5. Nowhere to Run (1/2)

Le silence de la victoire. Ou celui de l'incertitude ? Du doute ? Je n'en savais rien. J'étais devant ce corps inanimé, lessivé, avec un liquide chaud qui commençait à couler du sommet de mon crâne, et je n'éprouvais aucune sorte de satisfaction guerrière. J'avais juste l'impression d'être face à une bombe à retardement. Tôt ou tard, elle allait m'exploser à la figure... et je me retrouverais avec du shrapnel plein la gueule.

Qu'est-ce qu'on allait en faire, maintenant ?

L'interface d'O'Connor s'alluma.

— C'est pas trop tôt ! Mon coursier est à la station-service, la pièce du moteur vient d'arriver, souffla-t-il, soulagé.

Je poussai un soupir soulagé. On allait enfin pouvoir quitter cette planète de merde en poudre, alors qu'on venait de capturer la fille. Un parfait timing.

Alors que nous commencions à nous réjouir de quitter ce désert et d'empocher la prime, un vrombissement annonçant l'arrivée d'un vaisseau nous fit perdre nos sourires.

Un immense cargo à foreuses traça une ligne dans le ciel juste au-dessus de nous, soulevant dans son sillage des tonnes de sable.

— Le vaisseau ! criai-je en voyant mon bâtiment qui piquait du nez sur la dune où il était en équilibre.

Mon chasseur hypérien glissa le long de la pente dans un grincement horrible. Je pouvais presque entendre chaque grain de sable racler sa vieille carcasse. Pourvu que la coque n'ait rien...

— Qui c'est, cette bande d'enfoirés ? beuglai-je en courant vers le vaisseau, suivi de près par Banmian qui était aussi terrifié que moi pour l'état de la carrosserie.

— C'est la Fédération des Mines Zoltariennes ! me répondit O'Connor en prenant le lance-grenade des mains de Banmian avant que celui ne s'éloigne.

Il s'accroupit devant le corps de notre prise pour dissimuler son visage. Il n'était pas question qu'on se fasse voler notre prime. Puis il visa le cargo qui était en train de faire un demi-tour en rase-motte pour nous mettre en joue. Ils se prenaient pour qui ces mecs ?

— Capitaine Shayne Marlow des Corps Mercenaires, Ex Lieutenant Flamenco O'Connor de Helvetar et... « Banmian », énonça une voix diffusée par les enceintes du vaisseau avec un ton incertain pour le dernier nom. Par ordre des Colonies Unies de la Fédération des Mines Zoltariennes, vous êtes en état d'arrestation pour violence envers des employés et des esclaves de la Fédération. Veuillez déposer vos armes et vous rendre immédiatement, sans quoi nous ferons feu.

Et merde. Encore une journée sans fin.

O'Connor se mit à ricaner en serrant les dents, comme s'il avait une quinte de toux, et finit par cracher le contenu du fond de sa gorge dans le sable.

— Capitaine ?

Je poussai un soupir épuisé. Je tenais à peine debout, et tout mon corps n'était plus que douleur... J'avais juste envie de m'allonger sur mon lit et de laisser tout ce petit monde disparaître dans les eaux troubles de quelques bouteilles de Tequila Centaurienne... Mais il fallait être le capitaine. Il fallait que je tire ces deux abrutis du guêpier dans lequel on se trouvait, et que je ramène cette nana sur Terre pour avoir de quoi payer notre prochaine expédition.

Gagner de l'argent pour repartir chercher de l'argent, sans savoir s'il y en aurait assez pour vivre jusqu'au prochain contrat, et sans aucune certitude de jamais trouver quoi que ce soit. Les joies des professions libérales...

Je pris une grande inspiration en chassant cette lassitude tenace qui était en train de me refiler la nausée.

— Cette bande de merdeux des cavernes n'ont pas encore compris à qui ils avaient affaire, me contentai-je de siffler. Banmian, prends la fille. O'Connor, va chercher cette putain de pièce, qu'on puisse quitter ce trou à rats. Je te laisse leur faire avaler leurs couilles avant qu'ils ne se mettent à penser qu'ils vont pouvoir nous l'enfiler.

