Chapitre 65
- Salut, Freddie, dit Kayla de sa voix erraillée.
La brunette, dont le visage est rempli de minuscules tâches de rousseur ne semble pas très à l'aise durant ce face-à-face inattendu. Elle a beaucoup de mal à soutenir le regard de son ex petit-ami. En sachant ce qui s'est réellement passé, le contraire m'aurait énervé.
Si mes souvenirs ne me jouent pas de tour, l'ancien couple ne s'est pas revu depuis la nuit tragique du viol de Freddie. C'est-à-dire neuf mois. Je me demande bien pour quelle raison Gallagher l'a faite venir ici. Je crains la réaction de Freddie.
D'ailleurs, celle-ci ne tarde pas à se manifester. Il fait un pas vers elle, en ouvrant ses bras mais, de là où je suis, je peux distinguer qu'elle recule, en baissant la tête.
- Freddie, s'il te plait, chuchote-t-elle. Je ne suis pas venue pour ça.
Kayla balade son regard à tour de rôle sur chaque témoin de la scène : Jade, Gibbs, Gallagher et moi. Clairement, elle n'a pas envie de laver son linge sale en public. Cette confrontation a dû se dérouler de mille et une façons dans sa tête, mais jamais devant un tel public, à mon avis. Mais je comprends que son attitude et sa présence inexpliquée puissent décontenancer Freddie . J'ai envie d'aller le soutenir car, le connaissant, il ne doit pas bien vivre ce moment.
- Alors, pourquoi t'es là ? lui demande-t-il d'un ton confus et blessé.
Pour seule réponse, elle tourne la tête vers le docteur Gallagher, pour qu'il intervienne. Ce qu'il fait rapidement.
- Peut-être que nous devrions en parler dans mon bureau, en privé.
Kayla acquiesce et entre dans la pièce où elle se trouvait quelques minutes auparavant. Le directeur de l'institut effectue un petit signe de tête à l'attention de Freddie, qui reste planté dans le couloir. J'ose à peine imaginer ce qui se passe dans sa tête. Ses bras sont tendus vers le sol et ses poings sont serrés, signes annonciateurs du pire. D'habitude, je suis celui qui arrive à le calmer, mais depuis les récents évènements, je ne suis pas certain d'y parvenir, où qu'il me laissera faire.
D'un pas hésitant, il se dirige vers le bureau, mais s'arrête avant d'en franchir le seuil. Toujours raide, il tourne la tête lentement vers moi et je peux voir son regard meurtri. Mon coeur se brise une nouvelle fois pour lui. Veut-il de mon aide ? De ma présence ? Avant, j'aurais immédiatement su quoi faire, mais là... Je ne veux pas plus le blesser qu'il ne l'est déjà.
Je sens un coup de coude dans mes côtes et je remarque Jade, toujours à côté de moi, me faisant signe avec la tête d'aller le rejoindre. Je reporte mon attention sur Freddie, qui me fixe toujours. Je fais deux pas vers lui, attendant une quelconque protestation, mais rien ne vient. Je continue d'approcher, anticipant le moindre signe de rejet. J'arrive à sa hauteur et il se décide à entrer. Je le suis, sans dire un mot. En entrant, j'échange un bref regard avec Gallagher, qui referme la porte derrière moi.
Le directeur s'installe en face des deux ex amoureux, qui ne se regardent pas. Les chaises sont très éloignées, comme s'ils cherchaient à s'éviter. Je peux sentir le malaise ambiant de là où je me tiens (juste à côté de la porte). Par contre, j'espère juste que Gibbs, furibond comme il était, ne va pas tordre de cou de Jade, malgré tout. Connaissant son caractère intempestif et très irrégulier, on n'est jamais à l'abri de mauvaises surprises avec lui.
La voix du directeur de GoldenBay House me ramène immédiatement dans le bureau.
- Bien. Maintenant que nous sommes en petit comité, nous pouvons parler plus tranquillement.
L'anglais se tourne vers Kayla et répète la question qu'il lui avait posé auparavant dans le couloir. Cette dernière décide de lui faire face.
- C'est lui qui m'a appelé, dit-elle en pointant Gallagher du doigt. Il m'a raconté tes exploits culinaires.
Freddie se tourne alors vers le responsable de l'institut.
- Pourquoi l'avoir appelée, elle ? demande-t-il, la voix tremblante.
