Chapitre 25

Freddie se trouve dans l'aile médicale de l'institut, situé à l'opposé de notre aile résidentielle. Évidemment, aucun patient n'est admis dans cette partie. Encore une foutue règle de ce cher docteur Gallagher. Je n'aurais jamais dû accepter de me faire passer pour un patient. Tout aurait été tellement plus simple si j'avais pu être seulement Hero... je n'aurais pas eu besoin de mentir à tout le monde et j'aurais pu être libre de mes faits et gestes... Je commence à croire que je me suis peut-être embarqué dans une histoire plus compliquée qu'elle n'y parait.

Un peu avant de nous engouffrer dans cette aile sous haute surveillance, nous avons mis un petit plan au point avec Stella. Je n'arrive toujours pas à croire qu'elle est passée de cette créature en furie à cette jeune femme gentille et prévenante, et prête à m'aider. Hier, je voyais encore des éclairs dans ses yeux, et aujourd'hui, j'y ai vu... je ne saurais le dire.

Nous sommes devant les portes battantes nous séparant de notre but. Stella sort un petit pain de sous sa couverture étoilée qui ne la quitte décidément jamais et y mord à pleine dents. Elle me lance un regard complice avant de pousser les portes avec le devant de son fauteuil. Deux infirmiers se trouvent dans le couloir. Je la regarde faire à travers le hublot rond. Elle roule vers eux. Soudain, je la vois s'arrêter, son corps pris de soubresauts. Je peux entendre quelques cris contrits et les deux hommes se précipiter vers elle. Ils l'examinent rapidement et constatent qu'elle est en train de s'étouffer. Comme prévu, ils l'isolent dans une des nombreuses pièces pour la secourir. Ce petit détail est très important pour le déroulement de la suite du plan.

Je regarde derrière moi, m'assurant que personne ne me voit. Je me précipite alors dans le couloir désert, à la recherche de Freddie. Le seul point positif ici, c'est que les portes possèdent toutes une vitre transparente, donnant sur le lit. Je constate que les premières chambres sont toutes inoccupées. Je continue ma course. Je sais que je n'ai que très peu de temps. Stella ne les retiendra pas éternellement. Je peux entendre les deux infirmiers dans une pièce voisine l'examiner pour s'assurer qu'elle va bien à présent. Mon temps est encore plus compté.Soudain, je vois des cheveux noirs familiers posés sur un oreiller blanc. J'ouvre la porte rapidement et pénètre dans la chambre. Sans faire de bruit, je la referme. Je m'approche doucement du lit. Freddie dort. Il semble paisible. J'hésite même à le réveiller. Je suis quand même rassuré de voir qu'il n'est pas tubé de partout. Seul une perfusion est reliée à son bras. Un sac d'un liquide transparent coule goutte à goutte dans le tuyau ultra fin. Je fais glisser le tabouret se trouvant près de la fenêtre pour prendre place à côté de mon ami. Ses yeux papillonnent légèrement avant de s'ouvrir. Lorsqu'il aperçoit mon visage, un immense sourire apparait sur le sien. Je ne peux m'empêcher de l'imiter. Ses yeux sont à moitié clos, mais je suis heureux de voir qu'il va bien.

- Tu sais que tu m'as fait une sacrée frayeur, vieux, je lui dis en tapotant son bras.

- J'ai... essayé de... te... cou... vrir, mais...

Il a des difficultés à parler. Sa vois est traînante, certainement dû aux tranquillisants.

- Je suis désolé. Je n'aurais jamais dû te demander un truc pareil, je m'excuse.

Il ne relève pas. Il se contente de détourner le regard brièvement avant de le reporter une nouvelle fois sur moi.

- T'as pu... pu... parler... à la... fille ? me demande-t-il.

J'ai eu un moment privilégié en compagnie de Stella, qui a mené à une relative entente entre nous. Et c'était grâce à Freddie.

- Oui, je lui ai parlé, je lui réponds en souriant.

- Elle... elle... est... folle de... toi, maintenant ?

Malgré la situation, il réussit à faire de l'humour. Je ne peux que rebondir sur cette boutade.

- Complètement ! On a prévu de se marier l'année prochaine ! je blague. Et peut-être que pendant la réception du mariage, une des demoiselles d'honneur se jettera à tes pieds. Ce serait romantique, non ?