Mon Second hocha la tête avant d'armer le lance-grenade. Le mécanicien se rua sur le corps inerte et le souleva par-dessus son épaule pour l'amener au vaisseau.

— Bordel, Ban', c'est pas un sac de sable ! m'exaspérai-je immédiatement en le voyant balancer la fille sans ménagement.

Putain, il ne pouvait pas faire attention cinq minutes ? Une goutte de sueur perla à mon visage en imaginant le couteau s'échapper du corps. Est-ce qu'on aurait seulement cinq minutes pour réagir avant que cette enfoirée de ninja de labo ne nous réduise en pièce ? Je n'étais plus en état de la maîtriser, et je doutais qu'un seul autre membre de mon équipage en soit capable...

O'Connor fit feu, et la grenade explosa sur le cockpit du cargo sans même qu'ils aient le temps de réagir. Cette bande de gratte-papiers des mines se croyaient intouchables, ils ne nous croyaient pas capable de les attaquer depuis le sol avec une arme lourde alors qu'ils nous menaçaient avec 50 tonnes d'acier et de foreuses.

Touché à son centre névralgique, le cargo s'inclina sur le flanc, soulevant les dunes avec lui, avant de s'écarter en essayant de rester en stationnaire comme un oiseau touché en plein vol.

Banmian me saisit soudainement par le bras et je réalisai que je m'étais immobilisé à quelques mètres du sommet de la dune qu'avait dévalé le vaisseau, comme si tout mon corps avait décidé de s'arrêter là.

Je regardai avec hébétude la masse de cheveux noirs qui dissimulaient le visage parfait de la créature qui m'avait mis dans cet état, sans même sentir la pression de ma main de mon mécanicien sur mes muscles.

— Capitaine, il faut que vous alliez reprendre les commandes du vaisseau. On doit s'échapper.

Il allait m'aider à me mettre en marche lorsque le cargo face à nous lança un tir de faisceaux magnétiques en espérant désactiver nos prothèses cybernétiques pour nous paralyser. Dommage pour eux, nous n'en avions pas une seule.

O'Connor se contenta de vaciller en arrière. Il se plaqua contre le sable pour préparer une deuxième attaque. Il savait qu'il n'aurait pas le blindage du cargo, mais s'il arrivait à détruire ses capteurs, il pourrait partir à la station-service avec un peu d'avance. Banmian agrippa la fille sur son épaule en maintenant le couteau dans sa plaie malgré l'impulsion.

Cette bande d'abrutis de la Fédération des Mines s'était trompé sur l'arme à employer avec nous. La seule personne à qui le tir magnétique avait fait du mal, c'était moi. L'onde de choc me retourna l'estomac. Je crachai un caillot de sang noirci, incapable de retenir les spasmes qui secouaient mon abdomen. Merde, j'étais salement amoché...

— Il faut que je passe en cellule médicale, avouai-je soudainement plus pour moi-même que pour mon mécanicien. Amène la fille dans la salle de commandes et garde-la à l'œil. Je t'y retrouve dans cinq minutes. Eh O'Connor ! Tu as quinze minutes pour aller chercher la pièce et revenir !

Flamy se contenta de lever un bras pour nous faire signe de dégager la zone avant qu'il ne fasse feu. Il venait de charger le lance-grenades avec une charge plasmique. Il prenait ces enfoirés de mineurs au sérieux. Tant mieux.

Je ne vis pas le tir, ni son effet sur le cargo vacillant. Je me ruai du mieux que je pouvais au sas d'entrée du vaisseau et m'enfonçai dans les couloirs mal-éclairés à la recherche de l'infirmerie.

Essoufflé, j'arrivai enfin à la petite pièce poussiéreuse où nous n'allions plus depuis des semaines, puisque le stock d'antidouleurs et d'anesthésiants avait été consommé... Ma poitrine me faisait un mal de chien, et il me faillit me tracter de toutes mes forces pour monter dans l'une des cellules médicales.

