Chapitre 58

Après une journée très longue (dont je me serais clairement passé), la session de thérapie de groupe va bientôt commencer. Comme la dernière fois, nous sommes en petit comité. Seul changement : Jade nous a rejoints.

Je l'ai évité le reste de l'après-midi. Je ne sais toujours pas quoi penser de cette bombe qu'elle m'a lâché. Et je suis très mal à l'aise en présence de Freddie, maintenant. Je ne sais pas du tout comment gérer cette situation. Et je suis épuisé. Trop de choses m'encombrent l'esprit.

J'entre dans la salle et prends place à côté de mon ami. J'évite de le regarder, ce qu'il remarque. Je m'assois sur la chaise et pose mes coudes sur les genoux. Je prends mon visage entre mes mains. Je suis au bout du rouleau. Freddie se penche vers moi et chuchote à mon oreille :

- Tout va bien, mon pote ?

Je me frotte le visage avant de lui faire face. La perspective de lui mentir encore plus qu'avant me rend malade. Comment est-ce que je peux me regarder dans le miroir ? Freddie est sans doute le gars le plus candide et gentil que j'ai jamais rencontré, et pourtant, je persiste dans ma supercherie.

Je tourne ma tête vers lui et esquisse un léger sourire en coin.

- Longue journée, Freddie, je mens. Ne t'inquiète pas.

Je lui tapote l'épaule avant de me redresser. Le docteur Graham entre dans la salle. Il nous adresse un sourire avant de présider la séance.

- Bonsoir à tous, nous gratifie-t-il de sa voix grave. Je vois que nous avons une nouvelle résidente parmi nous. Je vous prie de bien vouloir accueillir Violet.

Je relève mes yeux vers l'actrice. Elle est toute penaude sur sa chaise, en face de moi. Elle arbore un timide sourire, mais est très mal à l'aise dans ce nouvel environnement. Je tourne la tête vers Freddie, qui la fusille du regard. Ses mâchoires sont contractées et ses lèvres tremblent.

- Violet, voulez-vous nous parler un peu de vous ? lui demande Graham. Vous n'êtes pas obligée de faire quoi que ce soit qui irait à l'encontre de votre volonté. Vous êtes dans un espace sécurisé. Nous sommes là pour vous aider, vous comprendre, pas pour vous juger.

Elle hoche rapidement la tête avant de se lever. Alors qu'elle s'apprête à prendre la parole, je sens Freddie se raidir à côté de moi.

- Je m'appelle Violet, j'ai 21 ans, et je suis ici à cause d'une sévère dépression, commence-t-elle.

Soudain, des rires à côté de moi interrompent le discours de Jade. Je tourne la tête et vois Freddie en train de pouffer en se redressant sur sa chaise. A son tour, la blonde le fusille du regard.

- Je peux savoir ce qui te fait rire ? s'énerve-t-elle.

Mon compatriote s'arrête de rire et remarque que tous les regards sont braqués sur lui. Il reporte rapidement son attention sur son interlocuteur. Il secoue la tête en arborant une moue innocente. Le docteur Graham décide d'intervenir.

- Il y  a un problème, Freddie ?

- Non... c'est juste que... je ne vois pourquoi elle ouvre sa bouche si c'est pour sortir un tas de mensonges, lâche-t-il nonchalamment.

Les autres patients autour de nous se demandent ce qui se passe, tout comme le docteur Graham. Jade pose ses mains sur ses hanches, visiblement irritée.

- Pourquoi dites-vous ça ? lui demande le psychologue.

- Parce que c'est la vérité, dit-il tout simplement. Chaque mot qui sort de sa bouche n'est qu'un tissu de bobards...

J'ignore si je dois intervenir. Je sens que la pression monte entre eux. Et j'ai peur de la tournure que pourraient prendre les évènements.

- Vous vous connaissez ? lui demande Graham, regardant Jade et Freddie tour à tour.

- C'est une putain d'actrice qui a détourné la fille que j'aimais du droit chemin ! Je ne vois pas du tout ce qu'elle fout ici... Elle est loin d'être dépressive ! Qu'est-ce que tu fous ici, Jade ?

Cette dernière écarquille les yeux, surprise d'être ainsi exposée. Je ferme les yeux, redoutant la suite. Connaissant un peu le caractère de la jeune femme blonde, j'ai peur que tout ceci prenne des proportions gigantesques. Il faut calmer le jeu, et vite.

