Chapitre 31
L'heure du dîner est arrivé et, comme à mon habitude, je m'assois à côté de Freddie, qui scrute son plat pour être sûr que tous les éléments qui le composent lui conviennent. Mais je n'ai pas très faim. A vrai dire, cette journée m'a coupé l'appétit. Rien que de repenser à Ben et Stella et la discussion avec Freddie, mon estomac se noue. J'en viens à tout remettre en question : ai-je bien fait d'accepter ce rôle ? Si je m'étais contenté de rester à Londres, rien de tout cela ne serait arrivé... mais je n'étais pas heureux en Angleterre. Je ne suis pas non plus heureux en ce moment. Il faut que je pense à appeler Gibson.
- Demain, on participe au groupe de soutien, me rappelle Freddie en gobant une cuillère de purée.
J'acquiesce légèrement la tête, pour lui signifier que j'ai entendu ses paroles. Mais mon esprit est bien trop embrumé pour me soucier de la session du groupe de soutien. Certes, je n'y avais pas encore pris part, mais cela ne me tardait pas non plus. Je vais devoir inventer un autre bobard pour justifier ma présence ici. Génial...
- Tu devrais manger, me conseille mon ami.
- Je n'ai pas faim, je lui réponds.
Mes yeux sont fixés sur la place vide près de la fenêtre. Stella n'est pas descendue manger. Et je ne peux pas décoller mon regard de cette foutue table. Je sens la main de Freddie se poser sur mon épaule. Lorsque je me retourne, je remarque son regard compatissant.
- On n'a pas besoin de femmes... Elles n'apportent que des ennuis, me dit Freddie avec une pointe d'humour.
Je connais son rebus de la gent féminine. Je comprends pourquoi, maintenant. Avant Stella, je ne m'étais jamais autant pris la tête à cause d'une fille. Au contraire, elles constituaient mon passe-temps favori. Pendant mes années hollywoodiennes, j'enchaînai les conquêtes sans lendemain, et sans remords. Après ma déchéance, c'était devenu le cadet de mes soucis. Mais Stella... elle a tout chamboulé. Que m'a-t-elle fait ?
- Si seulement c'était aussi facile, je soupire.
Freddie retire sa main pour se rabattre sur le reste de son repas.
- Mange au moins ton dessert, insiste mon ami.
Machinalement, je reporte mon regard vers mon plateau. Je n'ai même pas fait attention en me servant. Je regarde ce pot blanc aussi inexpressif que moi en cet instant. Une tâche rouge attire mon attention sur l'étiquette. J'ai sélectionné un yaourt à la fraise. Super... je n'ai même pas envie...
Soudain, je me redresse en empoignant ce pot et un sourire nait sur mon visage. Je me lève subitement et quitte le réfectoire, sous le regard médusé de Freddie, la bouche pleine de glace. Je traverse le rez-de-chaussée pour me diriger vers les escaliers, que je m'empresse de monter trois par trois. Une fois arrivé à l'étage, je me poste devant la porte de Stella. Elle aussi a besoin de manger.
Je frappe à sa porte.
- Allez-vous en, dit-elle d'une voix faible.
Elle a pleuré.
- Stella, c'est moi... Brody, je m'annonce.
- Va-t-en, Brody, répète-t-elle sur le même ton.
Mais je ne compte pas abandonner aussi facilement.
- J'ai amené un yaourt à la fraise, je lui dis, en secouant le pot dans ma main. Comme je sais que tu...
- Dégage ! hurle-t-elle.
J'effectue un mouvement de recul. Ma tentative d'approche a échoué. Je l'entends à présent pleurer. Encore. Si c'est à cause de cet enfoiré de Ben... la prochaine fois que je le vois, je le défonce.
- Stella, qu'est-ce qui ne va pas ?
Je pose ma main sur la poignée de la porte et l'abaisse. A ma grande surprise, je constate qu'elle est verrouillée. J'ignorai que les patients pouvaient s'enfermer dans leurs chambres...
- Laisse-moi entrer, s'il te plait.
S'il le faut, j'enfoncerais la porte.
- Brody... s'il te plait...
Sa voix se brise quand elle prononce mon "prénom". Je ferme les yeux pour éviter d'être submergé par l'émotion. Elle a besoin de quelqu'un à ses côtés, et je ne comprends pas pourquoi elle s'efforce à ériger cette barrière entre nous. Je croyais qu'on avait dépassé ce stade.
- Stella, ouvre-moi.
Ma voix se fait suppliante.
- Je ne bougerai pas. S'il le faut, je te parlerai à travers cette porte jusqu'à ce que tu ne me supportes plus...
Ses sanglots s'arrêtent. Puis, plus un bruit. Je suis interloqué. Quelques instants plus tard, j'entends le bruit du caoutchouc frotter contre le lino du sol. L'espoir renait en moi. Puis le clic du verrou qui s'ouvre. La porte s'ouvre et je découvre mon amie, les yeux rougis par les larmes, le regard vitreux, dans son fauteuil roulant. Son plaid entoure totalement son corps. Lorsqu'elle plante son triste regard bleu dans le mien, la soudaine envie de la prendre dans mes bras me saisit. Mais je me retiens. Sans rien dire, elle recule et s'arrête devant la baie vitrée. Je la suis, ne sachant pas quoi faire.
Je m'assois sur le rebord de son lit, tandis qu'elle me tourne le dos, pour regarder le paysage. La vue de sa chambre donne sur la mer.
- Parle-moi, Stella.
- Je serais prête à donner tout l'or du monde pour sentir l'eau de la mer sur ma peau, dit-elle après quelque secondes de silence.
Je baisse la tête, peiné par ses propos. Je me souviens qu'elle m'avait confié que ça lui manquait de se baigner.
- Je t'y amènerais.
Elle fait pivoter son fauteuil et, la tristesse dans son regard a fait place à de la colère.
- Pourquoi ? Pourquoi dis-tu une telle chose ? On sait très bien que cela n'arrivera pas ! maugrée-t-elle.
Je suis décontenancé par son changement d'humeur. Mais, je suis à présent habitué à son agressivité, même si cela faisait un moment qu'elle n'avait pas refait surface.
- Qui te dit que je ne tiendrais pas parole ? je me défends.
- C'est quoi, ton problème ?
Elle plisse les yeux et arbore un air de dégoût en me regardant. Je ne comprends pas le sens de sa question.
- Pourquoi est-ce que tu t'évertues à trainer autour de moi ? me demande-t-elle. Je ne suis même pas sympa avec toi ! T'aimes souffrir inutilement, c'est ça ?
Je me suis trompé. Je n'ai pas à faire à la Stella agressive. Devant moi, se trouve la Stella méchante. Et celle-là, je n'ai pas encore le "plaisir" de la connaitre...
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