Le réfectoire est une grande salle rectangulaire avec des murs jaunes et gris. Encore une fois, de grandes fenêtres donnaient sur le parc. En face de l'entrée, le self nous accueille. Je me range derrière la file déjà conséquente des résidents. Je m'empare d'un plateau et commence à choisir mon menu. Une fois mes assiettes remplies, je cherche une place. La configuration de la salle me fait penser à celle d'une cantine de prison : de longues tables avec des bancs pour s'assoir et des aides-soignants qui surveillent les lieux. Je prends place en bout de table, à côté d'un jeune homme. Les autres résidents sont calmes, moi qui m'attendais à des crises d'hystérie ou le genre de choses que l'on voit dans les films. Je suis surpris.

Je commence à piquer ma fourchette dans ma salade de crudité, lorsque je sens le regard de mon voisin sur moi. Je tourne doucement la tête vers lui. En effet, ses iris bruns sont braqués sur moi.

- T'es nouveau, toi, me dit-il.

Je remarque son accent anglais. Il est brun, mince, mate de peau. Ses cheveux lisses sont rabattus sur son front et ses lèvres sont charnues.

- Oui, je viens d'arriver, je lui réponds.

- Je m'appelle Freddie, m'apprend-t-il en me tendant la main.

Alors que la manche de son pull remonte légèrement, je remarque alors des cicatrices au niveau de ses poignets. Lorsqu'il s'en aperçoit, il retire précipitamment sa main, un peu honteux, et reporte son attention sur son plateau.

- Moi, c'est Brody, je lui réponds, comme si de rien n'était.

Il me sourit timidement, évitant tout contact visuel.

- T'es là pourquoi ? me demande-t-il en tournant à peine la tête vers moi.

C'est le moment de jouer mon rôle et de mettre à profit ce que j'ai appris cet après-midi. Je ne devais pas faire semblant d'être Brody, je devais être Brody.

- Dépression, j'admets en hochant la tête. Et puis, j'ai également tenté de me suicider...

Freddie tourne brusquement la tête vers moi, surpris par ma révélation.

- Oh...

- Et toi, pourquoi t'es là ? je lui demande.

Il semble mal à l'aise.

- Cure de désintoxication, et tentative de suicide.

Je m'en voulais de l'embarrasser en exposant les raisons de sa venue. Il semblait gêné. Pour un début d'immersion, je ne m'en sors pas si bien que ça. Il faut que je change de sujet.

- T'es de quel coin d'Angleterre ? je lui demande.

- Cardiff. J'ai déménagé ici pour suivre ma co... enfin...mon ex, maintenant...

Sa voix baisse en fin de phrase. Il replonge son attention vers son assiette. Décidément, je mets les pieds dans le plat ! Je ne suis vraiment pas doué pour cette expérience...

- Et toi, t'es d'où ? me demande-t-il, en essayant de se reprendre.

- Londres... Le sud de Londres, pour être exact, je réponds. Je suis né et j'ai grandi là-bas.

Freddie continue de me dévisager, ce qui ne me rassure guère.

- Ta tête... ton visage... j'ai l'impression de te connaitre, dit-il, comme s'il était perdu dans une sorte de contemplation.

Il tend lentement sa main vers ma joue, mais je me lève brusquement pour éviter tout contact, ce qui le fait sursauter. J'ignore si c'est la proximité ou le fait qu'il puisse me reconnaitre qui m'effraie. Freddie se détourne vivement de moi.

- Je... je suis désolé, chuchote l'anglais, en portant sa main dans ses cheveux.

Il se balance d'avant en arrière, sans s'arrêter, tout en continuant de s'excuser. Je lève les yeux pour chercher de l'aide, mais personne de l'équipe médicale à l'horizon. Je l'ai mis dans cet état, et je n'ai aucune idée de comment de calmer. Je veux éviter de céder à la panique. Je respire un bon coup, avant de me rassoir auprès de lui. D'un geste hésitant, je pose ma main sur son épaule. Il arrête de se balancer.

- Non, ne t'excuse pas, c'est rien, je tente de le rassurer.

Un timide sourire nait sur son visage.

- Tu sais, on me le dit souvent... que j'ai un visage familier, je précise en souriant. T'es ici depuis combien de temps ?

- Ça va faire neuf mois, maintenant... le doc dit que je peux sortir, avec un suivi bien sûr mais... je ne sais pas si je suis prêt... Rien ni personne ne m'attend en dehors de ces murs, alors...

Il me fait de la peine. J'ignore ce qui l'a conduit jusqu'en Californie mais je sens une pointe de désespoir dans sa voix. Et, du peu que j'ai lu cet après-midi, un drogué en rémission en proie au désespoir ne donne jamais rien de bon.

- Comment ? demande-t-il ?

- Pardon ?

- Comment... comment as-tu procédé pour... tu sais...

Toujours mal à l'aise, il se frotte vigoureusement un de ses poignets. Je devine alors le reste de sa question.

- J'ai... euh...

Je devais faire très attention pour que mon histoire soit crédible. J'ai lu que les hommes qui se suicident ont généralement tendance à utiliser une arme à feu, tandis que les femmes penchent plus pour une solution indolore comme la prise de barbiturique et, dans d'autres cas, peuvent aussi se tailler les veines. Je ne peux pas opter pour le première solution, n'ayant aucune trace visible de mon mensonge. Alors, faut que je sois créatif.

- Médocs et alcool, je réponds d'un air détaché.

Freddie me regarde toujours, comme si j'étais une énigme. Il scrute mon visage, une nouvelle fois. Puis, il lève les sourcils et se retourne vers son assiette.

- Pas cool, mec... si tu voulais vraiment en finir, tu aurais dû y aller franco, comme moi, dit-il en enfournant une fourchette de haricots dans sa bouche.

Y croit-il ? Ou juge t'il simplement mon acte manqué ?

- T'as certainement raison... je voulais peut être pas en finir... je réponds en finissant mon plat.

Il se met à rire, et je ne tarde pas à me joindre à lui. Il est bizarre, ce Freddie. Mais, pour une raison qui m'échappe, je l'aime bien. Peut être serait-il enclin à parler pour mes recherches...
Je suis tiré de mes pensées lorsque je vois un fauteuil roulant passer à côté de moi. Mes yeux sont instantanément attirés par une couverture qui m'est familière. Noire avec des étoiles blanches...

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Petite note de moi : aujourd'hui, ce chapitre est dédié à @Manon15130 qui est une lectrice assidue et une voteuse compulsive ! Merci pour ta fidélité et tes votes ! Ça me touche énormément ! Alors, ce petit bout de l'histoire est pour toi :) J'espère qu'il t'a plu !!