Soudain, il reprend une expression sérieuse. Sa bonne humeur est partie aussi vite qu'elle est arrivée. Je ne comprends pas ce que j'ai dit qui aurait pu le contrarier. Une nouvelle fois, il détourne le regard et se contente de fixer un point imaginaire devant lui.

- Oh... tu sais... les... les... femmes... pour... moi, c'est... fini.

Il y a une pointe d'amertume dans sa voix. Je me souviens vaguement qu'hier, il a mentionné une ex-copine qu'il avait suivi jusqu'ici, en Californie.

- On met du temps à se mettre d'une rupture amoureuse, mais...

Il tourne la tête vivement vers moi, l'air outré. Ses sourcils sont froncés, sa bouche entrouverte. Il me coupe subitement la parole.

- Tu crois que... que je... suis là... à cause... d'un cœur... brisé ?

Ses yeux s'emplissent de larmes, et il passe d'outré à triste. Sa voix est éraillée. Je suis décontenancé par sa question. Je sais que, parfois, certaines personnes peuvent se retrouver au fond du gouffre lorsque l'être aimé les quittent. J'ai présumé, peut-être à tort, que Freddie faisait partie de cet catégorie de gens.

- Tu... sais... pourquoi je... suis là ?

Dépression et tentative de suicide. C'était sa réponse durant notre rencontre. Mais je n'ose pas répondre. Il renifle deux fois avant de reprendre.

- Il y a... un an... et demi... j'ai... rencontré cette... fille... Elle était... vraiment... magnifique... La plus... belle... que j'ai... jamais... rencontrée. Kayla. Elle est... américaine et... elle était... venue à Cardiff en... vacances.

Pendant qu'il se remémore cette fille, un léger sourire nostalgique se forme sur ses lèvres. Dans sa tête, il est de nouveau là-bas, en Angleterre, en compagnie de cette jeune femme.

- C'est... le type... de filles... que tu... ne... rencontres... qu'une fois dans... ta vie. Une belle brune... aux yeux... yeux bleus. Et son... sourire... pouvait illuminer une ville... entière. Un soir... dans un pub... on s'est... rencontré... et ça a... été... le coup... de... foudre. J'ai vécu... les moments... les plus... heureux... de ma... vie. Elle est... restée... quelques temps avec moi... en Angleterre, mais... lorsqu'elle a dû... revenir ici... je n'ai pas hésité à la... suivre.

Au fur et à mesure qu'il parle, son expression s'assombrit. Je sens que je ne vais pas aimer la tournure que va prendre cette histoire.

- Elle est... originaire de... Burbank. Nous nous... sommes installés dans... un... appartement. Elle voulait... devenir... actrice... et y'a plein de... studios à... Burbank. Pendant ce... temps... je bossais dans... un bar. Ce n'était pas la... vie rêvée mais... tant que j'étais... avec elle... rien d'autre ne comptait. Elle a commencé à... percer avec des... petits rôles... et elle ramenait... des gens du milieu... chez nous... et... au fur et... à mesure... son comportement a changé. Elle est... devenue très... secrète... passait beaucoup de temps... à la salle... de bain. Lorsque... j'ai découvert... ce qu'elle trafiquait... c'était déjà... trop tard. C'est elle qui... m'a initié à la... drogue. Ses amis... actrices la... rencardaient... à chaque fois. Elle me parlait... tout le temps... qu'elle n'était bien que... quand elle... planait. Je voulais... la rejoindre... dans son délire.

Une actrice du nom de Kayla ? Ça ne me dit rien et j'espère que je ne la connais pas. Il faut dire qu'à l'époque, mon esprit était assez embrumé, alors, tout est possible.

Je baisse la tête. Il devait vraiment l'aimer pour être aussi désespéré. Et elle aussi ne devait pas être heureuse si son seul refuge était la drogue. Je suis attristé d'entendre les paroles de mon ami, et je peux sentir toute la peine qui se dégage de sa voix.

- Mais... c'est rapidement... parti en couilles. Quand t'es... acteur... t'as pas du... boulot tout... le temps... et c'est ce qui... est arrivé à Kayla... Elle a eu... une traversée... du désert et mon... salaire de barman ne suffisait... pas... pour nos doses. Les dettes... se sont... accumulées et... un soir...

