7 | 'UNE TABLE À MONTER'
Oikawa le savait. Il n'aurait pas dû s'y prendre à la dernière minute ; il ne devait jamais s'y prendre à la dernière minute.
Seulement, entre le temps passé à murmurer et se partager des ragots sur Yumi avec Makki et Mattsun, ou les soirs où il ne pouvait empêcher les rires un peu trop disgracieux de quitter ses lèvres alors qu'il communiquait avec Bokuto et Kuroo, il n'avait pas pris le temps de faire ses devoirs de littérature.
Oikawa le savait. Il était embourbé.
Cela faisait maintenant trois heures qu'il louchait devant ses feuilles, contemplant avec horreur la dure réalité qu'il se ferait définitivement interroger dans les premiers le lendemain, quand l'heure fatidique de littérature lui tomberait dessus.
Le stylo moite dans sa main, il crut qu'il allait se mettre à pleurer devant ses devoirs. Cette simple idée le faisait rire : en était-il vraiment rendu là ? À laisser les grasses larmes noyer son travail ?
Dehors, le soleil tapait. Les cigales criaient, le vent se taisait, pour laisser le début de l'été prendre les devants. Oikawa avait envie de sortir, de s'allonger dans l'herbe, de se laisser aller au bruit des grillons et autres insectes. Il avait envie de prendre son ballon, de courir jusque chez Iwaizumi, et d'aller jusqu'au square se faire des passes pour éviter d'envoyer le ballon chez ses voisins car leurs deux jardins étaient trop restreints pour jouer.
Il aurait même simplement voulu prendre son téléphone pour commencer à discuter avec ses amis.
Un long soupir éreinté déchira son silence. Il était coincé devant son bureau, et tous ses beaux rêves ne resteraient qu'imagination.
Le bruit de la vie extérieure lui bourdonnant dans les oreilles, il se replongea dans ses analyses.
Il n'eût pas le temps de réellement essayer de se reconcentrer que la voix de sa mère lui évinça les tympans.
« TOORU ! VIENS NOUS AIDER DEUX MINUTES !
Il se redressa, effaré, et se pencha à la fenêtre. D'en bas, dans le jardin, ses mères avaient leur regard rivé sur lui, le scrutant, l'analysant. Il fit la moue.
— Je peux pas, je fais ma littérature !
— On s'en fout, ça prendra que deux minutes, on te dit ! rétorqua son autre mère en lui faisant signe de laisser tomber.
— Fallait t'y prendre plus tôt, se moqua Clarisse, et il ne put s'empêcher de grimacer un peu plus.
— J'arrive, maugréa-t-il amèrement. »
Il dégringola les escaliers et trottina pour arriver jusque dans le jardin. L'herbe encore humide et mal tondue chatouillait la plante de ses pieds nus. Il était à découvert, à la merci des insectes et araignées qui pouvaient grouiller jusque sur ses mollets. Pour autant, en voyant ses mères, abattues devant une table affaissée, il ne put retenir ses yeux de briller d'une lueur amusée.
« Qu'est-ce que vous faites ?
— On monte la nouvelle table pour cet été, quand on mangera dehors ! s'offusqua Ophélie devant son regard moqueur, les mains posées sur ses hanches.
— On essaye, corrigea Clarisse, qui ne pouvait contenir ses pouffements devant la frustration de sa femme, qui n'arrivait à rien depuis la dernière demi-heure.
— Vous ne voulez pas l'aide d'Iwa-chan, plutôt ? Je ne suis pas fait pour tout ... Ça, se plaignit-il en pointant vaguement le bazar qui avait submergé leur terrasse.
— Y'a que toi qui a son numéro de téléphone ici. T'es censé être grand et costaud, on pensait que t'allais être suffisamment confiant pour tenir quelques barres en métal !
— Je l'appelle, souffla simplement leur fils en secouant la tête. »
Plus que le fait de ne pas être doué en bricolage, Oikawa devait surtout admettre qu'il détestait ça. Se plier en quatre, se tordre pour tenter de visser un boulon à sa place, pour finalement se rendre compte que la table était montée à l'envers, ou pour tout faire tomber l'instant d'après ; tout ça n'était pas pour lui. C'était trop d'efforts pour peu de satisfaction, et connaissant ses mères, les deux minutes annoncées tourneraient bien vite aux deux heures.
Le téléphone plaqué contre son oreille, il attendit silencieusement que son ami décroche.
« Quoi ? toujours sur un ton trop rêche, la voix d'Iwaizumi vint finalement grésiller contre son oreille.
— Iwa-chan, mes mamans ont besoin de tes biceps et tes talents de bricoleurs.
— Je peux pas venir, claqua-t-il. Il ne rajouta d'abord rien, et laissa Tooru hébété.
— Comment ça, tu peux pas ?
— Je suis chez Yumi, élabora-t-il finalement.