Je le vois agripper l'accoudoir fin en métal de sa chaise avec les deux mains. Il serre tellement que les jointures de ses doigts blanchissent rapidement. J'espère que cette entrevue va se passer sans encombre. Pour toute réponse, Gallagher tourne la tête vers Kayla, l'incitant à répondre à sa place.
- Freddie, te rappelles-tu de ton arrivée, ici ? lui demande la jeune femme.
Même si je ne le vois que de profil, je distingue qu'il fronce les sourcils.
- Très vaguement. Pourquoi ?
- De quoi te souviens-tu, exactement ?
- Tout est assez flou, pour être honnête. Je me rappelle de l'horrible sensation de désespoir qui m'avait envahi juste avant de...
Il s'interrompt et serre un de ses poignets, geste qu'il avait fait la première fois qu'il m'avait parlé de sa tentative de suicide. Kayla suit sa main du regard et ferme les yeux, certainement touchée ou par culpabilité.
- Je voulais que ça s'arrête... cette douleur... et...
Il souffle bruyamment en se détournant de son ex petite-amie et baisse la tête, encerclant toujours son poignet. Petit à petit, il commence à se balancer d'avant en arrière, ce qui est très mauvais signe dans son cas. Kayla lance un regard affolé vers Gallagher, qui se lève pour se précipiter devant Freddie. Il s'agenouille devant lui pour tenter un contact visuel.
- Freddie, Freddie, Freddie... tout va bien. Vous êtes en sécurité. Rien ne peut vous arriver ici, déblatère le psychologue.
- Qu'est-ce... qu'est-ce qu'elle fait là, docteur ? sanglote mon ami.
Le revoilà, le gamin détruit.
- Kayla est celle qui vous a fait admettre ici, lui explique-t-il d'une voix posée. C'est elle qui vous a retrouvé dans ce motel, inconscient. Après votre séjour à l'hôpital, elle a pensé qu'il serait préférable de vous faire suivre par des professionnels.
Je ne m'étais jamais vraiment posé la question de savoir qui était la personne qui payait l'internement et les traitements de Freddie. Sachant qu'il n'a aucune famille ici, la liste de possibilités était inexistante.
- Ce qui t'est arrivé est tellement injuste, déplore la brunette aux yeux bleus. Et c'est à cause de moi et de tout ça que tu as essayé de mettre fin à tes jours. Alors, c'était la moindre des choses que je garde un oeil sur toi et que je prenne soin de toi, même à distance...
La moindre des choses ? Elle a orchestré ce faux viol avec Jade pour l'éloigner d'elle, et qui l'a conduit sur une voie très sombre. Elle lui doit une vie, même ! Voire deux !
Les balancements de Freddie diminuent au fur et à mesure des paroles de Kayla. L'infinie tristesse qui tiraient ses traits a laissé place à une sorte d'espoir. Je peux apercevoir tout l'amour qui lui porte encore à ce jour. Je n'en ai jamais douté car, à chaque fois qu'il l'évoquait, les mots qu'il employait pour la qualifier étaient choisis avec tendresse et affection. Par contre, je n'en décèle nullement chez Kayla. J'espère qu'il ne se fait pas de fausses idées.
- Quand je sortirais d'ici... on pourrait... peut-être se... revoir ? propose-t-il avec prudence, malgré le grand sourire qu'il affiche, à travers les larmes qui ont coulé.
- Pense d'abord à ta santé, lui conseille-t-elle. Le reste peut attendre.
Elle lui sourit, mais je ne la sens pas franche avec lui.
- Tu pourrais alors me rendre visite ici, en attendant ? insiste mon ami.
Alors qu'elle s'apprête à répondre, des éclats de voix résonnent dans le couloir. Je reconnais clairement la voix de Gibson.
- Ca ne fait même pas une semaine que tu es là, et je suis déjà convoqué !
Freddie et Kayla se sont retournés vers la porte, et je lance un regard à Gallagher pour savoir si je dois sortir régler ce problème. Il hoche la tête et je me précipite hors du bureau. Devant moi, Gibbs, de dos, et Jade en face de lui. Elle a les mains croisés sur sa poitrine, ne semblant pas impressionnée par la colère du scénariste.
- Pas la peine de t'emballer, Gibbs... C'est juste de la nourriture ! souffle-t-elle en levant les yeux au ciel. On avait besoin de se défouler !
