Chapitre 36
La séance se termine et, alors que Freddie me donne rendez-vous à l'atelier pour continuer notre projet artistique, j'interpelle le docteur Graham pour m'entretenir avec lui. Même si la séance n'a duré qu'une heure, je peux dire que ce docteur est le plus compétent que j'ai vu jusqu'à maintenant dans cet institut. J'aurais aimé avoir son avis sur une question qui me travaille depuis un certain temps.
- Quand Freddie a fait sa crise de panique et qu'il a été hospitalisé, je ne sais pas comment, mais il a voulu se confier à moi. Le docteur Gallagher a été témoin de la scène et a trouvé ma présence à ses côtés bénéfique. Si je vous raconte ça, c'est parce que je suis certain que je peux arriver à faire la même chose avec un autre résident.
Le médecin me dévisage, perplexe. J'ai conscience que ma demande est quelque peu saugrenue, mais je tiens à savoir ce qu'il en pense.
- Eh bien... si vous aviez été psychologue ici, je n'aurais vu aucun inconvénient à cette requête. Mais vous êtes là dans un but précis, il me semble, Mr. Fiennes.
Il baisse le ton en prononçant mon nom, ce que j'apprécie.
- Je suis heureux de voir que vous comptez vous impliquer dans la vie de certains résidents et, je dois dire que dans le cas de Freddie, cela s'est révélé fructueux. Je ne l'ai jamais vu aussi joyeux. Mais vous êtes ici temporairement, alors qu'eux n'ont pas de date de sortie. Avez-vous pensé à la suite ?
- Plusieurs fois, j'ai voulu dire la vérité à Freddie, sur qui je suis, ce que j'ai fait et pourquoi je suis là... Je m'en veux tellement de lui mentir. Je ne le supporte plus, à vrai dire, j'avoue. Je ne veux plus jouer la comédie avec lui.
- Je ne voudrais pas paraitre cynique, mais c'est paradoxal pour un acteur de ne pas vouloir jouer un rôle... Et pourtant, c'était la condition de votre acceptation dans cet établissement, me rappelle-t-il. Pour le bien de Freddie et des autres, je vous prierais de continuer à être "Brody". Nous ne savons pas comment une révélation de ce genre pourrait impacter sur les résidents.
Je comprends ses craintes et ses mises en garde. Même si ce n'était pas ce que je voulais entendre, il avait raison. Maintenant que ce point est "réglé", je reviens sur le sujet que je voulais aborder avec lui.
- Pour en revenir à ce que je vous disais au début, je pense être d'une certaine utilité auprès d'un autre résident.
- Laissez-moi deviner... Mademoiselle Atkins, me dit-il avec un petit sourire.
J'ignore pourquoi, mais je me mets à rougir.
- Elle m'a confié son secret, lui dis-je, pour appuyer la légitimité de ma requête. Je pense que rester enfermée ici ne l'aidera pas. Elle a besoin de sortir, de se changer les idées et je pense avoir la solution pour ça.
- Bien que j'apprécie les efforts que vous faites, je ne peux pas autoriser aussi simplement un patient à quitter le périmètre de GoldenBay House. Lorsqu'une personne nous est confiés, nous en sommes complètement responsable. C'est-à-dire que s'il y a le moindre accident, la famille peut se retourner contre nous. Nous ne pouvons pas prendre ce risque.
Encore une fois, même si ce n'était pas ce que je voulais entendre, il marquait un point. Il s'avance vers moi et pose une main amicale sur mon épaule.
- Hero, vous êtes une bonne personne. J'admire vraiment l'implication dont vous faites preuve auprès de Freddie et Stella. Mais ce n'est pas votre rôle. N'oubliez pas pourquoi vous êtes ici. Et, un dernier conseil : ne vous laissez pas happer dans ce monde. Il peut être très difficile d'en ressortir indemne.
Après ses paroles remplies de bienveillance, il se retire. Il ne me reste plus qu'à rejoindre Freddie à l'atelier... même si je devrais plus me concentrer sur mes recherches, selon le docteur Graham.
Après le diner, je raccompagne Stella dans sa chambre. Elle ouvre la porte de sa chambre et fait pivoter son fauteuil vers moi avant de rentrer. Elle me sourit.
- J'ai une question à te poser, je lui annonce.
Elle penche la tête sur le côté, intriguée.
- Je t'écoute.
- Plusieurs fois, tu m'as fait part de ton amour pour l'eau. Je voulais savoir à quel point cela te manquait.
Son sourire la quitte, pour laisser une expression perplexe sur son visage.
- Je ne m'attendais pas à une telle question. Disons que depuis que je me suis faite amputée, je n'ai pas remis les pieds dans une piscine ou à la mer. Et c'est vrai que cela me manque terriblement. Mais je ne sais pas si je suis prête à affronter le regard des autres... Pourquoi veux-tu savoir ça ?
- Si je te disais que j'avais un moyen pour que tu puisses aller faire trempette sans personne autour de toi ?
Elle écarquille les yeux, essayant d'assimiler ce que je viens de lui dire.
- La première fois que tu m'as parlé de l'eau et m'as dit à quel point cela te manquait, je t'avais dit que je t'y amènerais un jour... même si je doit t'avouer que c'était sorti involontairement de ma bouche, dis-je en lâchant un rire nerveux. La seconde fois, tu m'as dit que tu donnerais n'importe quoi pour ressentir cette sensation de l'eau sur ton corps...
Stella me tend la main et je la prends sans hésiter.
- J'apprécie énormément ce que tu fais pour moi, mais je ne veux pas t'attirer d'ennuis, même si j'ignore ce que tu as en tête.
Je m'agenouille pour lui faire face, en gardant sa main dans la mienne. J'aime nos petits moments comme ça.
- Stella, écoute, peu importe les ennuis que ça entrainera... Je sais que mon idée peut t'aider à aller mieux. Mais les bureaucrates et leur protocole à la con... Est-ce que tu me fais confiance ?
- Oui, bien sûr.
- Alors, après la ronde de minuit des aides-soignants, tiens-toi prête. Je viens te chercher pour une nuit que tu n'es pas prête d'oublier...
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