2 | 'LE BRUIT DU SILENCE'
Oikawa laissa tomber sa gourde. Vu l'heure, même l'entrée du lycée lui serait empêchée. Il se pressa pour rentrer chez lui, le pas rapide tout en essayant de ne pas se mettre à trottiner. Il agrippait la lanière de son sac de sport d'une poigne ferme, les dents serrées, presque grinçantes.
Dehors, il faisait déjà nuit. La Lune n'en était encore qu'à son premier quartier, et Oikawa devait se forcer à plisser les yeux pour réussir à voir correctement ses environs. Des fois, il regrettait de ne pas porter ses lunettes plus souvent. Il savait que ça finirait par lui porter préjudice.
Il avait beau aimer l'espace, la Lune, les astres, Tooru n'aimait pas la nuit. Il ne l'avait jamais réellement aimée. Se promener, marcher seul dans l'obscurité, sans connaissance de ce qui l'entourait, de ce qui pouvait s'y cacher ; ça le mettait mal à l'aise.
Il ralentit en arrivant devant le square qu'il devait traverser pour arriver chez lui. Quand il était petit, il y passait ses journées avec Iwaizumi, à fuir les insectes qu'il attrapait, à tenter de réussir ses services. Ils monopolisaient la seule balançoire : elle était la reine du square, pour eux et les autres enfants.
Franchement, ce n'était qu'une structure en métal rouillé. Un adulte assis dessus la ferait peut-être s'écrouler, et les écrous proéminents pouvaient sûrement faire attraper le tétanos à quiconque s'y blesserait, non sans compter la douleur de l'éraflure. Iwaizumi et Oikawa avaient fait de cette balançoire leur territoire, y allant dès l'aube, et restant aux alentours jusqu'à l'orée de la nuit. Des fois, un gamin viendrait essayer de voler sa place à Tooru. Déjà à l'époque, Iwaizumi répondait comme une brute.
Ils allaient dans ce square, sur cette balançoire, tous les weekends, tous les soirs après l'école. Au fil du temps, leurs visites à la balançoire s'étaient réduites, elles s'étaient faites timides.
Maintenant, le soir, quand ils rentraient, ils passaient devant et souriaient doucement en pensant au passé. Oikawa grimaçait toujours autant à l'idée des insectes et scarabées qu'Iwaizumi lui cachait dans les cheveux.
Seulement, dans la nuit, seul, la balançoire ne paraissait pas aussi accueillante. Son grincement métallique, le cliquetis de ses chaînes, et il eut l'impression de ne plus être seul. Sa gorge se noua.
« T'étais où ? »
Oh.
La voix gutturale ne l'aida pas à calmer son angoisse. La voix d'Iwaizumi le soir, tout comme très tôt le matin, n'avait jamais été quelque chose qui l'avait apaisé.
Il resta tendu, crispé. Pour une fois, il était bien content d'être caché par l'obscurité ; son meilleur ami ne verrait pas ses joues se teinter d'un rouge cramoisi.
Sa voix endormie était devenue un vrai problème, maintenant qu'Oikawa avait pris conscience de ses sentiments. Dès qu'il l'entendait, il avait l'impression d'avoir treize ans à nouveau, de redécouvrir les affres du désir. Il avait l'impression de redevenir l'adolescent prépubère qu'il avait été la première fois qu'il s'était masturbé. Ça le perturbait, ça le dérangeait.
Il déglutit, et se décida à avancer vers la voix d'Iwaizumi. Dans la faible lueur de la Lune, il le vit, assis sur la balançoire. Il touchait bien le sol, maintenant. Ses genoux étaient même un peu pliés. Il avait cet air renfrogné, désagréable, qu'il n'arborait qu'à cause d'Oikawa.
Il avait été pessimiste de penser que la balançoire ne supporterait pas le poids d'un adulte.
« J'ai oublié d'aller chercher ma gourde, Iwa-chan, soupira-t-il. Il vint s'asseoir sur le siège à la gauche de celui sur lequel Hajime était assis.
— Comment ça ? Tu sais que je t'ai attendu ?
— Pas Makki et Mattsun ?
— Ils ont mangé à la vitesse de la lumière pour ne pas que Makki ait à payer ta part.
— Ça ne m'étonne pas d'eux. »
Ils restèrent silencieux. Oikawa porta son regard du sol poussiéreux au ciel étoilé.
« Et du coup, qu'est-ce que tu faisais ? Iwaizumi se tourna vers lui. Sa poigne était ferme sur les chaînes métalliques de la balançoire. Les jointures de ses mains en devenaient pâles.
— J'ai rencontré deux capitaines de grosses équipes de volley de Tokyo, avoua-t-il, Ils étaient perdus, je les ai ramené à leur hôtel. Ils étaient incroyables.