J'ai un vague souvenir de l'urgence pour laquelle Gallagher avait été rappelé à GoldenBay House la nuit dernière. Je me souviens qu'il était question de vandalisme... Je commence à remettre les pièces du puzzle en place.
- Tu te fous vraiment de ma gueule, là ? Tu sais combien ça va me coûter, tes conneries ? la réprimande-t-elle sur un ton très sec. Putain, mais vous avez foutu plus de deux mille dollars de bouffe en l'air ! Je suis quitte à payer la moitié des dommages ! Je devrais te faire une retenue sur ton cachet !
- Franchement, tu sais quoi ? Fais ce que tu veux, okay ? Rien de grave n'est arrivé. Je les paierais, tes malheureux mille dollars...
Gibson s'avance vers elle, d'une manière très menaçante. J'ai seulement le temps d'arriver à sa hauteur pour le stopper. J'attrape le scénariste par la veste, ce qui le surprend. Jade a un mouvement de recul, et je peux voir dans ses yeux qu'elle n'est pas rassurée par l'attitude agressive du cinéaste.
- Hey, du calme, Gibbs, je lui dis. Elle n'a rien fait de mal... cette fois-ci.
Jade me lance une oeillade exaspérée, et reprend contenance.
- J'ai comme une impression de déjà-vu, là, gronde-t-il en me lançant un regard furtif. D'abord une bagarre et maintenant, dégradation de matériel ! Mais je rêve !
- C'est moi qui paierai, je lui affirme, le coupant dans son élan.
Gibbs relève la tête vers moi, surpris et plus détendu qu'il y a quelques secondes. Je le lâche. Il me jauge pendant quelques secondes. Il réajuste ses petites lunettes rondes en se raclant la gorge.
- Euh, Hero, c'est tout à ton honneur, mais... tu n'es vraiment pas obligé... Certes, ça rentre dans le budget de la production et...
- ... et je suis producteur, j'insiste, en lui coupant la parole. Ne te préoccupe pas de ça, je m'en charge. Je vais en parler à Gallagher. T'as assez de choses à gérer en dehors d'ici.
Instantanément, la colère de Gibson a disparu. Un petit sourire apparait même sur son visage.
- Très bien, alors. Le problème est donc réglé. Bon, je vais y aller, j'ai pas mal de boulot qui m'attend... mais plus de convocation, c'est bien clair ? demande-t-il à Jade, un peu plus serein.
Pour toute réponse, l'actrice se contente de lever les yeux au ciel. Il la toise encore quelques instants. Il m'adresse un bref signe de tête avant de s'engouffrer dans les escaliers menant au rez-de-chaussée. Nous le suivons du regard jusqu'à ce qu'il disparaisse. Jade se retourne alors vers moi.
- Merci d'être intervenu, me dit-elle. Tu n'étais pas o...
- C'est rien, lui dis-je, en lui coupant la parole, pour ne pas m'éterniser. Gibbs a un caractère de merde.
- Tu l'as dit ! pouffe-t-elle. Mais merci quand même.
Je hausse les épaules. Malgré ce que je ressens pour elle, je n'allais pas laisser Gibbs dépasser les bornes. Je sais qu'il peut s'emporter facilement. Par contre, j'ignore jusqu'où il peut aller quand il est aveuglé par la colère.
Jade pince ses lèvres, mal à l'aise.
- A plus tard...
Cette dynamique est très bizarre entre nous. J'aimerais que les choses redeviennent comme avant, mais je ne sais pas si je pourrais, un jour, passer outre ses actions. Elle commence à s'éloigner, suivant les pas de Gobson. C'est à ce moment-là que japerçois quelque chose d'étrange dans ses cheveux. C'est vert, mais je ne saurais pas définir ce que c'est.
- Attends !
L'actrice s'arrête, surprise par mon interpellation. Elle se retourne vers moi. Je me poste devant elle et attrape l'objet en question dans sa chevelure. Au toucher, je réalise qu'il s'agit d'une feuille de salade. Un reste de leur petite fiesta improvisée en cuisine. J'ignore pourquoi, mais ce bout de laitue verte dans mes mains me fait rire.
- Ca lui a fait du bien ? je lui demande.
- Oui, m'assure-t-elle. Jusqu'à ce qu'on se fasse attraper l'un des infirmiers, Freddie s'est éclaté.
- Tant mieux.
Nous nous regardons quelques instants, en silence. Elle finit par m'adresser un petit sourire timide avant de repartir, cette fois, pour de bon.
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