3. Spokey Dokey (2/4)
Il n'y avait pour ainsi dire personne, seulement le propriétaire derrière le comptoir où pendaient des grappes de sachets de bouffe lyophilisée et un client qui était arrivé en moto, un homme au treillis usé qui portait une veste de mineur et une cagoule de laine couverte de sable.
L'inconnu n'avait même pas pris la peine de retirer ses lunettes de moto pour se jeter sur son paquet de viande séchée. Le désert recrachait parfois des voyageurs égarés, comme une plante carnivore lassée des moucherons, et ce devait être l'un deux car il semblait encore errer dans les dunes, sans vraiment comprendre qu'il était entouré d'humains. Je le laissais tranquille, avec lui et l'immense vide qui devait balayer son âme, de crainte que sa présence ne ramène des visions de jungle dans mon esprit.
Evidemment, Banmian s'assit juste à côté de lui, comme s'il entendait son vide intérieur entrer en résonnance avec le sien. Il venait de sortir de deux jours d'errance dans le vaisseau pour aller s'acheter des nouilles instantanées, les éponymes.
O'Connor était assis au comptoir les sourcils froncés, concentré sur son Interface dans l'attente du message salvateur qui annoncerait l'arrivée de notre pièce de vaisseau. Devant lui, le propriétaire de la station nettoyait ses verres sales en regardant la retransmission pirate d'un match illégal entre cyborgs sur Ganymède.
Je m'installai à côté de Flamy pour commander de l'eau chaude pour réhydrater mon bol de nouilles et fixais l'écran léthargiquement. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre ? On en avait encore pour deux jours avant que la pièce de rechange n'arrive. Je ne pouvais que regarder cet écran en espérant qu'entre ces deux jours, aucun message de l'Association des Chasseur ne m'avertisse que la prime sur le « projet Deera » venait d'être touchée par quelqu'un d'autre...
J'inspirai une première gorgée de bouillon brûlant.
Merde, même l'eau était poussiéreuse et sableuse dans ce trou à rats du désert. Mes nouilles avaient un goût infect de fausse sauce à l'ail granuleuse et d'huile de poisson avariée. Je les remuai avec dédain lorsqu'une petite navette de fret s'arrêta devant la station.
Un type en sortit et se précipita à l'intérieur. Il portait l'uniforme de facteur inter-système, d'un bleu-marine rembourré peu adapté à la chaleur de Zoltar-3.
— Capitaine Shayne Marlow ? demanda-t-il en cherchant la personne qu'on lui avait décrite.
Il ne fut pas long à me trouver et s'approcha d'un pas rapide. On avait dû lui dire : grand, musclé, tenue militaire d'infiltration, crâne presque entièrement rasé, barbe en bouc et collier, nez épais, sourcils broussailleux, cicatrices sur le visage et regard noir. 100% organique.
— Qu'est-ce qu'il y a ? dis-je en me retournant vers lui.
C'était un putain de mioche. A peine un début de barbe sur le menton, frêle comme une stripeuse sur Centaurus, des yeux bleus comme un beau matin d'été.
— Votre commande de pièce de moteur est arrivée au service de fret de la station centrale de Zoltar-3, mais elle est retenue par le service de douanes. Il paraît que vous... que...
Sa voix s'étouffa dans un râle terrifié. O'Connor s'était glissé derrière lui et venait de poser une main sur son épaule. Il commençait à lui broyer les os nerveusement. Ses yeux renvoyaient des éclats de démence et le sourire mauvais qui s'étalait sur son visage ne laissait rien présager de bon. Ma danseuse avait faim.
— Il paraît que quoi ? grognai-je.
Le mioche était en train de se liquéfier. Il tremblait comme une feuille alors que mon artificier était en train de réduire de plus en plus la distance qui les séparait, laissant son souffle acide frôler la nuque du gamin.
— Que... que...
— Réponds au capitaine, petit, lui susurra O'Connor d'un ton mielleux qui était en train de rendre le facteur nauséeux.
— Que... que vous allez être mis en état d'arrestation par la Fédération des Mines Zoltariennes pour avoir frappé des employés des mines... Ils ont peur que vous n'attaquiez d'autres gens alors...
— Et ils envoient une petite paire de mini-noisettes comme toi pour nous avertir ? lui glissa O'Connor en resserrant sa prise.
— Non ! Pitié, s'il vous plaît, ce n'est pas eux qui m'envoient ! J'ai été payé par Simbad ! Il a besoin de vous ! Il est avec moi, dans la navette !
Il poussa un hurlement de douleur alors qu'O'Connor le forçait à se mettre à genoux en lui aplatissant l'épaule, sous les regards totalement indifférents du proprio et de Banmian. Le voyageur du désert se mit à siroter son verre de thé bruyamment, rompant toute l'ambiance dramatique de cette scène de torture. Aucun respect, putain...
— L'enfoiré qui nous a mis dans cette merde avec sa fausse-piste à la con ? cracha l'artificier au facteur en lui planquant la tête contre le parquet couvert de sable de la station.
— Du calme, Flamy. Et pourquoi il ne sort pas de sa navette pour venir causer directement avec nous ?
Le mioche était en train de pleurer de douleur. J'avais du mal à croire qu'un bookmaker ait à ses ordres une petite merde pareille. C'était probablement un véritable facteur qu'il avait soudoyé pour l'opération.
— Les satellites. Il ne faut pas qu'on puisse lier Simbad à vous. Il veut que vous le rejoigniez à bord, la coque de la navette est en plomb, personne ne pourra savoir que vous lui avez parlé et... Il a des informations sur la fille.
Je lançai un regard entendu à O'Connor, puis à Banmian. C'était peut-être un piège, c'était peut-être une nouvelle fausse-piste pour se moquer de nous, ou se venger de notre dernière rencontre, mais ça pouvait aussi être une bonne information. Sinon, Simbad n'aurait pas cherché à nous rencontrer au milieu de cet océan de merde en poudre.
Et puis il fallait le reconnaître... on était des mercenaires, pas des chasseurs de prime, et nos méthodes d'élagage de membres n'avaient pas encore fait leurs preuves pour récolter de bonnes informations. Ça ne coûtait rien d'essayer.
— Banmian, tu restes ici pour surveiller le vaisseau. S'il se passe quoi que ce soit...
— Je tire et ensuite je pose les questions, compris.
Le motard encagoulé à côté de lui se mit à froisser son paquet de viande séché et repoussa son verre de thé vide. Il demanda un bol de nouilles au proprio. Je l'avais presque oublié celui-là. Pour l'instant, il restait aussi silencieux que le propriétaire, et il avait intérêt à le rester.
Je l'observai un instant avec méfiance, avant de d'accompagner O'Connor et le facteur à l'extérieur de la station pour monter dans la navette.
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