Il hésita un peu.
— Des énergumènes. Mais incroyables quand même, conclut-il en souriant.
— Ouais, t'as trouvé des barjots comme toi, quoi. »
Oikawa s'offusqua bruyamment. Ses mains bougeaient, incapables de pleinement réussir à décrire son outrage, et il finit par souffler, ses bras retombant lâchement pour se laisser porter par la balançoire. Face à sa réaction, Iwaizumi éclata de rire. Et Tooru ne put s'empêcher d'esquisser un sourire ; parceque le rire de son meilleur ami était probablement une des choses qui le faisait le plus rire lui-même. Quand il riait, il riait aussi.
Une fois Iwaizumi un peu plus calme, il se retourna vers Oikawa. Son regard était tout aussi posé que d'habitude. Quand il n'était pas énervé, il avait une manière de porter toute son attention sur quelqu'un, de lui donner de l'importance, rien qu'avec ses yeux.
Peut-être que ce n'était qu'Oikawa qui pensait ça. Lui et sa manière de le voir, de le comprendre, à travers un voile amoureux.
« Comme t'as pas mangé, je t'ai pris des brioches à la viande, il se leva de la balançoire en un petit saut, et ouvrit son sac de sport pour en sortir un sachet en papier, Tu t'es encore trop dépensé. Si tu manges pas, tu vas finir par t'effondrer.
Tooru sentit ses yeux s'humidifier. Ils devaient briller, et il se mordit la lèvre pour ravaler un sanglot. À la place, un sourire un peu trop suffisant sur les lèvres, il préféra en rire.
— Merci d'être ma troisième maman, Iwa-chan.
— Tu veux que je te les reprenne, ces brioches ? s'énerva le brun, sa voix rêche et sèche.
— Non, je rigole, je rigole ! il attrapa les brioches rapidement avant qu'elles ne soient hors de portée. Ce n'est qu'en ouvrant le sachet, se faisant envahir par les arômes de viande qu'il réalisa à quel point il avait faim. Il avait mal aux joues, du mal à ne pas sourire comme un idiot, Merci. »
Iwaizumi souffla simplement. Cette réponse avait l'air de le satisfaire. Il retourna s'asseoir sur la balançoire, et plissa les yeux face au ciel, scrutant, analysant les étoiles, sans rien rajouter.
Oikawa n'aimait pas le silence. Quand le monde se taisait, il avait l'impression que sa seule barrière qui le protégeait de ses insécurités s'effondrait. Alors, le monde n'était plus silencieux : il l'ignorait.
Il aimait encore moins le silence la nuit. Le bruissement des feuilles d'arbre, le sifflement du mistral, ces seuls sons insignifiants régnaient, et les entendre lui donnaient l'impression que la vie était morte dans son sommeil.
Il n'appréciait pas rester seul, éveillé dans son lit. Le silence qui l'entourait alors était souvent trop assourdissant.
C'était dans ces moments de flottement qu'il se questionnait sur son incapacité à attraper pleinement le moment où il s'endormait. Le moment où il perdait conscience. Alors, y réfléchir l'empêchait de s'endormir. Il restait coincé, coincé entre la vie et le sommeil, pendant des minutes qui semblaient être des heures.
C'étaient peut-être des heures. Il n'en savait vraiment rien. C'était toujours dans ce genre de moments qu'il attrapait son téléphone, la faible luminosité l'empêchant de grimacer au point de se retrouver pleinement éveillé à nouveau. Il envoyait des messages à Iwaizumi. Et son meilleur ami lui répondait. Il lui répondait, et sans savoir réellement quand, Tooru arrêtait de répondre.
Le matin, quand il se réveillait, son téléphone gisait à ses côtés, éteint. Quand il le rallumait, il retrouvait les vestiges de sa conversation avec Iwaizumi, abandonnée par un dernier « bonne nuit » qu'il lui envoyait quand il réalisait qu'Oikawa avait enfin sombré dans ce monde inconscient.
Grâce à Iwaizumi, il ne restait pas éveillé jusqu'aux tréfonds de la nuit. Il n'avait pas à subir le silence, et le vacarme de ses pensées alors perçantes.
Sur son siège, se balançant doucement alors qu'il mâchait allègrement sa brioche, il ferma les yeux.
Quand il était avec Iwaizumi, le silence et la nuit devenaient tout de suite plus tolérables.
NDA : J'aime penser qu'Iwaizumi a fait les cent pas autour du square en attendant Oikawa et qu'il s'est assis sur la balançoire par pure frustration et pour tenter de rester patient et calme, parcequ'il en avait marre.
Au prochain chapitre, ça va commencer à enfin se bousculer un peu ♪~(´ε` )
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