Il s'interrompt, ravalant la boule qui se forme dans sa gorge, avant de reprendre. Mon cœur bat anormalement vite, redoutant la suite de l'histoire. Son visage est grave. Un larme roule sur sa joue.

- ... en rentrant du bar... trois mecs... étaient assis avec elle... sur le canapé. Elle avait... pleuré. Son mascara noir... avait coulé. L'un deux s'est... levé et s'est... dirigé vers moi. C'était le dealer de Kayla. Il... il voulait récupérer son argent... ou la drogue. On n'avait ni l'un... ni l'autre. Je me... rappelle du... sourire... sadique... qui s'est affiché... sur son visage... L'un des deux gros bras... est venu me coller... une baigne en plein visage... et me maintenir agenouillé pendant que l'autre...

Il s'arrête de nouveau dans son histoire. Il souffre, je ne vois bien. Et la dernière chose dont j'ai envie, c'est qu'il refasse une crise.

- Écoute, tu n'es pas obligé de tout me raconter, maintenant, je le rassure.

Il tourne enfin son visage baigné de larmes vers moi et me tend sa main, que je m'empresse de serrer. Il y a tant de désespoir sur son visage que je ne peux me retenir de pleurer à mon tour. Il veut me confier son histoire. A travers toute la peine et la tristesse dans ses yeux, je peux déceler une sorte de détermination. Il renifle encore avant de poursuivre.

- ... l'autre force Kayla à... s'allonger sur le canapé... lui maintenant les bras... au-dessus de la... tête. Le dealer... lui a remonté... la robe qu'elle... portait et...

J'ignore s'il aura la force de continuer son récit. Sa main serre la mienne d'une telle force. Ses jointures sont blanches et prêtes à exploser.

- ... ils m'ont forcé à regarder toute... la scène.

Je lâche un soupir. Je comprends mieux ce qui l'a poussé à être dans cet état. Ce qu'il a vécu a été tellement horrible qu'il n'a pas supporté le traumatisme. Déjà que je ressentais beaucoup de compassion à son égard, maintenant, j'ai envie d'effacer cet évènement horrible de sa mémoire.

- Quelques jours... plus tard...

Je relève la tête, surpris qu'il continue de parler.

- ... je suis allé... les trouver. Cet enfoiré a... violé... l'amour de ma... vie et... je ne pouvais... pas laisser... passer ça. Malheureusement... je ne faisais... pas le poids et... ils m'ont rapidement... maitrisé. Mon désespoir m'a...fait faire... quelque chose de... stupide ce... jour-là. Je n'aurais... jamais dû... y aller. Ils m'ont... ils m'ont...

Sa poigne se resserre une fois de plus, mais encore plus fort que les fois précédentes. Je crains le pire. Il inspire un grand coup. Je ne sais vraiment pas si c'est une bonne idée qu'il continue de tout me raconter.

- Le dealer a... saisi... un... manche à... balai et...

Il s'effondre. Je ferme les yeux, chassant de mon esprit ses images d'une violence extrême. Pauvre Freddie. C'est encore pire que ce que j'imaginais. Je me lève du tabouret et le prend dans mes bras. Il s'agrippe à mon dos avec force et pleure de plus belle.

- Je suis sincèrement désolé, Freddie.

J'en veux à ces enfoirés de lui avoir infligé ça. Personne ne mérite d'être traité d'une manière aussi avilissante. Freddie a été complètement détruit et je comprends maintenant pourquoi il a tenté de mettre fin à ses jours.

- Je veux oublier, Brody... je veux oublier...

Sa plainte ressemble à celle d'un enfant blessé, ce qui me déchire encore plus le cœur. Et le pire dans tout ça, c'est qu'il vient de me confier quelque chose de très personnel et je suis obligé de lui mentir sur ma vie. Non... je ne peux plus... Je ne peux pas lui faire ça. Pas en sachant ce qu'il a vécu. Il a eu assez confiance en moi pour me raconter son pire traumatisme. Je lui dois d'en faire de même.

- Freddie, je dois t'avouer quelque chose...

Alors que je m'apprête à parler, une raclement de gorge me surprend et je relève la tête. Le docteur Gallagher, sur le pas de la porte, me regarde. Je suis vraiment maudit !


******


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top