La bouche entrouverte, Oikawa resta raidi. Encore une fois, il sentait que ses cordes vocales le trahissaient.
— Oh, souffla-t-il. Sa voix tremblait. Il le savait, et vu le regard étonné que ses mères lui adressèrent, il savait qu'elles savaient. Il ne pouvait rien rajouter, ne pouvait pas faire semblant de blaguer, de lui demander s'il était dans sa chambre et s'il allait se passer des choses plus intimes. Il ne pouvait pas se moquer comme il l'aurait fait habituellement, jusqu'à ce qu'Iwaizumi lui rétorque un « ta gueule » mérité avant de lui raccrocher au nez.
Il savait que s'il parlait, sa voix le démasquerait.
Il préférait le silence plutôt qu'un Iwaizumi soucieux qui allait l'harceler jusqu'à ce qu'il daigne enfin lui expliquer ce qui n'allait pas.
— Je vois, conclut-il finalement. Sa voix était trop basse, pas assez enjouée et pas assez joueuse.
— Oikawa ?
Une hésitation.
— Oui ?
— Dis à tes mères que je suis désolé de pas pouvoir aider.
— Ah. Hm.
Silence.
— Bon ... À lundi ? hésita son meilleur ami.
— Ah, oui, il raccrocha. »
Dans le jardin, le silence demeura. Les iris se perdant dans le noir de son écran, il resta muet.
« Tooru ? hésita Clarisse, visiblement incertaine.
— Qu'est-ce qu'il a pu dire encore ? renchérit Ophélie en se rapprochant de lui.
— Rien, rien.
— T'essayes de mentir à qui, là ? elle lâcha un rire sarcastique en lui tapotant l'épaule, Crache le morceau.
— Il est chez une fille.
— Ah ?
— Ça fait un moment qu'ils traînent ensemble. Il a l'air de bien l'aimer, et– et ... sa voix resta coincée. Il se mordit l'intérieur de la joue. »
Il détestait ce sentiment, celui de la gorge qui se nouait, de l'estomac qui se tordait. Contractait, tiraillait, quand il était au bord des larmes, il se détestait. Ne pas pleurer lui faisait mal, il avait ça en horreur. Pourtant, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.
« Eh, eh. Tooru. Calme. Ça va aller, lui rappela sa mère. Sa main posée sur son épaule vint le caresser doucement, tentant de l'apaiser.
— Pardon ...
— Pourquoi tu t'excuses ?
— Je sais pas ... bougonna-t-il.
— Tu sais qu'on préfère te voir faire le beau plutôt que la tête baissée comme ça, hein ? renchérit Clarisse en soupirant.
Comme sa gorge qui s'était nouée, il ne réussit pas non plus à empêcher un sourire de se former sur le coin de ses lèvres.
— Je sais.
— Et ne tire pas des conclusions hâtives. S'il ne t'a pas dit qu'elle était sa petite amie, alors y'a absolument rien entre eux ! s'exclama Ophélie plus bruyamment.
— Je suis pas certaine que ça marche comme ça ... marmonna sa femme en plissant les yeux.
— M'en fiche ! Maintenant, viens nous aider à monter cette table ! Hajime a aussi le droit d'avoir des amies, tu sais ! Tu ne le vois pas péter un scandale alors que tu es entouré de filles constamment !
— C'est parcequ'il ne m'aime pas, c'est pour ça.
La grimace désespérée qui s'installa sur le visage de sa mère le prit de court, un rire se perdant avant d'atteindre ses lèvres.
— Arrête d'être aussi négatif ! s'étrangla-t-elle, C'est fou comme tu peux être pessimiste, quand tu veux !
— C'est vrai ça. Dès que y'a un sujet qui te fâche, tu deviens une vraie loque.
— Eh ! s'indigna l'adolescent.
— Pourtant, quand c'est les autres, t'es toujours beaucoup trop optimiste. Sois comme ça pour toi aussi, continua Clarisse. Elle lui dédia un doux sourire.
— Je sais reconnaître une cause perdue quand j'en vois une.
— Tu sais rien reconnaître du tout ! T'es comme ta sœur, à s'occuper des affaires de tout le monde sauf des tiennes ! Deux vraies commères ! pesta son autre mère, qui s'était à nouveau penchée devant le manuel IKEA afin de mieux comprendre l'amas de pièces détachées devant ses yeux, Maintenant tu vas bouger tes fesses, et que ça saute ! Sinon, tu n'auras jamais terminé ta littérature avant le dîner, si tu continues sur cette lancée.
— T'es rude, pouffa-t-il, Je me débrouillerai très bien.
— C'est ça l'esprit, il ne pouvait pas la voir, le visage rivé vers les pages explicatives, mais il réussit quand même à entendre son sourire.
Et ça le fit sourire aussi.
NDA : j'ai pas posté la semaine dernière, my bad, j'étais trop occupé :v
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