- T'es sérieux, tête de con ? fulmine-t-elle. Ce n'est pas de ma faute si ta meuf ne voulait plus de toi !

Mon ami tressaille en entendant ces mots. Oh non... Je me lève, sentant que ça va partir trop loin.

- Jade, stop ! je m'écrie.

Freddie se retourne vers moi, une expression d'incompréhension sur le visage. M'apercevant que je viens d'appeler Jade par son vrai prénom me fait manquer un battement de cœur. Freddie se lève pour me faire face. Ses yeux sont plissés. La panique me gagne. Je déglutis, appréhendant la suite de cette histoire.

- Tu... tu la connais ? balbutie mon ami, de plus en plus confus.

Que répondre à ça ? J'aimerais tellement lui dire la vérité, tout lui révéler, mais ses réactions sont si aléatoires que je ne préfère pas prendre le risque. Heureusement, le docteur Graham s'interpose entre nous.

- Et si nous discutions de tout ça au calme, qu'en dites-vous ? demande-t-il à Freddie.

Mais ses yeux remplis d'accusation ne me quittent pas. Je le sens complètement perdu. Graham pose ses mains sur ses épaules pour le faire sortir de la salle. Je reste interdit, essayant d'encaisser ce qui vient de se passer. Jade s'approche de moi. Elle tente de poser sa main sur mon épaule, mais je la repousse.

- Si j'étais à ta place, je resterais loin de moi, je l'avertis avant de suivre Freddie et le docteur Graham hors de la salle.

Je les rattrape assez rapidement dans le couloir, alors qu'un autre psychologue que je n'ai pas encore eu la chance de côtoyer prend le relais de Graham pour la session de groupe. Nous nous dirigeons vers le bureau du médecin. Freddie est toujours tendu. Le docteur referme la porte derrière moi.

- Freddie, comment vous sentez-vous ? lui demande Graham, vraiment inquiet.

- Je... je ne sais pas... Je ne comprends pas ce qui se passe, en fait, avoue-t-il, le regard perdu dans le vide. C'est... comme si...

Il ne finit pas sa phrase. Il porte ses poings fermés à sa tête, en signe de frustration et se met à faire les cents pas. Il tente de se contenir, mais je ne sais pas s'il va y arriver. Je regarde Graham, paniqué. Paradoxalement, je suis quand même rassuré par sa présence.

- Calmez-vous et essayez de m'expliquer ce qui se passe dans votre tête. Prenez le temps qu'il vous faut...

Je salue le calme dont fait preuve le docteur. Je n'aurais jamais eu les épaules pour faire ce travail.

- Elle a parlé de Kayla ! s'écrie-t-il. Pourquoi ?

- Je suppose que vous vous connaissez par l'intermédiaire de cette personne, en déduit Graham. Si vous en avez envie, vous pouvez me raconter ce qui s'est passé avec Jade, avant qu'elle arrive ici.

Freddie s'arrête de tourner en rond. Il fixe le docteur avant de reporter son attention sur moi. Il s'approche de moi, une expression indescriptible sur le visage, pointant son index dans ma direction.

- Tu l'as appelé par son prénom... Son vrai prénom... D'où tu la connais ?

Putain, je me suis grillé tout seul. Je n'arrive pas à croire que j'ai pu être aussi con. Et me voilà un peu plus dans le pétrin.

- Tu... tu devrais... raconter... au docteur, je bafouille sans réussir à terminer ma phrase.

Les yeux bruns de Freddie me fusillent. Si de vraies mitraillettes étaient à place de ses pupilles, je serais mort depuis longtemps.

- Dis-moi, Brody !

Je me tourne vers Graham, à la recherche d'un quelconque soutien. Mais il se contente de me regarder, certainement voulant me laisser prendre ma décision tout seul.

- Freddie, écoute... C'est très compliqué et je vais te demander d'être très compréhensif...

Il penche la tête sur le côté, sans quitter cette expression agressive. Mon cœur bat à tout rompre. Je suis sur le point de révéler à mon meilleur ami ce mensonge auquel il croit depuis plus d'un mois. Et je ne suis pas certain d'avoir été un jour aussi affolé qu'en cet instant...


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