspection.

- Tout ce que tu voudras savoir se trouve dans les pages de ce cahier. Gibbs... enfin, le scénariste à l'origine du film, m'a demandé de faire des recherches sur les pathologies mentales concernant mon personnage, mais aussi de retranscrire mon expérience au sein de l'institut. Et disons que tu occupes la majorité des lignes qui remplissent ce calepin. Libre à toi de le lire... Je n'ai plus rien à te cacher.

Le cahier toujours dans la main, je ne pourrais dire s'il va s'en emparer ou pas. Son regard va du cahier à moi plusieurs fois d'affilée. Timidement, à son tour, il tend la main vers moi et saisit mes notes. Il tourne l'objet dans tous les sens, comme s'il cherchait des réponses sur la couverture noire.

- Merci, me dit-il.

Je hoche la tête en signe d'approbation et tourne les talons pour me diriger vers la porte. Il est temps pour moi de partir. Freddie a l'air dans un meilleur état d'esprit que quand il a franchi le seuil de sa chambre. J'ouvre la porte et m'engouffre dans le couloir, lorsque la voix veloutée de mon ami m'interpelle :

- Hero ?

Je me retourne vers lui. Son ton est très enfantin.

- Tu veux bien rester avec moi, cette nuit ?


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