— Engagez l'analyse physique, ordonnai-je avec le peu de voix qui me restait.

— Analyse en cours, me répondit le moniteur d'une voix féminine et artificielle en lançant immédiatement un scanner. Fonctions vitales atteintes. Trois organes internes endommagés à 15%.

— Procédures médicales envisagées ?

— Chirurgie laser et analgésiques nécessaires. Erreur. Impossible de trouver les produits.

Oui. Je le savais. C'était moi qui m'étais amusé à dévisser le boitier des réserves d'analgésiques en tube pour me faire une petite sauterie solitaire alors qu'on passait un mois de plus dans l'espace sans croiser quoi que ce soit de vivant.

— Conformément au protocole médical, l'opération est interdite sans usage d'analgésiques.

Est-ce que j'avais pris mon pied avec ces tubes de plastique ? Je ne crois même pas. Ça m'avait probablement laissé encore plus vide et désespéré qu'auparavant, mais au moins je ne m'étais pas logé une balle dans la tête pour me débarrasser de ce bruit insupportable qu'était celui du vide et de l'espace infini.

Qu'est-ce que cette stupide machine pouvait y comprendre ? Elle était connectée à tous les réseaux de la galaxie, alors que connaissait-elle de la solitude et de l'impression d'immensité étouffante de l'univers qui essayait d'entrer dans un petit cerveau entravé d'humain ?

— Code 5971 Bêta. Rectification des protocoles. Supprimer l'entrée « 4A Analgésiques ».

— Code activé. Entrée supprimée. Reprise de la procédure médicale. Durée estimée pour la guérison totale : 265 minutes de chirurgie en cellule.

265 minutes ? Bordel, j'en avais moins de 10 pour récupérer O'Connor et mettre les voiles avant que tous les mineurs de la planète ne se ramènent.

— Estimation pour 5 minutes de chirurgie en cellule.

— Erreur de calcul. Durée trop courte pour commencer à cautériser l'hémorragie principale en employant la technologie des nano-robots.

Cette machine commençait à m'échauffer.

— Recalcule en passant par la chirurgie laser.

— Erreur de données.

Evidemment. Sans analgésiques, l'algorithme ne pouvait pas anticiper si mon état allait s'aggraver ou empirer avec une technologie aussi primitive que les lasers.

— Code 7234, désactivation des modules de sécurité et d'analyse vitale. Identifie les endroits à cautériser et lance la procédure. Et putain de merde, me laisse pas gueuler tout seul dans cette boîte de conserve, met-nous un peu dans l'ambiance. Lance Turn Up The Radio de Autograph. Ça te laisse 4,35 minutes de paroles à la con pour me rafistoler les boyaux sans avoir à m'interroger sur le sens de ma vie.

Les premiers riffs de guitare commencèrent à résonner dans la cellule qui se fermait lentement et je sentis les aiguilles vides des premières injections d'analgésiques me percer la peau. C'était parti.

Le laser se mit à brûler ma poitrine et je m'accrochai aux parois de la cellule en serrant la mâchoire pour ne pas crier. Il fallait que je tienne en apnée. Un son aigu se mit à sortir de ma gorge sans que je puisse le contenir, noyé dans le refrain et les battements cardiaques de la batterie.

Day in day out all week long

Things go better with rock

Bordel, ouais. Les choses vont mieux avec du rock. Le faisceau laser s'intensifia sur mon abdomen et je dus reprendre mon souffle d'un coup, laissant le rayon me charcuter au passage, pour ne pas me mettre à hurler de douleur. Je répétais le refrain dans ma tête pour rester concentré, mais je sentais que mon corps ne tiendrait plus longtemps la douleur. Mes dents qui crissaient les unes contre les autres ne me suffisaient plus. J'avais envie de mordre dans une putain de barre d'acier.

La musique était en train de s'éteindre progressivement. Plus que quelques secondes à tenir. Je frappai d'un coup la paroi de la cellule, en poussant un cri libérateur alors que le laser passait par mon bas-ventre.

https://youtu.be/HAJV2va9V9A

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